Terres de Femmes

Mois : août 2011


  • ‘Alî ibn Jabala | Blancheur d’aube diaphane est ton visage



    [BLANCHEUR D’AUBE DIAPHANE EST TON VISAGE]




    Diaphane
    Ph., G.AdC






    Blancheur d’aube diaphane est ton visage
    Et noirceur de nuit ta chevelure.
    De l’union des contraires sourd l’éclat de sa beauté
    Embellie par la finesse de sa taille
    Risquant de se briser lorsqu’elle désire se lever.
    Son sexe qui s’ouvre sous la caresse qui le frôle
    A d’obscurs sentiers intérieurs et qui s’enflamment,
    Le pénétrant, tu t’enfonces dans la douceur
    Et lorsque tu te retires, il se referme déjà.




    ‘Alî ibn Jabala in Le Dîwân de la poésie arabe classique, choix de poèmes et préface d’Adonis, traduction de Houria Abdelouahed et Adonis relue par Lionel Ray, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 2008, page 164.



        Poète irakien noir, né aveugle, ‘Alî ibn Jabala fut assassiné par al-Ma’mûn en 828/213 de l’Hégire.






    Le Dîwân de la poésie arabe classique



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  • 30 août 2002 | Lucien Noullez | Journal 2001-2002

    Éphéméride culturelle à rebours



    L'Azur







        Vendredi 30 août 2002


        Que faire, presque au terme d’une journée tumultueuse ? On peut s’asseoir, dans un square et rêver devant un jet d’eau.

        Ouvrons alors André Dhôtel. Un vieux roman, offert par un ami très cher traîne dans un cartable. Impossible, pour tout dire, ce roman. Vous le laisseriez bien pour compte, en raison des invraisemblances du récit, mais vous savez qu’il faut lire Dhôtel très patiemment, par petites goulées et qu’alors tout s’éclaire dans le cœur.

        Le jet d’eau, au milieu du parc, vous aide largement.

        À pas lent arrive un tout vieux monsieur, digne et vêtu, guidant un petit chien. Il aura 86 ans le 4 novembre et il connaît quatre langues, dont l’allemand, qui fut la langue de sa femme et celle dans laquelle il s’adresse à Wally. Wally écoute distraitement en croquant des petits biscuits. Pour dire vrai, le monsieur ne sait plus vraiment son âge. Il est né en 1916, alors nous calculons ensemble, et oui, c’est ça, 86 ans bientôt…

        Comme il s’intéresse à mon livre, je lui lis des passages de L’Azur. Il saisit tout, rigole franchement et commente, car tout cela, derrière le rire, lui paraît la vérité même. Puis il touche le volume et s’émerveille de la qualité de l’impression. Pour me le prouver, il me lit fièrement des phrases entières sans lunettes.

        Il n’a pas eu d’enfants, c’est triste : tous ceux qui passent dans le jardin public sont si beaux et, quand je lui dis deux mots de Thérèse, il est content pour moi. Après tout, devrais-je m’étonner qu’il ait été jadis l’élève des Frères, à Saint-Thomas ?

        Mis en confiance, je lui raconte ma mélancolie. Nous sommes soudain deux simples hommes sans apprêt. Il a alors un grand sourire : « Quand on aime lire, me dit-il, toute la vie est un roman ». Je pense à mon Dhôtel, à ce que j’en ai savouré et à la vie démente qui m’attend pour les semaines qui commencent. Il ne faut pas jeter les perles de ce livre aux pourceaux de la frénésie. Je propose au monsieur d’emporter mon bouquin. « Eh bien oui, me dit-il, j’accepte le cadeau. »


    Lucien Noullez, Une vie sous la langue, Journal 2001-2002, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 2009, pp. 213-214.






    Lucien Noullez, Une vie sous la langue





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Service du Livre Luxembourgeois)
    une fiche bio-bibliographique sur Lucien Noullez
    → (sur Poezibao)
    Une source perdue, par Lucien Noullez
    → (sur Terres de femmes)
    1er septembre 1900 | Naissance d’André Dhôtel (+ extrait de Campements)



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  • 29 août 1986 | Claude Roy | Pointe du Skeull

    Éphéméride culturelle à rebours
    « Poésie d’un jour »



    Skeul
    Source






    POINTE DU SKEULL



    Vive-aveuglante la lumière
    Après midi    Froid soleil cru
    Le blanc d’un mur crie qu’il est blanc
    La mer est plate    enclume lisse
    L’horizon fait silence à tire-d’aile
    Seule une frange d’eau remuante
    au fond de la crique déchiquetée
    chuchote qu’elle est l’océan
    le bleu-clarté du ciel cristal
    invente le mot radieux
    Le soleil mélangé au froid
    brûle et glace à tue-tête
    un lézard passe    pensée furtive
    Il fait beau comme un éclair calme


    Belle-Île-en-Mer
    jeudi/vendredi 29 août 1986




    Claude Roy, Le Voyage d’automne in À la lisière du temps [1984], Éditions Gallimard, Collection Poésie, 1990, pp. 295-296.





    CLAUDE ROY


    Claude_roy_1
    Source



    ■ Claude Roy
    sur Terres de femmes

    25 février 1983 | Poème de Claude Roy à Jacques Roubaud
    23 juillet 1983 | Claude Roy, L’Été L’Attente
    20 novembre 1985 | Claude Roy | Tant






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  • Leonardo Sinisgalli | Nomi e cose



    Sinisgalli
    Ph., G.AdC






    NOMI E COSE



    I nomi si sono scollati
    dalle cose. Vedo oggetti
    e persone, non ricordo
    più i nomi. A piccoli
    passi il mondo
    si allontana da noi,
    gli amici scendono
    nel dimenticatoio.







    NOMS ET CHOSES



    Les noms se sont décollés
    des choses. Je vois des objets
    et des personnes, je ne me rappelle
    plus les noms. À petits
    pas le monde
    s’éloigne de nous,
    les amis descendent
    dans les oubliettes.




    Leonardo Sinisgalli, Oubliettes [Dimenticatoio, Mondadori, Milano, 1978], Atelier La Feugraie, 2003, pp. 108-109. Traduit de l’italien par Thierry Gillybœuf.





    LEONARDO SINISGALLI

    Leonardo__sinisgalli
    Source


    ■ Leonardo Sinisgalli
    sur Terres de femmes

    L’aurora appena



    ■ Autres traductions de Thierry Gillybœuf
    sur Terres de femmes

    Fabiano Alborghetti | Canto 13
    Eugenio De Signoribus | microelegia
    Seamus Heaney | Bog Queen
    Stanley Kunitz | The Quarrel
    Robert Lowell | Burial
    Marianne Moore | Son bouclier
    Marianne Moore | Extrait de Poésie complète, Licornes et sabliers
    Salvatore Quasimodo | Le silence ne me trompe pas
    Derek Walcott | To Norline
    Andrea Zanzotto | Così siamo






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  • Matthieu Messagier |
    L’automne a quelque mal à décrocher son été



    La mue du vide s'entretient avec l'espace
    Dessins de Matthieu Messagier






    [L’AUTOMNE A QUELQUE MAL À DÉCROCHER SON ÉTÉ]



    L’automne a quelque mal à décrocher son été
    Comme une explosion de larmes
    Dont le chemin est trop difficile
    Pour en appeler à leur objet

    Et c’est un rose opaque
    Porté sur la tristesse
    Et les alcools rares

    On peut tout voir d’ici
    Seul l’état d’éveil surgissant
    Importe

    Le torrent de crayons et de papier
    Sourit de la main gauche
    Accole des éclats de règne défaits
    Au comble de sa vitesse saccagée

    La vie est altérieurement




    Matthieu Messagier, La mue du vide s’entretient avec l’espace, Æncrages & Co, Collection Lyre, 2011, s.f. Préface de Louis Ucciani, dessins de Matthieu Messagier. Avec un CD de musique de Noël Pelhâte et René Andriatany.





    Mue-du-videSource





    MATTHIEU MESSAGIER


    ■ Matthieu Messagier
    sur Terres de femmes

    Hamadryades arrogantes au soleil de mai



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du CipM)
    une bio-bibliographie de Matthieu Messagier





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  • Christian Doumet, Trois huttes

    par Angèle Paoli


    Christian Doumet, Trois huttes,
    Fata Morgana, 2010.



    Lecture d’Angèle Paoli


    “AINSI FONT NOS HUTTES…”



    « La pensée, lorsqu’elle fuit sa demeure,
    a plus de chance de l’atteindre. »

    Christian Doumet




    Qui n’a rêvé dans son enfance de se cacher dans les grands arbres, de dissimuler sa présence dans une grotte sous le sentier, de construire une hutte à soi où abriter ses secrets et se tenir à l’affût des secrets de la Nature, bêtes et gens ? Qui ne possède dans un coin de sa mémoire le souvenir d’une retraite creusée dans les excavations de roches propices à la rêverie et à la réflexion ou même à la contemplation ? Qui n’a jamais abordé le désir de « hutter » et de se fondre avec les éléments, dans l’intimité cosmique des arbres et du ciel ?


    « Hutter » ? J’ignorais que le verbe existât. Il existe pourtant. Et je l’ai adopté. « Hutter » pourrait signifier « éprouver la vie, le silence relatif, la solitude, fût-ce à trois ou à quatre ; sentir dans les battements de son sang quelque chose qui ne bouge pas ou qui n’existe pas encore. Une attente. Une anticipation. Un irréel. »


    Ou encore :


    « Connaître en toute habitation terrestre le passager, le périssable ; savoir qu’aucune ne ressemble à notre tombe, que vivre est au prix d’incessants déménagements ― cette sagesse. » Qu’elles soient réelles ou rêvées, les huttes ne traduisent-elles pas ― « en manière de vivre » ― « le petit nécessaire des écrivains, des peintres, des faiseurs de monde&nbsp? » « Éloignement, isolement, retranchements. Toutes compagnes d’immenses tournoiements ascétiques menés à distance des choses afin de mieux en éprouver le goût. »


    Mélange de réflexions philosophiques et de poésie, les Trois huttes de Christian Doumet sont une invite à partager trois manières différentes d’aborder et de vivre la vie « huttique ». Consacré à trois « constructeurs de solitude » ― Thoreau, Patinir et Bashô ― , le triptyque de Trois huttes traverse trois utopies. Éphémères et fragiles, peuplées de monstres ou itinérantes, les Trois huttes construisent à travers temps et espace un entrelacs savant d’observations et d’analyses où se mêlent art et création, philosophie et spiritualité. Tout en abolissant et le temps et l’espace.






    Walden







    Pour Thoreau, le rêveur de Walden, édifier la hutte de branchages est une entreprise qui ne se construit pas sans violence. Rompre avec les hommes ; abattre quelques grands arbres. Deux violences nécessaires pour mener à bien son dessein. Pour habiter le monde autrement, il faut le transformer et donc « le détruire localement ». Le congé donné à la société des hommes se prend dans la véhémence du geste, se fond avec elle. Conduire ce geste jusqu’à l’édification de la hutte, telle est l’expérience que Thoreau met au centre de lui-même. L’identification de l’habitant à son habitat est telle, leur symbiose est à ce point totale, que l’un et l’autre se fondent en un seul atome, indivisible : « une hutte et son solitaire ». Un solitaire qui ne souffre nullement de sa solitude puisqu’il « incarne la solitude même ». C’est dans ce contexte « sauvage » d’« homme nu, déshabillé de la civilisation », que s’édifie la hutte de Walden en même temps que l’œuvre de Thoreau. « Construire la hutte, écrire le livre » participent de la même expérience, des mêmes transgressions, d’une mise à distance identique. Cet « effacement du moi singulier et des limites dans l’espace et dans le temps » signe l’acte poétique de Walden, qui « peut être lu comme le plus vaste des poèmes en prose ».













    Intitulé « Patinir », le second volet du triptyque de Trois huttes interroge la toile de Saint Jérôme dans le désert, œuvre du peintre flamand Patinir (Dinant, 1485 – Anvers, 1524). Le propos passionnant de Christian Doumet, loin de doublonner le récit de la toile de Patinir, ouvre sur de nombreuses voies d’investigations de la pensée.

    Cabane de fortune ouverte à tous vents, la hutte de saint Jérôme est sise sous un amoncellement d’escarpements rocheux. Loin au-dessus de la cabane du saint, arrimée aux anfractuosités de roches, une autre cabane, d’aspect plus confortable, laisse imaginer la possibilité d’« un parfait ermitage ». Délaissé par le saint ? Momentanément ? Pour quelle raison ?

    Tout autour de la retraite du vieillard, le monde s’agite et miroite des feux de la civilisation. Sur la droite, un chemin serpente qui mène à une église lumineuse. Sur la gauche serpente un fleuve bleu bordé de champs, de bois et de villages. Partout hommes et animaux sont disséminés dans le paysage qui s’échelonne dans les lointains. Indifférents à l’ermite et à son abri de fortune, ignorants de sa présence et des visions qui peuplent ses méditations. Au loin, noyée dans la lumière de l’horizon, miroite une ville. Le saint tourne délibérément le dos au monde. De même notre regard. Longtemps distrait par le fourmillement de la vie et le foisonnement des signes ― « à perte de vue » et de couleurs ―, le spectateur revient vers le centre inférieur du tableau. Toute son attention se porte sur la hutte elle-même. Agenouillé sur le seuil, le saint émacié ― tunique bleue déguenillée ― semble dialoguer avec la robe pourpre et le chapeau de cardinal de même couleur qui lui font face, désœuvrés, abandonnés à même le sol. Le saint regrette-t-il les fastes de ses fonctions de haut dignitaire de l’Église ? Il y a de la violence dans le Saint Jérôme dans le désert de Patinir. Violence qui se lit dans l’aspect déchiqueté des roches, de l’arbre défeuillé, du tronc fourchu ainsi que du toit écorché de la hutte. Violence qui est à l’unisson de celle de l’homme, de la situation qu’il s’est choisie. « Jérôme, quittant le monde entre dans la hutte. Dépouillant la pourpre, gagne l’humus avec lequel la hutte entretient une parenté ontologique ». Humilitas.


    De cette première approche naît l’interrogation de Christian Doumet. Comment concilier « l’appel des horizons immenses et le goût du repli ? » Quelles visions peut-on tirer de cette invention du paysage et plus largement, que peut signifier : lire un tableau philosophiquement ? D’autres huttes, triangulaires et haut perchées dans les arbres, reliées à la terre ferme par des échelles, nidifient dans les toiles de Patinir. Ainsi de La Tentation de saint Antoine et de saint Christophe. Ce sont « huttes passagères », propres à traduire « la nature éphémère de l’intellection visuelle ». Complices de la philosophie du peintre flamand, elles disent l’inconstance de la vision.

    En dépit de ce constat, Christian Doumet poursuit son cheminement à travers le tableau. Passant d’une hutte à l’autre, l’auteur fait jouer les oppositions. Quel sens donner à la présence, dans le même lieu, de deux cabanes aussi parfaitement antithétiques ? Que peut dévoiler le rapprochement de l’une à l’autre ? De la hutte visible qui occupe tout le premier plan à la hutte dissimulée, de la belle hutte de planche, close et rassurante, mais « hautaine », à la hutte hargneuse que s’est choisie l’ermite ? L’une est déserte, ou désertée, l’autre est habitée. Mais si « Jérôme rend le désert moins désert », il n’en demeure pas moins que c’est dans la hutte désertée que « niche le saint Esprit » et c’est cette hutte-là que « l’homme descendu ici, parmi nous, dans le paisible paysage de notre quotidien », regagnera bientôt. Et la présence de l’ermite dans sa hutte n’est-elle pas là pour « montrer ceci : la ferveur d’une contemplation ? » Questionnement qui rejoindrait la préoccupation essentielle du peintre flamand : se montrer « soi-même, en confidence intime avec le monde. En sainteté ».


    Érasme de Rotterdam, « voisin » de Patinir, eut-il l’occasion de contempler cette toile ? Ses amis Dürer et Metsys lui en ont-ils parlé ? Peut-être. Mais par-delà ses contemporains, c’est avec Paul, Augustin et Thomas que dialogue le peintre dans son Saint Jérôme dans le désert.

    Allégé du « poids de l’histoire », le tableau de Patinir retient la leçon de Paul :

    « Si cette tente où nous habitons sur la terre est détruite, nous avons dans le ciel un édifice qui est l’ouvrage de Dieu, une demeure éternelle qui n’a pas été faite de main d’homme. »


    D’autres interprétations, philosophiques ou artistiques, accompagnent les approches spirituelles. Cependant, quels que soient les vagabondages inattendus que prend la pensée happée par la fascination qu’exerce le paysage, la peinture reste hors d’atteinte. Elle se dérobe en autant de tableaux mouvants qui laissent l’observateur désirant face à l’inassouvissement de son désir.













    Troisième et dernier volet du triptyque, « Bashô » entraîne le lecteur vers de nouvelles errances huttiques, à la fois mêmes et autres. Comment en effet une hutte peut-elle convenir à l’errance du poète Bashô ? Comment Bashô parvient-il à concilier ses multiples déplacements entre huttes, ermitages, pavillons dans lesquels il fait halte ? C’est qu’il y a chez le poète Bashô concomitance entre trois énergies qui s’entrecroisent : fascination du voyage, « goût des habitats de fortune », perfection poétique du haïkaï. Voyager. « Éviter de rester au même endroit », ne pas s’inscrire dans le durable, rechercher la légèreté et la concision : telles semblent être pour Bashô ses principes de vie. Et, d’une hutte à l’autre qui borne ses déplacements, survient le haïkaï, né « d’une pause entre deux segments de la grande errance. » Marcher et écrire relèvent de la même pulsion vitale. Les errances réveillent, en même temps qu’« un monde de mots, de frappes verbales, d’estampilles poétiques », des réminiscences. Le poète, sensible à la répétition du même, s’applique à retrouver dans tout déplacement ce qui le renvoie à l’identique, au semblable. « Ainsi chaque hutte est-elle la réplique d’une autre plus ancienne, plus inspirée de lumière, mieux exposée au ciel, aux astres, aux flux souterrains : réplique et nostalgie ». Une nostalgie qui n’a rien à voir avec « le regret du monde » mais qui confère à celui qu’elle habite le subtil mélange « de tristesse, de ferveur et d’illumination » propre à la méditation.


    Dès lors, suivre le poète dans ses pérégrinations nécessite pour celui qui le lit d’entrer dans le répétitif. Recopier, retranscrire. « À ma manière, je recopie le voyage de Bashô » | Je recopie l’équivalent du voyage de Bashô en pauvreté, en étonnement, en impréméditation », scande Christian Doumet tout au long de son propre voyage d’écriture sur la vie et l’œuvre du poète japonais. Et l’auteur d’ajouter : la hutte de Bashô, « sa poésie sont neuves parce qu’infiniment copiées. Bashô ressemble à Bashô. »

    Monde des « finistères » ― ce que le poète lui-même nomme « Bout-du-monde » ―, le monde de Bashô est jalonné de huttes qui dessinent entre elles « le tracé d’une frontière mystérieuse. Une limite située non pas là-bas dans les brumes du Nord extrême, mais ici, maintenant, parmi nous. » Car les frontières, si éloignées soient-elles, « passent toujours là où nous sommes ». De ses cheminements sur les sentiers des montagnes, Bashô retient qu’« il suffit de construire une hutte pour atteindre la fin du voyage ; de tracer une seule phrase pour faire le tour du langage. »

              Des palourdes
        Les coques se séparent
        À l’automne on se quitte.




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Christian Doumet, Trois huttes



    CHRISTIAN DOUMET



    ■ Christian Doumet
    sur Terres de femmes

    [Va jusqu’au bout de tes souvenirs](extrait de La Donation du monde)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    28 novembre 1694 | Mort de Bashō (extrait de “Bashô” in Trois huttes)
    → (sur le site des Éditions Obsidiane)
    une bio-bibliographie de Christian Doumet
    → (sur Terres de femmes)
    12 juillet 1817 | Naissance de Henry David Thoreau
    → (sur Terres de femmes)
    Olav H. Hauge | Bashô





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  • Eugenio De Signoribus | microelegia

    « Poésie d’un jour »
    choisie par Thierry Gillybœuf



    ARBRE
    Ph., G.AdC






    (microelegia)

    la lingua di questa parte
    è quella che attenta scruta
    le fattezze dell’ albero
    e vàluta se ombroso è in estate
    e se in inverno per il sole si spoglia
    e poi modulandolo ti dice
    «riposa», oppure
    «sta’ lì, aspetta il tuo turno»
    oppure simplicemente
    «impìccati !»

    e la soglia tra le parole è una foglia
    trasparente e leggera




    Eugenio De Signoribus, Diario doganale, in Istmi e chiuse (1989-1995), Marsilio, Venezia, 1996, in Poesie (1976-2007), Garzanti editore, Gli Elefanti, 2008, p. 277.






    (microélégie)

    la langue d’ici
    est celle attentive qui scrute
    les traits de l’arbre
    et juge s’il est ombrageux en été
    et si l’hiver il se dévêt pour le soleil
    et puis te dit en modulant
    « repose-toi » ou
    « reste là, attends ton tour »
    ou bien simplement
    « mets-y toi ! »

    et le seuil entre les mots est une feuille
    transparente et légère




    Traduction inédite de Thierry Gillybœuf.



    EUGENIO DE SIGNORIBUS


    Eugenio De Signoribus
    Source




    ■ Eugenio De Signoribus
    sur Terres de femmes

    Ronde des convers (lecture d’AP)
    [ogni ora da vivere è buona per parlare] (poème extrait de Maisons perdues)
    L’albero (poème extrait du recueil L’altra passione + traduction inédite d’AP)
    La nymphe du crépuscule (poème extrait du recueil Trinità dell’esodo, 2011 + traduction inédite d’AP)
    [La sirena marina nel suo acquario] (poème extrait du recueil Veglie genovesi, 2013 + traduction inédite d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le blog de Grazia Calanna)
    une interview (en italien) d’Eugenio De Signoribus (18 septembre 2012)




    ■ Autres traductions de Thierry Gillybœuf
    sur Terres de femmes

    Fabiano Alborghetti | Canto 13
    Seamus Heaney | Bog Queen
    Stanley Kunitz | The Quarrel
    Robert Lowell | Burial
    Marianne Moore | Son bouclier
    Marianne Moore | Extrait de Poésie complète, Licornes et sabliers
    Salvatore Quasimodo | Le silence ne me trompe pas
    Leonardo Sinisgalli | Nomi e cose
    Derek Walcott | To Norline
    Andrea Zanzotto | Così siamo





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  • Raymond Farina | Que faire maintenant



    [QUE FAIRE MAINTENANT]



    Que faire maintenant
    de tous ces graffiti
    des adieux encombrants des choses
    des oiseaux des hasards
    désormais interdits
    dans cette cruauté d’horloge

    & à l’enfant seul comme une île
    ― à son effroi & à sa soif ―
    quel sésame quel schiboleth
    quelle chose apaisante & douce
    quel bienveillant symbole
    laisser

    si l’on n’a plus que l’art
    de questionner l’écho
    de voler au reflet
    ce qu’il sait du parfait
    aux maisons envolées
    le secret d’habiter
    & à la nostalgie
    la vérité d’ici

    comme un vieux ciel dément
    cherchant parmi ses bleus
    celui vif & vital
    perdu dans son fouillis d’oiseaux
    dans son trouble passé d’orages




    Raymond Farina, Éclats de vivre, Bernard Dumerchez, 2006, page 11.



    RAYMOND FARINA


    Raymond Farina
    Source




    ■ Raymond Farina
    sur Terres de femmes


    [Dans ta maison sur les nuages] (extrait d’Anachronique)
    La Gloire des poussières (lecture de Sabine Dewulf)
    Les papillons d’Apollinaire (extrait d’Hétéroclites)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Raymond Farina
    → (sur le site de Guy Allix)
    une page sur Raymond Farina
    → (sur Terre à ciel)
    plusieurs pages consacrées à Raymond Farina
    → (sur Gattivi Ochja)
    un poème extrait d’Anecdotes de Raymond Farina, traduit en corse par Stefanu Cesari
    un entretien de Régis Louchaert avec Raymond Farina (PDF)
    → (sur L’Or des livres)
    La poésie de Raymond Farina : Anecdotes et Epitola Posthumus





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  • 24 août 1899 | Naissance de Jorge Luis Borges

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 24 août 1899 naît à Buenos Aires Jorge Luis Borges. Son père, Jorge Guillermo Borges, professeur d’anglais et de psychologie, et sa mère, Leonor Acevedo Haedo, appartiennent tous deux à des familles qui ont lutté pour l’indépendance de l’Argentine.







    Borges
    Source







    EXTRAIT
    d’un entretien de Jorge Luis Borges avec César Fernãndez Moreno




    ―Et à quel moment à peu près vous situez-vous, dans vos souvenirs, à Buenos Aires ?

    ―« Je suis né rue Tucuman, à l’angle de la rue Suipacha, dans le pâté de maisons même où mourut Estanislao del Campo, qui était un oncle de mon grand-père ; par la suite, j’ai visité la maison, mais je n’en ai gardé aucun souvenir. Mes premiers souvenirs ne se rapportent pas à cette maison qui ressemblait à toutes celles de son temps. Disons, en plus petit et en plus modeste, une maison comme celle qu’occupe la Sociedad Argentina de Escritores : avec deux cours latérales, la première pavée en damier, avec un puits au fond duquel, je l’appris par la suite, il y avait une tortue pour purifier l’eau. À cette époque-là, me dit ma mère, quand on louait ou achetait une maison, on demandait s’il y avait une tortue et on vous répondait alors : « Oui, monsieur, soyez tranquille, il y a une tortue. » Car on croyait que la tortue était une espèce de filtre qui mangeait les insectes et l’on ne s’attardait pas à penser que la tortue, non seulement ne purifiait pas l’eau, mais la souillait à son tour. À Montevideo, on demandait en général s’il y avait un crapaud. Mais la tortue et le crapaud étaient là. Ma mère et moi avons bu de l’eau de tortue pendant des années, et, comme tout le monde, nous n’en éprouvions aucun dégoût. En revanche, maintenant, bien sûr, je n’aimerais pas boire de l’eau de tortue.


    ― Mais les tortues et les crapauds ont une nature si minérale…

    ― Ils sont, il est vrai, un peu abstraits…


    ― Pourquoi ne nous parlez-vous pas encore de votre enfance dont vous nous avez dit une fois qu’elle s’était écoulée tout entière dans une bibliothèque ? Vous disiez, textuellement, une bibliothèque aux innombrables livres anglais.

    ― Oui, c’est exact. Mon père avait une grande bibliothèque. On me permettait de lire n’importe quel livre, même ceux qu’on interdit habituellement aux enfants. Par exemple, le livre des Mille et Une Nuits, dans la version du capitaine Burton. J’ai lu d’un bout à l’autre cet ouvrage qui, je le constate aujourd’hui, abonde en obscénités, mais elles ne retinrent pas alors mon attention, car ce qui m’intéressait c’était le côté magique des Mille et Une Nuits. J’étais si sensible à cet aspect magique que je ne l’étais pas au reste du texte que je lisais sans y faire attention. Par la suite, j’ai constaté, les années passant, qu’au fond je ne suis pas sorti de cette bibliothèque, que je continue toujours à relire les mêmes livres. C’est ce qui m’est arrivé avec le Quichotte. Je l’ai lu dans l’édition Garnier. Je ne sais si vous vous rappelez ces volumes rouges avec des lettres dorées. Par la suite, on dispersa la bibliothèque de mon père. Je relus le Quichotte dans une autre édition, mais j’avais l’impression que ce n’était pas le vrai Quichotte. Je chargeai un de mes amis, Manuel Gleizer, de me procurer l’édition Garnier. Il me fit la surprise de m’apporter aussitôt ce livre, avec les mêmes gravures sur cuivre, les mêmes notes explicatives, et avec, également, les mêmes errata. Tout cela, pour moi, fait partie de l’ouvrage. Maintenant j’ai ce livre chez moi et il me semble que celui-ci est le vrai Quichotte.



    Emil Rodriguez Monegal, Borgès, Éditions du Seuil, Collection Écrivains de toujours, 1970, pp. 158-159. Traduit par Françoise-Marie Rosset.





    JORGE LUIS BORGES


    ■ Jorge Luis Borges
    sur Terres de femmes

    Labyrinthe (poème issu d’Éloge de l’ombre)
    Despedida (poème issu de Poèmes d’amour)
    Le Sud (poème issu de Ferveur de Buenos Aires [1923])



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Literatura.us)
    les poèmes du recueil Fervor de Buenos Aires (1923)





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  • Violaine Guillerm | [seulement me voilà]



    Violaine Guillerm, scordatura
    Source






    [SEULEMENT ME VOILÀ]



    seulement me voilà
    sans coutures
    à satisfaire qui me subsisteraient


    amour et solitude
    à leur sommet
    elle prochaine et réelle






    toujours
    en route et non désituée
    ni abstraite, ni mitigée
    ni assénée, elle éprouve
    sa référence
    son alliance, cette véracité
    les futurs et les passés
    me rendent
    visite, j’embrasse
    ces êtres encore, les épouse
    me refonde, qu’ils reçoivent
    l’aujourd’hui
    cet extraordinaire, et je
    me ramifie




    Violaine Guillerm, Scordatura, Éditions isabelle sauvage, collection « Présent (im)parfait », dirigée par Alain Rebours, 29410 Plounéour-Ménez, 2011, pp. 94-95.





        Musicienne professionnelle (instrumentiste de basson), Violaine Guillerm (née en 1968) vit et travaille à Montpellier. Son premier recueil de poésie, Prêts longtemps, a paru aux éditions isabelle sauvage, dans la collection « présent (im)parfait », en octobre 2008. Elle a également collaboré avec l’artiste peintre Aurélie Thiolat à deux livres d’artiste, le premier, Chincoteague, ayant paru aux éditions Christine Debras et Yves Bical (Bruxelles, 2004), le second, S’ouvre juste le geste, aux éditions isabelle sauvage (Plounéour-Ménez, 2008).
        Dans le duo qu’est le recueil Scordatura, deux voix concertantes s’engagent côte à côte, « langue à langue », puis, en contrepoint, se mettent à vibrer, à osciller, s’inversent, se chevauchent, s’entrechoquent, s’épousent… Il y est question de rythme, de durée et d’intensité, mais aussi de tension, d’intervalles, de mélodie et de consonances, il est question d’émotions, de vibrations, de sensations et de jubilation, il est question de corps, masculin-féminin, et de désir ; les voix, les langues, les corps s’emmêlent et brouillent les pistes. Comme s’il s’agissait d’une scordatura (manière d’accorder les instruments à cordes qui s’écarte de l’accord traditionnellement établi), le texte agit « en désaccordant-réaccordant l’angle intime du dire et de l’écoute ». « L’harmonie apparaît alors en secret ». « Les yeux se ferment dans la lumière. Sans mot ».





    VIOLAINE GUILLERM

    Violaine Guillerm
    Source



    ■ Violaine Guillerm
    sur Terres de femmes

    [La vague devient vague] (extrait de Note étrangère)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur poesie.evous)
    une fiche sur le recueil Scordatura





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