Terres de Femmes

Étiquette : Pascale Janot


  • Francesco Scarabicchi | Sixième prélude



    SESTO PRELUDIO



    Come discreta e intatta
    alla quiete d’un mese
    a sé m’attrasse
    l’ora del pomeriggio

    di pietre e vie infinite
    e un vento d’aria
    a sponda d’ancoraggio
    dove il vento finisce,

    nell’eterna stagione
    d’alba ferma,
    immobile sui rami
    e sulle cose.




    Francesco Scarabicchi, Il prato bianco, l’Obliquo, 1997 ; reed. Giulio Einaudi Editore, Collezione di poesia 442, 2017, pagina 91.






    Francesco Scarabicchi  Il prato bianco bis








    SIXIÈME PRÉLUDE


    Comme discrète et intouchée
    par la quiétude d’un mois
    vers elle m’a attiré
    l’heure de l’après-midi

    de pierres et de voies infinies
    et un souffle d’air
    au bord de mouillage
    où le temps finit,

    dans l’éternelle saison
    d’aube figée,
    immobile sur les branches
    et sur les choses.




    Francesco Scarabicchi, « Ombres », Un oubli de neige, dessins de Miloš Cvach, éditions érès, Collection Po&Psy, 2020, page 56. Traduit de l’italien par Danièle Faugeras & Pascale Janot.





    Francesco Scarabicchi  Un oubli de neige




    FRANCESCO  SCARABICCHI


    Francesco Scarabicchi portrait





    ■ Francesco Scarabicchi
    sur Terres de femmes


    [Sarai di me l’unica luce ancora] (extrait de L’esperienza della neve)[+ une notice bio-bibliographique]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions érès)
    la fiche de l’éditeur sur Un oubli de neige
    → (sur Terre à ciel)
    une lecture d’Un oubli de neige par Hervé Martin





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  • Rodolfo Alonso | Noche cargada



    NOCHE CARGADA



    el viento bebe
    en la noche

    salta
    a la espera
    de la distancia

    tus pasos
    oyen también
    ese clamor

    aire
    duro
    de los solitarios

    viento libre
    en la noche







    NUIT CHARGÉE



    le vent boit
    dans la nuit

    saute
    dans l’attente
    de la distance

    tes pas
    entendent aussi
    cette clameur

    air
    dur
    des solitaires

    vent libre
    dans la nuit



    Rodolfo Alonso, Entre dientes | Entre les dents, édition bilingue, éditions érès, 25e volume de la collection Po&psy princeps dirigée par Danièle Faugeras & Pascale Janot, 2016, page 68. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet. Dessins de Sylvie Deparis.






    Rodolfo Alonso, Entre les dents





    RODOLFO ALONSO


    Rodolfo Alonso




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des editions érès)
    la fiche de l’éditeur sur Entre les dents de Rodolfo Alonso
    → (sur Recours au Poème)
    six autres poèmes issus d’Entre les dents de Rodolfo Alonso





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  • Alexandre Hollan | Arbres amis




    Hollan PoussinAlexandre Hollan, Hommage à Nicolas Poussin IV, 1994
    Source






    ARBRES AMIS *




    Il y a une analogie entre certains chênes verts et une attitude qui en moi obscurément s’ébauche. J’aime la densité qui vibre dans leur feuillage, dans les rides serrées de leur tronc, dans leur façon brute de se concentrer rondement et sans excès dans la chaleur, face au soleil. Ils renouvellent et relancent un mouvement naturel en moi, ils matérialisent un pressentiment… Ils sont mes maîtres.

    (Le chêne vert du Bosc)

    Au bout de la garrigue, près de l’endroit où j’habite en été, il y a un petit chêne vert que j’aime dessiner. Il a un nom, comme tous les arbres que je dessine. Je l’appelle « Le petit Poussin ».

    Pourquoi me rappelle-t-il le grand et en particulier l’arbre de sa dernière peinture, inachevée, « Apollon amoureux de Daphné » ? A-t-il quelque chose de moins bourru, de moins noué que les autres chênes verts ?

    Dans cette peinture lente et mélancolique, les arbres, les nymphes et les déesses dansent avec mesure le regard méditatif d’Apollon, de Poséidon et d’un troupeau de vaches. Ils dansent autour d’un lieu mystérieux, à peine visible : le tombeau du peintre ?

    Quel ordre, quelle saveur, quelle pudeur ! Ont-ils disparu de cette terre ? Ou se cachent-ils encore tout près de nous dans certains arbres ?



    Alexandre Hollan, Je suis ce que je vois, Notes sur la peinture et le dessin, 1975-2015, éditions érès, Collection PO&PSY a parte dirigée par Danièle Faugeras et Pascale Janot, 2015, page 69.




    ____________________________
    * Texte pour l’exposition « Dans la lumière de Poussin », Grand Palais, 1994.






    Alexandre Hollan, Je suis ce que je vois,





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    27 septembre 1994 | Nicolas Poussin au Grand Palais
    → (sur Terres de femmes)
    Alexandre Hollan & Danièle Faugeras | [La clématite amère]




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  • Patrizia Cavalli, Mes poèmes ne changeront pas le monde

    par Angèle Paoli

    Patrizia Cavalli,
    Mes poèmes ne changeront pas le monde,
    édition bilingue, des femmes-Antoinette Fouque, 2007.
    Traduit de l’italien par Danièle Faugeras et Pascale Janot.
    Préface de Giorgio Agamben.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Patrizia Cavalli  Mes poèmes ne changeront pas le monde






    Au Salon du Livre de Paris 2007, Patrizia Cavalli, poète italienne hors normes ― à peu près méconnue en France jusqu’à l’an dernier ― était à l’honneur sur le stand des Éditions des femmes. L’ouvrage, récemment édité par des femmes/Antoinette Fouque sous le titre unique Mes poèmes ne changeront pas le monde, est en réalité un groupement d’œuvres poétiques de Patrizia Cavalli. Une trilogie ― bilingue ― qui comporte Le mie poesie non cambieranno il mondo (Mes poèmes ne changeront pas le monde, 1974), Il cielo (Le Ciel, 1981) et L’io singolare proprio mio (Le Moi singulier qui n’est qu’à moi, 1992). « Témoignage d’une expérience d’ample envergure », cette œuvre, qui s’échelonne sur trois décennies, se distingue par l’originalité d’une voix que rien ne permet de confondre avec les autres voix de ce temps. Une écriture singulière, aux prises avec une pensée souvent très ramassée sur elle-même, où rivalisent ironie et musicalité. En 1992, l’éditeur italien Giulio Einaudi a rassemblé en un seul volume (pour sa « Collezione di Poesia ») l’ensemble des recueils de Patrizia Cavalli.

    Préfacé par Giorgio Agamben ― une préface lumineuse qui permet de situer la poésie de Patrizia Cavalli dans le champ poétique de l’Italie contemporaine et d’en dégager rapidement les lignes de force ―, l’ouvrage édité par des femmes/antoinette Fouque s’ouvre sur une dédicace à Elsa. Elsa, la grande Elsa Morante, romancière de génie, qui révéla Patrizia Cavalli à elle-même (« Sono felice, Patrizia, sei una poeta »). Par ailleurs, les traductrices, Danièle Faugeras et Pascale Janot, ont fort heureusement pris le soin d’avertir le lecteur des aménagements, écarts et libertés consentis à la traduction, en accord, semble-t-il, avec la poète elle-même. Il n’en reste pas moins que ces libertés, loin de rendre compte au mieux des particularités de l’écriture de Patrizia Cavalli, tendent le plus souvent à l’affadir ou à lui infliger des distorsions proches de l’illisibilité, voire parfois de la pure fantaisie. Autant dire, ici encore, que le texte original est incomparablement plus savoureux. Mais, rendons hommage aux Éditions des femmes et aux deux traductrices pour le travail accompli. Un travail ambitieux qui a le mérite de nous proposer l’œuvre poétique de Patrizia Cavalli dans sa version originale et en français. Ce n’est ni chose aisée, ni pratique courante chez les éditeurs de France !



    Trois titres


    Qu’en est-il au juste de la poésie de Patrizia Cavalli ? Comment aborder cette langue déconcertante qui « touche et palpe les contours exacts de l’être » ? Cette langue dans laquelle « hymne et élégie s’identifient et se confondent sans restes » (Giorgio Agamben) ?

    Il faudrait peut-être interroger les titres des différents recueils de cette trilogie pour déceler ce qu’ils annoncent.

    Le premier titre ― Mes poèmes ne changeront pas le monde ―, qui donne son titre à l’ensemble de l’ouvrage, est un titre délibérément ironique. Le poème d’ouverture du recueil, sur un mode tautologique, en explicite le sens. À un anonyme incrédule, voire méprisant, un « Qualcuno » pour qui la poésie impuissante n’influe en rien sur le cours des choses, Patrizia Cavalli répond par l’affirmative, sur le même ton, avec les mêmes mots. Une manière efficace et drôle pour la poète de couper court à cette problématique infondée et de la désamorcer. Le pessimisme ontologique qui est le sien laisse Patrizia Cavalli sans illusion. Mais en intellectuelle pour qui l’humilité et la modestie font partie intégrante de son mode d’être, la poésie peut parfois changer non le monde, mais la vie. La vie d’une personne. Peut-être la sienne. Et, en tout cas, aider à vivre. Si la poésie n’a pas au moins cette force-là, alors à quoi bon noircir continûment nos écrans ?

    Pour ce qui est du titre Le Ciel, il semble emblématique de la personnalité du poète. Patrizia Cavalli voit probablement ― dans le nuage blanc du ciel uniformément bleu décrit dans le premier poème du recueil ― la marque de sa différence. Une différence qui ouvre sur « le vide universel ». C’est de cette différence que viennent le mal-être et la solitude de la poète, sa difficulté à être au monde et à se consoler de ses souffrances. Peut-être l’amitié est-elle encore une valeur consolatrice, mais si la narratrice évoque les rencontres avec ses ami(e)s, c’est davantage pour leurrer son cœur déchiré que pour s’impliquer dans un échange véritable avec les autres :

    « Andrò dai miei amici andrò a cena
    consolerò così la mia pena »


    « J’irai chez mes amis j’irai dîner
    je consolerai ainsi ma peine » (pp. 26-27)

    De cette douleur inconsolable naît le besoin de se nourrir d’illusions et de camoufler la souffrance derrière le mensonge, à soi et aux autres :

    « Devo fingere volgarità e tradimento
    per accomodarmi sul divano
    per ricambiare sguardi […]
    e nella finzione riconosco il punto perfetto
    l’unico possibile della certezza. »


    « Je dois feindre la vulgarité et la trahison
    pour m’installer sur le sofa
    pour échanger des regards…
    et dans le semblant je reconnais le point parfait
    l’unique possible de la certitude » (pp. 28-29).

    Pour autant, en dépit de son homosexualité et des chagrins occasionnés par les désordres amoureux, Patrizia Cavalli ne cherche aucunement à s’exclure de la société dans laquelle elle vit. Le nuage blanc (qui la symbolise) suit le mouvement général du ciel bleu (la collectivité, les autres).

    Avec le dernier titre de l’ouvrage, L’io singolare proprio mio (Le Moi singulier qui n’est qu’à moi ou Mon propre moi singulier, pour reprendre la traduction de René de Ceccatty), Patrizia Cavalli entend répondre à ses ami(e)s. À ceux qui lui reprochent son narcissisme, son égocentrisme exacerbé, elle répond par un long poème, défense et illustration de son « moi », de ce « moi grammatical » qui dit « je ». Un moi malmené et honni ― sorte de « blatte qui s’agrippe à son dos » ; insecte nauséabond dont les autres ne semblent pas être affublés. Un moi venimeux et violent qui se sonde à travers une série de moi(s) hypothétiques introduits à chaque strophe par un subjonctif imparfait à valeur de conditionnel : « fosse ». Ici traduit par « serait » :

                                          « e fosse la sabbatica
    illusione di non dover pagare
    neanche il più minuscolo tributo
    allo stato sociale che in opzione,
    anche se m’imbarbòno per le strade
    vorrà tenermi sempre col cognome ; »


                                          « et serait la sabbatique
    illusion de n’avoir à payer
    même le plus modique tribut
    à l’État social qui en option,
    même si je me clochardise,
    voudra me tenir toujours avec mon nom ; » (pp. 442-443)






    Ca_tient_je_pense_ces_visages
    Ph., G.AdC






    Un moi en proie à une douleur suffocante, insurmontable, que seule la dérision exprimée au tout dernier vers parvient momentanément à détourner :

    « Così una sera magari a una festa
    mi manca il fiato non respiro soffoco,
    questa città che puzza mi è funesta,
    dipende invece penso dalle facce,
    da quelle facce di trista cartapesta,
    mi offendono le strade e anche gli amici
    e le coppiette ditte ripugnanti,
    e quindi me ne vado, basta, addio,
    per poi scoprire che ero solo oppressa
    dalla cintura elastica Gibaud ; »


    « Ainsi un soir, peut-être bien à une fête,
    j’étouffe ne respire plus suffoque,
    cette ville qui pue m’est funeste,
    ou alors ça tient je pense aux visages,
    à ces visages de triste carton-pâte,
    tout m’offense les rues et aussi les amis
    et les répugnants petits couples-entreprises,
    et donc je m’en vais, ça suffit, au revoir,
    pour ensuite découvrir que j’étais seulement oppressée
    par ma ceinture Gibaud ; » (pp. 444-445)



    Du « lyrisme » de Patrizia Cavalli


    S’il est vrai que Patrizia Cavalli fuit les pièges d’un lyrisme outrancier, sa poésie n’en demeure pas moins une poésie de l’intime. Une poésie autobiographique, ancrée dans la vie quotidienne qui se déroule sous la forme de saynètes. Et si l’auteur s’y met en scène sans indulgence, elle ne néglige pas d’égratigner au passage ses contemporains. Patrizia Cavalli méprise tout autant les « jardinets soignés et superfleuris » que les « corps barricadés de projets ». Ils lui font honnir les « quartiers moraux » et aspirer à la liberté. « Viens forêt ! » conclut-elle dans le poème où elle dénonce « veillées funèbres » et « frontières barbelées ».

    La poésie de Patrizia Cavalli, tout en parlant la langue d’aujourd’hui, rejoint celle des grands poètes de l’amour-passion. Sandro Penna pour l’Italie, Louise Labé pour la France. Pour ne citer que ces deux voix. Ainsi, chez Patrizia Cavalli, l’amour pour l’aimée se déclare-t-il clairement, sans ambiguïté :

    « Coprimi grandemente
    scioglimi
    e in me resta.

    E poi fammi restare
    lenta chiusa
    dentro la tua festa. »


    « Couvre-moi grandement
    fais-moi fondre
    et en moi reste.

    Et puis fais-moi rester
    lente close
    dans ta fête. » (pp. 304-305)

    Ou encore, dans ce poème, dont l’ajout (dans la traduction française) du dernier vers [Fin de l’impasse] reste pour moi un mystère :

    « Se ora tu bussassi alla mia porta
    e ti togliessi gli occhiali
    e io togliessi i miei che sono uguali
    e poi tu entrassi dentro la mia bocca
    senza temere baci disuguali
    e mi dicessi  » Amore mio,
    ma che è successo ? « , sarebbe un pezzo
    di teatro di successo. »


    « Si maintenant tu frappais à ma porte
    et ôtais tes lunettes
    et si j’ôtais les miennes qui sont pareilles
    et puis si tu entrais dans ma bouche
    sans craindre des baisers non pareils
    et me disais :  » Mon amour,
    mais qu’est-ce qui se passe ? « , quel coup de théâtre !
    Fin de l’impasse. » (pp. 282-283)

    Mais la poésie de Patrizia Cavalli est aussi une poésie où le « je » malheureux cherche dans la fantaisie et l’humour une façon de détourner les distorsions de ses désarrois. Son recueil Le Ciel ne s’ouvre-t-il pas sur le déconcertant exergue adressé à sa chatte, Okapi Bandierina : « Tu, non sei stato mai sentimentale, e io per amore voglio assomigliarti »/Toi, tu n’as jamais été sentimentale et moi par amour je veux te ressembler » ? D’une grande palette de tonalités, le lyrisme de Patrizia Cavalli est le plus souvent un lyrisme incisif, éprouvé au sarcasme et à l’ironie, à la dérision cruelle dont la poète est elle-même la victime de choix.

    Ironie, humour et dérision, tels sont les fondements du lyrisme de Patrizia Cavalli. Un lyrisme moderne qui combine des registres opposés ― du populaire au savant ― et rejette épanchements faciles et fadeur des larmes au profit de l’expression concise d’un nihilisme affirmé :

    « Eternità e morte insieme mi minacciano :
    nessuna delle due conosco,
    nessuna delle due conoscerò. »


    « Éternité et mort ensemble me menacent :
    aucune des deux ne connais,
    aucune des deux ne connaîtrai. » (p.18)

    Un nihilisme qui s’exprime jusque dans la relation étroite du vivre et de l’écrire :

    « Anche quando sembra che la giornata
    sia passata come un’ala di rondine,
    come una manciata di polvere
    gettata e che non è possibile
    raccogliere e la descrizione
    il racconto non trovano necessità
    né ascolto, c’è sempre una parola
    una paroletta da dire
    magari per dire
    che non c’è niente da dire. »


    « Même quand il semble que la journée
    a passé comme une aile d’hirondelle,
    comme une poignée de poussière
    jetée et qu’il n’est pas possible
    de ramasser et que la description
    le récit ne trouvent nécessité
    ni écoute, il y a toujours un mot
    un petit mot pour dire
    qu’il n’y a rien à dire. » (pp. 32-33)

    Au rebours, ne voir dans la poésie de Patrizia Cavalli que l’expression des sempiternels symptômes de son mal-être, c’est négliger l’aspect fantaisiste et ludique de certains de ses poèmes, proches de la comptine et du « sciolilingua ».

    « Per riposarmi
    mi pettino i capelli,
    chi ha fatto ha fatto
    e chi non ha fatto farà.

    Dietro la bottiglia
    i baffi della gatta,
    le referenze
    le darò domani. »


    « Pour me reposer
    je coiffe mes cheveux,
    qui a fait a fait
    et qui n’a pas fait fera.

    Derrière la bouteille
    les moustaches de la chatte,
    les références
    je les donnerai demain. » (pp. 24-25)

    C’est aussi négliger de prendre en compte le travail d’orfèvre effectué sur la langue poétique. La musicalité des vers est assurée par le savant agencement des rimes intérieures. Mais les vers souvent trébuchent, cassés par des enjambements cocasses, puis se redressent dans une pirouette inattendue. De ces distorsions et de ces écarts vient la très grande originalité du phrasé de Patrizia Cavalli. Maniant le paradoxe avec dextérité [« penso che forse a forza di pensarti,/potrò dimenticarti, amore mio » /« Je pense que forcément à force de penser à toi,/ j’arriverai à t’oublier, mon amour » (pp. 348-349)], Patrizia Cavalli joue sur les rapprochements inattendus, proches du zeugma. Ainsi de ce poème qui pourrait faire penser à une sorte de « graffiti lapidaire », inscription-message, découvert au détour d’une rue, où la poète allie dans cette forme de resserrement extrême qui lui est propre, le concret le plus quotidien et l’abstrait du cœur. L’amour déchu s’évoque ainsi, et de ces vers surgit soudain, davantage que Rimbaud, la silhouette pitoyable et attendrissante de Gelsomina* et son visage de clown triste :

    « Come alle tante mie calzette
    non tiene più l’elastico al mio cuore,
    cede e mi scopre, ho freddo ».


    « Comme à tant de mes chaussettes
    il ne tient plus, l’élastique, à mon cœur,
    il cède et me découvre, j’ai froid. » (pp. 352-353)

    Auteur d’un recueil de poésie intitulé Sempre aperto teatro/Toujours ouvert théâtre (traduit par René de Ceccatty et édité chez Payot et Rivages en 2002), Patrizia Cavalli connaît l’art du retournement inattendu de situation. Elle fait de sa poésie un monde du quotidien où le coup de théâtre participe ― au même titre que le paradoxe, la fantaisie et l’ironie ― de la volonté de surmonter ses propres dilemmes et, les tournant en dérision, de les dépasser.

    « Tra un po’ tutti all’inferno.
    Però per il momento
    è finita l’estate.
    Avanti ! Ai divani !
    Ai divani ! Ai divani !  »


    « Bientôt tout le monde en enfer.
    Mais pour le moment
    c’est fini l’été.
    Allez, allez, aux sofas !
    Aux sofas ! Aux sofas ! » (pp. 364-365)

    Bouleversante et éblouissante Patrizia !



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    ___________________________________
    * Gelsomina, personnage de La Strada de Federico Fellini, interprété par Giulietta Masina.





    Roma_6
    Ph., G.AdC



    PATRIZIA CAVALLI


    Patrizia Cavalli Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Patrizia Cavalli
    sur Terres de femmes


    Désormais habituée à parler d’autre chose
    Non dipende da me
    Perdre du temps, voilà mon métier (+ notice bio-bibliographique)
    Poco di me ricordo
    Tu sei davvero il mare
    [Io guardo il cielo] (poème extrait de Vita meravigliosa)
    Portrait de Patrizia Cavalli dans la Galerie Visages de femmes (+ poème : Quelqu’un m’a dit)





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