Terres de Femmes

Étiquette : prix Goncourt


  • 10 décembre 1919 | Marcel Proust, Prix Goncourt

    pour À l’ombre des Jeunes Filles en fleurs

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 10 décembre 1919, le prix Goncourt est décerné à Marcel Proust pour À l’ombre des Jeunes Filles en fleurs, second livre d’À la recherche du temps perdu.






    Marcel Proust
    Image, G.AdC






    PREMIÈRE PARTIE,

    AUTOUR DE MME SWANN
    (EXTRAIT)




    Mme Swann m’avait écrit quelques jours auparavant de venir déjeuner « en petit comité ». Il y avait pourtant seize personnes, parmi lesquelles j’ignorais absolument que se trouvât Bergotte. Mme Swann qui venait de me « nommer » comme elle disait à plusieurs d’entre elles, tout à coup, à la suite de mon nom, de la même façon qu’elle venait de le dire (et comme si nous étions seulement deux invités du déjeuner qui devaient être chacun également contents de connaître l’autre), prononça le nom du doux Chantre aux cheveux blancs. Ce nom de Bergotte me fit tressauter comme le bruit d’un revolver, qu’on aurait déchargé sur moi, mais instinctivement pour faire bonne contenance je saluai ; devant moi, comme ces prestidigitateurs qu’on aperçoit intacts et en redingote dans la poussière d’un coup de feu d’où s’envole une colombe, mon salut m’était rendu par un homme jeune, rude, petit, râblé et myope, à nez rouge en forme de coquille de colimaçon et à barbiche noire. J’étais mortellement triste, car ce qui venait d’être réduit en poudre, ce n’était pas seulement le langoureux vieillard dont il ne restait plus rien, c’était aussi la beauté d’une œuvre immense que j’avais pu loger dans l’organisme défaillant et sacré que j’avais comme un temple construit expressément pour elle, mais à laquelle aucune place n’était réservée dans le corps trapu, rempli de vaisseaux, d’os, de ganglions, du petit homme à nez camus et à barbiche noire qui était devant moi. Tout le Bergotte que j’avais lentement et délicatement élaboré moi-même, goutte à goutte, comme une stalactite, avec la transparente beauté de ses livres, ce Bergotte-là se trouvait d’un seul coup ne plus pouvoir être d’aucun usage du moment qu’il fallait conserver le nez en colimaçon et utiliser la barbiche noire ; comme n’est plus bonne à rien la solution que nous avions trouvée pour un problème dont nous avions lu incomplètement la donnée et sans tenir compte que le total devait faire un certain chiffre. Le nez et la barbiche étaient des éléments aussi inéluctables et d’autant plus gênants que, me forçant à réédifier entièrement le personnage de Bergotte, ils semblaient encore impliquer, produire, sécréter incessamment un certain genre d’esprit actif et satisfait de soi, ce qui n’était pas de jeu, car cet esprit-là n’avait rien à voir avec la sorte d’intelligence répandue dans ces livres, si bien connus de moi et que pénétrait une douce et divine sagesse. En partant d’eux, je ne serais jamais arrivé à ce nez en colimaçon ; mais en partant de ce nez qui n’avait pas l’air de s’en inquiéter, faisait cavalier seul et « fantaisie », j’allais dans une tout autre direction que l’œuvre de Bergotte, j’aboutirais, semblait-il à quelque mentalité d’ingénieur pressé, de la sorte de ceux qui quand on les salue croient comme il faut de dire : « Merci et vous » avant qu’on leur ait demandé de leurs nouvelles et si on leur déclare qu’on a été enchanté de faire leur connaissance, répondent par une abréviation qu’ils se figurent bien portée, intelligente et moderne en ce qu’elle évite de perdre en de vaines formules un temps précieux : « Également ». Sans doute, les noms sont des dessinateurs fantaisistes, nous donnant des gens et des pays des croquis si peu ressemblants que nous éprouvons souvent une sorte de stupeur quand nous avons devant nous au lieu du monde imaginé, le monde visible (qui d’ailleurs, n’est pas le monde vrai, nos sens ne possédant pas beaucoup plus le don de la ressemblance que l’imagination, si bien que les dessins enfin approximatifs qu’on peut obtenir de la réalité sont au moins aussi différents du monde vu que celui-ci l’était du monde imaginé). Mais pour Bergotte la gêne du nom préalable n’était rien auprès de celle que me causait l’œuvre connue, à laquelle j’étais obligé d’attacher, comme après un ballon, l’homme à barbiche sans savoir si elle garderait la force de s’élever. Il semblait bien pourtant que ce fût lui qui eût écrit les livres que j’avais tant aimés, car Mme Swann ayant cru devoir lui dire mon goût pour l’un d’eux, il ne montra nul étonnement qu’elle en eût fait part à lui plutôt qu’à un autre convive, et ne sembla pas voir là l’effet d’une méprise; mais, emplissant la redingote qu’il avait mise en l’honneur de tous ces invités, d’un corps avide du déjeuner prochain ayant son attention occupée d’autres réalités importantes, ce ne fut que comme à un épisode révolu de sa vie antérieure, et comme si on avait fait allusion à un costume du duc de Guise qu’il eût mis une certaine année à un bal costumé, qu’il sourit en se reportant à l’idée de ses livres, lesquels aussitôt déclinèrent pour moi (entraînant dans leur chute toute la valeur du Beau, de l’univers, de la vie) jusqu’à n’avoir été que quelque médiocre divertissement d’homme à barbiche. Je me disais qu’il avait dû s’y appliquer, mais que s’il avait vécu dans une île entourée par des bancs d’huîtres perlières, il se fût à la place livré avec succès au commerce des perles. Son œuvre ne me semblait plus aussi inévitable. Et alors je me demandais si l’originalité prouve vraiment que les grands écrivains soient des Dieux régnant chacun dans un royaume qui n’est qu’à lui, ou bien s’il n’y a pas dans tout cela un peu de feinte, si les différences entre les œuvres ne seraient pas le résultat du travail, plutôt que l’expression d’une différence radicale d’essence entre les diverses personnalités.

        Cependant on était passé à table. À côté de mon assiette je trouvai un billet dont la tige était enveloppée dans du papier d’argent. Il m’embarrassa moins que n’avait fait l’enveloppe remise dans l’antichambre et que j’avais complètement oubliée. L’usage, pourtant aussi nouveau pour moi, me parut plus intelligible quand je vis tous les convives masculins s’emparer d’un billet semblable qui accompagnait leur couvert et l’introduire dans la boutonnière de leur redingote. Je fis comme eux avec cet air naturel d’un libre penseur dans une église, lequel ne connaît pas la messe, mais se lève quand tout le monde se lève et se met à genoux un peu après que tout le monde s’est mis à genoux. Un autre usage inconnu et moins éphémère me déplut davantage. De l’autre côté de mon assiette il y en avait une plus petite remplie d’une matière noirâtre que je ne savais pas être du caviar. J’étais ignorant de ce qu’il fallait en faire, mais résolu à n’en pas manger.

        Bergotte n’était pas placé loin de moi, j’entendais parfaitement ses paroles. Je compris alors l’impression de M. de Norpois. Il avait en effet un organe bizarre ; rien n’altère autant les qualités matérielles de la voix que de contenir de la pensée : la sonorité des diphtongues, l’énergie des labiales, en sont influencées […].



    Marcel Proust, À l’ombre des Jeunes Filles en fleurs, in À la recherche du temps perdu, Bibliothèque de La Pléiade, Éditions Gallimard, 1954, pp. 547-548. Texte établi par Pierre Clarac et André Ferré.





    ■ Marcel Proust
    sur Terres de femmes


    10 juillet 1871 | Naissance de Marcel Proust
    11 décembre 1921 | Mort de Robert de Montesquiou-Fézensac (+ extrait d’À l’ombre des Jeunes Filles en fleurs)
    1er janvier 1923 | « Hommage à Marcel Proust
    21 juin 1927 | La comtesse Greffulhe et Anna de Noailles
    27 juin 1945 | Nomination de Reynaldo Hahn à la direction de l’Opéra de Paris
    13 février 1991 | Marie de Benardaky à l’Orangerie de L’Hôtel Sully


    ■ Voir aussi ▼

    Marcel Proust Le site (en italien) de Gabriella Alù, le site de référence sur Marcel Proust
    → (sur The Kolb-Proust Archive for Research)
    liens vers Textes électroniques et sites sur Marcel Proust




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  • 28 octobre 2002 | Pascal Quignard, Prix Goncourt 2002

    Éphéméride culturelle à rebours


    Lecture d’Angèle Paoli



        Il y a dix ans, le 28 octobre 2002, le prix Goncourt était décerné à Pascal Quignard. Pour Les Ombres errantes, premier volet du Dernier Royaume (qui compte en 2012 sept volumes).







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    Source






    QU’EST-CE QUE LIRE SINON ERRER ?


        Ni roman ni essai, Les Ombres errantes dérangent. Les fantômes qui surgissent au détour des chapitres, appartiennent à un passé qui échappe à la plupart des mémoires d’aujourd’hui. Certains noms renvoient à de lointaines origines franques, noms que l’on croyait à jamais perdus. Sous la plume de Pascal Quignard, Chalaric, Alaric, Childéric ressurgissent du Léthé où ils étaient engloutis. Et dans leur suite, le roi Chlodovecchus. Clovis. Ou celui, étrangement doux, de la reine Basine. D’autres, comme Monsieur de Saint-Cyran ou Mademoiselle de Joncoux, renvoient à un passé plus récent dont le mystère pourtant, reste enclos sur lui-même. Il faut entreprendre des recherches, creuser plus avant. Suivre les pistes offertes par Pascal Quignard. Revisiter Port-Royal. Aller à la rencontre des âmes mortes. Les faire ressusciter.

        Qu’ils affleurent d’hier ou d’aujourd’hui, les royaumes qui s’esquissent au fil des pages sont des royaumes presque inconnus, presque engloutis, noyés dans des demi-brumes dont il est difficile de cerner les contours. « Il y a un autre monde », un monde de l’absence, une autre aurore. Sans lesquels toute présence au monde est impossible. Mais dans le royaume des ombres, tout se dérobe. Les personnages. Puisqu’il n’y en a pas vraiment. Et les lieux. Souvent hors de portée. Plus encore, hors du temps.

        Peut-être chez Pascal Quignard, le temps est-il à lui tout seul le personnage principal du propos… ou le seul. Le temps appartient au jadis et bien au-delà encore. Et l’auteur parle, écrit ou pense d’un « lointain intérieur » dont les résonances s’assourdissent et se fondent dans un ailleurs et dans un temps qui, bientôt, n’appartiendront plus qu’à lui seul. Car la voix de Pascal Quignard est une voix unique, une « voix de gorge » qui rejoint le silence et s’en nourrit. Un silence que l’auteur retourne comme une peau pour le faire revivre selon sa propre sensibilité.

        Lui, le lecteur, est un « nageur mort ». Qui s’est abandonné à la page de l’autre et se surprend parfois à lire et à relire telle réflexion, tirée d’un aphorisme latin et à en goûter le sublime. Tirer de la langue morte antérieure la langue qui se parle aujourd’hui, faire du nouveau à partir de l’ancien, prennent ici tout leur sens. Il y a de la jubilation à suivre la pensée de Quignard. À le suivre jusque dans sa philosophie. À s’interroger avec lui sur le « perdu » et sur le manque. Et sur le désir qui renaît de ce manque nécessaire et pacifie l’angoisse suscitée par le manque*. Parfois, au contraire, un pan entier de chapitre échappe à la compréhension du lecteur, qui se demande d’où cela parle et de quoi. Il y a de la rage dans l’air et il se pourrait bien que le lecteur impatienté refermât le livre en traitant son auteur de « gloseux ». Mais les très belles pages ne manquent pas, qui le poussent à poursuivre sa lecture et à aller au-devant des ombres qui s’égaillent d’un chapitre à l’autre. Et qui prennent corps par sa voix silencieuse et solitaire. L’ombre de l’auteur dans la page de « La Barque sur l’Yonne », toute d’attente simple et de suspension mystérieuse. Ou encore celle de l’écrivain japonais dans les belles pages consacrées à « L’ombre » qu’affectionnait Tanizaki.

        Sur le fil des pages, les ombres errantes s’adonnent à une étrange sarabande. Elles dessinent entre elles une toile mouvante, faite d’échos, de réminiscences et de contrepoints. De fuites et de resurgissements. Que le lecteur persévérant mais effrayé poursuit dans son vagabondage. Par-delà la texture d’un texte fragmenté, qui tantôt se dérobe, tantôt se livre à sa quête insatiable.

        Le lecteur devient cet errant sidéré qui se fond dans la foule innombrable des ombres qu’il s’apprête à suivre dans leur fuite. En chemin, il ré-assemble les morceaux dispersés, réajuste les figures disséminées dans l’espace du texte. Absorbé tout entier par les lambeaux de vie qu’il croise, le lecteur appartient à leur royaume. L’errance fait partie de lui-même. Qu’est-ce que lire, sinon errer ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    * Qui s’éprend de la pensée de Pascal Quignard ne peut accepter celle de Michel Onfray. L’une exclut l’autre. Viscéralement !





    ■ Pascal Quignard
    sur Terres de femmes

    Cûdapanthaka (extrait de L’Enfant d’Ingolstadt)
    Boutès (note de lecture d’AP)
    [Lancelot dit] (extrait des Désarçonnés)
    Medea (note de lecture d’AP)
    Les kami (extrait de L’Origine de la danse)
    Villa Amalia (note de lecture d’AP)
    23 avril 1948 | Naissance de Pascal Quignard (Villa Amalia, extrait)





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  • 3 décembre 1951 | Julien Gracq refuse le Prix Goncourt

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 3 décembre 1951, Julien Gracq refuse le prix Goncourt, décerné par l’Académie Goncourt pour son roman Le Rivage des Syrtes.









    Julien Gracq 2
    Julien Gracq par Henri Cartier-Bresson
    D.R. Agence Magnum, 1984
    Source








        La presse s’empare de ce refus. Elle en fait « l’affaire Julien Gracq ». « Une aventure de la république des Lettres » ou encore « un chapitre savoureux de la petite histoire littéraire. »

        Publié en septembre 1951 chez José Corti, en pleine rentrée littéraire (Gracq affirme qu’on ne l’y reprendra plus !), Le Rivage des Syrtes est reçu de façon très élogieuse par la critique qui multiplie approches et analyses autour du mystère de ce roman. Dès novembre, le bruit court que Julien Gracq est pressenti par l’Académie pour recevoir le Goncourt. L’auteur, lui, n’en croit rien, qui a publié quelques mois auparavant La Littérature à l’estomac (1950), un pamphlet dans lequel Julien Gracq dénonce les « us, abus et absurdités de la foire aux lettres ». Pour cette raison, il se croit définitivement hors concours. Pourtant les bruits se faisant très insistants, il se décide à écrire au rédacteur en chef du Figaro littéraire, Maurice Noël, qui publie sa lettre le 28 novembre. La voici :




         « Cher Monsieur,

    « Je n’ai pas prêté une attention vive aux premiers échos – parus dans Le Figaro et Le Figaro littéraire et ailleurs – qui faisaient état de mes « chances » pour le prix de fin d’année. La position que j’avais prise l’an dernier au sujet des compétitions littéraires dans un article La littérature à l’estomac (dont Le Figaro littéraire avait reproduit des extraits) tout autant qu’elle les rendait invraisemblables me paraissait leur opposer d’avance un démenti suffisant : on ne s’attendait tout de même pas à ce que j’aie changé d’avis en quelques mois. Mais ces échos se multiplient et se précisent et j’ai de bonnes raisons de ne plus leur refuser aujourd’hui un caractère sérieux. Dès lors, ceux qui me lisent ne comprendraient pas que je ne m’explique pas brièvement, mais publiquement à ce sujet. Non seulement je ne suis pas, et je n’ai jamais été, candidat, mais, puisqu’il paraît que l’on n’est pas candidat au prix Goncourt, disons pour mieux me faire entendre que je suis, et aussi résolument que possible, non candidat. Je ne redirai pas des raisons que j’ai dites longuement en leur temps. Je ne tiens pas à me poser en champion publicitaire de la vertu : cela ne me serait pas agréable. Je ne nie nullement non plus que certains suffrages sincères, dans un jury comme ailleurs, puissent me faire plaisir. Mais, tout de même, je ne veux pas qu’on pense qu’après avoir sérieusement détourné peut-être quelques jeunes (peu nombreux, qu’on se rassure) de la conquête des prix littéraires, je songe maintenant à la dérobée à me servir. Je ne m’en prends pas spécialement au prix Goncourt. Je m’en prends à lui moins qu’aux autres, du fait que longtemps, il fut le seul. Deux ou trois prix littéraires, passe encore si on y tient – deux ou trois cents (le nombre sera dépassé la semaine prochaine) cela devient un trait déplaisant de « mœurs indigènes » sur lequel tout le monde au fond est d’accord, sans toujours l’avouer. Je persiste à penser qu’il n’y a plus aucun sens à se prêter de loin ou de près à quelque compétition que ce soit et qu’un écrivain n’a rien à gagner à se laisser rouler sous cette avalanche.
    Je m’excuse d’être obligé de revenir sur un sujet avec lequel je croyais en avoir fini. Avouez qu’au moins ce n’est pas de ma faute : il semble qu’en cette matière il soit bien difficile de se faire entendre clairement.
    Agréez, cher Monsieur, etc. »

    JULIEN GRACQ.    


        À quoi Le Figaro littéraire rajoute la note suivante, en guise de mise au point :
    « Il n’y pas de candidature au prix. Il n’y a donc pas, non plus, de « non candidature ». Nous couronnerons l’auteur du livre que nous choisissons selon les prescriptions du testament d’Edmond de Goncourt et sans autre considération… »

        Le 29 novembre, Les Nouvelles littéraires publient une interview de Julien Gracq par André Bourin et titrent :
    « Si on me donnait le prix Goncourt, je ne pourrais faire autrement que de refuser. »

        Trois jours plus tard, l’Académie Goncourt décerne son prix au Rivage des Syrtes, et ce, dès le premier tour de scrutin. Par six voix contre trois. Celles de Gérard Bauër, André Billy, Colette, Philippe Hériat, Pierre Mac Orlan et Raymond Queneau. Dans le clan adverse, celles d’Alexandre Arnoux, Francis Carco et Roland Dorgelès. »


    Notes pour partie extraites du volume I des Œuvres de Julien Gracq, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1989, page 1360.






    Julien Gracqq  Le Rivage des Syrtes





    ■ Julien Gracq
    sur Terres de femmes


    27 juillet 1910 | Naissance de Julien Gracq
    1er novembre 1917 | Julien Gracq, Le Roi Cophetua
    25 avril 1949 | Julien Gracq au Théâtre Montparnasse
    19 février 1977 | Julien Gracq, Les Eaux étroites
    29 juin | Julien Gracq, Un beau ténébreux
    Instants (extraits de Nœuds de vie)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Corti)
    Julien Gracq
    le site de la Maison Julien Gracq
    → (sur le site de l’INA)
    un extrait du Journal télévisé du 3 décembre 1951





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  • 9 novembre 1972 | Prix Goncourt pour L’Épervier de Maheux de Jean Carrière

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 9 novembre 1972, Jean Carrière reçoit le Prix Goncourt pour L’Épervier de Maheux.







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    Source







    « LE PRIX GONCOURT, L’ARCHÉTYPE DE L’ARME A DOUBLE TRANCHANT »



    Déjà, en 1968, Retour à Uzès, son premier roman, avait été salué par la critique et couronné par l’Académie française. L’écrivain avait été pressenti comme un héritier de Charles-Ferdinand Ramuz, d’Henri Bosco et, plus proche de lui encore, de Jean Giono dont il avait été le secrétaire et ami.

    Nature passionnée et tragique, Jean Carrière était un homme fondamentalement déchiré. Déchirement notamment perceptible dans ses amours inconciliables entre la terre des Cévennes, au centre de ses premiers récits, et New York qui exerçait sur lui une fascination inépuisable, voire vertigineuse. C’est dans l’alternance de ces extrêmes qu’il vivait son goût de la solitude. Celle de la grande mégalopole et celle, plus rude, du Mont Aigoual (Saint-Sauveur-Camprieu). Près duquel il s’était replié, dans les vignes de sa propriété de Domessargues, entre Anduze et Uzès.

    En hommage à mon cousin, Jean Carrière (Paoli par sa mère, Andrée Paoli, fille de Toussaint Paoli, originaire de mon village du Cap-Corse), né le 6 août 1928 à Nîmes* et décédé à Domessargues le 8 mai 2005, la page (ci-dessous) extraite de L’Épervier de Maheux, ouvrage qui avait ouvert en lui une brèche dont il n’a jamais pu se remettre : « Le prix Goncourt est l’archétype de l’arme à double tranchant. [… C’]est un gâteau couvert de mouches, et bourré de fèves sur lesquelles on se casse les dents » (Le Prix d’un Goncourt/Les Cendres de la gloire, 1987).

    En novembre 2007 est paru aux éditions Domens (Pézenas), grâce à l’association des Amis de Jean Carrière, une première livraison des Cahiers Jean Carrière** (« Autour de L’Épervier de Maheux ». Études, portraits et témoignages. Sous la direction de Serge Velay).




    _______________________________________

    * Jusqu’au début des années 1990, il a existé à Nîmes une enseigne d’instruments et de disques au nom de “Carrière-Paoli”, magasin dont se souviennent tous les anciens Nîmois.
        ** Disponible au 15 bis, rue Séguier à Nîmes (30000), 19 €.






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    Ph., G.AdC







    EXTRAIT



    En regardant vivre et mourir ces montagnards depuis vingt-cinq ans, en comprenant très bien qu’il leur fallait imiter, pour survivre, ce qu’il y avait de plus détestable dans le progrès, et renier ce qu’il y avait de plus admirable dans leurs traditions pour y parvenir, il en avait conclu qu’entre le tumulte des grandes cités et le silence de ces plateaux déserts, la différence n’était pas si grande qu’on eût pu le croire: ce n’était qu’une différence de densité, non de qualité; ici comme à New York, l’animal tirait dans le même sens. Une photographie de la cité géante prise à l’aube montrait la même vacuité, la même vigilance aveugle d’insecte, comme si la terre, désertique, n’était peuplée que d’automates. Et lorsqu’il avait assisté à l’électrification du pays, il avait eu l’envie répréhensible et inavouable de penser quelque chose comme : « Vous aussi, vous avez loupé le coche… » Devant l’injustice et la misère, une telle attitude était un cas pendable; c’est la raison pour laquelle ce qu’il haïssait le plus dans la société de profit, ce n’était pas tant les injustices qu’elle engendrait, que plutôt d’avoir rendu suspect, et peut-être définitivement, tout acte, toute pensée qui n’étaient pas mobilisés pour l’abolir.

    Mais il n’y avait pas que les hommes…

    Il y avait ce pays de pierres ruiniformes, de hautes landes celtiques, de gorges et de sites préhistoriques où l’oreille, malgré elle, se tendait à l’affût de bramements monstrueux, il y avait son climat brutal, tout de contrastes, ces combes noircies par l’hiver, ces aires torrides à l’heure présente – et même ces bourgs pauvrement industrieux, avec leur rue unique de part et d’autre de laquelle des façades pourries se considéraient dans le silence de mort des longs après-midi -, le souvenir de leurs génoises crottées par les hirondelles et décrépies, pesait sur celui de ses années d’études primaires : même aux heures de mouvements de la rue, leur surplomb crénelé conservait une sérénité intemporelle, un glissement paisible d’éternité au-dessus des époques, qui le fascinait. Partout dans ces fermes et dans ces hameaux, pesait la même oppression minérale. Au même titre que la mort, la roche immortelle affleurait partout, jusqu’au milieu des murailles; elle soulevait le sol de terre battue, épaulait une cheminée, lourde, compacte, hostile… Cette intimité entre les hommes et ce monde élémentaire comme émergé des premiers âges de la terre, lorsqu’il était adolescent, exerçait sur lui un charme puissant et morbide : il y avait une telle incompatibilité entre l’esprit humain et cette amère irruption de la matière à l’état brut, une telle contradiction entre les lois fragiles, incertaines, gouvernant celui-ci, et les immuables propriétés de celle-là, que cette promiscuité avait fini par le scandaliser et par l’angoisser, malgré son amour pour ce morceau de planète abandonnée, qu’était à ses yeux le Haut-Pays…



    Jean Carrière, L’Épervier de Maheux, Jean-Jacques Pauvert, 1972, pp. 167-168.




    JEAN CARRIÈRE


    JEAN  CARRIERE
    Image, G.AdC




    ■ Jean Carrière
    sur Terres de femmes


    18 novembre 1975 | Lettre de Jean-Jacques Pauvert à Jean Carrière (Cahiers Jean Carrière, 1)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’INA)
    Jean Carrière le sourcier
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Velay, Le Palais d’été (extrait)






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