Terres de Femmes

Mois : mai 2011


  • Jaufre Rudel | Pro ai del chan essenhadors



    Je sais qu-elle est toute bont-
    Ph., G.AdC






    PRO AI DEL CHAN ESSENHADORS

                           (extrait)


                                 1


    Pro ai del chan essenhadors
    entorn mi, et essenhairitz
    ― pratz e vergiers, albres e flors,
    voutas d’auzelhs e lays e critz –
    per lo dous termini suau,
    qu’en un petit de joy m’estau,
    don nulhs deportz no.m pot jauzir
    tan cum solatz d’amor valen.




                                 2


    Las pimpas sian als pastors,
    et als enfans bordeitz petitz.
    E mias sion tals amors
    don ieu sia jauzens jauzitz !
    Qu’ieu la sai bona tot aitau
    ves son amic en greu loguau.
    Per so.m sen trop soen marrir
    quar non ai so qu’al cor n’aten.


    […]






    CHANSON DU MAL D’AMOUR


                                 1


    J’ai assez de maîtres de chants
    autour de moi, et de maîtresses :
    vergers, arbres et fleurs et champs,
    vergers d’oiseaux et cris de détresse
    en la saison des doux émois
    où je connais tant peu de joie.
    Ne me peut réjouir un plaisir
    autre que d’un noble amour jouir.




                                 2


    Que les flûtiaux soient aux bergers
    et aux enfants les jeux légers.
    Et moi, mon amour, donnez-moi
    par quoi je donne et joie reçois !
    Je sais qu’elle est toute bonté
    pour son amour en lieu secret.
    Mais l’âme triste je me sens,
    n’ayant ce que mon cœur attend.


    […]



    Jaufre Rudel, Chansons pour un amour lointain, éditions fédérop, 2011, pp. 22-23. Présentation de Roy Rosenstein. Préface et adaptation d’Yves Leclair.





    JAUFRE (ou JAUFRÉ) RUDEL


    ■ Jaufre (ou Jaufré) Rudel
    sur Terres de femmes

    Jaufré Rudel | Un amour de loin


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Bibliotheca Augustana)
    Jaufré Rudel



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  • 30 mai 2003 | William Cliff, Le Pain Quotidien

    Éphéméride culturelle à rebours
    «  Poésie d’un jour
     »



    Jose-de-ribera
    José de Ribera, Saint Jérôme Pénitent, 1648
    Collection Pérez Simón, Mexico
    Source







    [CROIS-TU TIRER QUELQUE VENIN SAPIDE…]



    crois-tu tirer quelque venin sapide
    de ce sein sec épuisé par le temps ?
    si tu vampirises mon être aride
    c’est qu’il s’y trouve une chose pourtant
    très attrayante à ta gourmande dent !
    (et je fermais les yeux pour te sentir
    manger ce rêve) sans jamais faiblir
    le vent de mer nous soufflait son haleine
    et aujourd’hui goûtant ce souvenir
    je me glorifie d’être encor le même



    30 mai 2003



    William Cliff, Le Pain Quotidien, La Table Ronde, 2006, page 23.




    ____________________________________________
    NOTE d’AP : William Cliff a reçu le Grand Prix de la SGDL (Société des gens de lettres de France) pour l’ensemble de son œuvre à l’occasion de la publication, en 2006, du Pain Quotidien. L’année suivante, en 2007, il a reçu le Grand Prix de poésie de l’Académie française. Et, en 2015, le Prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son œuvre.





    Williiam Cliff  quotidien



    WILLIAM  CLIFF


    William Cliff 3
    Ph. © Jean Jauniaux




    ■ William Cliff
    sur Terres de femmes


    Cape Cod, 7 (extrait d’America)
    Lahore, 7 (extrait d’En Orient)
    New York (extrait d’Amour perdu)
    Au printemps (extrait du Temps)
    [Réquiem pour l’enfance] (extrait de Matières fermées)
    10 novembre 2003 | William Cliff, Le Pain Quotidien




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la SGDL)
    une bio-bibliographie de William Cliff





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  • Gaston Puel | Terre d’ombre brûlée



    Et toi en ton lieu  Ce palais de briques  Antre religieux  D'un enfant froissé
    Ph., G.AdC







    TERRE D’OMBRE BRÛLÉE


    6.


    Dans l’île lointaine
    Des volcans éteints
    Des arbres en fièvre
    S’épousent en forêt
    Et des oiseaux dansent
    Dans tous leurs atours.
    Ils s’aiment en couple,
    Fils du paradis,
    Enfants des couleurs,
    Bijoux ou mirages.
    Et toi en ton lieu,
    Ce palais de briques,
    Antre religieux
    D’un enfant froissé,

    Tu vas et tu viens,
    Un jardin s’incline,
    Une rose s’ouvre
    Qui promet l’été.




    Gaston Puel, Terre d’ombre brûlée, 6, in Revue Nu(e), N° 46 « Gaston Puel », coédition Nu(e)/L’Arrière-Pays, numéro coordonné par Éric Dazzan, décembre 2010, page 132.





    GASTON PUEL


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Esprits nomades)
    une page consacrée à Gaston Puel
    → (sur remue.net)
    Présence de Gaston Puel, par Jean-Marie Barnaud (2 avril 2009)
    → (sur le site de la Revue Texture)
    un entretien avec Gaston Puel : « Il faut survivre à l’absence… »
    → (sur le site de La Dépêche)
    une notice nécrologique sur Gaston Puel





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  • 28 mai 1958 |
    Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 28 mai 1958, Jean Starobinski (né à Genève le 17 novembre 1920 et mort à Morges le 4 mars 2019) reçoit le Prix Femina-Vacaresco pour Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle.




        Ni biographie ni « exposé systématique de la philosophie du citoyen de Genève », cette étude — qui est davantage qu’une « analyse intérieure » — interroge le monde dans lequel évolue Jean-Jacques Rousseau et auquel il s’oppose.

        « Rousseau désire la communication et la transparence des cœurs ; mais il est frustré dans son attente, et, choisissant la voie contraire, il accepte — et suscite — l’obstacle, qui lui permet de se replier dans la résignation passive et dans la certitude de son innocence. »







    JJ Rousseau Genève
    La transparence et l’obstacle : le musée Espace Rousseau à Genève (septembre 2006)
    Ph. © afp.com/Fabrice Coffrini
    Source







    VII


    LES PROBLÈMES DE L’AUTOBIOGRAPHIE (Extrait)



        « Qui suis-je ? » La réponse à cette question est instantanée. « Je sens mon cœur. » Tel est le privilège de la connaissance intuitive, qui est présence immédiate à soi-même, et qui se constitue tout entière dans un acte unique du sentiment. Pour Jean-Jacques, la connaissance de soi n’est pas un problème : c’est une donnée : « Passant ma vie avec moi, je dois me connaître. »
        Sans doute l’acte du sentiment qui fonde la connaissance de soi n’a-t-il jamais le même contenu. En chaque nouvelle circonstance, il est irréfutable, il est l’évidence même. Chaque vérité se fait jour de façon primordiale. L’acte du sentiment est indéfiniment renouvelable ; mais sur le moment même son autorité est absolue, et acquiert une valeur inaugurale. Le moi se découvre et il se possède d’un seul coup. Dans cet instant où il prend possession de lui-même, il révoque en doute tout ce qu’il savait ou croyait savoir à son propre sujet : l’image qu’il se faisait auparavant de sa vérité était trouble, incomplète, naïve. Maintenant seulement la lumière se fait, ou va se faire…
        D’où la multiplicité de l’œuvre autobiographique de Rousseau. Il entreprend les Dialogues comme s’il ne s’était pas déjà peint dans les Confessions, où il prétendait avoir « tout dit ». Puis viennent les Rêveries, où tout est à recommencer : « Que suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à chercher. » À mesure que Jean-Jacques s’enfoncera dans son délire et perdra ses attaches avec les hommes, la connaissance de soi lui paraîtra plus complexe et plus difficile : « Le connais-toi toi-même du temple de Delphes » n’est pas une maxime si facile à suivre que je l’avais cru dans mes Confessions *. » La connaissance est ardue, mais jamais au point que la vérité se dérobe, jamais au point de laisser la conscience sans ressource. L’introspection ne cesse jamais d’être possible, et si la vérité ne s’impose pas immédiatement, il suffira d’un « examen de conscience » pour venir à bout de toutes les obscurités, dans l’intervalle d’une promenade solitaire. Tout s’expliquera ; il parviendra à se voir tout entier, et à être « pour soi » ce qu’il est « en soi » : Rousseau, qui reconnaît à l’occasion l’étrangeté de certains de ses actes, ne les attribue jamais à des ténèbres essentielles, et n’y voit pas l’expression d’une part obscure de sa conscience ou de sa volonté. Ses actes insolites ne lui appartiennent qu’à demi ; il lui suffira de les narrer, et de les déclarer bizarres, comme si la confession épuisait le mystère. Pour Jean-Jacques, le spectacle de sa propre conscience doit toujours être un spectacle sans ombre : c’est là un postulat qui ne souffre pas d’exception. Certes il arrive à Rousseau de se troubler devant lui-même, et de constater une moindre clarté : « Les vrais et premiers motifs de la plupart de mes actions ne me sont pas aussi clairs à moi-même que je me l’étais longtemps figuré. » Mais la suite de ce même texte (Rêveries, Sixième Promenade), loin d’insister sur le défaut de clarté intérieure, se présentera au contraire comme une élucidation parfaite de ce qui, au départ, semblait manquer d’évidence. Si nous voyons quelquefois la méditation de Rousseau partir d’un aveu d’ignorance de soi, jamais nous ne le voyons aboutir à pareil aveu. Les lacunes de sa mémoire ne l’inquièteront pas : jamais il ne se dira, comme Proust, que l’événement oublié cache une vérité essentielle. Pour Rousseau, ce qui échappe à sa mémoire n’a pas d’importance ; ce ne peut être que de l’inessentiel. Il y a chez lui, à cet égard, un optimisme qui ne se dément jamais, et qui compte fermement sur la pleine possession d’une évidence intérieure.
        Au surplus, l’évidence intérieure tend à s’extérioriser aussitôt : Jean-Jacques se dit incapable de dissimuler. Le sentiment devient signe et se manifeste ouvertement dès l’instant où il est éprouvé. »


    Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l’obstacle, Paris, Plon, 1957 ; rééd. Éditions Gallimard, Collection Bibliothèque des Idées, 1971 ; Collection Tel, septembre 1976, mars 1998, pp. 216-217.



    _____________________________________
    * Rêveries, quatrième Promenade, Œuvres complètes, I, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1959, page 1024.





    Jean-Jacques-Rousseau-la-transparence-et-l-obstacle





    JEAN STAROBINSKI


    JEAN STAROBINSKI 2
    Source




    ■ Jean Starobinski
    sur Terres de femmes

    Sur l’origine de l’inégalité




    Les collections Jean-Jacques Rousseau des villes suisses de Genève et Neuchâtel ont été inscrites au Registre international de l’Unesco en tant que « Mémoire du monde », a annoncé le vendredi 27 mai 2011 la Bibliothèque de la Cité de Calvin.



    ■ Jean-Jacques Rousseau
    sur Terres de femmes

    28 juin 1712 | Naissance de Jean-Jacques Rousseau (+ extrait de la « Troisième promenade » des Rêveries du promeneur solitaire)
    24 octobre 1776 | Jean-Jacques Rousseau, « L’Accident de Ménilmontant » (extrait de la « Deuxième promenade » des Rêveries du promeneur solitaire)
    2 juillet 1778 | Mort de Jean-Jacques Rousseau (+ extrait des Confessions)






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  • William Carlos Williams, Asphodèle




    Asphodèle du Cap Corse 3
    Ph. angèlepaoli







    ASPHODEL, THAT GREENY FLOWER (Book I, excerpt)



    Give me time,
                       time.
    When I was a boy
                       I kept a book
                                           to which, from time
    to time,
                       I added pressed flowers
                                           until, after a time,
    I had a good collection.
                       The asphodel,
                                           forebodingly,
    among them.
                       I bring you,
                                           reawakened,
    a memory of those flowers.
                       They were sweet
                                           when I pressed them
    and retained
                       something of their sweetness
                                           a long time.
    It is a curious odor,
                       a moral odor,
                                           that brings me
    near to you.
                       The color
                                           was the first to go.
    There had come to me
                       a challenge,
                                           your dear self,
    mortal as I was,
                       the lily’s throat
                                           to the hummingbird !
    Endless wealth,
                       I thought,
                                           held out its arms to me.
    A thousand topics
                       in an apple blossom.
                                           The generous earth itself
    gave us lief.
                       The whole world
                                           became my garden ! […]







    ASPHODÈLE (Livre I, extrait)



    Laisse-moi le temps,
                       le temps.
    Quand j’étais petit garçon
                       je conservais un livre
                                           dans lequel, de temps
    à autre,
                       je pressais des fleurs
                                           jusqu’au jour où
    j’eus une belle collection.
                       L’asphodèle,
                                           comme un présage,
    en faisait partie.
                       Je t’apporte,
                                           ressuscité,
    un souvenir de ces fleurs.
                       Elles étaient suaves
                                           quand je les pressais
    et conservaient
                       longtemps
                                           de leur suavité.
    C’est un parfum curieux,
                       un parfum moral,
                                           qui m’amène
    auprès de toi.
                       La couleur
                                           disparut la première.
    Je dus relever
                       un défi,
                                           ta chère personne,
    moi, simple mortel,
                       gorge de lys
                                           à l’oiseau-mouche !
    Une richesse infinie,
                       pensai-je,
                                           me tendait les bras.
    Un millier de thèmes
                       dans une fleur de pommier.
                                           La terre, en sa prodigalité,
    ne nous refusait rien.
                       Le monde entier
                                           devint mon jardin ! […]



    William Carlos Williams, Asphodèle, suivi de Tableaux d’après Bruegel, édition bilingue, Éditions Points, 2007, pp. 32-37. Traduit de l’anglais (États-Unis) et présenté par Alain Pailler.






    WILLIAM CARLOS WILLIAMS
    Image, G.AdC






    WILLIAM CARLOS WILLIAMS



    ■ William Carlos Williams
    sur Terres de femmes


    17 septembre 1883 | Naissance de William Carlos Williams
    Beauté
    [The sea that encloses her young body] (extrait de Spring and all)
    20 août 1878 | William Carlos Williams, Paterson



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poezibao)
    une note bio-bibliographique sur William Carlos Williams
    → (sur poets.org)
    une note bio-bibliographique (en anglais) sur William Carlos Williams
    (+ de nombreux poems [dont Asphodel] et William Carlos Williams disant A Love Song et To Elsie)
    → (sur Modern American Poetry)
    de nombreuses pages consacrées à William Carlos Williams
    → (sur YouTube)
    William Carlos Williams lisant son poème « To Elsie » (enregistrement du 9 janvier 1942)



    ■ Voir encore ▼

    L’asphodèle, plante du salut





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  • 26 mai 1955 | Jules Supervielle, Grand Prix de littérature

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 26 mai 1955, Jules Supervielle reçoit le Grand Prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.




    Partagé entre deux espaces totalement opposés, l’Uruguay dont il est originaire et la France où il a été élevé, Paris et la pampa, Supervielle tente de concilier les contraires. La cité tentaculaire et protéiforme d’un côté, les grandes étendues de la pampa de l’autre. Le trop-vide et le trop-plein sans cesse le fascinent ou l’angoissent. Ces tensions lui inspirent les poèmes en vers libres de Débarcadères, premier recueil publié en 1922, puis de Gravitations, en 1925. Entre temps, l’écrivain se tourne vers des récits à caractère métaphorique. Publié en 1923, L’Homme de la pampa, son premier roman, raconte l’histoire d’une métamorphose. Guanamiru se change en géant. Au cours de cette métamorphose, le corps de Guanamiru mène une vie autonome qui laisse l’homme impuissant. Devenu « la proie d’une véritable panique osseuse et cellulaire », le corps de Guanamiru finit par éclater. Après son explosion, la mort elle-même étant impossible, Guanamiru continue de vivre, par fragments dispersés.

    « Rêves et réalités, farce, angoisse, j’ai écrit ce petit roman pour l’enfant que je fus et qui me demande de histoires. Elles ne sont pas toujours de son âge ni du mien, ce qui nous est l’occasion de voyager l’un vers l’autre et parfois de nous rejoindre à l’ombre de l’humain plaisir. »







    Staël
    Nicolas de Staël, Composition, 1949
    Huile sur toile, 60 x 81 cm
    Musée des Beaux-Arts de Rennes
    Source







    I

    DÉSERT À CORNES (extrait)




    Dans le wagon qui l’emportait vers le Nord, tête nue à la portière, il laissait le vent champêtre jouer sur son crâne où des cheveux en étroites averses et une calvitie ensoleillée faisaient le beau temps et la pluie.

    Des impressions d’enfance lui parvenaient, par fraîches bouffées, en pleine figure. Ses premières années ne reposaient-elles pas aux vivaces frontières de sa mémoire dans un berceau gardé la nuit par la lune bleue des pampas et le jour par un couple de vanneaux aux cris si aigus qu’il les entendait encore ?

    Follement, son âme de cinquante ans plus agile que ses jambes s’ébattait au grand air. Fernandez y Guanamiru la poussait devant lui au fil humide et emperlé de la campagne matinale. Parfois, durant la marche du train, un mugissement pénétrait dans le wagon : ainsi s’exprimait la pampa dans son fruste parler, comme fait celui qui ne disposant que de certains mots d’une langue étrangère, voudrait leur confier toutes les nuances de sa pensée et même davantage, dans une ambition désorbitée.

    Cette campagne ignorante des lignes brisées, l’horizon l’attend sans surprise, sachant bien que d’un élan sous le ciel immense elle ira jusqu’à lui.

    Seuls dans la plaine les oiseaux sont chargés de tracer dans les airs de fuyants paysages que de leurs chants ils prolongent.

    À eux de porter le poids et la responsabilité des quatre saisons, d’offrir le mystère et les lointains de la forêt absente. Et au printemps quel travail ! Comment, si l’on n’a que deux ailes, suggérer les carrés de labours, l’exaltation des branches, les milliers de boutons d’une roseraie, et toutes les interrogations de l’air et ses exclamations ?

    Passe dans le cadre de la portière une oasis véritable : petit bois, galops de chevaux, une paillote et deux métisses étendant du linge blanc-de-pauvre et rose-fané. Il y a dans l’esprit de Guanamiru des échanges, des départs, des images qui viennent du dehors et s’installent, prenant leurs aises en vue d’un long séjour. Voici un eucalyptus qui occupe et parfume la place d’une mauvaise pensée ; un agneau ayant vainement cherché sa mère morte dans la prairie la retrouve broutant tout le long d’une idée générale du voyageur.

    « Heureux agneau, soupira Guanamiru, ah ! plus heureux que mes trente bâtards qui rôdent humblement dans la plaine à la recherche d’un père. »



    Jules Supervielle, L’Homme de la pampa, éditions Gallimard, Collection Blanche, 1923 ; Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1988, pp. 11-12-13.



    JULES SUPERVIELLE


    Jules Supervielle
    Portrait de Jules Supervielle à vingt-six ans (1910),
    d’après une eau-forte de Fernand Sabatté (1874-1940).
    Source





    ■ Jules Supervielle
    sur Terres de femmes


    16 janvier 1884 | Naissance de Jules Supervielle
    17 mai 1960 | Mort de Jules Supervielle






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  • 25 mai 1960 | Peter Brook, Moderato Cantabile

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 25 mai 1960 sort sur les écrans, en Angleterre, le film de Peter Brook, Moderato Cantabile, produit par Raoul Levy.





    AFFICHE MODERATO CANTABILE
    Source





         Deux ans après sa publication en 1958, le roman de Marguerite Duras est porté à l’écran par Peter Brook. Dialogues et scénario sont cosignés par Gérard Jarlot, Marguerite Duras ainsi que par Peter Brook. Jeanne Moreau interprète le rôle d’Anne Desbaredes et Jean Paul Belmondo celui de Chauvin. Le drame se déroule en cinq jours, sur les quais de la petite ville de Blaye, dans l’estuaire de la Gironde. La musique est d’Antonio Diabelli (Sonatine).

        La trame du récit est simple en apparence. Un meurtre vient de se produire. La leçon de piano du fils d’Anne Desbaredes a été interrompue par un long cri, très douloureux. L’enfant s’est précipité à la fenêtre. La scène s’est passée dans un bistrot, situé juste au-dessous de l’appartement du professeur de piano. Jeune femme riche et désœuvrée, exclusivement occupée de son enfant, Anne Desbaredes ― qui traîne son vide existentiel ― tente de s’approprier ce drame. Son histoire (absence d’histoire !) se superpose avec celle du couple précédent. Moyen pour elle de combler son ennui ? Volonté d’identification ? L’amour impossible d’Anne Desbaredes pour Chauvin, jeune employé dans l’usine de son mari, se construit en contrepoint avec celui qui vient de prendre fin dans le sang. La seule différence : le renoncement à l’amour au lieu de la mort. Anne Desbaredes, une héroïne à la Flaubert ? Selon Claude Roy, seul critique à soutenir avec ardeur le roman de Marguerite Duras : « Une Madame Bovary réécrite par Béla Bartok. »

        Se démarquant de la romancière, Peter Brook dote son héroïne d’une soif inextinguible de séduction. Faisant fi des convenances, elle se donne sans vergogne à Chauvin. Le décor du film est sobre : une esplanade vide, des grues, silhouettes du port. Panoramique circulaire, en contre-plongée sur la frondaison dénudée des arbres, l’hiver. Autre mouvement de caméra : travelling latéral sur les colonnettes de la terrasse, en accéléré. Les colonnettes, ainsi détachées de leur décor, se mettent à vivre, à courir, semblables aux ouvriers des arsenaux qui se déplacent, identiques, en automates (façon Magritte).

        Malgré l’admiration et l’estime qu’elle voue à Jeanne Moreau, Marguerite Duras récuse le film que Peter Brook a tiré de son propre récit. Elle affirme à plusieurs reprises que Peter Brook n’a rien compris. Elle confie à Gérard Lefort pour Libération, qu’elle aurait voulu « le tourner elle-même avec de petits moyens ». Cet échec pousse Marguerite Duras « à passer de l’autre côté de la caméra ».


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    713122_moderato-cantabile-belmondo
    Prod DB © Iena / DR
    Source





    MARGUERITE DURAS


    ■ Marguerite Duras
    sur Terres de femmes

    Marguerite Duras, « l’autre façon de se perdre »
    4 avril 1914 | Naissance de Marguerite Duras
    5 janvier 1960 | Première création d’Un barrage contre le Pacifique
    14 janvier 1976 | Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres
    23 octobre 1981 | Reprise à l’Athénée de La Bête dans la jungle
    28 septembre 1983 | Création de Savannah Bay de Marguerite Duras
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait de Marguerite Duras (+ un extrait du Vice-Consul)


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans les Archives de l’INA)
    une interview de Marguerite Duras, de Peter Brook, de Raoul Levy et de Jeanne Moreau autour du film Moderato Cantabile (08/02/1960)
    → (sur YouTube)
    une scène du film Moderato Cantabile
    → (sur mySkreen)
    une autre scène de Moderato Cantabile
    → (dans la revue Synergies)
    Intimisme et psychocritique: une étude de l’œuvre Moderato Cantabile de Marguerite Duras, par Júlia Ferreira [pdf]
    le site de la Société Marguerite Duras




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  • Giovanni Giudici | E lui di essa sia primo architetto



    Piranesi9c
    Piranesi, Carceri






    [E LUI DI ESSA SIA PRIMO ARCHITETTO]



    E lui di essa sia primo architetto ―
    Prigione non nel senso stretto
    La sua più che del corpo
    Dell’intelletto:
    Sbarre serrature bastano
    A farle via un po’ di plastico
    Pazienza di lima piedi di porco ―
    Ma chi è carceriere di se stesso
    Ha un bel prendersi su capello per capello
    A tirarsene fuori:
    Cafarnao d’un cervello
    Non c’è grazia se non muori


    14-15 gennaio 1989



    Giovanni Giudici, Fortezza, Turin-Milan, Mondadori, 1990, in Poeti italiani del secondo Novecento, volume primo, Oscar Mondadori Editore, Classici moderni 195, 2004, pagina 449.






    [ET QU’IL EN SOIT LE PREMIER ARCHITECTE]



    25.
    Et qu’il en soit le premier architecte ―
    Prison que la sienne mais au sens
    Strict et plus que du corps
    De l’esprit :
    Barreaux serrures suffit
    Pour les faire voler un peu de plastic
    Une patience de lime un pied-de-biche ―
    Mais qui est son propre geôlier
    A beau se prendre par chacun de ses cheveux
    Pour s’extraire au-dehors :
    Capharnaüm d’un cerveau
    Pas d’autre grâce que la mort



    Giovanni Giudici, Fortezza, in Trente ans de poésie italienne, 1975-2004, I, Po&sie n° 109, Éditions Belin, 2004, page 175. Traduction de Bernard Simeone



    Note d’AP : le poète Giovanni Giudici est mort dans la nuit de lundi à mardi (24 mai 2011) à l’hôpital de La Spezia. Il aurait eu 87 ans le 26 juin prochain.





    GIOVANNI GIUDICI

    Giovanni Giudici
    Source


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Imperfetta Ellisse)
    une sélection de trois poèmes
    → (sur Imperfetta Ellisse)
    le poème « Isole » de Giovanni Giudici
    → (sur it.wikipedia)
    la notice bio-bibliographique consacrée à Giovanni Giudici
    → (sur Scritto in corso)
    une biographie de Giovanni Giudici
    → (sur Rai.tv)
    une interview de Giovanni Giudici
    → (sur le blog Poesia de Luigia Sorrentino)
    In memoria di Giovanni Giudici (interview du poète Nicola D’Ugo)



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  • Notes Laura Fiori de Martin Ziegler, par Déborah Heissler

    Chroniques de femmes – EDITO

    Chronique de Déborah Heissler

    Martin Ziegler, Notes Laura Fiori,
    éd. Laurence Mauguin, Paris, 2011.




    Martin Ziegler






    LES NOTES LAURA FIORI DE MARTIN ZIEGLER,

    FRAGMENTS D’UN IMAGINAIRE AMOUREUX





    la bouche s’écrête
    fondant le feu froid
    la clairière s’étoile à partir des routes
    un bouquet de basilic habite
    un sein pour tresser la main en panier

    vacance de la roche

    les chemins de la campagne nous reconduisent sous leur couverture de givre
    le prédicat et la faux s’amenuisent devant le ciel
    de l’herbe

    le soir aimait


    Martin Ziegler, Chemins à fleur autrement blancs,
    Éditions L. Mauguin, 2000, sans folio.





           À parcourir les Notes Laura Fiori de Martin Ziegler, le sentiment, l’impression, d’emblée ressentis de pénétrer un tableau, sa diégèse – si tant est qu’il soit possible d’emprunter, avec à propos, ce terme pour les peintres également –, par le biais du regard et de la focalisation, plans, dévoilement, focalisation, et pour mieux examiner les lignes de force qui à la fois parcourent ces proses et guident notre œil. Et d’emblée aussi je tente, comme l’écrivait également Roland Barthes, de m’arracher à l’Imaginaire amoureux : mais l’Imaginaire brûle par-dessous, comme de la tourbe mal éteinte ; il s’embrase de nouveau ; ce qui était renoncé resurgit […] (Fragments d’un Discours amoureux, Seuil, Collection Tel Quel, 1977, page 126).

    Perspective d’abord longue de prairies vert amande, elle puis lui – comme là en défaut –, natures mortes, lit plissé de neige, lèvres lithiques… Comment se construit-elle donc la diégèse au sein du récit, l’histoire qui se raconte au sein de l’histoire, à la fois imagée mais également imageante ?




           Séquence 1 – extérieur jour

           Tableau



    Si l’œil commence par embrasser à perte de vue un paysage, image a priori fixe, tableau, perspective, cette dernière appelle d’emblée le regard, son mouvement, au travers de la route qui serpente (on relèvera ici l’allusion à la Genèse, l’isotopie édénique ou bien l’évocation du jardin secret), et cela jusqu’au lit d’une rivière débouchant chacune, route ou rivière, presque immanquablement sur une […] coupe claire au pied de la paroi. (s.f., incipit)
    À perte de vue, à peine coupées ici et là par le serpentement d’une route, prairies vert amande que teinte comme une brume d’œillets sauvages, de pavots nains, d’orchidées naines qu’on appelle ici manettes, d’herbes odorantes de toutes sortes, où le cœur aimerait et se laisse quelquefois aller à courir, à embrasser et à étreindre à l’aveugle par brassées entières les tiges courtes souvent coupantes et tomenteuses de ces étendues royales à défaut de pouvoir découvrir quelque jardin secret au sortir d’un de ces chemins forestiers aussi nets qu’un lit de rivière qui débouchent presque immanquablement sur une dernière coupe claire au pied de la paroi. (s.f., incipit)

    Jeu du regard et de sa transgression (on étreint à l’aveugle) ou encore de la pulsion scopique et de l’obstacle (pied de la paroi), du regard qui vient buter, arrêté presque immanquablement – comme le suggèrent dans ce passage l’abyme du « cliché », convenu si l’on veut, et celui consécutivement de la fiction dans l’image – au pied de la paroi.




          Séquence 2 – corps enchaîné/fondu extérieur jour

         Elle



    Apparition. Comme il suffirait de tourner une page pour que l’obstacle tombe. Intrusion alors du corps féminin dans le discours, lèvres, langue, où la métaphore – lèvres lithiques – force la figuration, le référent, l’écriture également lorsque celle-ci se veut exclusivement filmique et quasi synoptique, légèrement elle s’incline, pour sous-tendre la pratique scénarique.

    Légèrement elle s’incline. Et légèrement tressaille ce qu’en servant elle offre. Et comme elle se retire pour se taire tout en préservant intact son présent, ce qui serait à venir se scelle à l’image de ses lèvres. Lithiques lèvres légèrement ourlées de pâle qu’humecte non sans retenue une langue très lisse et qui semble autant vouloir en rehausser l’éclat que se délecter d’elles dans quelque union célibataire. (s.f., page suivante)
    Puis le relais de la métaphore et légèrement tressaille ce qu’en servant elle offre. On se trouve alors là « au bord de » sans cesse, à la commissure des lèvres littéralement et du discours au figuré – ce qui serait à venir se scelle à l’image de ses lèvres. Isotopie de la pierre, lèvres scellées (ou tues) et baisers solitaires, langue très lisse et qui semble autant vouloir en rehausser l’éclat que se délecter d’elles dans quelque union célibataire.



         Séquence 3 – tombe extérieur jour

         Lui

    Telle une marque pour ne pas être en reste et rivaliser encore de funestes fabrications, énième évocation de : la touffeur d’air tremblant, les ifs nombreux dans et ceignant le cimetière. (Flanquant l’entrée du « château », côté champs, les deux douglas géants, ses contemporains.) Demi-jour en Creuse – le poème télégraphié (?) en cette funèbre circonstance. Lui, manquant où il est, comme là en défaut, imminence toujours passée.
    Frêle bruit sourd d’oisillon chu des roses sur la planche ponctuant les pas, approchant, partant. Une cinquantaine de roses avant l’ultime poignée de terre fine rappelant vaguement celui de la pluie.
    (ibid., paragraphe suivant)
    Célébrations funèbres, alors qu’on vient de l’évoquer tout juste, elle, cette femme qui s’offrait – préservant son présent – et lui, dans la position du voyeur, dont on ne sait au final s’il ne s’agit pas aussi du narrateur scrutant la collusion du paysage avec les lèvres de celle qui s’incline, puis se retire, ou bien, lui, l’absent, manquant où il est, comme là en défaut, imminence toujours passée. Point le plus sensible de ce deuil.


    Progressivement aussi, intrusion sonore (du frêle bruit sourd d’oisillon chu des roses sur la planche ponctuant les pas, doublée de la poignée de terre fine rappelant vaguement celui de la pluie qui clôt l’évocation de la mise en terre).


    Les cadres du récit étant posés, les séquences de proses à partir de là s’enchaînent et s’appellent l’une l’autre, articulant la diégèse au sein du récit sur la coïncidence entre le « deuil amoureux » et le détail, à peine crypté, d’une « Nature morte » de pommes telles des joues […] avec de toutes petites mouches presque invisibles voletant d’un calice à l’autre. Articulation forte du recueil, que nous relevons en ne numérotant plus les séquences mais en les désignant par « n, n+1 et nième » désormais.




           Séquence n – mouches enchaîné/fondu intérieur jour

         Natures mortes
    Candide présent de l’aube. Deux corbeilles de pommes déposées devant la porte par la voisine. Rouges et rondes comme il se doit, telles des joues. Avec de toutes petites mouches presque invisibles voletant d’un calice à l’autre. (s.f.)
    Jouissance de l’image candide présent de l’aube dans la plus simple tradition picturale du XVIIIe siècle, baignant de lumière deux corbeilles de pommes déposées devant la porte par la voisine – synecdoque du visage féminin à peine esquissé, rouges et rondes […], telles des joues,de toutes petites mouches presque invisibles volètent d’un calice à l’autre, insinuant la pertinence sémique au sein du complexe métaphorique deuil / nature morte / mouches. Pour rappel, une « mouche » à cette époque, désigne également le petit morceau de taffetas noir que les femmes se posaient sur la peau, de façon à en rehausser la blancheur pour mieux attirer le regard.




           Séquence n+1 – femme-paysage enchaîné/fondu extérieur jour

         Métamorphoses
    Il faudra toujours se rendre à l’évidence que sous ce grand lit, ce grand drap défait et un peu plissé de neige presque sans macules, ce sont seulement les signes finalement illisibles, sans attributs, et sans espoir de fonte, et tout à fait trompeurs, peut-être d’un désastre – mais le pire ne serait jamais atteint – peut-être d’un drame – mais cela existe-t-il dès lors qu’il n’y a pas de pendant ? – peut-être, après tout, d’un ravissement ou du moins d’une délivrance, d’un apaisement ou de rien. […]
    Transposition iconique et tout à la fois érotique du lit, du drap défait plissé de neige et des signes illisibles et trompeurs, du désastre – drame « le fading de l’autre, quand il se produit, m’angoisse [écrira Barthes à ce sujet] parce qu’il semble sans cause et sans terme. Tel un mirage triste, l’autre s’éloigne, se reporte à l’infini et je m’épuise à l’atteindre (Fragments d’un Discours amoureux, op. cit. supra, page 129). Signes illisibles et trompeurs parce qu’il pourrait aussi bien s’agir d’un ravissement aussi, moins d’une délivrance, d’un apaisement ou de rien, poursuit le narrateur.
    À moins qu’il fût question ici de quelque chose qui tout simplement transporte ou transit, à croire presque qu’on aime ce qu’il y a, peut-être la nature (mais la nature et le dire étant deux choses distinctes, depuis toujours), que cela permit juste de dire pour que rien ne soit ce qui est et pour être ainsi, un peu du moins, ne serait-ce que ce dire, en son sein même et par là tout à la fois et l’absence de tout, y compris l’ouverture de l’absence, et cette articulation de l’un et de l’autre […].(s. f., in « (Note de la fin) »)
    Lyrisme amoureux poussé à son point de plus vive incandescence à croire presque qu’on aime ce qu’il y a, peut-être la nature […] ou ne serait-ce que ce dire, en son sein même, là ou tu n’es pas, et par là tout à la fois et l’absence de tout, y compris l’ouverture de l’absence, et cette articulation de l’un et de l’autre.



         Séquence n+1 – scène enchaîné/fondu intérieur jour

         Métaphores



    Si l’écriture, peut-être bien, ne compense pas, rien, ne sublime pas – à la fois trop et trop peu –, c’est que les différentes sphères du langage, à la fois poétique et cinématographique, s’accommodent en revanche assez bien du défaut de parole, d’un grand silence.


    Où qu’il fût question d’autre chose encore, à savoir d’une langue orpheline, ou d’autre chose encore que d’une langue, d’un grand silence, mais sans qu’il y eût une langue adjointe à lui, cette fois-ci, (ces deux qui partout vont de pair et de concert), ou d’autre chose encore qui, ou quoi, sans rien dire, suffirait incompréhensiblement à se dire et à se taire, se recouvrant, sachant – sans savoir à vrai dire – […](s.f., in « (Note de la fin) »)
    Union ici non plus « célibataire » seulement comme avait pu l’évoquer le poète au début du recueil, mais langue désormais « orpheline » – et silence infiniment commenté de la relation amoureuse, silence de l’image qu’on scrute, de l’autre qu’on désire « je te désire » et de cette activité de discours désirante, du langage enfin comme une peau.
    Le langage est une peau [écrivait aussi Barthes à ce propos] : je frotte mon langage contre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. L’émoi vient d’un double contact : d’une part, toute une activité de discours vient relever discrètement, indirectement, un signifié unique, qui est « je te désire », et le libère, l’alimente, le ramifie, le fait exploser (le langage jouit de se toucher lui-même) ; d’autre part, j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j’entretiens ce frôlage, je me dépense à faire durer le commentaire auquel je soumets la relation (Fragments d’un Discours amoureux, op. cit. supra, page 87).


        &nbsp   Séquence nième – scène extérieur jour

           Ile d’Yeu, ou Belle-Île



    Dire que le ciel était bleu. Impossible. Dire les yeux impossible, le blanc rougi, la pulpe tumescente. Yeux de biche jadis, impossible. À taire donc. Qu’on n’entre pas ici. Dire que jadis. Dire impossible (extrait, s.f.). Fascination et question de « vision », de révélation, à l’égard de cette femme, elle, apparue dans la perspective à l’incipit du recueil, de son corps – visage, cils, ongles, orteil, lèvres, grain de peau –, bribes de corps également perçues derrière les dormants d’une fenêtre très haute, pour voir et ne pas voir, dans une autre chambre très haute qui aurait abrité l’atelier de Michel-Ange (un peu plus loin dans le recueil).


    Dans ces Notes Laura Fiori, l’attention de Martin Ziegler reste constante à l’égard de l’image et de la structuration complexe du tissu métaphorique assurant le fondu/enchaîné des séquences entre elles, page à page, petites épiphanies multiples et comme lentement préparées – ou soudain fulgurantes comme ici, à l’excipit, celle de l’aube.
    De la baie battue par les bourrasques de pluie mêlée d’un peu de neige au banc, gris cendre, presque blanc quand la lune par intermittence perce. D’un souffle. Malgré la pluie et jusqu’à ce qu’elle cesse, et au-delà. Au frêne scintillant de ses bourgeons noirs, aux rosiers nus, aux nombreux oiseaux, merles, vanneaux, pies, geais, mésanges, au fermier qui saute d’un sillon à l’autre, le jeune soleil, comme souverain, sans la moindre tache d’aube, révèle la scène. (s.f., excipit du recueil)
    Cet ultime détail de « la scène » qui aussi devient à la fois « point de conjonction » et « point de fuite », du récit et de ses métamorphoses poétiques ou filmiques.
    Moment de l’affirmation [avancerons-nous avec Barthes enfin] j’ai été comblé (tous mes désirs abolis par la plénitude de leur satisfaction) : le comblement existe, et je n’aurai de cesse de le faire revenir : à travers tous les méandres de l’histoire amoureuse, je m’entêterai à vouloir retrouver, renouveler, la contradiction – la contraction – des deux étreintes (Fragments d’un Discours amoureux, op. cit. supra, page 122).



    Déborah Heissler
    D.R. Texte Déborah Heissler





    MARTIN ZIEGLER


    Martin-ziegler-rouge
    Source



    ■ Martin Ziegler
    sur Terres de femmes

    écrire la mère vide (extrait de Foery)
    Pan de route rompue (extrait de Notes Laura Fiori)
    Ô ter abcède de Martin Ziegler, par Déborah Heissler
    depuis seul
    moments



    ■ Déborah Heissler
    sur Terres de femmes

    « Des pas dans la neige » (poème extrait de Sorrowful Songs)
    Sorrowful Songs (note de lecture d’AP)
    Près d’eux, la nuit sous la neige (note de lecture d’AP)
    La protection des pierres (extrait de Près d’eux, la nuit sous la neige)
    sur l’herbe sèche ce jour
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    loin (extrait de Comme un morceau de Nuit, découpé dans son étoffe)
    → (dans la galerie Visages de femmes) le poème « 
    Errance » (extrait de Près d’eux, la nuit sous la neige)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Laurence Mauguin | Libre parole





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  • Esther Tellermann | Je t’ai vu



    Noir ... calc-doine
    Ph., G.AdC






    [JE T’AI VU]



    Je t’ai vu
    de face
         un peuple
    déposera
         le noir
                     il est
         l’escale
         des navires qui
    frappent l’écume
         ouvrent
    nos univers clos
    sur le refus.
    Qui
    saura
    le mauve de la pierre
    iris
         et calcédoine
    la  lettre  levant
         l’arrêt
         une voix muette

    sur la voix oubliée ?




    Esther Tellermann, Contre l’épisode, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2011, page 110.






    Contre l'épisode




    ESTHER TELLERMANN


    Esther Tellermann





    ■ Esther Tellermann
    sur Terres de femmes


    Carnets à bruire
    Corps rassemblé (lecture d’AP)
    [Pour elle il voulut] (extrait de Corps rassemblé)
    Éternité à coudre (lecture d’AP)
    [Un écho un roman] (extrait d’Éternité à coudre)
    [Jours firent de toi ma teinture]
    Première version du monde (lecture d’AP)
    Sous votre nom (lecture de Matthieu Gosztola)
    [Un mot encore] (poème extrait de Sous votre nom)
    Sûrement je vous tiendrai (poème extrait de Terre exacte)
    [Je sais vous me disiez de préférer l’ombre] (poème extrait du recueil Le Troisième)
    [Puis se ferme | la porte] (poème extrait d’Un versant l’autre)
    [Onde] (poème extrait du recueil Voix à rayures)
    Voix à rayures




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la revue de littérature et de critique Le Nouveau Recueil)
    L’indécise exactitude de la terre : Esther Tellermann, par Michaël Bishop
    → (sur Remue.net)
    François Rannou / « D’où un homme est-il visible ? » | une approche de la poésie d’Esther Tellermann
    → (sur Recours au poème)
    une lecture d’Une odeur humaine d’Esther Tellermann par AP





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