Terres de Femmes

Mois : août 2015


  • Milo De Angelis | [Inquadratura]




    Edicola RomaSource






    [INQUADRATURA]



    Inquadratura. Una donna sola,
    nella dolcezza delle nebbie. Viviana. Guarda
    il tramonto, mi chiama, ripete giocosa
    il filo delle corse, scatta
    da porta a porta, da stagione a stagione
    ripete in pochi metri il tragitto dei pianeti
    e poi ritorna qui, all’ingresso dell’edicola
    dove l’ho conosciuta per un soffio, l’ho vista scorrere
    tra le date dei giornali, l’ho perduta, ritrovata,
    risorta e poi finita e culminante, come una poesia
    che rinasce precipitando nel suo bianco.




    Milo De Angelis, Incontri e agguati, Poesia, Mondadori, Collezione Lo Specchio, aprile 2015, pagina 51.





    Milo De Angelis  Incontri e agguati









    [CADRAGE]



    Cadrage. Une femme seule,
    dans la douceur des brumes. Viviana. Elle regarde
    le coucher de soleil, m’appelle, répète enjouée
    la liste des courses, vole
    de porte en porte, de saison en saison
    refait sur quelques mètres la trajectoire des planètes
    et puis revient ici, à l’entrée du kiosque
    où je l’ai connue le temps d’un éclair, l’ai vue glisser
    entre les dates des journaux, l’ai perdue, retrouvée,
    ressuscitée et puis épanouie et triomphante, comme un poème
    qui renaît tout d’un coup dans son blanc originel.




    Milo De Angelis, Rencontres et guet-apens, édition bilingue, Cheyne éditeur, collection de poésie étrangère « D’une voix l’autre » dirigée par Jean-Baptiste Para, 2019, page 73. Traduction de Sylvie Fabre G. et d’Angèle Paoli. Postface de Jean-Baptiste Para.






    Milo De Angelis  Rencontres 2





    MILO DE ANGELIS



    Milo De Angelis Viviana
    Photo © Viviana Nicodemo
    Source





    ■ Milo De Angelis
    sur Terres de femmes


    6 juin 1951 | Naissance de Milo De Angelis
    Mercoledì (poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Il morso che ti spezza (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Sala Venezia (autre poème extrait de Linea intera, linea spezzata)
    Milano lì davanti (poème extrait de « L’oceano intorno a Milano » in Biografia sommaria, 1999)
    L’oceano lì davanti (poème extrait de L’Océan autour de Milan)
    [A volte, sull’orlo della notte] (poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’Angèle Paoli)
    [Era buio] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite de Sylvie Fabre G.)
    [Nessuno riposa] (autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 1]
    [Mi attendono nascosti] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP)[Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 2]
    [È qui] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 3]
    [Ecco l’acrobata della notte] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 4]
    [Ho saputo, amica mia…] (un autre poème extrait de Quell’andarsene nel buio dei cortili + traduction inédite d’AP) [Anthologie poétique TdF | Milo De Angelis, 5]
    “T.S.”, II (extrait de Somiglianze)
    Thème de l’adieu (traduction d’extraits par Angèle Paoli ― février 2009 + notice de Martin Rueff)
    Tutto era già in cammino (extraits du Thème de l’adieu, Éditions NOUS)
    Thème de l’adieu (lecture de Tristan Hordé)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poesia, di Luigia Sorrentino)
    “Ce soir tourne la veine” (autre poème extrait de Rencontres et guet-apens de Milo De Angelis)





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  • Déborah Heissler, Sorrowful Songs

    par Angèle Paoli

    Déborah Heissler, Sorrowful Songs,
    Collection voix de chants,
    Éditions Æncrages Co, 2015.
    Préface de Claude Chambard.



    Lecture d’Angèle Paoli



    SOUS LES SILENCES DE BLANCHE, UNE POÉSIE DE L’ESQUISSE ET DE L’EMPREINTE



    «  Un triomphe, une querelle d’ongles à la cloison des feuillées. Toucher absolu de la distance qui nous sépare désormais. »

    Ainsi s’ouvre, par ces deux phrases mystérieuses et quasi antithétiques, Sorrowful Songs de Déborah Heissler. Deux phrases qui obsèdent par leur douceur et qui ne cèdent leur part d’étrangeté qu’à la lecture. Lecture lente grave triste mais paisible cependant, et recueillie, de ces admirables « petites proses ». La séparation est au cœur de ces pages. Séparation irrémédiable d’avec l’être aimé emporté un soir par la mort. Séparation — d’avec le monde des vivants — d’avec ceux qui ont péri dans le monde obscur des camps de la mort. Pourtant, au cœur même de la tragédie humaine qui se devine dans l’estompe, la beauté demeure, insolente parfois dans son « triomphe », « querelle d’ongles à la cloison des feuillées. » Mais le chant qui irrigue ce recueil est avant tout celui, doux et lent / fusionnel de l’amour.

    « Ton visage

    est celui que je cherche. »

    ou encore :

    « Bruissements du ciel comme une main. Blanche.

    Je te visage. » (in II, « Rien que le ciel ouvert »)

    Ou encore, dans le final :

    « aimée Tu

    qui me nocturnes. » (in III, « Chambre où te perdre »)

    Trois mouvements guident nos pas dans la valse triste de Sorrowful Songs. Trois chants de tristesse ponctués par quatre dessins de Peter Maslow. Trois compositions introduites par un poème-exergue de Thomas Johnson (« Soprano »), dont les vers annoncent les espaces mentaux du nouveau recueil de Déborah Heissler. La musique et ses octaves la fenêtre qui donne sur le jardin la branche d’un arbre la courbe bleue d’une veine qui s’incurve dans le cou (d’une femme ?). Un glissement feutré s’opère sur le seuil entre dedans et dehors, extérieur et intime. Tempo dominant et récurrent, la lenteur, qui engendre tristesse douceur et paix.

    Le titre choisi par la poète — Sorrowful Songs — fait référence de manière explicite à la Symphonie des chants plaintifs écrite par le compositeur polonais Henryk Górecki en 1976 — l’année même de la naissance de la poète. Cette Symphonie n°3 (opus 36), composée de trois mouvements lents, est une œuvre dédiée à ceux qui ont péri dans les camps de la mort. Le registre de cette œuvre ne peut être que grave, et l’impression qui s’en dégage est celle d’une plainte monotone qui jamais ne cesse. D’une répétitive tristesse qui longuement s’étire. Les visages invisibles de la Shoah s’insinuent entre les lignes, se glissent sous le visage paisible de Blanche.

    D’autres notes musicales affleurent entre les pages de Sorrowful Songs de Déborah Heissler, références explicites à d’autres compositeurs et à d’autres créations musicales. Bach / Stravinsky. Exaudi orationem meam. La Symphonie des psaumes pour chœur et orchestre. Ici le psaume 38 de David. « Exauce ma prière ». Boulez et Char : Le Marteau sans maître. Et Claude Debussy. Le prélude pour piano Des pas sur la neige. Lente douceur effacement.

    Le premier chant donne sur le jardin d’une belle endormie « Jardin – Elle Endormie », dans la simplicité naturelle d’une énonciation : « Blanche est morte. Elle est morte hier soir. » De l’autre côté de la fenêtre commencent les journées sans elle, dans le bourdonnement vacant de « l’essaim des heures ». Elle morte, lui sur le seuil se regarde vieillir ; vieillard épris de poésie, emprise discrète de Philippe Jaccottet. Elle, de musique. Une vie s’efface un peu plus loin, derrière la fenêtre, rideau de pluie papiers épars sur le bureau, quelques notes encore présentes mais déjà lointaines, des traces à peine d’un passé encore vibrant de ses étreintes, de ses ferveurs, et qui lentement s’en va vers l’oubli.

    « Passez. Oubliez tout.

    Oubliez qu’elle était devenue arbre et qu’elle lui tendait les bras, ombre au soleil, chèvrefeuille noué au cœur, cathédrale à la chute du jour, gisant », dit l’amant devenu vieillard.

    Blanche ou l’oubli. Souvenir d’un titre qui s’immisce malgré moi, « là où la vérité doit être inverse » ; Blanche comme la neige qui s’annonce dans les jours à venir de Sorrowful Songs. Tout cela à pas feutrés. Les petites proses, comme des tableaux en demi-teintes. Pour dire la vie la mort, la traversée dans le silence, la modestie, le presque effacement. Avec des touches de bleu pour tenter de cerner la brûlure des « corps lyriques ».

    « Trêve des corps précipités et bleus. Je ne sais ni quelle étreinte, ni même l’image, qui pourraient les prolonger. »

    Tonalités tristes sans repos d’une tristesse sans retour. Ainsi le laissaient entendre les vers de Thomas Johnson :

    « A garden

    Where the terne, restless

    On a plum branch

    Prepares to migrate

    Down the blue curve

    Of that veine

    Deep in your neck ».

    Pourtant, par-delà la mort, le chant de la vie continue de s’immiscer dans la mémoire de celui qui accompagne, derrière la cloison, la présence-absence de l’autre. Tout ce qui hante encore un lieu — elle « devenue arbre » ; énigme d’un espace qui parle d’Elle tout en suggérant ce qu’elle n’est plus.

    « Je me souviens    De deux petites filles

    qui gravissent l’escalier. »

    Il est vrai que celui qui l’aimait continue de lui parler, de s’adresser à elle depuis les frondaisons des arbres, et jusque dans le gisant du jour. Tout, dans ces lignes, se noue dans le doigté, le suggéré, l’effleuré, à peine, de manière légère. Ainsi le temps progresse-t-il au rythme de la neige, de sa brûlure indolore :

    « Dans quelques jours – demain peut-être même, il neigerait. Debussy résonne tout près de la fenêtre. »

    De même la mort se vit-elle dans cet espace à peine souligné qui convient si bien à Blanche. Et qui ne tardera pas à devenir aussi celui de l’autre.

    « Elle était devenue ombre et lui tendait les bras

    Blanche

    murmures d’ombre et d’ébène… »

    Chaque poème — parfois deux, qui se font écho — est annoncé par un titre — il conviendrait de faire une lecture spécifique des titres — et la neige qui tombe vient encore adoucir les mots qui demeurent ; ensevelir sous sa chute douce ce qu’il reste d’images, « les arbres et leurs fruits de bure, givrés légèrement », comme cernés dans la blancheur et le silence. Les silences de Blanche, de quels non-dits sont-ils tissés ? Seul l’instrument de musique, dans ses envols dans ses excès dans ses silences mêmes, peut parvenir à susciter une attente que la poésie, selon Blanche, ne parvient nullement à combler.

    La poète, elle, avance à pas feutrés dans l’esquisse et les empreintes. Tout ce qui entoure la mort se vit dans la nuance d’un chant crépusculaire. Dans la lumière cendrée du jour à son déclin. Ainsi de la présence discrète des oiseaux (messiaeniques oiseaux au Pays de la Meije ?), lesquels n’existent que dans le titre Oiseaux, neiges et fruits. Et que le lecteur perçoit pourtant « derrière les rideaux » et dans le ciel. Au point qu’il est convaincu de les avoir croisés dans le poème.

    C’est sans doute au cœur de cette énigme que se tient la force poétique de Déborah H. C’est dans ces esquisses qu’elle puise son talent. C’est sur ces lacis de traces à peine suggérées que se construit son écriture. Sur ce décalage permanent entre le dit et le non-dit qui innerve l’œuvre de la poète, et qui fait de la voix de Déborah Heissler l’une des plus singulières de la poésie contemporaine. Autant de qualités qui ne nuisent jamais à la musicalité bouleversante de Sorrowful Songs.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Déborah Heissler, Sorrowful Songs




    DÉBORAH HEISSLER


    Deborah Heissler Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Déborah Heissler
    sur Terres de femmes


    Les Nuits et les Jours (lecture d’AP)
    Je ne peux oublier (poème extrait des Nuits et des Jours)
    « Des pas dans la neige » (poème extrait de Sorrowful Songs)
    La protection des pierres (poème extrait de Près d’eux, la nuit sous la neige)
    Près d’eux, la nuit sous la neige (lecture d’AP)
    sur l’herbe sèche ce jour (poème extrait de Chiaroscuro)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    loin (poème extrait de Comme un morceau de Nuit, découpé dans son étoffe)
    → (dans la galerie Visages de femmes) le poème « 
    Errance »



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Wikipedia)
    l’article consacré à Déborah Heissler
    le blog de Déborah Heissler



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  • Agnès Rouzier | [Alors revenait la voix]




    [ALORS REVENAIT LA VOIX]



    Alors revenait la voix — le silence — la dure alternance des interruptions, leur langage.


    Phases rompues. Membres discontinus. Et le vide alentour. Éclats de couleurs, BRUSQUES, dans tout ce noir.


    MAIS… Nous mettions en ce mot tous nos espoirs, toute notre force de faire obstacle, et ainsi suspendus, d’arrêter là, un instant, en abîme, temps et espace (et nous, solitaires, muets-parlant, ô notre rire). Et non point tant ici introduire opposition, que dissoudre, ouvrir, MAIS, sorte de neutre, qui mollement chavire, mot concentrique.


    Et par cercles s’organise laissant intact le paysage — à la très chère, à la très belle, à la très bonne.


    Image très généralement significative : sapins, herbes hautes, zones d’un ciel bleu et très pur (PRUSSE).


    À la très chère, à la très belle, à la très bonne.


    Comme si, zone ronde et captive, au plus obscur de l’eau — son calme — se levait un tourbillon, des vagues.


    Et nous, décomposés par ce mélange, allant, venant, NOUS et fantômes, incapables d’acquérir ce corps nouveau qui pèse cependant, promesse-menace, sous notre corps ancien.


    MAIS et fantôme.


    Tandis que nous visitons des plaines immenses — enfonçant nos pieds dans des trous brûlants, nous baignant de sable, de pierres, d’épines, (et nos visages marqués, et nos vêtements roux, en loques, révèlent depuis longtemps la faim, la soumission à la faim, sa torture.)


    Sans qu’aucune intention précède l’acte, sans même que s’organise la facilité des obstacles, dans cette transparence de l’air nacré — ici ou là, (voyages) — tandis que monte et descend cette poitrine qui respire, soulevant jusqu’à sa bouche un bol où il boit, là, retombe, remonte le geste, clé entre mille autres, et t’entraîne, chute où tu,(nous) nous prenons.


    Volupté de la parole. À la très chère, à la très belle, à la très bonne.


    Rétrécissent les plaines. Doucit le soleil. Et dors, dors encore. Toi. Nous. Tant d’autres. Que ferais-tu, hors la possibilité de louer, de honnir ?


    Il était une fois. Il était une fois. Il était.


    Il était. Tous ces beaux verbes.


    Thomas s’assit et regarda la mer.


    Ne cherche pas le repos.


    Tandis que se drape d’un grand manteau, la femme, son sourire, te saisit, toi, te saisit nous, oh ! ces vertiges.


    Si nous n’avions la force de menacer de fable, tout périrait en nous. Où donc situer cette déformation qui nous assaille ? Quelle chambre, lieu, ville, lui assigner, si ce n’est tout entier, impossible ce sang qui nous oriente, nos allège (lui tumulte, lui douceur, (violence, soleil)). À toi. À nous. Pour toujours. Enfermés et diserts.



    Agnès Rouzier, Non, rien, éditions Seghers/Laffont, collection Change, 1974, pp. 22-25 ; Zoo éditions/Z, Collection Brûle-pourpoint dirigée par Stéphane Korvin, 2015, pp. 26-29 (réédition).






    Non, rien




    AGNÈS ROUZIER




    ■ Voir aussi ▼

    le site Brûle-pourpoint
    → (sur le site Brûle-pourpoint)
    une notice bio-bibliographique sur Agnès Rouzier
    → (sur Poezibao)
    un entretien avec Stéphane Korvin, autour de la réédition de non, rien d’Agnès Rouzier
    → (sur le site des éditions Horlieu)
    les premières pages de non, rien d’Agnès Rouzier, éditions Seghers/Laffont, collection Change, 1974 [PDF]
    → (sur En attendant Nadeau)
    Disparues, par Marie Étienne



    Non, rien, Seghers







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  • Mira Wladir | [corps éparpillé]




    [CORPS ÉPARPILLÉ]



    Corps éparpillé
    au matin exsangue

    un endroit
    sans lieu

    paupières scellées
    à tâtons nos mains noyées

    corps
    aux tiges dérobé

    pillage d’œillets bleus
    et de mûriers

    mais les fleurs
    il faut le croire
    mais les fleurs
    sont la peau douce
    de nos secrets



    Mira Wladir, « L’endroit », L’Invention de la légèreté, Éditions Empreintes, CH-1022 Chavannes-près-Renens, 2015, page 26.






    Mira Wladir, L'Invention de la Légèreté




    MIRA WLADIR


    Mira Wladir 2
    D’après une photo de Claude Labarre
    (Bazoches, 8 juillet 2012)
    Source




    ■ Mira Wladir
    sur Terres de femmes

    [aux abords des bois](poème extrait de L’Exil des renards)
    [ce qui fut dérobé](poème extrait d’Équilibres équestres)
    [mon corps est une femme]
    [peut-être] (poème extrait de Luisance) [+ notice bio-bibliographique]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Empreintes)
    la page de l’éditeur sur L’Invention de la Légèreté






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  • 28 août 1993 | Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan

    Éphéméride culturelle à rebours




    Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan.

    Variations à partir du poème de Paul Celan : « Il y avait de la terre en eux » (dans une traduction de Jean Daive), écrites par Thierry Metz « comme un signe d’après départ, pour dire l’honneur, l’amitié, le bonheur aussi d’avoir à faire mémoire. »

    Ci-dessous, un des douze poèmes de cet ensemble.





    SI CE N’ÉTAIT QUE CE MOT : RICERCARE



    Si ce n’était que ce mot : ricercare
    si ce n’était que nous, aujourd’hui, groupés dans le chant
    de six bergers qui ne se verront jamais,
    étagés dans la montagne,
    vêtus de bleu sur la neige,
    la voix toujours noire

    si ce n’était que cela :
    que l’abandon d’une recherche
    que l’abondance d’un sang,
    jusqu’où ira ce qui est vrai
    puisque tout s’appuie sur de l’accompli ?


    Périgueux le 28/08/93



    Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan, Éditions Jacques Brémond, Collection Le premier cent, 1999, s.f. Encres de Jean Gilles Badaire.






    IL Y AVAIT DE LA TERRE EN EUX



    Il y avait de la terre en eux, et
    ils creusaient

    Ils creusaient et creusaient, ainsi s’en fut
    leur jour, leur nuit. Et ils ne louaient point Dieu
    qui, entendaient-ils, voulait tout cela
    qui, entendaient-ils, savait tout cela.

    Ils creusaient et n’entendaient plus rien,
    ils ne devenaient point sage, ni inventaient aucun chant,
    ne créaient aucune langue.
    Ils creusaient.

    Advint un silence, advint aussi un orage,
    advinrent toutes les mers.
    Je creuse, tu creuses, et semblablement creuse le ver,
    et ce qui chante là-bas dit : ils creusent.

    O l’un, ô nul, ô personne, ô toi :
    où cela allait-il, puisque cela n’allait nulle part ?
    Ou tu creuses et je creuse, et je me creuse jusqu’à toi,
    et à nos doigts s’éveille l’anneau.



    Paul Celan. Éditions Mercure de France, 1990. Traduction de Jean Daive.





    Thierry Metz, Sur un poème de Paul Celan, Éditions Jacques Brémond, Collection Le premier cent, 1999. Encres de Jean Gilles Badaire.




    THIERRY METZ


    Thierry Metz 2
    Source




    ■ Thierry Metz
    sur Terres de femmes


    [Braise matinale]
    [De jour en jour][Giorno dopo giorno] (extrait de L’homme qui penche | L’uomo che pende)
    [Je m’en remets aux feuillages] (extrait de Tel que c’est écrit)
    [Je suis tombé] (extrait du recueil Terre)
    Le Drap déplié (extraits)
    [Vers la bien-aimée]
    4 juillet | Thierry Metz, Le Journal d’un manœuvre





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  • Déborah Heissler | « Des pas dans la neige »




    « DES PAS DANS LA NEIGE ».



    Et le ciel par où l’yeuse, plus loin, s’approche au plus près des neiges. Quelque chose qui prend figure, à la limite de l’image et en même temps image déjà, d’un départ.
    Blanche.

    Puis par la fenêtre le jardin parmi les arbres qui portent encore leurs fruits de bure, givrés légèrement.




    Jamais, je l’avoue, je n’avais pensé qu’un poème à lui seul eût pu un jour rencontrer les silences de Blanche. Du poème, elle n’aimait ni ses formats, ni même sa facture — et si peu sa propre voix à elle — rien qui ne respire, ni ne heurte assez, n’insiste tant, que l’instrument, celui auquel nos mains s’accordaient quelquefois. Là où précisément l’attente talonne le presque, le tout et le rien, qu’elle préférait au presque tout du poème. « Des pas dans la neige », en un sens indubitablement.



    Déborah Heissler, « I – Jardin — Elle endormie », in Sorrowful Songs, Æncrages & Co, Collection Voix de chants, 25047 Baume-les-Dames, 2015, s.f. Dessins de Peter Maslow. Préface de Claude Chambard.




    ________________________
    « Ces Sorrowful Songs nous conduisent jusqu’à l’essence même de la vie. Il n’est plus question de joie ou de peine. La vie ne se divise pas, ne s’immobilise pas. Ils nous font entendre tout ce qui en nous se mêle pour nous emporter dans le mouvement permanent qui, du vif au trépas – inversement -, nous mène dans la lumière blanche de l’amour qui nous transfigure. »

    Claude Chambard







    Déborah Heissler, Sorrowful Songs




    DÉBORAH HEISSLER


    Deborah Heissler Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Déborah Heissler
    sur Terres de femmes


    Les Nuits et les Jours (lecture d’AP)
    Je ne peux oublier (poème extrait des Nuits et des Jours)
    Sorrowful Songs (note de lecture d’AP)
    La protection des pierres (poème extrait de Près d’eux, la nuit sous la neige)
    Près d’eux, la nuit sous la neige (lecture d’AP)
    sur l’herbe sèche ce jour (poème extrait de Chiaroscuro)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    loin (poème extrait de Comme un morceau de Nuit, découpé dans son étoffe)
    → (dans la galerie Visages de femmes) le poème « 
    Errance »




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Déborah Heissler





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  • Estelle Fenzy, Sans

    par Angèle Paoli

    Estelle Fenzy, Sans,
    Collection Poésie en voyage,
    Éditions La Porte, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    LA VIE FRAGILE LA MORT-DOULEUR



    Depuis qu’elle est entrée en écriture, Estelle Fenzy offre ses mots à son père. Père malade — Chut (le monstre dort), Éditions de La Part Commune, 2015 — puis défunt – Sans. Écrire pour « entrer en résistance » ? Écrire pour exorciser la douleur de l’incompréhensible ? Sans nul doute, mais aussi pour maintenir vivant le lien indéfectible qui lie la poète à ce père — « veilleur de corolles guetteur d’été » — qu’elle chérit et qui s’en est allé.

    Tombeau, alors, la petite suite de Sans ? Tombeau littéraire ? À peine. Tant la poète a le souci de rester au plus proche de sa douleur, sans chercher à s’immiscer en littérature. Refus, même, de tout ce qui pourrait paraître excessif, théâtral, invasif.

    « Nul besoin de pleureuses en habit de gala corps tordu dans le cri peine muette dehors dedans à moduler son chant », peut-on lire sous sa plume en page 5.

    Mais « tombeau » tout de même au sens de tombe où sont ensevelis les morts. Tombeau-métaphore du cœur des vivants. L’image est explicitement suggérée par la référence à Tacite mise en épigraphe du petit opus :

    « Le vrai tombeau des morts est le cœur des vivants » (La Germanie).

    Celui de la poète, « cœur cogné » et cœur « tordu ». Tombeau à vif. Tombeau vivant de ce moment unique construit sur le fil du passage de la vie à la mort. Seuil vibrant de la résurgence des souvenirs. Les plus anciens liés à l’enfance, malmenée au moment de perdre le père, soudain lacérée en lambeaux ; les autres noués aux derniers gestes accomplis auprès du mourant, à son corps décharné à son sourire et à ses mots — « Reste près de moi » —, à tous ces infimes détails, ces bruits et ces riens, attachés à la vie précaire des ultimes instants partagés. Avant que ne survienne la séparation. Dès lors, dès ce moment où tout soudain bascule, surgit le « sans ». Et le « faire sans ».

    Aux questions qui taraudaient initialement la jeune femme — « Est-ce toi cette silhouette chiffonnée allumettes sous le drap ce visage épuisé creusé comme aspiré de l’intérieur » — se substituent d’autres questionnements implicites. Comment faire sans le père ? Comment continuer sans lui, comment poursuivre avec cette absence qui-cogne-au-cœur-et-au-corps ? Autant d’épreuves qu’il faut affronter sans pouvoir trouver de réponse. Alors, attendre la nuit dans l’espoir que son sourire d’avant visite la dormeuse dans ses rêves. Et puis « bricoler ». « Bricoler » avec la blessure laissée béante, s’en remettre à la montagne nourricière de l’enfance et à ses promesses de « mousse pierre aiguille ». Bricoler avec la mort, à laquelle il est difficile de se résigner et de croire, et qui pourtant s’insinue jusque dans le langage poétique, le déstabilise et le déconstruit :

    « Que jamais tu      mort ».

    Mais contre la mort, contre la béance qu’elle ouvre, toutes les tentatives de contournement ou d’apprivoisement s’avèrent vaines. Entre l’avant- et l’après-, l’apparent « rien n’a changé » s’ancre dans sa force illusoire. Père en allé, il faut apprivoiser l’avenir et ses forces nourries de férocités, pages habitées de « bêtes furieuses » au nom imprononçable. Mais demeure en amont l’image de l’oiseau, hésitante mais belle, qui porte en elle, vibratile et apaisante, cette « âme qui déjà s’envolait ».

    Sous la sobriété des mots de Sans, l’extrême retenue d’Estelle Fenzy vibre de tendresse pour dire la vie fragile la mort-douleur.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    ESTELLE   FENZY


    Estelle Fenzy 4
    Ph. Tous droits réservés




    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes


    [Je n’ai jamais dit adieu] (poème extrait du Chant de la femme source)
    [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (poème extrait de Coda (Ostinato))
    Man’za (poème extrait de Gueule noire)
    [Mon tablier déborde de prières](poème extrait de Mère)
    [Un seul pays natal](poème extrait de La Minute bleue de l’aube)
    La Minute bleue de l’aube (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    [Rêve silex] [extrait de Chut (le monstre dort)]
    [Père, | tu le sais](extrait de Par là)
    Poèmes Western (lecture d’AP)
    [Retrouver la neige](extrait de Poèmes Western)
    Rouge vive (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Rouge vive (lecture d’AP)
    [Toi les yeux moi la voix] (extrait de L’Entaille et la Couture)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Ce qui reste)
    une page sur Estelle Fenzy



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  • Lorenzo Calogero | Già pallide chiome




    Ritratto-di-stival-a-lorenzo-calogero
    Giuseppe Stival, Portrait de Lorenzo Calogero, vers 1960
    Source







    GIÀ PALLIDE CHIOME



    Già pallide chiome
    su ripidi abissi muovono
    le isole dei vulcani
    e il fresco capelvenere
    nasconde le alme contrade.

    Conosco il riposo dei riflessi rettilinei
    e un fuoco nel grembo si accende
    come una nuvola nell’immenso.

    Tu soffri gli arsi richiami
    che ti manda dallo spazio
    un effluvio verde e tracci
    gli aspri rami della vita nel silenzio
    in un gomitolo che si sperde.



    Lorenzo Calogero, Ma Questo… (1950-1954), ed. Maia, 1955, in Opere poetiche 2, Lerici editori, 1966, pagina 14.





    Calogero Lerici 2






    ALREADY PALE TRESSES



    Already pale tresses
    on steep abysses are moving
    the volcanic islands
    and the fresh maidenhair fern
    is hiding the life-giving lands.

    I’m enjoying the respite of rectilinear reflections
    and a fire in the womb flares up
    like a cloud in the immensity.

    You are suffering from the burn-up beckoning
    that a green fragrance is sending you from space
    and you trace
    the bitter branches of the silent life
    in a ball of wool going astray.



    Lorenzo Calogero, Ma Questo…, 1955, in An Orchid Shining in the Hand, Selected poems 1932-1960, bilingual edition, Chelsea Editions, New York, 2015, p. 134. Translated from the Italian by John Taylor.






    Calogero






    DÉJA DE PÂLES CHEVELURES



    Déjà de pâles chevelures
    sur des abysses abrupts déplacent
    les îles des volcans
    et le frais capillaire de Vénus
    recouvre les contrées fertiles.

    Je connais le repos des reflets rectilignes
    et au giron s’allume un feu
    comme un nuage dans l’immensité.

    Tu souffres des appels ardents
    que t’envoie de l’espace
    une verte fragrance et tu traces
    les âpres ramifications de la vie-silence
    dans une pelote qui se perd.


    Traduction (en français) d’Angèle Paoli







    LORENZO CALOGERO


    Lorenzo-Calogero3
    Source



    « Médecin de campagne, poète, suicidé. Sèches formules qui suffiraient à donner un profil minimal de Lorenzo Calogero (1910-1961), de celui qui disait avoir « vécu sa profession comme en écrivant des vers ». La vie, le texte, en un seul élan. Presque un demi-siècle après Campana, il publie lui aussi à ses frais une unique plaquette, Ma questo… (1955), qu’il tente en vain de faire connaître et diffuser. Quelques autres tentatives suivront, dont l’échec le convaincra de renoncer pour un temps à la poésie. Malgré le soutien de Sinisgalli, qui ira en son nom retirer le prix Villa San Giovanni – seule reconnaissance littéraire reçue de son vivant, pour Come in dittici ; et quelques signes d’amitié (Betocchi ou Giuseppe Tedeschi), Calogero connut la solitude absolue, à la fois individuelle et socio-historique, de nombre d’intellectuels du grand sud de l’Italie, avant le « miracle » des années 1960. Et parfois après. Interné à plusieurs reprises dans la maison de repos de Villa Nuccia – où il devait écrire ses plus intenses poèmes (les Cahiers de Villa Nuccia donnèrent leur titre au recueil édité par R. Lerici, lequel avait programmé trois volumes d’Œuvres poétiques dont seuls deux virent le jour) –, démis d’une charge médicale officielle, cherchant un refuge provisoire auprès de sa mère (décédée en 1956), à l’étroit dans le bourg de Melicuccà, en Calabre, ainsi que Leopardi avait pu l’être à Recanati, mais incapable de s’en affranchir, Lorenzo Calogero n’assista pas à l’espèce de « cas littéraire » que la sortie du premier tome des Œuvres, en 1962, allait déchaîner. On ne manqua pas de le définir un « Rimbaud italien », oubliant au passage qu’il laissait une masse considérable d’inédits, toujours en attente d’éditeur. Le poète s’était donné la mort dans sa maison familiale de Melicuccà, où son corps sans vie fut retrouvé le 25 mars 1961. Près de sa dépouille, ce billet : « Je vous prie de ne pas m’enterrer vivant ». Il parlait, croyons-nous, surtout de son œuvre poétique. […] »

    Jean-Charles Vegliante [Source]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poesia, di Luigia Sorrentino)
    Lorenzo Calogero & John Taylor
    → (sur le site de Chelsea Editions)
    une page sur Lorenzo Calogero, An Orchid Shining in the Hand, Selected poems 1932-1960, translated from the Italian by John Taylor
    le site lorenzocalogero.it
    → (sur le site CIRCE)
    une anthologie PDF des poèmes de Lorenzo Calogero, réalisée par Jean-Charles Vegliante et CIRCE (Sorbonne Nouvelle-Paris III) [© Librairie Italienne Tour de Babel, Paris, 2014]
    → (sur le site lorenzocalogero.it)
    de nombreux poèmes (51 fragments) de Lorenzo Calogero, traduits en français par CIRCE et Jean-Charles Vegliante
    → (sur Imperfetta Ellisse)
    trois poèmes de Lorenzo Calogero en double traduction (en anglais par John Taylor, et en français par Valérie Brantôme)





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  • 22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses

    Éphéméride culturelle à rebours




    le 22.8.78



    Je n’ai pas l’impression de vivre mais le pressentiment continu de me raconter une vie.

    Il faut du temps pour donner de la valeur à une chose et plus encore dans l’effort de peindre ou d’écrire lorsqu’il s’agit de reconnaître qu’une phrase porte du sens ou qu’une toile suggère à elle seule la condensation d’un univers. Tout ce qui porte un sens me paraît en somme une intense condensation intérieure poussée à l’extrême et c’est son excès qui la grandit. En même temps, il y a ici l’acte le plus réducteur qui soit.

    J’aime que mon esprit fonctionne aux dépens de mes mains. C’est ce que j’ai compris en inversant la sensation de mes mains travaillant à quelque chose de régulier, de sûr, de rassurant, ainsi je pourrais m’éloigner de mon corps sans m’en rendre compte et je m’en trouverais bien. Par instants, je retrouve la formulation d’une pensée dans le miroir de mes actes, à sa rencontre il m’est permis enfin de jubiler.






    Sans date


    Tu ôtes les articles, le corps s’y confond. Peut-être est-ce le nôtre tout entier, hors du temps et de l’espace, qui a cette configuration sournoise comme un vieux rappel de la mer ? Je n’ai pas tant voyagé, je ne sais pas non plus ne pas poser mon sujet lorsque j’écris. Je devine ce qui s’absout dans cette perte, mais je suis inconsolée dès que j’en ébrèche un peu le souvenir qu’il m’en reste. Je ne sais trop que mes mains ne seront jamais assez à ta mesure et je perds mes moyens à te parler dès que tu as quitté les lieux tandis qu’il règne une sombre odeur. Tu es passé par les objets et je ne saurais plus les toucher sans t’y rejoindre. Il y a là comme une chambre d’amour dans l’absence quand la souveraineté du silence tait nos actes mal partagés. Je sais maintenant comment j’ai pu accepter que tu apportes en ce lieu la pureté, et je ne crains pas une certaine paralysie ou même une certaine impuissance de mes gestes au passage – on ne gagne pas ce pays sans y perdre.






    feuille volante sans date (1980 ?)


    Je n’ai pas pu aller plus loin qu’une page d’écriture. C’est maigre. Ce que j’écris sans doute m’effraie par tant de difficulté. J’éprouve une sensation d’insatisfaction, de sclérose. Mon esprit se refuse à aller plus loin. Entre temps, je me suis faite belle dans l’espoir de rencontrer dans le miroir ce à quoi ma figure reste fidèle malgré moi. Mon visage reprend son étendue, son territoire de fatigue et d’espoir. Je le travaille au maquillage pour fuir la sinistre certitude de l’éphémère. Je cherche maintenant la paix en te retrouvant. Retrouver mon personnage en t’excluant de la page où je sais que fatalement nous ne nous croiserons pas. Je viens d’ailleurs d’interrompre ce que je viens de te dire pour te réaliser dans mon texte, car je m’aperçois qu’il en est la simple continuité. Je veux fuir, c’est alors que je me retrouve d’avantage. Je cherche à comprendre de quelle façon il est impossible de piéger la présence. Aurais-je la prétention d’être Dieu ? Je ne le pourrais pas, Dieu produit toutes les différences et je ne pourrais que retracer un profil de formes ressemblantes mais dont la forme n’est applicable que par perte de mémoire. Je construis l’après en oubliant simplement l’avant. La prétention est une facétie de masque. Et quand je regarde dehors le fossé demeure. Les mots ont dû être notre premier vol. Tu le savais et as voulu y croire à nouveau. Mais il y a bien là une vérité. Si je peux configurer un « après », qui nous convie à nouveau à la stupeur, n’est-ce pas que j’aborde l’absence réelle ?






    (1984 ?)


    Je ne sais ce qui m’amène ici. Avec des mots on croit être un peu plus. On imagine que l’on sait des choses. C’est écrit et on ne sait rien de plus. Pourtant, il y a cette envie d’être du côté du vent… ce désir de faire partie de l’inconnu. Nous voulons faire amitié avec lui. Il nous dépasse et nous laisse dans nos mots, piégés. La mauvaise aventure. Le mensonge. Notre ignorance atteint un point culminant d’irréversibilité. Chercher ? Imaginons une volupté totale. Elle n’aurait pas la forme d’une histoire, elle ne serait ni plante, ni homme. Elle serait tout simplement volupté, une de ces dames qui vous font signe de la tête. Elle serait un véritable enchantement. Nous perdrions la parole sans la regretter. Et si jamais nous trouvions les moyens ou un moyen seulement de tout défaire, de tout réorganiser autrement, y aurait-il un nouvel espoir ?

    À mon avis nous sommes ici pour aller, aller simplement. Et tant qu’à aller, cela peut se faire bien. Soyons sages enfin. Soyons quelques-uns d’heureux.

    Vraisemblablement nous ne pouvons pas inventer d’autres choses que des babioles, des petites histoires. Et moi je dis qu’il y a des histoires qui vous changent à condition de vouloir les entendre. Le prix, c’est qu’il faut donner de soi. Le mieux pour cela est d’être celui qui fait l’histoire. Les histoires ne sont plus des problèmes pour ceux qui les inventent.





    ________________

    NOTE D’AP. : ces feuilles éparses inédites nous ont été aimablement transmises par Jean-Louis Giovannoni pour la revue Terres de femmes.





    RAPHAËLE GEORGE


    Raphaële George




    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes

    Double intérieur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ? (chronique de Gisèle Berkman)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour]
    [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse)
    Suaires (extrait de Double intérieur)
    2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur)
    7 juin 1982 | Raphaële George, Journal
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    30 avril 1985 | Mort de Raphaële George



    ■ Voir aussi ▼

    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni





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  • Tanella Boni | Le détail des choses




    LE DÉTAIL DES CHOSES



    L’harmattan n’ignore pas le détail des choses
    Il se lie d’amitié avec la peau des humains
    Il fait corps avec la mer au lever du jour
    Vient-il du Nord ou du Sud
    Le vent sec et froid ne souffle pas
    Il cohabite avec le temps des saisons
    Il ne déclare pas ses origines
    Il diffuse en fines poussières les mots et les prières
    Qui s’élèvent en spirale des rumeurs de la ville

    Il a fallu que le pays se sépare en mille branches
    Que la fraternité espérée retombe en miettes
    Que la terre nourricière oublie herbes et rhizomes
    Que les mots vides s’emparent des rayons du Soleil
    Depuis la première floraison des armes
    L’harmattan mémorise le détail de nos blessures

    Un coup de feu dans l’eau dormante a suffi
    Pour ouvrir les vannes du fleuve de la haine

    L’harmattan consigne les mots de sable
    Sur le tableau des saisons meurtrières
    Il nous rappelle les faux départs
    Les chants guerriers des belles arrivées
    Il roule parmi ses fines poussières
    La clé des origines qui rompt les liens

    Seul un vent saisonnier saisit la valeur de l’eau
    Le sel des liens et les mots du partage


    (Décembre 2010)
             



    Tanella Boni, « Le détail des choses et autres poèmes » in L’Étrangère, revue de création et d’essai, numéros 33-34, « Poésie d’Afrique francophone » (anthologie coordonnée par Nimrod), 2013, pp. 15-16-17.







    TANELLA BONI


    Tanella Boni
    Source




    ■ Tanella Boni
    sur Terres de femmes

    [Me voici à la porte du jour le plus long] (extrait de Là où il fait si clair en moi)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site l’IEA de Paris)
    une notice bio-bibliographique sur Tanella Boni
    → (sur le site des éditions La lettre volée)
    une page sur la revue L’Étrangère, numéros 33-34, « Poésie d’Afrique francophone »





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