Terres de Femmes

Étiquette : Lionel Bourg


  • Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur

    par Angèle Paoli

    Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur,
    éditions le Réalgar,
    collection l’Orpiment dirigée par Lionel Bourg, 2020.
    Postface de Jean-Claude Leroy.



    Lecture d’Angèle Paoli


    FAIRE MÉMOIRE DE « L’HUMBLE FRATERNITÉ »




    Écrire pour énoncer ce qui persiste de non-dit et de douleur, écrire pour dénoncer. Même si. Même si « la langue manque ». Écrire pour dénoncer l’ampleur de la catastrophe qui ne cesse de se répandre et de nous engloutir. Écrire pour tenter de vivre dans un monde devenu de longue date irrespirable. Vivre malgré l’horreur qui tisse ses ramifications d’amont en aval du temps. Et, pour vivre malgré tout, que faire d’autre sinon s’en remettre au chant des oiseaux, à leur voix bienveillante, à leur présence réconfortante ? Quoi d’autre sinon écrire ces menus bonheurs qui survivent dans la tourmente ?

    Julien Bosc, poète d’intense sensibilité et poète tourmenté, laisse derrière lui un dernier chant, publié à titre posthume. Le coucou chante contre mon cœur. Ce chant, d’aucuns ont pu en découvrir, à travers des extraits, le souffle prenant. C’était en 2017, lors d’une ultime rencontre du poète avec son public. Vaste et poignant, le chant draine dans les poèmes passé et présent, histoire personnelle et histoire des hommes, l’une à l’autre indéfectiblement liées. Le chant est épopée, qui tient à la fois de l’intime et du conte africain, mêlant rêves et vécu, l’expérience du manque et celle des plus profonds désirs. L’abandon et le désarroi. Le poète se fait aède des temps obscurs qui sont les nôtres. Vivre et se taire sont désormais inconciliables. Comment supporter le silence et l’indifférence qui encagent les tragédies d’aujourd’hui dont nous sommes les témoins passifs ? Et dont chacun porte en soi une part de responsabilité !

    « Qui pour entendre leurs cris ?

    Personne ou si peu

    Qui pour les secourir ?

    Une poignée

    La seule qui pourra dire après

    Nous savions tous

    Vous avez laissé faire

    Les coupables c’est vous

    Et vous c’est moi

    À qui la langue manque :

    Pour dénoncer. »

    Ainsi se clôt le chant du poète par ces mots vibrants qui secouent et mettent chacun de nous au pied du mur.

    La geste du poète est grandement liée au lieu de vie qu’il s’est choisi. Un lieu de vie et d’écriture qui apparie mer et campagne, jardin et écume, oiseaux des charmilles et fous de Bassan. L’espace trouve ici sa symbiose « au milieu de l’océan-la-maison ». C’est « un îlot de même pas cinq cents mètres carrés/À mille et mille lieues des côtes ».

    Ce lieu est le « phare » où abriter la détresse, loin du lieu des origines, loin de la tragédie qui a engendré la détresse. Lieu d’exil et de solitude où « tout oublier du dedans ».

    « Du phare mon lieu ma peine mon exil j’ai vue sur les quatre océans

    Les mers intérieures

    Vue sur l’humanité aveugle et sourde… ».

    Pourtant, face à « l’innommable » et à la folie, les chemins s’entrecroisent où s’entremêlent formes et êtres, vagues et forêts, oiseaux et fleurs, images et souvenirs. Situer dès lors importe peu, comme l’énonce le poème anaphorique d’ouverture, où s’énumèrent tous les possibles :

    « Nous pourrions dire une forêt

    Ou le bord de la mer

    Ou la mer

    Ou la nuit de la mer la nuit de la forêt

    Ou les mois sans pluie les feuilles sèches sous les pieds

    Ou les brisures de coquillages

    Ou rien

    Ou cette porte repeinte couleur ciel quand il est à l’orage

    Ou n’être plus là

    Ou plus rien plus un mot plus rien que le blanc dans la nuit. »

    Dizain après dizain, les chants de la geste se suivent, qui alternent les tableaux où se disent, sous forme d’inventaire, des vérités générales au présent toujours actuel ou des infinitifs à valeur impérative. Autant d’actes à accomplir pour tenter de juguler la souffrance et continuer à vivre.

    « Parler malgré l’ablation de la langue » pour dire et pour nommer les composantes d’une réalité qui échappe et qui s’épuise. Qui saigne et qui se meurt. Pour dire l’étourdissement que suscite l’incompréhension.

    « Mais comment ?

    Comment suis-je arrivé là ? »

    Au cœur du questionnement survient le retour sur le passé, l’aveu de ce qu’il fut. Marqué des signes qu’un enfer indélébile a semés en lui et que le poète tente de s’approprier. Nommer pour comprendre. Juste nommer, pour ne pas oublier. Émerge au cœur du chant l’aveu de la judaïté originelle, source de bien des maux.

    « Je porte en moi les souffrances d’un nom […]

    Si sont miens les chants ou souffrances de ce nom

    C’est que respire en moi le grand amour du Livre.

    Non pas celui qui fut offert

    Allégé de voyelles

    Celui qu’il faut écrire

    Partant de rien… ».

    Des maux auxquels viennent s’adjoindre les maux d’aujourd’hui, le sacrifice de milliers de naufragés, suppliciés de nos mémoires brèves et de nos indifférences.

    Autant de désastres qu’accompagne une cohorte de sentiments douloureux et de déchirures. Folie, exil, extrême solitude. Avec pour découverte la solitude de la nature, désormais unique compagne consolatrice et bienfaisante. C’est sans doute dans cette présence fidèle que le poète puise la force de réapprendre à vivre. Au plus près des gestes premiers, gestes vitaux. Lesquels sont nécessaires pour

    « Inventer l’ombre

    Recréer une langue

    L’apprendre l’écrire s’y perdre et en revenir ».

    Il arrive que le chant s’ouvre sur des horizons plus vastes et plus tragiques. La mer ne charrie-t-elle pas avec elle son poids récurrent de chairs sacrificiées ? Comment vivre avec cette violence ? Comment ne pas entendre les voix qui sourdent au creux des vagues ? Comment supporter cette réalité nouvelle « d’un monde abandonné des nécessaires humanités » ? Au milieu de sa nuit, dévoré par les voix des fantômes qui hantent sa mémoire, le poète se met à l’écoute de ce qu’elles ont à lui dire.

    « Chaque nuit des fantômes se redressent chuchotent

    Je les écoute

    Écoute et entends effaré ma propre voix. »

    Chanter alors, écrire pour témoigner, dans la suite des pages, de leur présence. Ou au contraire :

    « Tout silencer ».

    Homme déchiré et à vif, anéanti, à l’extrême démuni face à l’hourban qui menace, le poète s’étonne de ne plus rien sentir. À l’écoute cependant de ce que la nature lui offre, il reste sensible à la fascinante richesse des oiseaux, son ultime consolation.

    « Si la mélancolie survient le coucou chante contre mon cœur. »

    De cette présence unique et généreuse, seule susceptible de ne rien demander en retour, il faut se souvenir :

    « N’oublions pas ce qu’eux seuls savent offrir :

    Une multitude de couleurs afin de réjouir l’âme et déchirer la nuit. »

    De ce magnifique chant douloureux, faire mémoire de « l’humble fraternité ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Bosc coucou montage




    JULIEN BOSC


    Julien Bosc
    Ph. © J-D Moreau
    Source





    ■ Julien Bosc
    sur Terres de femmes


    [Nous pourrions dire une forêt] (extrait du Coucou chante contre mon cœur)
    La Demeure et le Lieu (lecture d’AP)
    [marcher chaque jour] (extrait de La Demeure et le Lieu)
    [Hormis les lèvres où mourir] (extrait de De la poussière sur vos cils)
    Goutte d’os (lecture d’AP)
    (Et toi, qui es-tu ?) [extrait de Je n’ai pas le droit d’en parler] (+ une notice bio-bibliographique)
    [Nue-pâle sous sa toilette de satin noir] [extrait d’Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa]
    Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions le Réalgar)
    la fiche de l’éditeur sur Le coucou chante contre mon cœur
    → (sur remue.net)
    Le coucou chante contre mon cœur, par Jacques Josse
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Julien Bosc
    → (sur Terre à ciel)
    Hommage à Julien Bosc, par Isabelle Lévesque





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  • Julien Bosc | [Nous pourrions dire une forêt]


    [NOUS POURRIONS DIRE UNE FORÊT]




    Nous pourrions dire une forêt
    Ou le bord de la mer
    Ou la mer
    Ou la nuit de la mer la nuit de la forêt
    Ou les mois sans pluie les feuilles sèches sous les pieds
    Ou les brisures de coquillages
    Ou rien
    Ou cette porte repeinte couleur ciel quand il est à l’orage
    Ou n’être plus là
    Ou plus rien plus un mot plus rien que le blanc dans la nuit.


    Parler malgré l’ablation de la langue
    L’émiettement des sèmes
    Ce qui doit être dit mais ne peut
    Le désastre pas si lointain du passé
    Le feu et les cheveux dans le feu
    Les corps et les noms partis en fumée
    La prière des morts à peine dite ou pas
    Les mots qui saignent
    La main dans l’autre
    L’enfant serré contre un sein à l’heure de la très grande peur.


    Je ne sais ce qui m’arrive
    Fors ce silence
    Cette traversée
    Dans le passé de la forêt ou la mer
    Tantôt un fou de Bassan
    Tantôt une chevêche
    Il et elle très âgés
    Qui les ailes faibles
    Qui borgne
    Un cri un baiser.




    Julien Bosc, Le coucou chante contre mon cœur, éditions le Réalgar, collection l’Orpiment dirigée par Lionel Bourg, 2020, pp. 7-8. Postface de Jean-Claude Leroy.





    Julien Bosc  Le coucou chante




    JULIEN BOSC


    Julien Bosc
    Ph. © J-D Moreau
    Source





    ■ Julien Bosc
    sur Terres de femmes


    Le coucou chante contre mon cœur (lecture d’AP)
    La Demeure et le Lieu (lecture d’AP)
    [marcher chaque jour] (extrait de La Demeure et le Lieu)
    [Hormis les lèvres où mourir] (extrait de De la poussière sur vos cils)
    Goutte d’os (lecture d’AP)
    (Et toi, qui es-tu ?) [extrait de Je n’ai pas le droit d’en parler] (+ une notice bio-bibliographique)
    [Nue-pâle sous sa toilette de satin noir] [extrait d’Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa]
    Elle avait sur le sein des fleurs de mimosa (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions le Réalgar)
    la fiche de l’éditeur sur Le coucou chante contre mon cœur
    → (sur remue.net)
    Le coucou chante contre mon cœur, par Jacques Josse
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
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    → (sur Terre à ciel)
    Hommage à Julien Bosc, par Isabelle Lévesque





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  • Jean-Pierre Chambon, Un écart de conscience, II


    UN ÉCART DE CONSCIENCE, II
    (extrait)





    J’ai bien peur que la sensation
    dont je voudrais te faire ressentir l’étrangeté
    m’ait fui
    et qu’il me faille me référer dès lors
    à mes seuls souvenirs
    pourtant je ne peux encore me résoudre
    à parler au passé.

    Sans doute convient-il de se trouver
    dans une disposition particulière
    un relâchement de la volonté
    un abandon de tout contrôle
    une attente sans attente
    sans conjecture ni désir
    pour que se produise l’imperceptible miracle.






    Le phénomène que je tente de cerner
    est si ténu que je ne sais même pas
    s’il existe vraiment
    pourtant j’en éprouve le vertige
    jusqu’aux tréfonds de mon être
    et c’est comme si en moi le nerf
    d’une perception autre se mettait à vibrer.

    Il ne s’agit nullement
    d’une quelconque hallucination
    la réalité reste telle qu’en elle-même
    mais il se produit en elle comme un suspens
    une intime discordance
    qui ouvre tout à coup une perspective infinie
    inattendue.





    Jean-Pierre Chambon, Un écart de conscience, II, éditions Le Réalgar, Collection l’Orpiment dirigée par Lionel Bourg, 42000 Saint-Étienne, 2019, pp. 34-35. Photographies de Christiane Sintès.






    Jean-Pierre Chambon  Un écart de conscience





    JEAN-PIERRE CHAMBON


    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source




    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes


    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d’AP)
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    Des lecteurs (extrait)
    Noir de mouches (extrait)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    [Fleurs dans la fleur]
    Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Le Réalgar)
    la fiche de l’éditeur sur Un écart de conscience de Jean-Pierre Chambon





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  • Françoise Ascal | [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès]



    [LONGTEMPS J’AI MÂCHÉ | VOS GRAINS DE GRÈS]




    longtemps j’ai mâché
    vos grains de grès
    de quartz et d’hématite


    j’ai braqué la lampe
    au ventre noir
    de vos maisons


    longtemps j’ai séparé
    trame et chaîne
    pour détisser nos vies


    j’ai tracé un chemin
    loin de vos empreintes
    inventé des pas nouveaux
    menant à la rivière
    la même toujours changeante
    ouvert un sentier sous les herbes
    le même toujours changeant



    au lavoir vous m’attendiez
    avec de grands draps blancs



    Françoise Ascal, Entre chair et terre, éditions Le Réalgar, Collection l’Orpiment dirigée par Lionel Bourg, 2017, page 14. Peintures de Jean-Claude Terrier.






    Françoise Ascal, Entre chair et terre






    FRANÇOISE  ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél)
    une notice bio-bibliographique sur Françoise Ascal





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  • Olivier Deschizeaux | Homme de rien sous la lune dévêtue de ton salon




    HOMME DE RIEN SOUS LA LUNE DÉVÊTUE DE TON SALON




    Homme de rien sous la lune dévêtue de ton salon dans la nuit ivre tu cherches à trouver un sens à ton livre celui écrit d’une encre rouge comme l’éther,



    tu es seul fils du christ et de personne enfant du néant tu cherches en ton boudoir le miroir qui trouvera l’esprit de ton reflet,



    un temple de silence orne ton âme, folie des migraines, et des tempes qui rampent dans le rouleau d’une dague morte, ton fleuve se jette en un ciel de fourche, farouche rouage et coma du devin abattu au seuil du cœur,



    la pythie est loin dans la nuit, le froid du sang que tu portes en toi cherche le ventre d’une veuve aux rameaux de haut mal, l’arrière-monde s’étend dans l’artifice du temps et dans cette mer vineuse qui te mène aux étendards de la rage tu n’es qu’un rêveur de plus,



    le sommeil de la non-vie est large comme une ruelle borgne, si le feu prend le revers de la solitude toi tu prends l’envers de la chair,



    tu quittes la bibliothèque qui fait ton salon pour aller en terre de dieu mais diables et vipères coulent en tes veines fermant l’aine du lit noir,



    la nuit est une machine folle, tu ne connais que les affres du siècle défait par la boue, il n’y a plus de souffle en ton âme, plus de rire en ta soutane, seul en ténèbres et jonglant avec les flammes, tu dévisages les étoiles,



    […]



    Olivier Deschizeaux, III – « Homme de rien sous la lune dévêtue de ton salon », L’Herbe noire, éditions Rougerie, 2016, pp. 45-46. Préface de Lionel Bourg.







    Olivier Deschizeaux, L'Herbe noire





    OLIVIER DESCHIZEAUX


    Olivier Deschizeaux
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans Traversées)
    une lecture de L’Herbe noire d’Olivier Deschizeaux par Marc Wetzel
    → (sur Tiens, etc.)
    Olivier Deschizeaux, une poésie en transe, par Jean-Claude Leroy







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  • Lionel Bourg | [Ce fut un corps]

    «  Poésie d’un jour  »





    Ce fut l'hiver
    Ph., G.AdC






                                        VII


    Ce fut un corps. Un arbre foudroyé
    dont pourrissait l’écorce. Une aube,
    un matin caressé à l’intérieur des chairs,
    une blessure lovée dans les mots psalmodiant le désert,
    qui ne firent tant de bruit que pour se fondre enfin
    en un plus grand silence. Ce fut l’oubli,
    la marque à ton poignet que tu cachas dans l’herbe
    où tu croyais aimer une terre sans remords.
    Ce fut l’hiver. Il ne resta bientôt,
    seule dans cette neige,
    que l’aile d’un oiseau tué dès son essor.



    Lionel Bourg, Stances pour un adieu in Une certaine latitude, Éditions Jacques Brémond, 1990, page 91.




    LIONEL BOURG



    ■ Lionel Bourg
    sur Terres de femmes

    11 novembre 1989 | Lionel Bourg, Notes d’automne (lecture d’AP + extrait d’Une certaine latitude)
    Journal d’Anduze





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  • 11 novembre 1989 | Lionel Bourg, Notes d’automne

    Éphéméride culturelle à rebours




    Bourg
    Ph., G.AdC







    11 NOVEMBRE



    L’humidité investit Roquedols. Insinuée dans le château, elle s’installe, me rend paresseux ou, plutôt, privé de l’envie d’en combattre les effets par une activité physique vigoureuse, je me plie à sa loi sans lutter. Jour morne, dont le brouillard et le crachin me contaminent : je me coucherais, attendant sous les couvertures que les heures succèdent aux heures, et que cette impuissance momentanée finisse par passer. À tant aimer de semblables instants, ce sont eux qui, parfois, ne paraissent plus m’aimer. Manière de spleen aurait-on dit le siècle précédent, mais en cette fin d’une autre époque, quel mot résumerait un mal qui n’en termine pas de charger les épaules de ses enfants adultérins ?

    J’ai cédé au mystère d’une sente s’engouffrant dans la végétation touffue qu’éclaircissent les coupes intempestives de certains forestiers. Sorti afin de fuir l’engourdissement et la ronde affligeante d’idées plus grises que noires, j’ai marché machinalement, ne me retournant qu’après deux ou trois kilomètres : au sein d’une masse brumeuse presque compacte, les ombres du relief, pas même des silhouettes, prenaient figures de continents engloutis, d’Atlantide silencieuse ou d’îles d’un autre temps dérivant depuis le cambrien sur une mémoire obscure. Encombrant la laie, un énorme tronc, avachi sous une écorce ridée, reposait en pachyderme dont je ne découvris qu’ensuite les blanches entrailles. Un peu partout, des racines pourries, des embryons d’arbres racornis, une faune morte, grossiers hippocampes qui furent bras de souche suppliciée, gargouilles hybrides, espèces monstrueuses, vaste cimetière qu’aurait violé, sous l’emprise de l’ergot du seigle, une populace médiévale tirant les ultimes conclusions de sa foi nécromante.



    Lionel Bourg, Notes d’automne, in Une certaine latitude, Éditions Jacques Brémond, 1990, pp. 46-47.








    ______________________________________
    COMMENTAIRE



    À mi-chemin d’un parcours d’écriture qui commence le 10 octobre et se clôt le 28 novembre, cette page du 11 novembre résume à elle seule l’état d’esprit et de cœur de Lionel Bourg tout au long des feuillets qui composent ces Notes d’automne.






    Roquedols1
    Source





    Bénéficiaire d’une bourse d’écrivain-résident créée par le Conseil général du Gard, Lionel Bourg séjourne durant le dernier trimestre de 1989 au château de Roquedols (à Meyruès, Lozère), mis à disposition par le Parc National des Cévennes. C’est là qu’il écrit son recueil Une certaine latitude, « livre du séjour, livre de Château, mais aussi appel irrésistible vers l’Autre. » Dans cette région des Cévennes où se rendit aussi le poète Virgile, tout juste 2013 années plus tôt.

    « …une vigne maigre dispose à intervalles réguliers ses rangées de sentinelles noires et immobiles guettant la lente montée du jour.  »

    Ainsi s’ouvre le recueil Une certaine latitude, sur un bref hommage au poète latin. Mais l’identification rêvée de Lionel Bourg à l’auteur des Géorgiques s’arrête là et l’écrivain est rattrapé par d’autres nostalgies. De plus en plus profondes et douloureuses, au fur et à mesure que l’on pénètre dans le paysage mental de l’auteur du Journal d’Anduze. Un monde karstique, où dominent fractures et gisements. Signes d’une « inguérissable déchirure. » Et taillé dans une roche tendre d’où il tire son nom, le château de Roquedols, qui se change en « rocher de la douleur ». Une étymologie fantaisiste sans doute, qui convient toutefois à l’humeur de l’hôte qu’il héberge.

    Publiées en 1990, les Notes d’automne ouvrent le recueil intitulé Une certaine latitude. Suivies de : Une longue lettre d’amour en somme et Stances pour un adieu. Les trois volets de ce recueil ne sont en réalité que l’écriture d’une même litanie. D’une même souffrance. D’un même deuil. Et l’ébauche, à la croisée des images et des paysages, à la croisée de la langue et des mots, d’une rencontre possible d’« écritures parallèles ». La réécriture, en quelque sorte, d’une partition monocorde, teintée de gris et de givre, balayée des pluies et des vents de novembre. Inscrite dans la mémoire néandertalienne des Causses et des hauts plateaux cévenols. Que Lionel Bourg, marcheur infatigable, a arpentés quatre mois durant. Et investis de l’intérieur. À la recherche de cette « latitude » où écrire et vivre se rejoignent en une figure unique, susceptible de recomposer les fragments que la brisure originelle a désespérément dispersés.

    Comme dans d’autres ouvrages de Lionel Bourg, les moments où affleure le bonheur sont rares pour cet homme lacéré et meurtri. Reste l’écriture. Écriture d’un héautontimorouménos, nourrie de ses propres déchirures. Parce que l’« on écrit afin de ne pas guérir d’une longue et lointaine infection enfantine. » Mais écriture ample, rythmée par une allure attentive à la scansion et aux respirations qu’impose la marche. Une écriture qui inscrit Lionel Bourg dans « la lignée des écrivains randonneurs ».



    Angèle Paoli
    DR. Texte angèlepaoli




    LIONEL BOURG



    ■ Lionel Bourg
    sur Terres de femmes

    [Ce fut un corps] (extrait de Stances pour un adieu)
    Journal d’Anduze





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  • Lionel Bourg, Journal d’Anduze

    par Angèle Paoli

    Lionel Bourg, Journal d’Anduze,
    Editions Jacques Brémond, 1993.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Lautomne_lussan
    Vue d’un ciel cévenol depuis une maison familiale de Lussan
    (à 15 km d’Anduze)
    Ph., G.AdC








    TRAQUE SUR LES PAS DE L’ABYME



         Le Journal d’Anduze de Lionel Bourg est un livre artisanal broché cousu « achevé d’imprimer à la cave de Cannes et Clairan dans le Gard Cévenol au cœur des vendanges mille neuf cent quatre vingt treize » par son ami Jacques Brémond. Imprimé sur des papiers blanchis du Moulin de Saint-Nabord (Vosges) et sous une couverture de gros grains en pur chiffon violine du Moulin de Larroque (Dordogne) où officient Noëlle et Georges Duchêne comme papetiers.

        Dans ce recueil, Lionel Bourg n’a de cesse de guetter en lui « cette quête d’un en-deçà, d’un en-soi parfois trop lourd à porter seul. Traque sur les pas de l’abyme, vers les douleurs de la nuit, sur les traces de toutes nos grottes aux armes rupestres. » Celles qu’au fond de nous, « nous rêvons toujours de reproduire ». Comme le souligne Jacques Brémond lui-même, l’éditeur a fait ce « livre d’une vacance pour Lionel, pour l’écriture de ce temps, poète et éditeur mêlés sur les bords du chaos. » Avec ses mains amies, comme en atteste la délicatesse des lettrines vertes qui ouvrent chacun des paragraphes.

        Lionel Bourg y convie son lecteur au cœur de ce pays cévenol qu’il a habité quelque temps. Le temps de convoquer ses vieux démons, dans une salutaire et salvatrice solitude ! De prendre ses distances avec lui-même dans un pays qui n’est pas le sien. De « boire l’eau d’oubli » et de renaître à de nouvelles forces de vie, grâce aux vertus cathartiques de l’écriture. Menée conjointement à des vagabondages où toute rencontre est « signe ». Le Journal d’Anduze est un journal de voyage à l’intérieur de soi. L’auteur s’y livre à de douloureuses explorations qui nourrissent son désespoir. Pareil à Dracula, son « semblable », son « frère », ou à Rimbaud, « l’homme aux semelles de vent », Lionel Bourg s’inquiète de savoir « si le malheur du vampire comme celui de certains poètes ne provient pas de l’insondable détresse dont ils sont les proies et qui les soustrait au devenir. » L’écriture n’en est pas moins irréversible.

        « En écrivant ces pages je trace la ligne qu’elles me permettent de franchir. Je ne pourrai plus reculer » (page 41). Sommation du poète. « Peut-être faut-il à chacun une montagne pour que, sans regret, sans appréhension, il accueille comme sienne la naissance du soir » (excipit des Montagnes du soir de Lionel Bourg).


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




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         NOTE : Ce recueil n’est pas répertorié sur les sites librairies habituels, mais il en reste quelques exemplaires chez l’éditeur. Depuis le Journal d’Anduze, achevé d’imprimer en 1993, mais achevé d’écrire en février 1988, un autre ouvrage est paru chez le même éditeur, en décembre 2001 : Lettres de Lassalle (suivies de Fragments d’un livre d’amour). C’est en 1980 que Lionel Bourg a publié son premier recueil aux éditions Jacques Brémond : Contre Nuit (écrit en 1976). Autres écrits publiés chez le même éditeur : L’Etroite Blessure du silence, 1988; La Déchirure (Lettre à Clara d’Anduze), ouvrage épuisé, prochaine rééd. prévue par l’éditeur  ; Jalcreste, in Itinéraires Littéraires en Lozère, 1990; Une certaine latitude, 1990.





    EXTRAIT



        Écrire me fut souvent non pas mentir, mais habiller, vêtir de telle sorte une part de vérité, que je la dissimulais tout en la révélant. Il y a du travestissement dans l’acte scriptural. Carnaval parfois désespéré, on y avance sous le domino des phrases, jouant des facettes d’une défroque d’Arlequin : l’insaisissable opère sournoisement. Plus jeune, le côté quasi instinctif de mes poèmes était cru. Vieillissant, de plus subtils déguisements me permirent de dire au grand jour ce que je n’ai jamais réellement osé prononcer. Jeux de miroirs, labyrinthe exécrable et pervers, les multiples glaces déformantes reflètent cependant la silhouette assez précise de qui tient la plume. Dans l’étoffe plus ou moins lacérée de mes contradictions, je n’ai montré que la moire, fût-elle la plus secrètement rongée d’insectes hautement dévastateurs, en sorte que mes écrits les plus « vrais », les plus nus, ne sont pas ceux tracés fiévreusement autrefois mais, lorsque la trame des sens et de la forme montre ses béances, ceux qui laissent s’engouffrer l’au-delà du silence et des mots. L’écrivain procède vis-à-vis d’autrui, tout particulièrement de ses éventuels lecteurs, par les subterfuges d’un même abus de confiance…



    Lionel Bourg, Journal d’Anduze, Editions Jacques Brémond, 1993, page 42.





    LIONEL BOURG



    ■ Lionel Bourg
    sur Terres de femmes) ▼

    [Ce fut un corps] (extrait de Stances pour un adieu)
    11 novembre 1989 | Lionel Bourg, Notes d’automne (note de lecture + extrait d’Une certaine latitude)





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