Terres de Femmes

Étiquette : Venezia


  • Margherita Rimi | La carezza



    LA CAREZZA



    Mia madre dà sempre ragione a mio fratello. Il mio fratello gemello.
    Avevamo litigato ancora.
    Mi sono messa a piangere infilata sotto il tavolo. E forse neanche piangevo tanto, un po’ facevo finta. Volevo chiamare — così — mia madre. — Così — chiedevo una carezza, senza dolore fisico chiedevo una sua carezza.

    Chissà se ha mai capito che io le chiedevo una carezza.
    Chissà se ha capito e
    non sapeva farlo.



    Margherita Rimi, “Sotto il tavolo”, Nomi di cosa-Nomi di persona, Marsilio Editori, Venezia, 2015, pagina 73.







    LA CARESSE



    Ma mère donne toujours raison à mon frère. Mon frère jumeau.
    Nous nous étions encore disputés.
    Je me suis mise à pleurer cachée dessous la table. Peut-être que je ne pleurais pas vraiment, je faisais un peu semblant. Je voulais —  de cette manière — appeler ma mère. Ma manière à moi de quémander une caresse, sans douleur véritable je quémandais une caresse.

    Qui sait si elle a jamais compris que je lui demandais une caresse.
    Qui sait si elle a compris et puis
    elle ne savait pas faire ça.


    Traduction inédite d’Angèle Paoli






    Margherita Rimi, Nomi di cosa-Nomi di persona







    MARGHERITA  RIMI


    Margherita Rimi 3
    Ph. © Dino Ignani
    Source





    ■ Margherita Rimi
    sur Terres de femmes


    Nero (extrait des Voci dei bambini)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur LaRecherche.it)
    une notice bio-bibliographique (en italien) sur Margherita Rimi
    → (sur Poesia de Luigia Sorrentino)
    une recension (en italien) de Nomi di cosa-Nomi di persona par Amedeo Anelli (+ deux autres poèmes issus de ce recueil)
    → (sur perìgeion)
    trois autres poèmes issus de Nomi di cosa-Nomi di persona






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  • Vittorio Sereni | A Venezia con Biasion



    Le dieu des eaux le dieu de la nuitImage, G.AdC






    A VENEZIA CON BIASION

    O God, what great kindness            
    have we done in times past
    …                            
    O God of the night                            
    what great sorrow              
    Cometh unto us…                 

    Ezra Pound



    Quale nostro passato valore
    dimenticato presto
    ci meritava il dono di Venezia
    della sua meraviglia ?
    Di quale gran dolore
    che tuttora ci aspetta
    ci risarciva anzitempo
    coll’essere come era Venezia ?

    A tali domande non rispondono più
    il dio delle acque il dio della notte.
    Sprofondano con le città
    sotto il nostro orizzonte.

    Col male di una domanda non fatta
    di una risposta non giunta si va
    su acque in perpetuo turbate :
    su slontananti acque nere, una notte,
    una nostra Venezia congetturando tra quelle luci rade.

    Ma viene con le sue conchiglie
    col suo sasso marino
    il sempreragazzo il tuoterrestre Biasion.
    A sostentare capitelli, a spaziare gabbiani.
    Non ama ― si dice ― in verticale
    spendersi, ma questo
    è poi vero ? Svetta
    su profili slabbrati
    su tramontanti cupole e cuspidi
    la spiga del suo pane solare.






    À VENISE AVEC BIASION

    O God, what great kindness            
    have we done in times past
    …                            
    O God of the night                            
    what great sorrow              
    Cometh unto us…                 

    Ezra Pound



    Lequel de nos mérites passés
    oublié bientôt
    nous valait le don de Venise
    de sa merveille ?
    De quelle grande douleur
    qui toujours nous attend
    nous dédommageait d’avance
    avec ce qu’elle était Venise ?

    À ces questions ne répondent plus
    le dieu des eaux le dieu de la nuit.
    Ils sombrent avec les villes
    sous notre horizon.

    Avec le mal d’une question non posée
    d’une réponse non parvenue on va
    sur des eaux noires qui s’éloignent, une nuit,
    conjecturant une Venise nôtre parmi ces rares lumières.

    Mais vient avec ses coquillages
    avec son caillou marin
    le toujours enfant le tout-terrestre Biasion.
    Souvenir des chapiteaux, mouvoir des mouettes.
    Il n’aime pas, ― dit-on ― se dépenser
    à la verticale, mais est-ce
    bien vrai ? Pointe
    sur des profils ébréchés
    sur des coupoles et des flèches en déclin
    l’épi de son pain solaire.



    Vittorio Sereni, Étoile variable, II, Verdier, Collection « Terra d’altri », 1987, pp. 52-53-54-55. Édition bilingue. Traduction de Philippe Renard et de Bernard Simeone. Préface de Franco Fortini.





    VITTORIO SERENI


    VITTORIO SERENI




    ■ Vittorio Sereni
    sur Terres de femmes

    Je traduisais Char, IV (autre poème extrait de Étoile variable)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Verdier) la fiche de l’éditeur sur Étoile variable (+ extraits de presse)





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  • e.e. Cummings | Memorabilia



    Listen Venezia
    Ph., G.AdC






    XXVII


    MEMORABILIA




    stop look &

    listen Venezia*: incline thine
    ear you glassworks
    of Murano;
    pause

    elevator nel

    mezzo del cammin’ that means half-
    way up the Campanile, believe

    thou me cocodrillo** —

    mine eyes have seen
    the glory of

    the coming of
    the Americans particularly the
    brand of marriageable nymph which is
    armed with large legs rancid
    voices Baedekers Mothers and kodaks
    —by night upon the Riva Schiavoni or in
    the felicitous vicinity of the de l’Europe

    Grand and Royal
    Danielli their numbers

    are like unto the stars of Heaven….

    i do signore
    affirm that all gondola signore
    day below me gondola signore gondola
    and above me pass loudly and gondola
    rapidly denizens of Omaha Altoona or what
    not enthusiastic cohorts from Duluth God only,
    gondola knows Cincingondolanati i gondola don’t

    —the substantial dollarbringing virgins
    “from the Loggia where
    are we angels by O yes
    beautiful we now pass through the look
    girls in the style of that’s the
    foliage what is it didn’t Ruskin
    says about you got the haven’t Marjorie
    isn’t this wellcurb simply darling”
    —O Education:O

    thos cook & son

    (O to be a metope
    now that triglyph’s here) ***




    Edward Estlin Cummings, Memorabilia, in is 5, Complete Poems 1904-1962, edited by George J. Firmage, New York, Liveright Publishing Corporation, centennial edition publishing 1994, page 254.







    I


    MEMORABILIA




    arrête regarde &

    écoute Venezia : prêtez-moi
    l’oreille verreries
    de Murano ;
    un temps
    ascenseur nel
    mezzo del cammin’ ça veut dire à mi-
    hauteur du Campanile, crois-

    m’en cocodrillo —

    j’ai vu de mes yeux
    la gloire de

    la venue
    des Américaines en particulier le
    modèle nymphe à marier
    équipé de grosses guibolles voix
    rance Baedeker Maman et kodak
    — la nuit sur la Riva degli Schiavoni ou dans
    les bienheureux parages des de l’Europe

    Grand et Royal
    Danieli aussi

    nombreuses que les étoiles du Paradis…

    ça oui signore
    j’atteste que toute la gondola signore
    journée dessous moi gondola signore gondola
    et dessus moi passent bruyamment et gondola
    rapidement citoyenne d’Omaha Altoona ou quoi
    d’autre en cohortes fanatiques venues de Duluth Dieu seul,
    gondola le sait Cincingondolanati moi gondola pas

    — les consistantes vierges bourrées de dollars

    “depuis la Loggia où
    sommes-nous des anges là Oh oui
    magnifique nous traversons à présent le regardez
    les filles dans le goût de ce sont des
    rinceaux qu’est-ce que c’est n’as-tu pas Ruskin
    en parle t’a pris le non l’ai oublié Marjorie cette
    margelle n’est-elle pas simplement adorable”
    — Ô Education : Ô

    thomas cook & fils

    (Ô être un métope
    maintenant que triglyphe est là)




    e.e. Cummings, Memorabilia in revue Grumeaux, numéro deux — L’impossible, Éditions Nous, novembre 2010, pp. 316-317. Traduction inédite de Jacques Demarcq.




    ____________________________________________
    Notes d’AP :

    * Ce poème a été écrit au lendemain du voyage de e.e. Cummings à Venise (fin juillet 1922)
    * * Allusion au crocodile que foule au pied saint Théodore en haut d’une des deux colonnes de la piazzetta San Marco
    *** Parodie des premiers vers de « Home Thoughts, from Abroad » de Robert Browning : « Oh to be in England | Now that April’s there. »





    ■ e.e. Cummings
    sur Terres de femmes

    Beautiful
    [goodby Betty, don’t remember me]
    [my lady is an ivory garden]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site American Poems) une
    bio-bibliographie d’e.e. Cummings (+ un choix de 153 poèmes)
    → (sur scribd.com)
    l’intégralité des poèmes d’e.e. Cummings
    → (sur le site de la revue de traduction Palimpsestes)
    Antoine Cazé, « E. E. Cummings : (dé)composition d’adjectifs, inventivité linguistique et traduction », Palimpsestes [En ligne], 19 | 2007, mis en ligne le 01 janvier 2009, consulté le 19 janvier 2012
    le site des éditions NOUS





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  • 13 mars 1888 | Naissance de Paul Morand

    Éphéméride culturelle à rebours

    Topique : Venise



    Le 13 mars 1888 naît rue Marbeuf, à Paris, Paul Morand. Diplômé en Sciences politiques, Morand mène de pair sa carrière de diplomate et d’homme de lettres. Auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, Morand, peintre de la vie moderne, excelle dans la nouvelle. En 1971, Morand publie Venises, « portrait d’un homme dans mille Venises ».






    Gatto Venezia







    1963.

    Serenata a tre.

    196…



    Cette Piazzetta me rappelle quelque chose…
    Une déconvenue d’autrefois, une mésaventure qui dormait ici, pas réveillée par la mémoire, depuis des années… Je ne l’évoque que parce qu’elle me paraît prendre, après si longtemps, valeur de symbole.

    Ces chats vénitiens ne se dérangent jamais, eux non plus, n’ayant rien à redouter des voitures ; ce que je reproche aux chats, c’est de ne jamais dire bonjour. Les chats vénitiens ont l’air de faire partie du sol ; ils n’ont pas de collerette ; leur ventre est un biniou dégonflé, dans cette cité sans arbres ils ne savent plus grimper ; ils sont dégoûtés de la vie, car il y a trop de souris, trop de pigeons.

    Voici l’un d’entre eux, peint à l’extérieur de cette petite maison. Je pense au Tintoret, au Giorgione qui ont commencé leur vie comme peintres de façades…

    J’y suis… Tant d’années en arrière…

    Séduisante C… Même de son fantôme je reste dupe ! Qui ne suborne-t-il pas, outre-tombe ? En me ravissant, C… ne corrompait certes pas l’innocence, mais que de fois je l’avais quittée, furieux du désordre où elle laissait mon cœur ; plus furieux encore lorsque son retour suffisait à anéantir tout ressentiment.

    Comment l’expliquer ? Un port de tête insolent, énigmatiques ses prunelles jaunes comme le cœur de l’agate, défiant, son nez aux narines vibrantes, impétueux ses cheveux, comme un incendie qu’aucun chapeau ne pourrait étouffer. Les siècles se mêlaient en elle, fière comme la Renaissance, frivole comme le baroque. Impériale et revendeuse ; une sibylle et une fillette.

    Elle voyagea toute sa vie, à l’intérieur même de Venise, logeant une année chez des patriciens, l’autre saison chez les enfileuses de perles ou chez les bateliers de la Giudecca. Elle, qui n’ouvrit jamais un livre, d’où recevait-elle une culture qui était parfois érudition ? Ce n’est pas aujourd’hui que l’on aura la clé de cette belle énigme de chair.

    Si succulente que sa seule présence était un véritable attentat aux mœurs. Très grande, elle vous examinait de haut, en connaisseuse, jusqu’au fond ; on sentait qu’on aurait beau la mettre sur le dos, comme un crabe, elle vous pincerait encore, qu’elle ne demanderait jamais grâce, se prêtant toujours, ne se donnant jamais.

    Voilà ce qui me rappelait soudain la petite maison de la Piazzetta, et le chat peint a tempera sur le cartouche.

    ― Venez ce soir, après dîner… Vous n’entrerez pas par la porte d’eau, c’est trop voyant. Passez par-derrière, le campo est toujours désert.

    Le soir, l’huis entrebâillé. Le salon vide…

    Si elle s’était ravisée, C… n’eût pas laissé la maison ouverte ; elle m’attendait, me souhaitait, était fidèle (comme on dit) au rendez-vous. J’allai droit à la chambre à coucher, comme le gourmand à la cuisine. Verrou tiré.

    ― C…, c’est moi !

    Je la sentais derrière cette porte.

    Je regardai par le trou de la serrure ; une chemise le bouchait. C… aimait faire des niches, je la savais taquine, aussi. Pourquoi me laisser sur ma faim ?

    L’oreille à l’embrasure, les mains sur le marbre froid du chambranle. Je retiens mon souffle : elles sont deux. Je les entends qui se contentent ; les plaisirs de la porte ; ce lapement, ce n’est pas l’eau qui lèche le seuil de la maison… J’eus droit à toute la gamme, jusqu’au couinement du lapin enlevé par le rapace…

    Ensuite ce fut le silence, le suspens absolu. Je frappai, espérant qu’il ne s’agissait que d’un lever de rideau, sachant C… plutôt partageuse. Rien.

    Chaque minute me faisait plus sot, plus seul, plus exclu.

    Ce soir, à mon grand déçu, la porte ne s’est pas ouverte ; partout l’Industrie l’emporte sur le Labour…

    Je ne connus jamais ce secret d’un soir. Plus tard, j’entendis parler d’une histoire de famille, entre cousines. Qui avait exigé cette porte close ? C…, par méchanceté ? L’autre, par jalousie, par pudeur, par goût du secret ? Ou était-ce l’Homme, en ma personne, au pilori ?

    Les deux sont mortes ; elles gémissent ailleurs, accumulant les enfers. Au-dessus de l’entrée de la petite maison, je retrouve le cartouche sur la façade peinte à la détrempe : on y voit un chat, convoitant deux harengs saurs…



    Paul Morand, Venises [1971], Éditions Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1983, pp. 173-176.






    Venezia
    Source






    PAUL MORAND


    Paul Morand
    Source



    ■ Paul Morand ▼

    11 juillet 1914 | Lettre de Paul Morand à sa mère
    Paul Morand | Baisers



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’Académie française) la
    fiche biographique de Paul Morand
    → (sur fabula.org)
    Longévité de Paul Morand, par Patrick Bergeron
    → (sur Terres de femmes) la Topique Venise dans l’Index de mes Topiques





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  • Étape à San Clemente

    « Venezia 83 (VI) »



    Depardon3_1
    Raymond Depardon © San Clemente,
    Venezia, 1984
    Source





    ÉTAPE À SAN CLEMENTE


        Ils voulurent se rendre sur l’île San Giorgio. Grimper en haut du campanile pour embrasser le spectacle enchevêtré de la cité lacustre et de ses canaux. La Sérénissime. Etait-elle si sereine que cela, la ville qui continuait de s’enfoncer, inexorable, dans le sable et le déclin ! La chiesa San Giorgio apparut, sortie des brumes que le soleil hivernal avait du mal à transpercer. Ils virent le corps élancé du campanile se dresser devant eux. Soudain il fut tout près. Ils longèrent à nouveau des quais. Le vaporetto continua sa route. Sans s’arrêter. Où allait-il ainsi ? Qu’y avait-il après ? Ils ne tardèrent pas à s’apercevoir que l’arrêt suivant portait un autre nom. Le nom d’un autre saint. Celui de San Clemente. Présence absente de Depardon. À qui ils n’avaient pourtant pas eu l’intention de rendre visite. Le vaporetto était vide. Ils étaient seuls. Mais puisqu’ils étaient là, autant descendre sur le ponton.





    Ponton_3_bis





        Elle se souvient de la douceur du soleil sur sa peau. Elle se souvient aussi que cet instant de plaisir fut aussitôt effacé par l’étonnement et la terreur dont elle fut la proie. Elle avait devant elle des visages d’un autre monde. Qui l’attendaient pour l’accueillir. Des visages pareils à ceux qu’ils avaient eu l’occasion de voir dans les tableaux de Jérôme Bosch. Des visages grimaçants ouvrant sur des bouches à chicots. Défigurés par des sourires tordus. Des visages émaciés, creusés de rides. Des regards figés de grotesques. Des hommes et des femmes sans âge aux gestes désarticulés, aux grognements indéchiffrables. Ils étaient bien à San Clemente. L’île des fous. Entourée d’arbres, la belle bâtisse de l’asile déployait ses remparts. Elle se souvient de cette peur incontrôlable qui la prit lorsqu’elle se vit entourée de ces êtres informes. Elle aurait voulu battre en retraite, s’échapper. Pour aller où ? Lui, restait imperturbable. C’était sa façon à lui de désarçonner l’autre, de lui faire perdre contenance. Il jouait la carte de l’indifférence placide. Sa tactique était efficace. Il avait découragé les plus importuns, les plus agressifs. Mais elle, ils étaient tous autour d’elle, agglutinés les uns aux autres pour essayer de l’approcher, de la toucher. Ils lui adressaient des airs suppliants auxquels elle ne savait répondre. Elle se pressait contre les épaules solides de son amie dont elle connaissait la flexibilité des muscles. Et les réflexes. Elle la savait experte en sports de combat, capable de décocher d’une détente de jambe, un coup de pied qui pouvait atteindre l’autre au menton. Pour cela aussi, elle l’admirait. Elle lui enviait son indépendance de garçonne, sa force féline qui lui assurait en tout lieu et à toute heure une sécurité dont elle-même se savait totalement dépourvue. Elle faisait corps avec elle et sentir si proche le tressaillement de ses muscles suffisait à la rassurer. Du reste le vaporetto était là, elle ne risquait rien. La vie allait reprendre sa normalité ordinaire, sans histoire. Ils grimpèrent en hâte et se calèrent dans le fond du petit vapeur afin d’éviter les quelques passagers échappés à la surveillance de San Clemente. Ces visages, elle les avait pourtant déjà vus quelque part ! C’était ceux d’Affreux, sales et méchants. Brutti, sporchi e cattivi. Leurs grimaces lui revenaient en mémoire. Peut-être Ettore Scola était-il venu ici, à San Clemente, pour un casting de figurants rares, introuvables ailleurs ! Le vaporetto s’était ébranlé en direction de San Giorgio. C’est du moins ce qu’ils espéraient sans se le dire. Le soleil était haut dans le ciel et la brume continuait de se dissiper. La journée recouvrait ses forces dans les eaux glauques et profondes de la lagune.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



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