 Ph., G.AdC
« SUBVERSION D’ENCRE »
Laisser monter à soi les variations musicales de Déborah Deborah Heissler, images et couleurs, ponctuées par les rythmes disséminés sur la page. Crochets et italiques, tirets et initiales, silences, « signes qui brûlent » la partition, le dialogue poétique entre le « narrateur » et ses maîtres en poésie, Yves Bonnefoy, André du Bouchet, Philippe Jaccottet, se poursuit mezza voce dans la composition en quatre mouvements qui compose le recueil Près d’eux, la nuit sous la neige : Quand il ne reste rien…/Distances/ Instruments ? Oubliés/Quelques figures simples.
Laisser courir, puis germer en « soulèvement », les signes abandonnés aux plis des poèmes, faire chanter la partition – « monodies dépouillées » et « fragments pour délier les doigts » – de Déborah Heissler. L’enfance n’est pas loin, nourrie « d’étreintes matinales » et de comptines, d’images foudroyantes et de souvenirs. « Filament de tungstène » et « choses infantes » jalonnent un parcours hors temps et hors espace, pris « entre ciel et fruit », « à la naissance du vent ». Et l’on sait, à voyager dedans la page, « près d’eux, la nuit sous la neige » ou plus loin, parmi les « figures simples » – « fleurs peintes, clair /oiseaux, neige et fruits » – qu’il faut laisser couler le regard, d’une borne miliaire à l’autre, par glissements furtifs, de reprises en refrains, pour qu’advienne l’échange, à la croisée des signes. « On a touché à quelque chose ». « Comme la foudre frappe », un lieu qu’il faut « abandonner contre le jour avant la nuit ». La mort est là, elle aussi, des « dernières neiges » à « la dernière sonate », de Roland de Lassus à Schubert. « On a touché à quelque chose » /« La terre comme un trou de mémoire / a touché quelque chose de si froid ». Entre itinérance et exils se sont tissées des rencontres. Mystérieuses rencontres de « Frères silencieux », d’« hommes perdus » et de « fuyards sous la neige ». Jusqu’à l’ultime rencontre, « figure d’étrangère/d’exilée peut-être bien ».
« Je vais passe rêve » murmure à plusieurs reprises la voyageuse. Peu soucieuse d’assurer la « conjonction des choses et des rêves », la semeuse de mots – « subversion d’encre » – procède par flexions de sèmes ou par transformations minuscules, infimes – enfante, infinie, infante, enfantinement – qui entraînent vers d’autres maillages. Insaisissables – insaisies – « vêpres de cuivres vertes ». D’un tesson de mosaïque à l’autre, de chromatismes en inversions, les poèmes qui naissent sur la page et y demeurent tout entiers enclos, s’évadent vers les horizons de « l’échange », « sans limite, ni fin ». « Et lors/on ne distingue plus ni lointain ni proche ».
Malgré tout, des obstacles surgissent, qui viennent buter « contre le jour sans force » et confisquer la phrase de l’exilée. Mais « la tisserande » a tôt fait de réveiller « sous le buisson/l’herbe des ruisseaux » et de faire ressurgir sur la toile du peintre les « objets oubliés ». Il suffit d’un « geste d’épaule nue ». « On a touché à quelque chose ». « Presque rien ».
« Comme un regard qui erre
à la surface de l’eau ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli

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