Terres de Femmes

Mois : novembre 2014


  • Sylvie Nève | Ode à Oum Kalthoum



    KalsoumF2
    Jiri Vortruba, Um Kalthum, 2007,
    acrylique sur impression numérique, 45,5 x 65,5 cm
    Source







    ODE À OUM KALTHOUM




    Al aoud malouf Oum
    Kalthoum chante
    toute la tessiture du luth hante
    l’âme-foule jusqu’à l’extase.
    Son corps drape le bois et l’ouïe
    l’orient Kalthoum toute
    enchante syllabes au cœur-oud
    la gamme orientale éclate
    sanglots ourlés brodés jusqu’
    Oum orne le temps.


    Depuis longtemps l’oud,
    l’ancêtre oud :
    de la tombe de Pharaon
    à la Chanson de Roland,
    al aoud taqsim ud
    chevillier renversé en arrière
    table percée de trois roses
    demi poire profonde –
    maqâm taqasim El Sett Oum
    Kalsoum tarab chante !


    Chanteuse Oum ancêtre oud,
    oud et Oum,
    omeyyades aux longues cordes libres,
    se mesurent se récitent
    le plus ancien chant du désert,
    nouba de suites larges perpétuées
    modulations inlassables hanches,
    se mesurent au temps :
    Oum orne oud ordonne
    le temps.


    Oum Kalthoum orne le temps
    andalouse sans quitter le Caire,
    femme récite le plus ancien désir :
    voix moire, soie blanche, foulard
    heurte cascade le rythme d’étoffes
    touffeur, odeur des sons, ardue
    gorge sculpte accorde les mots
    souffle fleuve, ardeur des sens, art du
    ouï, bois, ancêtre, bleu
    tarab !


    Modulations inlassables hanches
    nouba de suites larges, perpétuées
    simple ou double plectre pince
    oud ordonne Oum ourle corde
    bourdonne, Kalsoum hausse
    chante le temps.


    Al-salâm muezzin foule
    cantillations dans les mosquées
    ardeur du sens se fond Allah
    seule voix d’homme, nul oud
    appel Allah prière de bien
    psalmodier, narrer, minaret,
    sauf Oum, déguisée en garçon
    dans les mosquées par le père.


    Longtemps, l’enfant Oum
    a psalmodié longtemps psalmodié
    Oum d’abord grimée en garçon
    bédouin…


    Fatima Ibrahim la petite
    fille aux joues rebondies,
    petite fille au koutab
    l’école est coranique
    imam papa chante
    mariages, cérémonies, petite ville
    du delta du Nil.


    Longtemps l’enfant Oum
    psalmodie longtemps psalmodie Oum
    comme son frère psalmodie
    déguisée en garçon l’enfant Oum
    fille pourtant, mieux que son frère,
    chante
    dans les mosquées par le père.


    Chansons du père
    ce chant son père,
    ce que chantait son père, elle le chant
    que chantait son père la fille
    le chantait.
    Le perroquet du père
    dit-elle
    de la petite fille de la voix
    prêtresse
    ou des oiseaux.




    Le père était gêné que la fille
    surnommée la petite fille
    à la voix puissante sa fille
    sa fille devant des hommes qu’il ne connaissait pas
    chante
    enchante Oum fille déjà
    charme son temps.


    Rien qu’un regard
    un regard et Oum
    ouvrent la mélodie des égyptiens
    disent : musique
    les égyptiens disent musique muette
    la musique sans le chant
    d’Egypte le chant
    est la musique.


    Sur un gramophone
    la première fois qu’Oum
    Kalsoum entend
    sa voix.


    Poème qu’elle chante
    commençait chanson
    se répétait phrase dix fois douze fois
    se décalait subtilement improvisait
    devenait transe
    devenait théâtre.




    Ode à oud, oud à Oum
    oud à l’âme à l’astre nommant
    la mer, le fleuve, l’enfant du delta
    son chant trouve le temps
    secoue l’espoir entre Cordoue et ciel
    du Bosphore au gramophone
    inaugure en 1934 la première émission
    de la radio nationale
    voix d’Oum tachetée blanche, joie glotte
    le Nil cadence les grands soirs
    de Castille, Bagdad, Istanbul,
    Tripoli, Rabat, Agadir, Gaza
    de partout Yasmine adorne les grottes
    mourhalef, lèvres gercées, Sahel
    Hatchepsout erre sans visa
    son visage – martelé
    Yasmine, fatma, Nasser, Nil, El Sadate…


    Babouche oud Isis sise,
    enchante l’ouïe l’oasis-Oum
    al-salâm ‘alaykum
    Ell Sett Oum Kalsoum !





    Sylvie Nève
    texte inédit pour Terres de femmes (D.R.)







    SYLVIE NÈVE


    Sylvie Nève
    Source



    ■ Sylvie Nève
    sur Terres de femmes

    [Bacchus cœur nu]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Festival Voix de la Méditerranée, Lodève)
    une page sur Sylvie Nève
    le blog de Sylvie Nève





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  • Helga M. Novak | en automne



    Chevaux de przewalski
    Source






    IM HERBST



    Wehmut treibt mich
    den verlausten Mähnen
    der Pferde zu folgen
    über gemähtes Tun
    über versengte Heide
    über mooskahlen Stein
    die Fohlensprünge
    das tolle Scharren
    der Hufe verklungen
    in Geisternebeln
    harren sie stumm
    lauschend dem Wind
    die Köpfe gesenkt
    die kurze Brücke
    der Sonnenkugel
    verlockt sie nicht
    zu wilden Spielen
    Wehmut treibt mich
    den verlausten Mähnen
    der Pferde zu folgen
    im Herbst







    EN AUTOMNE



    une langueur me pousse
    à suivre les pouilleuses crinières
    des chevaux
    dans l’œuvre des faux
    dans les landes calcinées
    dans la roche chauve de mousse
    les cabrioles des poulains
    le piétinement fougueux
    des sabots évanoui
    dans les brumes spectrales
    ils attendent muets
    à l’affût du vent
    têtes baissées
    la courte passerelle
    de la balle solaire
    ne les incite pas
    aux jeux sauvages
    une langueur me pousse
    à suivre les pouilleuses crinières
    des chevaux
    en automne




    Helga M. Novak, Chaque pierre orpheline, Éditions Hochroth, Paris, 2013, pp. 22-23. Anthologie bilingue conçue par Dagmara Kraus. Traduction de l’allemand par Élisabeth Willenz avec une illustration de Ladislaja de Layre. Ouvrage publié avec le concours du Goethe-Institut Paris.






    Chaque pierre orpheline





    ___________________________
    NOTE d’AP : à la fin de sa vie, Helga M. Novak a résidé alternativement entre Legbąd (Pologne), Francfort-sur-le-Main et Berlin (Rüdersdorf) où elle est décédée le 24 décembre 2013 (elle est donc décédée dans le pays brandebourgeois de son enfance). Le fonds d’archives de Helga M. Novak a été légué en mars 2013 aux Archives littéraires allemandes (Deutschen Literaturarchiv) de Marbach am Neckar (district de Ludwigsburg). Ce fonds comprend ses textes et manuscrits, mais aussi sa correspondance (notamment sa correspondance avec Günter Grass et Wolf Biermann). Le troisième volume de son autobiographie (Im Schwanenhals, « Dans le col de cygne ») a été publié chez Schöffling & Co. (Francfort-sur-le-Main) en septembre 2013.




    HELGA M. NOVAK


    Helga M. Novak en 1971
    © PICTURE-ALLIANCE / DPA
    Source




    ■ Helga M. Novak
    sur Terres de femmes

    Lettre à Médée (poème extrait du recueil C’est là que je suis)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un autre poème extrait du recueil Chaque pierre orpheline



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Les Carnets d’Eucharis)
    une autre poème extrait du même recueil (+ une notice biographique)
    → (sur le site des éditions Hochroth)
    la page de l’éditeur sur Chaque pierre orpheline
    → (sur Recours au poème)
    Helga M. Novak par Pascale Trück
    → (sur Terre à ciel)
    Helga M. Novak : c’est là qu’elle est, par Sophie g. Lucas
    → (sur le site de Blandine Longre)
    un autre poème extrait de Chaque pierre orpheline






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  • Pier Paolo Pasolini | Al principe



    AL PRINCIPE



    Se torna il sole, se discende la sera,

    se la notte ha un sapore di notti future,
    se un pomeriggio di pioggia sembra tornare

    da tempi troppo amati e mai avuti del tutto,
    io non sono più felice, né di goderne né di soffrirne:

    non sento più, davanti a me, tutta la vita…
    Per essere poeti, bisogna avere molto tempo:

    ore e ore di solitudine sono il solo modo
    perché si formi qualcosa, che è forza, abbandono,

    vizio, libertà, per dare stile al caos.
    Io tempo ormai ne ho poco: per colpa della morte

    che viene avanti, al tramonto della gioventù.
    Ma per colpa anche di questo nostro mondo umano,

    che ai poveri toglie il pane, ai poeti la pace.

    1958






    AU PRINCE



    Si le soleil revient, si le soir descend

    si la nuit a un goût de nuits à venir,
    si un après-midi pluvieux semble revenir

    d’époques trop aimées et jamais entièrement obtenues,
    je ne suis plus heureux, ni d’en jouir ni d’en souffrir ;

    je ne sens plus, devant moi, la vie entière…
    Pour être poètes, il faut avoir beaucoup de temps ;

    des heures et des heures de solitude sont la seule
    façon pour que quelque chose se forme, force,

    abandon, vice, liberté, pour donner un style au chaos.
    Moi je n’ai plus guère de temps : à cause de la mort

    qui approche, au crépuscule de la jeunesse.
    Mais à cause aussi de notre monde humain,

    qui vole le pain aux pauvres et la paix aux poètes.

    1958




    Pier Paolo Pasolini, Umiliato e offeso (1958), in La Persécution, édition bilingue, Inédit, Éditions Points, Collection Points Poésie, 2014, pp. 78-79. Poèmes choisis, présentés et traduits de l’italien par René de Ceccatty.







    Pasolini La Persécution





    PIER PAOLO PASOLINI


    Pasolini
    Source



    ■ Pier Paolo Pasolini
    sur Terres de femmes

    5 mars 1922 | Naissance de Pier Paolo Pasolini
    22 septembre 1962 | Sortie de Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini)
    2 novembre 1975 | Mort de Pier Paolo Pasolini
    A na fruta (+ bio-bibliographie)
    Le chant des cloches
    El cuòr su l’aqua
    [Ma io parlo… del mondo] (extrait de Poésie en forme de rose)
    Pier Paolo, le poète assassiné
    La Rage (extraits)






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  • H. D. (Hilda Doolittle) | At Baia



    AT BAIA



    I should have thought
    in a dream you would have brought
    some lovely, perilous thing,
    orchids piled in a great sheath,
    as who would say (in a dream),
    “I send you this,
    who left the blue veins
    of your throat unkissed.”


    Why was it that your hands
    (that never took mine),
    your hands that I could see
    drift over the orchid-heads
    so carefully,
    your hands, so fragile, sure to lift
    so gently, the fragile flower-stuff—
    ah, ah, how was it


    You never sent (in a dream)
    the very form, the very scent,
    not heavy, not sensuous,
    but perilous — perilous —
    of orchids, piled in a great sheath,
    and folded underneath on a bright scroll,
    some word:


    “Flower sent to flower;
    for white hands, the lesser white,
    less lovely of flower-leaf, »


    or


    “Lover to lover, no kiss,
    no touch, but forever and ever this.”




    H.D., Hymen, The Egoist Press, London, 1921 [First Edition], p. 30 ; US edition : Henry Holt and Co., New York, 1921, in Collected Poems 1912-1944, New Directions Publishing Corporation, New York (New edition, 14 May 1986).







    H.D.,Hymen







    À BAIA



    En un rêve
    j’ai dû songer que tu m’offrais
    quelque chose d’aimable, de délétère,
    orchidées amoncelées dans une grand enveloppe,
    comme qui parlerait (en un rêve)
    « Je t’envoie cela,
    Qui s’écoula des veines bleues
    de ta gorge vierge. »


    Pourquoi était-ce tes mains
    (qui jamais ne prirent les miennes),
    tes mains que j’apercevais
    recueillant avec tant de soin
    les bouquets d’orchidées,
    tes mains, si fragiles, cueillant
    si doucement la fragile étoffe des fleurs —
    ah, ah, comment était-ce possible


    Jamais tu n’envoyas (en un rêve)
    la véritable espèce, le véritable parfum,
    non pas violent, non pas capiteux,
    mais — délétère —
    d’orchidées amoncelées dans une grande enveloppe,
    accompagnée d’un rouleau de papier enrubanné
    portant ces quelques mots :


    « Fleur à fleur adressée ;
    pour de blanches mains, un moindre blanc,
    un moins aimable pétale de fleur. »


    ou


    « D’amant à amante, point de baiser,
    Point de caresse, mais pour toujours et à jamais ceci. »




    Hilda Doolittle in Women, Une anthologie de la poésie américaine du XXe siècle, Le Temps des Cerises, 2014, pp. 86-87. Poèmes traduits, choisis et présentés par Olivier Apert. Édition bilingue.






    Women






    H.D. (HILDA DOOLITTLE)


    Portrait de Hilda Doolittle
    Image, G.AdC



    ■ H.D.
    sur Terres de femmes

    [The golden apples of the Hesperides] (extrait de Hermetic Definition)
    un poème extrait de Trilogy d’H.D. : The Walls Do Not Fall [4] (+ traduction en français de Jean-Paul Auxeméry | traduction en français de Bernard Hoepffner)
    Tribute to the Angels [40] (+ traduction en français de Bernard Hoepffner)
    20 mai 1958 | Journal [Fin du tourment] de H.D.
    18 avril 1958 | L’inculpation d’Ezra Pound est levée (+ extraits du Journal [Fin du tourment] d’H.D.)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un poème extrait de Trilogy d’H.D. : The Walls Do Not Fall [I] (+ traduction en français de Bernard Hoepffner)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site A Celebration of Women Writers)
    le texte intégral du recueil Hymen





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  • Feu noir sur feu blanc, ou comment lire Raphaële George ?

    par Gisèle Berkman

    Chroniques de femmes – EDITO/SOMMAIRE



    Chronique de Gisèle Berkman



    FEU NOIR SUR FEU BLANC, OU COMMENT LIRE RAPHAËLE GEORGE ?



    « L’amour ne s’est jamais transmis autrement que caché »
    Raphaële George




    «  Je me dis : il y a en toi comme une blessure qui ne se résorbe pas. Comme si une fatalité te rendait certaine d’être de moins en moins aimée au fur et à mesure que tu te risquais à être ce que tu souhaitais profondément être. » Voici une voix dont on ne peut méconnaître la singularité : fiévreuse, ironique parfois, pressante toujours, et par moments illuminante. Ici se lit une adresse qui poursuit sa course bien au-delà de la mort.

    Comment lire Raphaële George, aujourd’hui ? Comment faire entendre, déployée à sa juste mesure, cette voix si singulière que l’édition de Double intérieur vient à point nommé nous ré-adresser ? 1 La question se pose avec plus d’acuité encore pour moi, qui ne l’ai pas connue, qui suis d’une autre génération. Même si le mot ne convient qu’à moitié, trop usité, trop convenu sans doute, Jean-Louis Giovannoni aura joué, pour moi, un rôle de passeur, lui qui, bien avant cette parution, m’avait parlé de Raphaële George-Ghislaine Amon qui dirigea, avec lui, les Cahiers du double ouverts aussi bien à la littérature qu’aux divers champs des sciences humaines.

    Il est toujours difficile de parler d’un autre qui n’est plus là pour confirmer ou infirmer ce que nous disons de lui, qui n’est plus là pour nous répondre et pour répondre de son entreprise. A fortiori lorsque cet autre a écrit dans son Journal : « je me sentais proche des morts, souterraine par avance », ou encore : « j’ai opté pour l’autre côté, dans ce pays où l’on n’attend rien. » Certes, c’est encore une posture, fût-elle la plus extrême, mais celle-ci nous met au défi d’en savoir ou d’en dire plus, nous conviant à ce point extrême où le mot et la phrase se veulent, pour reprendre une image célèbre de la Kabbale, écrits avec du feu noir sur du feu blanc. La rage de l’expression anime de son feu spectral les textes rassemblés dans Double intérieur. C’est une soif inentamée, que la mort n’a pas éteinte, et dont nous sommes à présent, nous les lecteurs, les répondants. Ne nous le cachons pas : une fascination romantique est liée à la personne même de Raphaële George, à l’éclat de son visage sur les photographies, à l’intensité de son écriture, au poids d’ombre et de calcination qui s’y dépose, ainsi qu’à l’urgence de dire, d’inscrire sans relâche, qui s’y fait sentir à chaque mot. « Dire avec la craie pour marquer, dire avec le corps, simplement pour vivre. » (Le Petit Vélo beige) Fascination, romantisme : les mots sont lâchés mais autant les prononcer d’emblée, pour mieux s’en déprendre et viser au-delà.

    Il faut repartir de la création de concert avec Jean-Louis Giovannoni dont témoigne L’Absence réelle. Cet échange de lettres autour de Joë Bousquet fut écrit comme dans le rêve de mimer le mort, ce spectre fédérateur autour duquel le jeu s’ourdit. Côte à côte et comme à touche-touche, deux voix, non identiques, mais proches, avec des résonances, des échos qui ne peuvent que frapper ceux à qui la lecture de l’un et de l’autre est familière. La voix de Jean-Louis Giovannoni est plus tenue, plus maîtrisée parfois dirait-on, celle de Raphaële George a par moments des embardées de cheval fou, des allures de défi ordalique. Il en émane, aujourd’hui encore (pourquoi certaines voix ne pourraient-elles pas tourner, comme le font les parfums ? La sienne ne vire pas, garde par conséquent toute son amplitude, toute sa présence) une forme d’intensité brûlante. Les zones psychiques où elle nous mène sont incommodes, on y respire mal, ce qui n’est pas incompatible avec une forme de noire allégresse. Certaines phrases sont écrites depuis ce rêve d’une après-vie qui est comme une affirmation de survie : « Et si on m’avait tuée sans que je le sache ? Comment m’en rendrais-je compte ? » L’ensemble est porté, emporté, à un très haut degré de fusion. Comme si l’écriture jouait avec sa propre calcination, ce à quoi n’est pas étrangère la judaïté de Ghislaine Amon, le sort tragique de certains membres de sa famille durant la guerre, et en particulier ce jeune oncle Georges auquel elle a emprunté la seconde partie de son pseudonyme, la première, Raphaële, renvoyant à l’hébreu : Dieu l’a guéri (e), Rophé-El. « Mais il y a tous ces morts qui crient en nous / en plein milieu de nos cauchemars. », écrit-elle dans Éloge de la fatigue (p. 24).



    On pourrait, bien sûr, distinguer des thèmes : le double, l’absence, le corps — un corps mortifié, « éclaté comme un verre cassé » (p. 97), voire sacrifié : « il faut bien faire de son corps un lieu de sacrifice. Signe : Bélier. » Mais on ne toucherait pas, ce faisant, à l’essentiel, qui est ici le geste et la geste d’écrire, dont elle suit en elle-même (certains extraits du journal en témoignent) le péril, le risque, le mouvement. Que tout geste soit une malfaçon, l’esquisse d’un tracé idéal que l’on n’atteindra pas et à quoi tout se résumerait, c’est ce qu’elle a, par ailleurs, admirablement formulé : « Je suis certaine que tous nos gestes sont des malfaçons ou des contrechants de cet unique mouvement où sont articulés tous nos livres et toute notre poésie. » (p. 110) Pour la lire, sans doute faut-il se laisser porter par le drame de la question tel que son écriture inlassablement le développe. Qu’est-ce qu’échapper aux déterminations qui pèsent sur nous ? Se faire, d’un coup d’aile ou de phrase, fils ou fille de soi-même ? Ce geste, que l’on peut qualifier de ré-engendrement (on pense à Artaud écrivant : « moi Antonin Artaud je suis mon père ma mère et moi… je referai l’homme que je suis. ») implique ici de détruire en soi l’empreinte d’une mère hautement toxique, celle que décrit Le Petit Vélo beige avec une verve féroce : « Ce n’est pas que ma mère m’ait mise au monde qui importe mais que je me persuade jour après jour qu’elle ne me fera pas… » Écrire pour tenter de se refaire, comme on le dit d’un joueur. La plus grande perte est indissociable ici de la plus grande mise. Miser à fond perdu, ce serait cela le mouvement de l’écriture de Raphaële George. Être à soi-même le sol et l’absence de sol, se donner l’étai interne, à travers « les mots d’un autre », pour citer Suaires, p. 84 : « … la certitude que j’ai maintenant, née par ce livre et qui remonte en lui, est que pour me reconnaître il me faut les mots d’un autre. Des mots qui auraient été donnés ainsi qu’une mère vous donne le sein. »

    Ce qui frappe ici, c’est la forte imprégnation des textes de Blanchot, dont on ne trouve toutefois jamais de citations directes, celle des mystiques aussi (p. 88 : « Tout est simplement réductible à une question ; celle de l’éternité »). On trouve chez Raphaële George un élan spontané vers la pensée dans ce qu’elle a de plus spéculatif, lisible à même certaines formules qui sont comme frappées au coin de l’impossible. Sans doute a-t-elle écrit sans parfois toujours se comprendre elle-même, dans une forme de lâcher-tout, de mise absolue sur l’absolu. C’est ce que dit cette importante formule, p. 92 : « Lire aussi mais pour un unique profit : l’oubli confiant du savoir », qui inscrirait Raphaële George plus du côté de Bataille que de Blanchot, dans une filiation qui est aussi celle de Nietzsche et de son Gai Savoir.

    Faire, et ce faisant, se défaire: c’est un geste interminable où quelque chose se dissout à mesure de ce qu’il se construit. Mais c’est aussi, et indissociablement, un mouvement d’imprégnation, d’anamnèse, halant quelque chose de plus vaste et de plus ancien que le sujet, comme il est dit dans Suaires 1, p. 72 : « Bien sûr mon écriture n’est pas de moi, ni la forme et ce qui se raconte sans moi, simplement remonte. Je ne suis qu’un écho lointain pour de vieilles images englouties. » Dissolution et infusion conjointes, lente remontée des traces et des noms enfouis : on croit saisir pourquoi Ghislaine Amon-Raphaële George s’est voulue peintre en même temps qu’écrivain, afin de mieux saisir, sur deux portées parallèles, le mouvement qui la portait et qu’elle portait sans relâche.

    Les identités constituées sont ici mises à mal. Le drame de l’écriture se tisse à l’ombre d’une histoire singulière, dont l’ombre portée s’étend sur le sujet. GA/RG est bretonne par sa mère, juive turco-égyptienne par son père, mais tout cela est fondu dans un geste de mélancolique dissolution, de rageuse décomposition. De joyeuse assomption aussi. Et parfois dans l’espoir enfantin d’une résurrection, d’un nouveau commencement initié par le geste. Suaires, draps, fresque, sudation, elle semble avoir frénétiquement recherché tout ce par quoi un corps fait empreinte. Rêvant, dirait-on, de déposer l’écriture dans ce mouvement d’imprégnation où la couleur suinte, où la forme se dépose, où la volonté se rétracte pour qu’advienne la figure en quelque sorte au défaut ou à l’envers de la forme. « Accepter que chaque mot prononcé ne soit que l’hallucination de la présence. » Écrire comme un suaire s’imprègne, comme une couleur infuse, comme une ombre monte, afin de retrouver ce qu’elle a appelé, magnifiquement, « l’élan du premier homme ». 2



    Gisèle Berkman
    pour Terres de femmes
    novembre 2014
    D.R. Texte Gisèle Berkman




    ___________________________
    1. Double intérieur, précédé de L’Absence réelle (Raphaële George et Jean-Louis Giovannoni), Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 2014.
    2. « Retrouver l’élan du premier homme qui ne fit jamais rien par comparaison mais qu’une seule faim unique et totale devait guider dans ses gestes. »








    Raphaële George





    RAPHAËLE GEORGE


    Ghislaine 2
    Ph. D.R. Jean-Louis Giovannoni



    ■ Raphaële George
    sur Terres de femmes

    Double intérieur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Ghislaine Amon (Raphaële George) | [Ne parle pas, ne dis rien] (extrait du Petit Vélo beige)
    [Amour]
    [On ne devrait jamais arrêter d’écrire, ce qui est poésie surtout] (extrait de Je suis le monde qui me blesse)
    Suaires (extrait de Double intérieur)
    2 avril 1951 | Naissance de Raphaële George (+ extrait de Double intérieur)
    22 août 1978 | Raphaële George, feuilles éparses
    7 juin 1982 | Raphaële George, Journal
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    30 avril 1985 | Mort de Raphaële George




    ■ Voir aussi ▼

    le site Raphaële George, créé par Jean-Louis Giovannoni





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  • Danièle Faugeras, Paroles obliques   

    par Michel Ménaché

    Danièle Faugeras, Paroles obliques,
    édition numérique,
    Recours au poème éditeurs,
    Collection « Contemporains »
    novembre 2014.



    Lecture de Michel Ménaché



    Dès ma première lecture, arbitraire, de Paroles obliques, les télescopages d’images insolites, les tableaux elliptiques composés de notations énigmatiques, parfois morbides, me font penser à des illuminations rimbaldiennes d’aujourd’hui. Sans tomber dans l’imitation… Comme si des convergences se tissaient à travers les glissements sensoriels, les surimpressions, jusqu’à l’hyperbole symbolique : « l’apocalypse d’un sens surentendu. » Voisinage renforcé par l’effet d’images baroques : « la tortue chamarrée qui desservait l’oracle ramait sur la lumière en éclats du gravier… », « l’aisselle des nuages », « essaim qui nous foisonne… », « l’alchimie des braises… » Ailleurs, surgit une référence quasi-directe sous forme de question : « pour la pensée enfouie quelle illumination ? »

    L’expression « rimbaldienne » de l’ennui dans le repli familial ou l’artifice des conventions sociales, fait-elle aussi écho aux fugues perpétuelles rêvées ou vécues pour échapper à « la lourde tenture des dimanches empêtrés… », fuir les « danseries factices… » ? L’invention verbale en tout cas est ici réussie et sonne juste.

    Un aphorisme s’insinue parfois dans le poème, joue sur la sensation immédiate et la postulation philosophique dans la manière d’un René Char : « Donne une chance au frisson » — L’image produite en est particulièrement heureuse.

    Derrière la méditation, la tentation métaphysique, l’esprit ludique est aussi à l’œuvre avec des mots-valises à la Queneau : « funambulatoires », « obliterrifiantes » (écho au titre ?). Ailleurs, avec des allitérations syncopées, appuyées même, sonne à nos tympans le glas martelé de notre finitude : « autothanatographie… » !!!

    Enfin, la référence récurrente par l’illustration et les connotations technico-culturelles à l’échelle, celle de Jacob notamment, un rien ironique ou cynique quant aux « derniers qui resteront les derniers… », en guise de colonne vertébrale métaphorique, décalée et modulable, tient aussi l’ensemble de ces paroles obliques…

    Conjuguant légèreté et gravité, Danièle Faugeras donne à lire un recueil à facettes diverses sur le plaisir ambivalent et l’exigence impérieuse de l’écriture…



    Michel Ménaché
    D.R. Michel Ménaché
    pour Terres de femmes







    Paroles obliques
    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème éditeurs)
    la fiche de l’éditeur consacrée à Paroles obliques
    → (sur Terres de femmes)
    Alexandre Hollan & Danièle Faugeras | [La clématite amère]





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  • 14 novembre 2012 | Jean-Luc Steinmetz, L’Autre Saison

    Éphéméride culturelle à rebours




    L’AUTRE SAISON, D’APRÈS UNE SAISON EN ENFER D’ARTHUR RIMBAUD
    (extrait)



    14 novembre



    Rimbaud s’est éprouvé enclin à la tentation. Un de ses poèmes s’intitule « Le Mal », mais il n’y parle que de la guerre franco-prussienne de 1870. La guerre est une occurrence du mal partout dispersé sur le monde et concentré à des heures sur de certains points où brûlent ses bubons. Il en fut pour lui cependant d’une tentation tout autre, que l’on ne perçoit pas toujours. À celle-là, je l’assujettis corps et âme. Il est possible que je me trompe. Je le vois assez tôt se haussant jusqu’aux ambitions de Prométhée, « voleur de feu », comme il le dira lui-même, séduit, puis persuadé à l’idée qu’à ce monde pourrait être substitué un autre et qu’il avait, pour ce faire, tous les pouvoirs. Les « Délires » de la Saison l’affirment assez fort, non sans en scruter les apories, les courbes, les embûches, les défilés. Réinventer l’amour, créer un nouveau langage. Programme de dépassement intégral et — comme auraient dit les Grecs — expression de l’ubris portée à son plus dangereux degré d’incandescence.

    Quelles injonctions, quelle malignité engagent certains êtres à s’élever à ces hauteurs qui longent des précipices ! D’ici même, d’ici-bas, on pressent le vertige éprouvé. Et qui rendre de tout cela responsable, outre soi, sinon Satan, lequel erre par des traverses inconnues et nous saisit là où nous ne l’attendions pas ? De l’orgueil et de la volonté de puissance qu’il avait Rimbaud aurait pu se contenter, fier de l’expérience tentée. La Saison le voit revenir sur son outrecuidance, victime, qui plus est, de maléfices, damné en ce monde avant l’autre, supplicié au gril de son impertinence. Attribuer en dernière analyse ses désirs fous à l’Aversier relevait de la démarche la plus logique et concédait à la légende. Et qui mieux que Rimbaud s’éprouva légendaire ? « N’eus-je pas une fois une enfance à écrire sur des feuilles d’or. » Quelle illusion rétrospective ! Et comme l’on sait bien, depuis, à moins de retrouver en elle le mythe de toutes les enfances, que la sienne fut moins heureuse que les autres, davantage vouée aux médiocrités de la basse existence, aux pauvretés communes. Il faut croire qu’en marge se développa son génie, embarrassant et frémissant engendrement auquel, bien entendu, il pensa, par la suite, que Satan avait procédé. De là, avec un peu de retard, son adresse au Père nourricier, à l’Alchimiste de service, comme à qui de droit et sans véritablement secouer le joug, avec — au contraire — le souci de s’enfoncer dans des abîmes et, franchissant l’Achéron, d’entrer tout vivant dans la ville de Dité environnée de brumes et couronnée de feux délétères.



    Jean-Luc Steinmetz, L’Autre Saison, d’après Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, Éditions Nouvelles Cécile Defaut, Collection « le livre la vie » dirigée par Isabelle Grell, Nantes, 2013, pp. 35-36.




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  • Charles Bukowski | pour Jane…




    Daynmita Sing
    Ph. Dayanita et Noni Singh [Rencontres d’Arles 2007]
    Source







    FOR JANE: WITH ALL THE LOVE I HAD, WHICH WAS NOT ENOUGH



    I pick up the skirt,
    I pick up the sparkling beads
    in black,
    this thing that moved once
    around flesh,
    and I call God a liar,
    I say anything that moved
    like that
    or knew
    my name
    could never die
    in the common verity of dying,
    and I pick
    up her lovely
    dress,
    all her loveliness gone,
    and I speak to all the gods,
    Jewish gods, Christ-gods,
    chips of blinking things,
    idols, pills, bread,
    fathoms, risks,
    knowledgeable surrender,
    rats in the gravy of two gone quite mad
    without a chance,
    hummingbird knowledge, hummingbird chance,
    I lean upon this,
    I lean on all of this
    and I know
    her dress upon my arm
    but
    they will not
    give her back to me.



    Charles Bukowski, The Days Run Away Like Wild Horses Over The Hills, Black Sparrow Press, Los Angeles, 1969.







    POUR JANE : AVEC TOUT L’AMOUR QUE J’AVAIS, CE QUI NE SUFFISAIT PAS : …



    Je ramasse la jupe,
    je ramasse les perles noires
    étincelantes,
    cette chose qui jadis bougeait
    autour de la chair,
    et je traite Dieu de menteur,
    je dis que tout ce qui bougeait
    ainsi
    ou connaissait
    mon nom
    ne saurait mourir
    au sens où l’on entend généralement la mort,
    et je ramasse
    sa belle
    robe,
    alors que sa beauté s’est envolée,
    Et je parle
    à tous les dieux,
    les dieux juifs, les dieux-Christ,
    bribes de choses idiotes,
    idoles, pilules, pain,
    brasses, risques,
    renonciations savantes,
    rats dans la sauce de ces 2 devenus dingues,
    sans avoir eu l’ombre d’une chance,
    savoir d’oiseau-mouche, chance d’oiseau-mouche,
    je m’appuie là-dessus,
    je m’appuie sur tout ça
    et je sais :
    sa robe sur mon bras :
    mais
    ils ne me
    la rendront pas.



    Charles Bukowski, Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, Éditions du Rocher, Collection Points Poésie, 2008, pp. 36-37. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Thierry Beauchamp.






    Chharles Bukowski, Les jours s'en vont







    CHARLES BUKOWSKI


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    Charles Bukowski, Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines, par Gwen Garnier-Duguy









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  • Paul Valéry | [Rime]



    Excellent exercice qui finit dans le comique, au nadir de la poésie.
    Ph., G.AdC






    [RIME]



    Rime.

    L’idée fixe de la rime riche était bête — comme toute prescription qui établit son principe. Comme un principe qui s’oublie lui-même et tombe en fixité, en distraction immobile. Le principe est la musique du vers. La richesse de la rime peut y ajouter. Elle peut y nuire.

    Mais un élément étranger intervint. L’idée de faire de la rime riche un critérium mécanique. Artiste qui la respectait. Non artiste qui la sacrifiait. — Il en résulta des tours de force. L’association des idées la plus libertine, toute la rigueur au bout du verset et tout le reste, charivari des mots. Excellent exercice qui finit dans le comique, au nadir de la poésie.

    Il fallut bien s’en apercevoir et la riche rime creva.



    Paul Valéry, Poésie in Ego scriptor et Petits poèmes abstraits, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 1992, page 77. Présentation de Judith Robinson-Valéry.







    Paul Valéry, Ego scriptor




    ■ Paul Valéry
    sur Terres de femmes


    30 octobre 1871 | Naissance de Paul Valéry
    30 mars 1917 | Publication de La Jeune Parque de Paul Valéry
    19 février 1924 | Conférence de Paul Valéry sur Baudelaire
    23 juin 1927 | Discours de réception de Paul Valéry à l’Académie française
    20 juillet 1945 | Mort de Paul Valéry




    ■ Voir aussi ▼


    la biographie de Paul Valéry sur le site de l’Académie française





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  • René Daumal | [Rien ne ressemble…]



    [RIEN NE RESSEMBLE…]



    Rien ne ressemble au profond sommeil comme le suprême éveil.

    Se faire automate, c’est s’endormir ; mais s’éveiller, c’est se faire automate.

    Quoi que je fasse, c’est un faux-fuyant ; et si je ne fais rien, c’est la panique. Pan, pan, pan. Voilà le premier trouble, et toujours premier.

    Mais je sais que je fais telle chose ou que je ne fais rien, non parce que je me serais contemplé agir ou ne pas agir, mais parce que je désire faire telle chose ou ne rien faire.

    Je retrouve ainsi l’intime unité du désir, dans toute action et même ce qu’on prétend inaction, et je découvre le levier propre à me retourner : il n’est pas au dehors.

    Comme c’est facile. Mais je pense peut-être mon avenir de plusieurs années. Plus délicate en ses mouvements est la mimique du futur, plus elle est trompeuse ; mais plus on gagne à la surmonter. Métaphysique, mythologie, acte. Et prenez garde : chaque pensée a encore son fantôme.


    et puisque les monades n’ont pas de fenêtres, elles ne peuvent s’unir entre elles qu’en devenant Dieu.



    René Daumal, Exorcisme, in (Se dégager du scorpion imposé), Poésies et notes inédites, 1924-28, Éditions Éoliennes, Bastia, juin 2014, page 79. Édition établie par Claudio Rugafiori & Alessandra Marangoni.






    René Daumal





    RENE  DAUMAL


    Diptyque_ren_daumal
    Diptyque photographique, G.AdC



    ■ René Daumal
    sur Terres de femmes

    la Seule
    21 mai 1944 | Mort de René Daumal (+ un extrait du Mont Analogue)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Éoliennes)
    la fiche de l’éditeur sur (Se dégager du scorpion imposé)





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