Terres de Femmes

Étiquette : Marguerite Duras


  • 25 mai 1960 | Peter Brook, Moderato Cantabile

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 25 mai 1960 sort sur les écrans, en Angleterre, le film de Peter Brook, Moderato Cantabile, produit par Raoul Levy.





    AFFICHE MODERATO CANTABILE
    Source





         Deux ans après sa publication en 1958, le roman de Marguerite Duras est porté à l’écran par Peter Brook. Dialogues et scénario sont cosignés par Gérard Jarlot, Marguerite Duras ainsi que par Peter Brook. Jeanne Moreau interprète le rôle d’Anne Desbaredes et Jean Paul Belmondo celui de Chauvin. Le drame se déroule en cinq jours, sur les quais de la petite ville de Blaye, dans l’estuaire de la Gironde. La musique est d’Antonio Diabelli (Sonatine).

        La trame du récit est simple en apparence. Un meurtre vient de se produire. La leçon de piano du fils d’Anne Desbaredes a été interrompue par un long cri, très douloureux. L’enfant s’est précipité à la fenêtre. La scène s’est passée dans un bistrot, situé juste au-dessous de l’appartement du professeur de piano. Jeune femme riche et désœuvrée, exclusivement occupée de son enfant, Anne Desbaredes ― qui traîne son vide existentiel ― tente de s’approprier ce drame. Son histoire (absence d’histoire !) se superpose avec celle du couple précédent. Moyen pour elle de combler son ennui ? Volonté d’identification ? L’amour impossible d’Anne Desbaredes pour Chauvin, jeune employé dans l’usine de son mari, se construit en contrepoint avec celui qui vient de prendre fin dans le sang. La seule différence : le renoncement à l’amour au lieu de la mort. Anne Desbaredes, une héroïne à la Flaubert ? Selon Claude Roy, seul critique à soutenir avec ardeur le roman de Marguerite Duras : « Une Madame Bovary réécrite par Béla Bartok. »

        Se démarquant de la romancière, Peter Brook dote son héroïne d’une soif inextinguible de séduction. Faisant fi des convenances, elle se donne sans vergogne à Chauvin. Le décor du film est sobre : une esplanade vide, des grues, silhouettes du port. Panoramique circulaire, en contre-plongée sur la frondaison dénudée des arbres, l’hiver. Autre mouvement de caméra : travelling latéral sur les colonnettes de la terrasse, en accéléré. Les colonnettes, ainsi détachées de leur décor, se mettent à vivre, à courir, semblables aux ouvriers des arsenaux qui se déplacent, identiques, en automates (façon Magritte).

        Malgré l’admiration et l’estime qu’elle voue à Jeanne Moreau, Marguerite Duras récuse le film que Peter Brook a tiré de son propre récit. Elle affirme à plusieurs reprises que Peter Brook n’a rien compris. Elle confie à Gérard Lefort pour Libération, qu’elle aurait voulu « le tourner elle-même avec de petits moyens ». Cet échec pousse Marguerite Duras « à passer de l’autre côté de la caméra ».


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






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    Prod DB © Iena / DR
    Source





    MARGUERITE DURAS


    ■ Marguerite Duras
    sur Terres de femmes

    Marguerite Duras, « l’autre façon de se perdre »
    4 avril 1914 | Naissance de Marguerite Duras
    5 janvier 1960 | Première création d’Un barrage contre le Pacifique
    14 janvier 1976 | Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres
    23 octobre 1981 | Reprise à l’Athénée de La Bête dans la jungle
    28 septembre 1983 | Création de Savannah Bay de Marguerite Duras
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait de Marguerite Duras (+ un extrait du Vice-Consul)


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans les Archives de l’INA)
    une interview de Marguerite Duras, de Peter Brook, de Raoul Levy et de Jeanne Moreau autour du film Moderato Cantabile (08/02/1960)
    → (sur YouTube)
    une scène du film Moderato Cantabile
    → (sur mySkreen)
    une autre scène de Moderato Cantabile
    → (dans la revue Synergies)
    Intimisme et psychocritique: une étude de l’œuvre Moderato Cantabile de Marguerite Duras, par Júlia Ferreira [pdf]
    le site de la Société Marguerite Duras




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  • 4 avril 1914 | Naissance de Marguerite Duras

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 4 avril 1914 naît à Gia Dinh Marguerite Duras, fille de Henri Donnadieu et de Marie Obscur, née Legrand.






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    Image, G.AdC






        « Marguerite a six mois quand sa mère tombe malade si gravement que les médecins militaires à Saïgon la rapatrient d’urgence en France. Elle souffre « d’arthrites multiples, de paludisme, de manifestations cardiaques et de complications rénales ». Soignée à l’hôpital militaire de Toulouse, elle revient le 14 juin 1915 à Saigon pour apprendre que son mari doit repartir pour la France.
         La toute petite a donc vécu huit mois loin de sa mère, élevée par un boy vietnamien. La famille vient à peine de se retrouver que c’est au tour du père de sombrer dans des souffrances atroces qui l’obligent à consulter d’urgence les médecins militaires qui diagnostiquent une double congestion pulmonaire, une colite aiguë et une dysenterie grave. Ordre lui est donné par le gouvernement général de l’Indochine de regagner immédiatement la France […]
         La famille Donnadieu habite l’école de Gia Dinh. Pas de luxe, de stucs, de bouddhas somnolents, de ruines orientales, mais une maison classique de fonctionnaire du début du siècle. Juste quelques maigres petits palmiers devant l’entrée pour la touche exotique. La mère se rend en tram à l’école municipale des jeunes filles de Saïgon. Quatre arrêts. Une petite heure de trajet. Les petits sont élevés par des domestiques. Existence petite-bourgeoise de blancs, de fonctionnaires bien intégrés dans le cercle de la colonie. Sur les rares photos qui subsistent, les enfants sont habillés comme des communiants, sages comme des images. Les parents, eux, ont l’air vieux, las, fatigués.
         Marguerite disait qu’elle aurait tant voulu se souvenir de son enfance avec nostalgie et émerveillement. Hélas, elle fut triste et sans éclat. Vieille dame, elle n’y verra même aucun signe de l’enfance: « Rien de plus net, de plus vécu, de moins rêvé que ma toute enfance. Aucune imagination, rien de la légende et du conte bleu qui auréole l’enfance des rêves. * » Marguerite a trois ans quand ses parents quittent Saïgon. Son père est nommé au Tonkin. Avancement administratif sur le tableau d’honneur de la colonie. Indéniablement cette nomination est une promotion. Henri devient directeur de l’enseignement primaire à Hanoi […]
        « C’est la cour d’une maison sur le petit lac d’Hanoi. Nous sommes ensemble, elle et nous, ses enfants. J’ai quatre ans. Ma mère est au centre de l’image. Je reconnais bien comme elle se tient mal, comme elle ne sourit pas, comme elle attend que la photo soit finie. A ses traits tirés, à un certain désordre de sa tenue, à la somnolence de son regard, je sais qu’il fait chaud, qu’elle est exténuée, qu’elle s’ennuie **.

         Les souvenirs d’Hanoi restent teintés de mélancolie et de tristesse. »


    Laure Adler, Marguerite Duras, Éditions Gallimard, 1998, pp. 33-35-36.



    * Écrivait-elle dans ses cahiers d’écolier pendant la guerre. Archives IMEC.
    ** Inédit (page sans date). Archives IMEC.





    ■ Marguerite Duras
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    5 janvier 1960 | Première création d’Un barrage contre le Pacifique
    25 mai 1960 | Peter Brook, Moderato Cantabile
    14 janvier 1976 | Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres
    23 octobre 1981 | Reprise à l’Athénée de La Bête dans la jungle
    28 septembre 1983 | Création de Savannah Bay de Marguerite Duras


    ■ Voir aussi ▼

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  • 14 janvier 1976 | Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres

    Éphéméride culturelle à rebours



    Marguerite_duras_en_1954
    Source






         Le 14 janvier 1976 a lieu la reprise, au théâtre d’Orsay, de la pièce de Marguerite Duras : Des journées entières dans les arbres. Mise en scène par Claude Régy, la pièce est interprétée par Madeleine Renaud, Bulle Ogier et Jean-Pierre Aumont. La même année 1976, la pièce se transforme en film, tourné par Marguerite Duras elle-même (avec les mêmes comédiens) et présenté au festival de New York en octobre 1976. Le film obtient le Prix Jean-Cocteau.

        Des journées entières dans les arbres avait été créé le 1er décembre 1965 par Jean-Louis Barrault à l’Odéon-Théâtre de France (avec Madeleine Renaud, Anne Doat et Jean Desailly), à partir du roman publié chez Gallimard en novembre 1954 :

        « Madeleine Renaud sera la Dame des Arbres, la maman de Marguerite. Marguerite, arrivant un jour au cours d’une répétition, s’en trouvera clouée : sa mère était là, en chair et en os sur la scène de l’Odéon. Madeleine Renaud lui avait volé sa mère. Beckett a encouragé Madeleine à accepter le rôle et lui a dit que c’était une immense chance. Marguerite a donné sa mère à Madeleine qui se révéla patiente, douce, attentive. Madeleine s’est approchée d’elle progressivement. Un jour, elle lui demande une photo de la mère jeune, belle, séduisante. Plus tard elle lui confie que sa mère était une petite fille de fermiers du Pas-de-Calais, une institutrice d’école indigène, un petit capitaine de l’enseignement primaire et qu’elle avait pour héros Jules Ferry. Madeleine veut savoir comment elle s’habillait : avec des sacs, pas des robes lui dit Marguerite. Madeleine veut connaître sa manière de marcher, de parler, son odeur. Marguerite se prend au jeu et assiste aux répétitions. Elle reste silencieuse. Jean-Louis Barrault ne lui demande rien. Être là, c’est tout. C’est déjà beaucoup. Madeleine comprend très vite l’amour dément pour le fils, la folie naissante de la mère, l’amertume de cette fonctionnaire brisée, sa chute dans le désespoir. Les mots sonnent juste. Madeleine peut tout comprendre des contradictions et des douleurs de cette femme. Elle ne parle pas comme Mme Donnadieu. Elle est Mme Donnadieu. Rôle clef, construit par elle, conçu pour elle, elle s’empare de la mère dont elle a l’âge. À Marguerite, elle avoue : « Tu vois, chez les vieilles personnes il y a une accumulation de choses. Ça s’empile, les années. Si tu es trop jeune, tu n’es pas assez lourde, alors la Dame des Arbres, tu ne peux pas la jouer. Et si tu es trop vieille, tu n’as pas la force parce que c’est très fatigant de jouer avec ce qu’on trimbale, tout le poids que font les années en passant. »


    Laure Adler, Marguerite Duras, Éditions Gallimard, 1998, pp. 392-393.






    EXTRAIT


        « De l’enfance, il avait aussi l’humilité, dont rien jusque là ne l’avait encore relevé : on pouvait être malheureux à partir de rien, pensait-il, de rien. La chambre de sa mère était toujours éteinte, calme. Morte ou endormie était sa mère, celle de son guet inlassable des oiseaux dans les branches des arbres, des journées entières. Il retourna dans la salle à manger. Les oiseaux vous menaient loin, jusqu’aux nuits désertiques de la vie qu’il avait choisie. Il ne pleurait plus, mais à la place de son cœur une pierre dure et noire battait. Le sommeil de Marcelle s’exhalait toujours, charnel, dans son malheur de pierre. Demain, à la porte, à la porte, pensa-t-il, maintenant je serai seul. Il s’approcha de la cheminée, se regarda dans la glace. Il ne savait quoi faire de son corps. Son impatience était tombée, mais de désespoir il ne pouvait se supporter que debout. Il ne disposait même pas du recours d’un ennemi : sa mère dormait, innocentée, dans le sommeil du vin. Il ne savait donc que faire de lui-même cette nuit-là lorsqu’il aperçut, sur la cheminée, les dix-sept bracelets d’or que sa mère avait oubliés après le dîner, avait oubliés d’avoir trop bu, et d’être trop vieille, et de l’avoir trop aimé. Il se rassit. Se releva, les regarda encore, inutiles. Puis se rassit encore. Puis regarda sa montre. Puis, se décida. Prit deux des dix-sept bracelets, les mit dans sa poche et attendit un moment, le temps nécessaire de savoir ce qu’il venait de faire ou tout au moins de le nommer. Il n’y arriva pas. Peut-être que c’était ce qu’il aurait fait de pire depuis sa naissance. Mais encore, il n’en était pas sûr. D’autant moins qu’une justification aux contours lointains se faisait jour dans son âme. C’est ma mère, pensa-t-il, c’est ma mère, et je suis très malheureux, et c’est ma mère faite pour comprendre mon malheur, et elle a raison, et nous sommes tous pareils, même les meilleurs que moi. Il sortit doucement de l’appartement, l’or dans sa poche, prit le chemin de Montparnasse. »


    Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1954, pp. 89-90-91.







    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (dans les Archives de l’INA) des extraits du film Des journées entières dans les arbres (15/11/1976)
    → (dans les Archives de l’INA)
    Madeleine Renaud à propos de son rôle dans Des journées entières dans les arbres (20/09/1966)


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    Marguerite Duras, « l’autre façon de se perdre »
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    25 mai 1960 | Peter Brook, Moderato Cantabile
    23 octobre 1981 | Reprise à l’Athénée de La Bête dans la jungle
    28 septembre 1983 | Création de Savannah Bay de Marguerite Duras


    ■ Voir encore ▼

    → le site de la
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  • 23 octobre 1981 | Reprise à l’Athénée de La Bête dans la jungle

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 23 octobre 1981, reprise au théâtre de l’Athénée (Paris) d’une nouvelle mise en scène de La Bête dans la jungle. D’après la deuxième adaptation de Marguerite Duras de la nouvelle (The Beast in the Jungle, 1903) d’Henry James. À l’affiche, Delphine Seyrig et Sami Frey. La pièce est montée par le metteur en scène argentin Alfredo Rodriguez Arias.






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    L’Athénée Théâtre Louis-Jouvet
    photo © Corinne Thévenon
    Source






    UN POÈME TRAGIQUE DE MYSTICISME AMOUREUX


        C’est en 1962 que le texte de La Bête dans la jungle est confié à Marguerite Duras par le metteur en scène anglais James Lord, insatisfait de son propre travail d’adaptation. Marguerite Duras accepte et se plonge aussitôt dans la lecture intégrale de l’œuvre de l’écrivain américain. Et l’auteur de transformer « en un poème tragique de mysticisme amoureux » une « nouvelle elliptique », tout entière ancrée dans l’univers d’un autre grand écrivain américain, Nathanael Hawthorne.

        Qu’y a-t-il de commun entre Marguerite Duras et Henry James ? À Laure Adler qui lui pose la question, Duras répond : « La patience peut-être, qui est toujours de l’impatience mise en patience. »

        En septembre 1962, la pièce voit le jour une première fois au théâtre de l’Athénée (Paris) dans une mise en scène de Jean Leuvrais, avec les acteurs Loleh Bellon et Jean Leuvrais lui-même. « Du théâtre de l’allusion, ravagé par l’attente, dévoré en beauté par sa propre fragilité. » Admirable pour certains. Du « chatouillis cérébral » pour d’autres.

        Bien des années plus tard, en 1981, Marguerite Duras retravaille son adaptation originelle avec les acteurs Delphine Seyrig et Sami Frey : « à voix découvertes ». La pièce est jouée au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis du 11 mars au 5 avril 1981, avant d’être reprise à l’Athénée le 23 octobre 1981. C’est cette version qui a été publiée par Gallimard en 1984 (Théâtre III). En 1988, Benoît Jacquot s’inspire de cette dernière adaptation pour la réalisation de son film La Bête dans la jungle. Toujours avec Sami Frey et Delphine Seyrig… sur une musique de Carlos d’Alessio.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





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    Delphine Seyrig et Sami Frey
    dans La Bête dans la jungle
    (film de Benoît Jacquot).





    ■ Marguerite Duras
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    4 avril 1914 | Naissance de Marguerite Duras
    5 janvier 1960 | Première création d’Un barrage contre le Pacifique
    25 mai 1960 | Peter Brook, Moderato Cantabile
    14 janvier 1976 | Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres
    28 septembre 1983 | Création de Savannah Bay de Marguerite Duras


    ■ Voir aussi ▼

    le site de la Société Marguerite Duras


    ▪ Pour entendre Delphine Seyrig et Sami Frey (interviewés par Eve Ruggieri) parler de la reprise de La Bête dans la jungle au théâtre de l’Athénée, cliquer
    ICI (Archives pour tous de l’INA)



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  • 28 septembre 1983 | Création de Savannah Bay de Marguerite Duras

    Éphéméride culturelle à rebours



    Savannah Bay
    Source






        Le 28 septembre 1983 a lieu, au théâtre du Rond-Point-Renaud-Barrault à Paris, la création de Savannah Bay de Marguerite Duras. Mise en scène par Marguerite Duras, la pièce, publiée aux Éditions de Minuit en septembre 1982, est interprétée par Madeleine Renaud et Bulle Ogier. Pour l’écriture de cette pièce, Marguerite Duras s’est en effet inspirée du personnage de Madeleine Renaud à qui l’écrivain vouait une profonde admiration. La pièce (remaniée à l’occasion de cette création) met en scène une comédienne illustre nommée Madeleine, en dialogue avec une jeune femme, sa petite fille… peut-être… « Aujourd’hui seulement », dira Marguerite Duras « je peux raconter Savannah Bay, le texte n’était rien avant que les comédiennes le fassent leur, lui donnent vie. »






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    photocollage, G.AdC





       « Tu ne sais plus qui tu es, qui tu as été, tu sais que tu as joué, tu ne sais plus ce que tu as joué, ce que tu joues, tu sais que tu dois jouer, tu ne sais plus quoi, tu joues. Ni quels sont tes rôles, ni quels sont tes enfants vivants ou morts. Ni quels sont les lieux, les scènes, les capitales, les continents où tu as crié la passion des amants. Sauf que la salle a payé et qu’on lui doit le spectacle.
    Tu es la comédienne de théâtre, la splendeur de l’âge du monde, son accomplissement, l’immensité de sa dernière délivrance.
    Tu as tout oublié sauf Savannah, Savannah Bay.
    Savannah Bay c’est toi. »
    M.D.




    EXTRAIT


    « MADELEINE. – C’est vrai, il y avait des grands marécages à l’embouchure de la Magra.

    Silence.

    JEUNE FEMME. – Et les cris aussi, c’était vrai ?

    MADELEINE. – Comment savoir ? Mais je crois, oui, qu’on criait vers les étangs.

    Silence. Moments très sombres.

    JEUNE FEMME. – (voix basse). – On n’avait jamais vu un amour pareil ?

    MADELEINE. – Jamais.

    Silence.

    JEUNE FEMME (crie). – Un amour comment ? Tu vas le dire…

    MADELEINE (la regarde). – On ne peut pas le dire. On ne sait pas le dire.

    JEUNE FEMME (cri informe de désespoir). – Je t’en supplie…

    MADELEINE (lent). – Un amour de tous les instants. (Temps). Sans passé. (Temps). Sans avenir. (Temps). Fixe. (Temps). Immuable.

    JEUNE FEMME. – Le soleil chaque matin au sortir du noir, chaque soir, et eux, ils s’aimaient plus que tout au monde, d’un amour entier, mortel dans la monotonie du temps.

    Pas de réponse de Madeleine.

    JEUNE FEMME. – C’était ce que l’on disait ? Ensuite on l’a écrit dans un livre ?

    MADELEINE. – Oui dans un film aussi, je crois.

    Silence. »


    Marguerite Duras, Savannah Bay, Les Éditions de Minuit, Paris, 1982, pp. 57, 58, 59.






    MARGUERITE DURAS

    Marguerite_duras_1_1
    Image, G.AdC


    ■ Marguerite Duras
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    25 mai 1960 | Peter Brook, Moderato Cantabile
    14 janvier 1976 | Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres
    23 octobre 1981 | Reprise à l’Athénée de La Bête dans la jungle


    ■ Voir aussi ▼

    le site de la Société Marguerite Duras
    → (sur le site de l’INA)
    un court extrait de la pièce
    → (sur le site de l’INA)
    un extrait d’une répétition de la pièce



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  • 5 janvier 1960 |
    Première création d’Un barrage contre le Pacifique

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 5 janvier 1960, le Studio des Champs-Elysées présente la première création d’Un barrage contre le Pacifique. Adapté pour le théâtre par Geneviève Serreau, le roman de Marguerite Duras (1950) est mis en scène par Jean-Marie Serreau. La pièce, dont le style « décharné » déplaît à la critique, n’obtient pas le succès escompté. En réalité, l’adaptation théâtrale de ce grand roman durassien, le premier à retracer l’enfance en Indochine, fut éclipsée par l’adaptation cinématographique qui l’avait précédée. La première adaptation cinématographique d’une œuvre de Marguerite Duras.











        Tourné dans des conditions difficiles par René Clément en 1957 en Thaïlande, Barrage contre le Pacifique (This Angry Age), adapté par Irwin Shaw, Diego Fabbri, Ivo Perilli et René Clément, connut en effet un succès considérable lors de sa sortie en 1958. L’année même où Alain Resnais tourne Hiroshima mon amour. Succès auquel contribuèrent pour beaucoup les acteurs à l’affiche : Silvana Mangano, Anthony Perkins et Alida Valli. Les droits dérivés cinématographiques et la relance des ventes de l’ouvrage en librairie eurent pour Marguerite Duras un effet bénéfique : ils lui permirent d’acheter sa propriété de Neauphle-le-Château.

        Pour autant, l’auteur du Barrage contre le Pacifique est désappointée par le succès du film. Cherchant à abolir toute frontière entre fiction écrite, fiction théâtrale et fiction cinématographique, Marguerite Duras entreprend une nouvelle adaptation théâtrale du roman. Cette recherche aboutit à la création, le 25 octobre 1977, de la version scénique de L’Éden Cinéma. Jouée en 1977/1978 dans la Grande Salle du Théâtre d’Orsay (Compagnie Renaud-Barrault) par Madeleine Renaud, Catherine Sellers, Bulle Ogier, Michaël Lonsdale et Axel Bogousslavsky, dans une mise en scène de Claude Régy.

        « Je l'[Marguerie Duras] ai vue de façon régulière pendant l’automne 1977. Tous les soirs au théâtre d’Orsay – le théâtre de Jean-Louis Barrault et Madeleine Renault – où elle assistait aux répétitions de L’Eden Cinema. Soir après soir, elle sortait de la répétition, et elle demandait un coup de rouge. Puis s’exclamait : “ Je ne devrais pas boire! Oh…, je commencerai demain ”. Elle donnait alors à lire à Claude Régy, le metteur en scène, ce qu’elle venait d’écrire. Comme une retoucheuse, à chaque répétition, elle ajustait le tissu des mots à la voix, au corps des acteurs. Elle avait une véritable passion pour l’actrice, Bulle Ogier, dont elle ne cessait de dire : “Qu’elle est belle”. Elle traitait l’acteur, Michaël Lonsdale comme un vieil ami. Elle n’avait pas encore donné ses notes à lire qu’elle s’exclamait : “Dis-moi que c’est bon! ” Je ne comprenais pas le ton avec lequel elle s’exclamait : “ Dis-moi que c’est bon ! ” » (Maria-Letizia Cravetto, Entretien, Web Magazine Avancées Média, n° 5, juin-juillet-août 2004).




    EXTRAIT

        « Joseph alla au salon et commença à remonter le phonographe de M. Jo. Suzanne le suivit. La mère se leva et mit deux assiettes sur la table. Elle avait des gestes lents comme si sa longue attente dans le noir l’avait ankylosée jusqu’à l’âme. Elle éteignit le réchaud et posa un bol de café noir entre les deux assiettes. Suzanne et Joseph la suivaient des yeux, pleins d’espoir, comme ils avaient suivi des yeux le vieux cheval. On aurait pu croire qu’elle souriait mais c’était plutôt la lassitude qui lui adoucissait les traits, la lassitude et le renoncement.
    – Venez manger, c’est prêt.
    Elle posa le ragoût d’échassier sur la table et s’assit pesamment devant le bol de café. Puis elle bâilla longuement, silencieusement, comme chaque soir à ce moment-là. Joseph se servit d’échassier et ensuite Suzanne. La mère se mit à défaire ses nattes et à les refaire pour la nuit. Elle n’avait pas l’air d’avoir faim. Tout était si calme ce soir qu’on entendait les craquements sourds des planches des cloisons qui jouaient. La maison était solide, on ne pouvait pas dire, elle tenait bien debout, mais la mère avait été trop pressée de la construire et le bois avait travaillé trop vert. Beaucoup de planches s’étaient fendues et elles s’étaient disjointes les unes après les autres si bien que maintenant, de son lit, on pouvait voir le jour se lever, et que la nuit, lorsque les chasseurs revenaient de Ram, leurs phares balayaient les murs des chambres. Mais la mer était seule à se plaindre de cet inconvénient. Suzanne et Joseph préféraient qu’il en soit ainsi. Du côté de la mer le ciel s’allumait de grands éclairs rouges. Il allait pleuvoir. Joseph mangeait voracement.
    – C’est fameux.
    – C’est bon, dit Suzanne, c’est formidable.
    La mère sourit. Quand ils mangeaient avec appétit elle était toujours heureuse. »


    Marguerite Duras, Un barrage contre le Pacifique, Éditions Gallimard, Collection Folio, 1950, pp. 161-162.





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  • 10 avril 1932 | Naissance de Delphine Seyrig

    Éphéméride culturelle à rebours



    Née le 10 avril 1932 à Beyrouth (Liban), Delphine Seyrig est décédée à Paris le 15 octobre 1990 des suites d’un cancer du poumon.







    Delphine Seyrig
    Image, G.AdC








    ET ELLE CETTE VOIX




    Tu te souviens d’elle ?
    • Oui, sa silhouette de satin noir sur les terrasses de Marienbad.
    – C’était il y a longtemps ?
    • Oui, longtemps, une autre année, d’une autre époque.
    – Un temps révolu alors ?
    • Oui, révolu.
    – Les années 1930 alors ?
    • Peut-être, les années d’après sa naissance à elle, sa naissance à Beyrouth.
    – C’était la fille de l’ambassadeur au Liban ?
    • Non, tu confonds, ta mémoire se perd. Elle, c’était Delphine. La fille d’Henri Seyrig, chargé de la mission archéologique pour le Liban et la Syrie. L’autre, c’est Anne-Marie, Anne-Marie Stretter. Souviens-toi, la femme de la légende.
    – La légende du Gange ?
    • Oui, cet amour-là. Son amour pour le vice-consul. Un homme vierge.
    – Un amour rare, alors ?
    • Oui, rare, c’est ça !
    – Mais tu l’avais rencontrée ailleurs ?
    • Ailleurs, oui, là-bas, loin, c’était après Venise, il avait plu sur le delta.
    – J’entends des bribes de musique.
    Les Variations Diabelli, c’est la musique de l’ambassade.
    – Et le chant de la mendiante, cette litanie le long du fleuve ?
    • Oui, il y a aussi la mendiante ; celle de Savannakhet, Laos.
    – Et elle ? Cette voix ?
    • Une voix lente, hors du temps, je ne la connais qu’à elle.
    – Et elle ?
    • Elle ?

    « On la trouve à Pékin

    « Et puis à Mandalay.

    « À Bangkok.

    « On la trouve à Bangkok.

    « À Rangoon. À Sydney.

    « On la trouve à Lahore.

    « Dix-sept ans.

    « On la trouve à Calcutta…
    – Calcutta ?
    • Oui, Calcutta, tu sais bien, son nom de Venise dans Calcutta désert !
    – Et maintenant ?
    • Maintenant, c’est fini. Elle était déjà morte depuis longtemps.
    Elle est morte à Calcutta.
    C’est écrit :

    « À Calcutta :

    « Elle meurt.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    DELPHINE SEYRIG


    Seyrig
    Source




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    25 juin 1961 | Sortie du film d’Alain Resnais, L’Année dernière à Marienbad
    → (sur YouTube)
    un extrait du film India Song de Marguerite Duras
    → (sur les Inrockuptibles)
    Pourquoi L’année dernière à Marienbad reste un sommet de modernité cinématographique ?
    → (sur le site du Festival International du Film de La Rochelle)
    une très belle fiche biographique sur Delphine Seyrig par Jean-Marc Lalanne




    En souvenir de Delphine, cette minute sonore d’India Song, une musique de Carlos d’Alessio pour le film de Marguerite Duras, et dans lequel Delphine Seyrig jouait le rôle d’Anne-Marie Stretter. Et en cadeau, cette interprétation de la chanteuse chilienne Marianna Montalvo.




    « Pour ce qui est d’India Song, la musique de Carlos d’Alessio est encore avec moi, elle m’entoure, m’habite comme à la première minute où j’ai entendu la musique de cet homme, musique du désir qui est l’essence même du film. […] India Song n’est pas un film pour être regardé ni aimé, c’est l’envers du cinéma, India Song, c’est tout, sauf du cinéma. » (Marguerite Duras)








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  • Marguerite Duras, « l’autre façon de se perdre »



    Marguerite_duras_1
    Marguerite Duras.
    Image, G.AdC







    L’AUTRE FAÇON DE SE PERDRE


        « Elle demande : La direction de la plaine des Oiseaux ? Elle se dit que, lorsqu’elle la connaîtra, elle ira dans la direction contraire à celle-là. Elle cherche l’autre façon de se perdre : remonter vers le nord, dépasser son village, après, c’est le Siam, rester avant le Siam. Dans le Nord il n’y a plus de fleuve et j’échapperai à cette habitude que j’ai de suivre l’eau, je choisirai un endroit avant le Siam et je resterai là. Elle voit le Sud se diluer dans la mer, elle voit le Nord fixe.
    Personne ne connaît la direction de la plaine des Oiseaux. Elle marche. »


    Marguerite Duras, Le Vice-Consul, Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1997, pp. 12-13.





    ■ Marguerite Duras
    sur Terres de femmes

    4 avril 1914 | Naissance de Marguerite Duras
    5 janvier 1960 | Première création d’Un barrage contre le Pacifique
    25 mai 1960 | Peter Brook, Moderato Cantabile
    14 janvier 1976 | Marguerite Duras, Des journées entières dans les arbres
    23 octobre 1981 | Reprise à l’Athénée de La Bête dans la jungle
    28 septembre 1983 | Création de Savannah Bay de Marguerite Duras


    ■ Voir aussi ▼

    le site de la Société Marguerite Duras
    → une
    biographie de Marguerite Duras
    → des
    photos de Marguerite Duras


    Pour voir/entendre Marguerite Duras parler :

    → du Vice-Consul. Cliquer
    ICI (ORTF ; Lectures pour tous ; date de diffusion : 23 mars 1966 ; durée : 10 min 49 s). Archives pour tous de l’INA
    → de India Song. Cliquer
    ICI (TF1 ; Pour le cinéma ; Date de diffusion : 27 avril 1975. Durée : 14 min 27 s). Archives pour tous de l’INA



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