Terres de Femmes

Étiquette : Paul Verlaine


  • 30 mars 1844 | Naissance de Paul Verlaine

    Éphéméride culturelle à rebours



    Il y a 177 ans, le 30 mars 1844, naissait à Metz Paul Verlaine.







    Verlaine
    Eugène Carrière (1849-1906),
    Paul Verlaine, 1891
    Huile sur toile, 61 x 51 cm
    Paris, musée d’Orsay
    Source








    III



    Metz, le 30 mars 1844. Celui qui vient de rouler dans son berceau, au 2 de la rue Haute-Pierre, ne sait pas encore qu’il est entré dans l’Histoire.

    Il y a une route qui commence devant lui, toute droite, avec du soleil en poudre et des flaques de musique où il fait bon s’endormir. Il y a ce concert de voix où l’oreille petit à petit fait son chemin. C’est le premier bain dans l’air. Les sons font des bulles qu’on ne voit pas encore, mais qui éclatent doucement sous la pupille. On les distingue peu à peu, l’une après l’autre, on les accorde avec le bruit du cœur. Il y a celle qui ondule comme une vague, avec des pointes de pluie, mais douce comme un ventre de femme, et puis une autre qui répond plus bas comme un ciel d’orage roulant dans les cailloux. Le mélange se fait dans les hauteurs, comme à l’étouffée. On marche sur du velours. On ne s’en remettra jamais tout à fait.




    IV



    S’il les a regardés longuement, l’enfant du miracle, ces trois fœtus roses sur l’étagère de bois ― et de quel regard noir au fond des orbites qui brûlent, quand, sur le tapis du salon, jouant seul parmi les soldats de plomb ou rêvassant à Dieu sait quelle figure sur les reflets du meuble, il s’arrêtait soudain sur eux, plein de malaise et d’effroi !

    S’il a dû lui en poser des questions, à sa mère, des questions naïves comme en posent les petits de l’homme devant les évidences ― le bleu du ciel, dis, maman, pourquoi ? et la neige, et les nuages ? Et jamais une réponse claire, nette, n’aurait franchi les lèvres blessées d’Eliza-Stéphanie Dehée ? Jamais une réponse à couper le cou pour toujours à cette route désordonnée du rêve là-bas dans la brume où la vie de Paul va se perdre ?

    Jamais en tout cas, ni dans ses vers ni dans sa prose, Paul n’évoquera les trois fœtus.

    Peut-être les beaux yeux bridés de sa mère tout à coup qui s’embuent, ses beaux yeux chinois et noyés de larmes ont-ils suffi, avec le doigt posé sur les lèvres, religieusement, pour que l’enfant devienne complice à son tour du grand secret et soudainement grandisse dans le silence et l’effroi du silence. Peut-être.

    Il y a tellement de choses que les enfants ne peuvent comprendre, sous peine de souffrir beaucoup, et qu’ils comprennent sans rien dire ; tellement de choses qu’il convient de préserver dans leur enveloppe de gaze, de brouillard, de mystère et qu’ils enfouissent en eux, quitte à porter jusqu’au bout le poids écrasant du secret inviolé, et le désir de sa révélation.

    Il y a des noms, mon petit Paul, qui n’ont pas eu le temps d’être prononcés, et qui demeurent à jamais dans l’air alentour, terriblement, comme ceux des aimés que la Vie exila, ces fantômes pour les jours à venir, et qui déjà s’acharnent sur tes rêves.



    Guy Goffette, Verlaine d’ardoise et de pluie [1996], Éditions Gallimard, Collection folio, 1998, pp. 39-40.







    Goffette






    VERLAINE




    ■ Paul Verlaine
    sur Terres de femmes


    7 janvier 1896 | Mort de Paul Verlaine
    Mon rêve familier
    10 octobre 1684 | Naissance d’Antoine Watteau (Verlaine, Clair de lune, Fêtes galantes)





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  • 7 janvier 1896 | Mort de Paul Verlaine

    Éphéméride culturelle à rebours



    Paul Verlaine
    Frédéric Bazille (1841-1870)
    Portrait de Verlaine en troubadour, 1868
    Huile sur toile, 45,87 x 38,1 cm
    Dallas Museum of Art
    Source







    I



    Paris, 7 janvier 1896. Celui qui vient de rouler nu sur le carreau glacé de sa chambre, au 39 de la rue Descartes, ne sait pas qu’il est entré en agonie. Il y a une route devant lui qui n’en finit pas de monter, toute droite, avec du soleil et les flaques d’ombre des grands arbres où il fait si bon se rafraîchir un moment avant de poursuivre. Il y a cette route qui s’en va, toute droite, devant lui comme une fille gironde, mis il a beau lancer tout son corps en avant, rien à faire, il reste sur place. On dirait qu’un boulet de forçat le retient, qui lui tord la jambe, ou c’est un éclat de schiste à la place de la rotule qui tourne mal, et qui grince et lui vrille jusqu’au cœur.

    Crénom, cette route pourtant est de toujours, c’est la même, il l’a faite cent fois, elle le connaît par cœur. Il lui semble qu’un petit effort, voyons, suffirait pour atteindre ce glacis d’ombre, là-haut, délectable ô combien par cette chaleur torride et ce soleil de midi qui écrase tout. Allons, Verlaine, ce n’est pas le moment de flancher. Il y a toute cette route devant toi, bien droite, et tu n’as qu’à monter.



    II



    C’est la première et la dernière image : un homme qui marche. D’abord, on ne voit que lui. De dos. Une espèce de grand oiseau noir aux ailes repliées. Sur la tête, un chapeau haut de forme, et, s’écartant du corps claudicant, une canne qui bat l’air un peu. C’est à peine si le mouvement des jambes est perceptible. Simplement, la silhouette diminue peu à peu, rapetisse jusqu’à ne plus être qu’un point qu’on perd dans la lumière. Alors le paysage alentour apparaît.

    C’est un tableau de campagne comme nous en avons connu, reposant au possible : un gros chemin de terre qui coule entre deux rangées d’arbres, ormes, tilleuls, va savoir. Et, de part et d’autre, passé le talus, une vaste étendue jaune ou verte : colza, luzerne, avec au fond la barrière noire des bois sous la bâche bleue qui ondule mollement. Et la route à nouveau tout au bout comme un point d’orgue ouvrant des hectares de silence.

    C’est une carte postale oubliée dans un livre, et la mémoire n’a rien gardé d’elle que ce vers en légende, ce dix-pieds allègre et décidé qui répète : La route est droite et tu n’as qu’à monter.


    Guy Goffette, Verlaine d’ardoise et de pluie [1996], Éditions Gallimard, Collection folio, 1998, pp. 13 à 20.





    Goffette_verlaine_2





    PAUL VERLAINE


    Verlaine
    Source



    ■ Paul Verlaine
    sur Terres de femmes

    Mon rêve familier
    10 octobre 1684 | Naissance d’Antoine Watteau (Verlaine, Clair de lune, Fêtes galantes)





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  • Paul Verlaine | Mon rêve familier

    «  Poésie d’un jour »



    Une_femme_inconnue1_1
    Ph., G.AdC







    Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
    D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
    Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
    Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

    Car elle me comprend, et mon coeur transparent
    Pour elle seule, hélas! cesse d’être un problème
    Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
    Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

    Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l’ignore.
    Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
    Comme ceux des aimés que la vie exila.

    Son regard est pareil au regard des statues,
    Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
    L’inflexion des voix chères qui se sont tues.


    Paul Verlaine, « Mon rêve familier », Poèmes saturniens.





    ■ Paul Verlaine
    sur Terres de femmes

    7 janvier 1896 | Mort de Paul Verlaine
    10 octobre 1684 | Naissance d’Antoine Watteau (Verlaine, Clair de lune, Fêtes galantes)





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