Terres de Femmes

Étiquette : Italo Calvino

  • 15 octobre 1923/Naissance d’Italo Calvino

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 15 octobre 1923 naît à Santiago de Las Vegas Italo Calvino.





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        Image, G.AdC





        Parmi les nombreux romans dont Italo Calvino est l’auteur figure en bonne place Les Villes invisibles (1972).

        Les villes invisibles sont des villes qui ne figurent dans aucun atlas géographique. Au nombre de cinquante-cinq, elles sont répertoriées en sept séries de cinq encadrées de deux séries de dix, selon une thématique récurrente (les villes et la mémoire, les villes et le désir, les villes et les signes, les villes et les échanges, les villes et le regard, les villes et le nom, les villes et les morts, les villes et le ciel, mais aussi les villes « effilées », les villes « cachées » ou les villes « continues ») et sont l’une après l’autre décrites par Marco Polo à l’empereur Kubilaï Khan. Réparti en neuf chapitres selon une structure en spirale, le récit, accompagné de dialogues entre les deux hommes, symbolise en même temps qu’une vision du monde un projet d’écriture (poème en prose, apologue ou onirigramme).





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    Ph., G.AdC





         Au cours d’une conférence donnée en 1985, Italo Calvino déclarait :
        « Si Les Villes invisibles reste celui de mes livres où je crois avoir dit le plus de choses, c’est parce que j’ai pu concentrer en un unique symbole toutes mes réflexions, toutes mes expériences, toutes mes conjectures ; et parce que j’ai construit une structure à facettes où chaque court texte […] se trouve pris dans un réseau qui permet de tracer des parcours multiples et de tirer des conclusions ramifiées et plurielles. »




    Les villes et le désir. 4.


        Au centre de Foedora, métropole de pierre grise, il y a un palais de métal avec une boule de verre dans chaque salle. Si l’on regarde dans ces boules, on y voit chaque fois une ville bleue qui est la maquette d’une autre Foedora. Ce sont les formes que la ville aurait pu prendre, si, pour une raison ou pour une autre, elle n’était devenue la ville telle qu’aujourd’hui nous la voyons. À chaque époque il y eut quelqu’un pour, regardant Foedora comme elle était alors, imaginer comment en faire la ville idéale ; mais alors même qu’il en construisait en miniature la maquette, déjà Foedora n’était plus ce qu’elle était au début, et ce qui avait été, jusqu’à la veille, l’un de ses avenirs possibles, n’était plus désormais qu’un jouet dans une boule de verre. Foedora, à présent, avec ce palais des boules de verre, possède son musée : tous ses habitants le visitent, chacun y choisit la ville qui répond à ses désirs…


    Italo Calvino, Les Villes invisibles, Éditions du Seuil, 1974, p. 41. Traduit de l’italien par Jean Thibaudeau.




    Le città e il desiderio. 4.


        Al centro di Fedora, metropoli di pietra grigia, sta un palazzo di metallo con una sfera di vetro in ogni stanza. Guardando dentro ogni sfera si vede una città azzurra che è il modello di un’altra Fedora. Sono le forme che la città avrebbe potuto prendere se non fosse, per una ragione o per l’altra, diventata come oggi la vediamo. In ogni epoca qualcuno, guardando Fedora qual era, aveva immaginato il modo di farne la città ideale, ma mentre costruiva il suo modello in miniatura già Fedora non era più la stessa di prima e quello che fino a ieri era stato un suo possibile futuro ormai era solo un giocattolo in una sfera di vetro. Fedora ha adesso nel palazzo delle sfere il suo museo: ogni abitante lo visita, sceglie la città che corrisponde ai suoi desideri…


    Le Città invisibili, Einaudi, « Nuovi Coralli », 1984, p. 39.






    Les villes « effilées ». 2.


        Je dirai de la ville de Zénobie qu’elle a ceci d’admirable : bien que située sur un terrain sec, elle repose sur de très hauts pilotis, les maisons sont de bambou et de zinc, avec un grand nombre de galeries et balcons, elles sont placées à des hauteurs différentes, comme sur des échasses qui se défient entre elles, et reliées par des échelles et des passerelles, surmontées par des belvédères couverts de toits coniques, de tonneaux qui sont des réservoirs d’eau, de girouettes tournant au vent, et il en dépasse des poulies, des cannes à pêche et des grues…


    Les Villes invisibles, p. 45.




    Le Città sottili. 2.


        Ora dirò della città di Zenobia che ha questo di mirabile: benché posta su terreno asciutto essa sorge su altissime palafitte, e le case sono di bambù e di zinco, con molti ballatoi e balconi, poste a diversa altezza, su trampoli che si scavalcano l’un l’altro, collegate da scale a pioli e marciapiedi pensili, sormontate da belvederi coperti da tettoie a cono, barili di serbatoi d’acqua, girandole marcavento, e ne sporgono carrucole, lenze e gru.


    Le Città invisibili, p. 41.






    Les villes et les regards. 1.


        Les anciens construisirent Baldrade sur les rives d’un lac avec des maisons aux vérandas entassées les unes au-dessus des autres et des rues hautes dont les parapets à balustres dominent l’eau. De sorte qu’en arrivant le voyageur voit deux villes : l’une qui s’élève au-dessus du lac et l’autre, inversée, qui y est reflétée. Il n’existe ou n’arrive rien dans l’une des Valdrade que l’autre Valdrade ne répète, car la ville fut construite de telle manière qu’en tous ses points elle soit réfléchie par son miroir, et la Valdrade qui est en bas dans l’eau contient non seulement toutes les cannelures et tous les reliefs des façades qui se dressent au-dessus du lac mais encore l’intérieur des appartements avec les plafonds et planchers, la perspective des couloirs, les glaces des armoires.


    Les Villes invisibles, p. 66.




    Le città e gli occhi. 1.


        Gli antichi costruirono Valdrada sulle rive di un lago con case tutte verande una sopra l’altra e vie alte che affacciano sull’acqua i parapetti a balaustra. Così il viaggiatore vede arrivando due città: una diritta sopra il lago e una riflessa capovolta. Non esiste o avviene cosa nell’una Valdrada che l’altra Valdrada non ripeta, perché la città fu costruita in modo che ogni suo punto fosse riflesso dal suo specchio, e la Valdrada giù nell’acqua contiene non solo tutte le scanalature e gli sbalzi delle facciate che s’elevano sopra il lago ma anche l’interno delle stanze con i soffitti e i pavimenti, la prospettiva dei corridoi, gli specchi degli armadi.


    Le Città invisibili, p. 59.






    Les villes « effilées ». 4.


        La ville de Sophronia se compose de deux moitiés de ville. Dans l’une, il y a le grand-huit volant aux bosses brutales, le manège avec ses chaînes en rayons de soleil, la roue avec ses cages mobiles, le puits de la mort avec ses motocyclistes la tête en bas, la coupole du cirque avec la grappe de trapèzes qui pend en son milieu. L’autre moitié de la ville est en pierre, en marbre et en ciment, avec la banque, les usines, les palais, l’abattoir, l’école et tout le reste. L’une des moitiés de la ville est fixe, l’autre est provisoire, et quand le terme de sa halte est arrivé, ils la déclouent, la démontent et l’emportent pour la replanter sur les terrains vagues d’une autre moitié de ville. Ainsi chaque année survient le jour où les manœuvres enlèvent les frontons de marbre, descendent les murs de pierre, les pylônes de ciment, démontent le ministère, le monument, les docks, la raffinerie de pétrole, l’hôpital, les chargent sur des remorques, pour suivre de place en place l’itinéraire de chaque année. Ce qui demeure ici, c’est la demi-Sophronia de tirs à la cible et de manèges […]


    Les Villes invisibles, p. 77.




    Le città sottili. 4.


        La città di Sofronia si compone di due mezze città. In una c’è il grande ottovolante dalle ripide gobbe, la giostra con la raggera di catene, la ruota delle gabbie girevoli, il pozzo della morte coi motociclisti a testa in giù, la cupola del circo col grappolo dei trapezi che pende in mezzo. L’altra mezza città è di pietra e marmo e cemento, con la banca, gli opifici, i palazzi, il mattatoio, la scuola e tutto il resto. Una delle mezze città è fissa, l’altra è provvisoria e quando il tempo della sua sosta è finito la schiodano, la smontano e la portano via, per trapiantarla nei terreni vaghi di un’altra mezza città. Così ogni anno arriva il giorno in cui i manovali staccano i frantoni di marmo, calano i muri di pietra, i piloni di cemento, smontano il ministero, il monumento, i docks, la raffineria di petrolio, l’ospedale, li caricano sui rimorchi, per seguire di piazza in piazza l’itinerario di ogni anno. Qui resta la mezza Sofronia dei tirassegni e delle giostre […]


    Le Città invisibili, p. 69.






    Les villes et les échanges. 5.


        À Sméraldine, ville aquatique, un réseau de canaux et un réseau de rues se superposent et se recoupent. Pour aller d’un endroit à un autre, tu as toujours le choix entre le parcours terrestre et le parcours en barque : et comme à Sméraldine le chemin le plus court d’un point à un autre n’est pas une droite mais une ligne en zigzags ramifiée en variantes tortueuses, les voies qui s’offrent aux passants ne sont pas simplement deux, il y en a beaucoup, et elles augmentent encore si on fait alterner trajets en barque et passages à pieds secs. Ainsi l’ennui de parcourir chaque jour les mêmes rues est-il épargné aux habitants de Sméraldine.


    Les Villes invisibles, p. 106.




    Le città e gli scambi. 5.


        A Smeraldina, città acquatica, un reticolo di canali e un reticolo di strade si sovrappongono e s’intersecano. Per andare da un posto a un altro hai sempre la scelta tra il percorso terrestre e quello in barca: e poiché la linea più breve tra due punti a Smeraldina non è una retta ma uno zigzag che si ramifica in tortuose varianti, le vie che s’aprono a ogni passante non sono soltanto due ma molte, e ancora aumentano per chi alterna traghetti in barca e trasbordi all’asciutto. Cosi la noia a percorrere ogni giorno le stesse strade è risparmiata agli abitanti di Smeraldina.


    Le Città invisibili, p. 95.





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    Ph., G.AdC





    ■ Italo Calvino
    sur Terres de femmes


    15 juin 1767/Italo Calvino, Le Baron perché
    19 septembre 1985/Mort de Italo Calvino (extrait des Fables italiennes)



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  • 15 juin 1767 | Italo Calvino, Le Baron perché

    Éphéméride culturelle à rebours



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    Ph., G.AdC







    INCIPIT DU BARON PERCHÉ


         C’est le 15 juin 1767 que Côme Laverse du Rondeau, mon frère, s’assit au milieu de nous pour la dernière fois. Je m’en souviens comme si c’était hier. Nous étions dans la salle à manger de notre villa d’Ombreuse ; les fenêtres encadraient les branches touffues de la grande yeuse du parc. Il était midi ; c’est à cette heure-là que notre famille, obéissant à une vieille tradition, se mettait à table ; le déjeuner au milieu de l’après-midi, mode venue de la peu matinale Cour de France et adoptée par toute la noblesse, n’était pas en usage chez nous. Je me rappelle que le vent soufflait, qu’il venait de la mer et que les feuilles bougeaient.
        ― J’ai dit que je ne veux pas et je ne veux pas, fit Côme en écartant le plat d’escargots. On n’avait jamais vu désobéissance plus grave.
        Le baron Arminius Laverse du Rondeau, notre père, coiffé d’une perruque Louis XIV descendant jusqu’aux oreilles et démodée comme tout ce qui lui appartenait, siégeait à la place d’honneur. Entre mon frère et moi était assis l’abbé Fauchelafleur, chapelain de notre famille, notre précepteur. En face de nous, le générale Konradine du Rondeau, notre mère, et notre sœur Baptiste, la nonne de la maison. À l’autre bout de la table, en costume turc, était assis l’avocat Æneas–Sylvius Carrega, hydraulicien, régisseur de notre propriété et notre oncle naturel, puisqu’il était le frère illégitime de notre père.
        Côme avait douze ans, j’en avais huit. Depuis quelques mois seulement, nous avions été admis à la table de nos parents ; j’avais bénéficié avant l’âge de la promotion de mon frère : on n’avait pas voulu me laisser manger tout seul. Bénéficié, c’est une façon de parler. Pour Côme et pour moi, c’en était fini du bon temps et nous regrettions nos petits repas seuls dans un réduit, en compagnie de l’abbé Fauchelafleur. Celui-ci était un petit vieillard sec et ridé ; on le disait janséniste ; de fait, il avait fui le Dauphiné, sa province natale, pour éviter un procès de l’Inquisition. Mais ce caractère rigoureux qu’on louait généralement chez lui, cette sévérité intérieure qu’il s’imposait et imposait aux autres cédaient à chaque instant devant une vocation foncière pour l’indifférence et le laisser-aller. Selon toute apparence, ses longues méditations les yeux dans le vide n’avaient abouti qu’à une grande absence de volonté et à un profond ennui. Il agissait comme s’il voyait dans la plus légère difficulté le signe d’une fatalité à laquelle il serait inutile de s’opposer. Nos repas en compagnie de l’Abbé ne commençaient qu’après de longues oraisons, et les évolutions de nos cuillers se devaient d’être dignes, rituelles, silencieuses : malheur à celui qui levait les yeux de son assiette ou faisait entendre, en absorbant son bouillon, la plus faible aspiration. Mais le potage fini, l’Abbé commençait à se sentir las, contrarié : il regardait le vide et faisait claquer sa langue à chaque gorgée de vin ; seules les sensations les plus superficielles et les plus éphémères semblaient encore le toucher. Au plat de résistance, nous pouvions nous mettre à manger avec les mains ; et à la fin du repas, nous nous lancions des trognons de poires, tandis que l’Abbé laissait choir de temps à autre un de ses nonchalants :
        ― Oooh bien ! Oooh alors !
        Maintenant que nous avions pris place à la table commune, nous sentions s’accumuler en nous les griefs familiaux, triste chapitre de l’enfance. Notre père et notre mère ne nous quittaient pas des yeux : « sers-toi de ta fourchette et de ton couteau pour le poulet, tiens-toi droit, ôte tes coudes de la table », ça n’arrêtait pas ; sans compter notre insupportable sœur Baptiste. Ce ne furent que gronderies, piques d’amour-propre, punitions, bouderies. Jusqu’au jour où Côme refusa les escargots et décida de séparer son destin du nôtre.


    Italo Calvino, Le Baron perché [1957 ; 1959 pour la traduction française], Éditions du Seuil, Collection Points, 2001, pp. 11-12. Traduit de l’italien par Juliette Bertrand.





        Fu il 15 di giugno del 1767 che Cosimo Piovasco di Rondò, mio fratello, sedette per l’ultima volta in mezzo a noi. Ricordo come fosse oggi. Eravamo nella sala da pranzo della nostra villa d’Ombrosa, le finestre inquadravano i folti rami del grande elce del parco. Era mezzogiorno, e la nostra famiglia per vecchia tradizione sedeva a tavola a quell’ora, nonostante fosse già invalsa tra i nobili la moda, venuta dalla poco mattiniera Corte di Francia, d’andare a desinare a metà del pomeriggio. Tirava vento dal mare, ricordo, e si muovevano le foglie. Cosimo disse: ― Ho detto che non voglio e non voglio! ― e respinse il piatto di lumache. Mai s’era vista disubbidienza più grave.
         A capotavola era il Barone Arminio Piovasco di Rondò, nostro padre, con la parrucca lunga sulle orecchie alla Luigi XIV, fuori tempo come tante cose sue. Tra me e mio fratello sedeva l’Abate Fauchelafleur, elemosiniere della nostra famiglia ed aio di noi ragazzi. Di fronte avevamo la Generalessa Corradina di Rondò, nostra madre, e nostra sorella Battista, monaca di casa. All’altro capo della tavola, rimpetto a nostro padre, sedeva, vestito alla turca, il Cavalier Avvocato Enea Silvio Carrega, amministratore e idraulico dei nostri poderi, e nostro zio naturale, in quanto fratello illegittimo di nostro padre.
        Da pochi mesi, Cosimo avendo compiuto i dodici anni ed io gli otto, eravamo stati ammessi allo stesso desco dei nostri genitori ; ossia, io avendo beneficiato della stessa promozione di mio fratello prima del tempo, perché non vollero lasciarmi di là a mangiare da solo. Dico beneficiato così per dire : in realtà sia per Cosimo che per me era finita la cuccagna, e rimpiangevamo i disenari nella nostra stanzetta, noi due soli con l’Abate Fauchelafleur. L’Abate era un vecchietto secco e grinzoso, che aveva fame di giansenista, ed era difatti fuggito dal Delfinato, sua terra natale, per scampare a un processo dell’Inquisizione. Ma il carattere rigoroso che di lui solamente tutti lodavano, la severità interiore che imponeva a sé e agli altri, cedevano continuamente a una sua fondamentale vocazione per l’indifferenza e il lasciar correre, come se le sue lunghe meditazioni a occhi fissi nel vuoto non avessero approdato che a una gran noia e svogliatezza, e in ogni difficoltà cui non valeva opporsi. I nostri pasti in compagnia dell’Abate cominciavano dopo lunghe orazioni, con movimenti di cucchiai composti, rituali, silenziosi, e guai a chi alzava gli occhi dal piatto o faceva anche il più lieve risucchio sorbendo il brodo ; ma alla fine della minestra l’Abate era già stanco, annoiato, guardava nel vuoto, schioccava la lingua a ogni sorso di vino, come se soltanto le sensazioni più superficiali e caduche riuscissero a raggiungerlo ; alla pietanza noi già ci potevamo mettere a mangiare con le mani, e finivamo il pasto tirandoci torsoli di pera, mentre l’Abate faceva cadere ogni tanto uno dei suoi pigri : ― …Ooo bien !…Ooo alors !
        Adesso, invece, stando a tavola con la famiglia, prendevano corpo i rancori familiari, capitolo triste dell’infanzia. Nostro padre, nostra madre sempre lì davanti, l’uso delle posate per il pollo, e sta’ dritto, e via i gomiti dalla tavola, un continuo ! e per di più quell’ antipatica di nostra sorella Battista. Cominciò una serie di sgridate, di ripicchi, di castighi, d’impuntature, fino al giorno in cui Cosimo rifiutò le lumache e decise di separare la sua sorte dalla nostra.


    Italo Calvino, Il barone rampante [giugno 1957], Oscar Mondadori, edizione Oscar, 2002, pp. 3-4.





    ■ Italo Calvino
    sur Terres de femmes

    15 octobre 1923 | Naissance d’Italo Calvino (extraits des Villes invisibles)
    19 septembre 1985 | Mort d’Italo Calvino (extrait des Fables italiennes)




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  • 15 octobre 1923 | Naissance d’Italo Calvino

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 15 octobre 1923 naît à Santiago de Las Vegas Italo Calvino.






        Calvino_copertina_fr
        Image, G.AdC






        Parmi les nombreux romans dont Italo Calvino est l’auteur figure en bonne place Les Villes invisibles (1972).

        Les villes invisibles sont des villes qui ne figurent dans aucun atlas géographique. Au nombre de cinquante-cinq, elles sont répertoriées en sept séries de cinq encadrées de deux séries de dix, selon une thématique récurrente (les villes et la mémoire, les villes et le désir, les villes et les signes, les villes et les échanges, les villes et le regard, les villes et le nom, les villes et les morts, les villes et le ciel, mais aussi les villes « effilées », les villes « cachées » ou les villes « continues ») et sont l’une après l’autre décrites par Marco Polo à l’empereur Kubilaï Khan. Réparti en neuf chapitres selon une structure en spirale, le récit, accompagné de dialogues entre les deux hommes, symbolise en même temps qu’une vision du monde un projet d’écriture (poème en prose, apologue ou onirigramme).






    Calvino_b_2
    Ph., G.AdC






         Au cours d’une conférence donnée en 1985, Italo Calvino déclarait :
        « Si Les Villes invisibles reste celui de mes livres où je crois avoir dit le plus de choses, c’est parce que j’ai pu concentrer en un unique symbole toutes mes réflexions, toutes mes expériences, toutes mes conjectures ; et parce que j’ai construit une structure à facettes où chaque court texte […] se trouve pris dans un réseau qui permet de tracer des parcours multiples et de tirer des conclusions ramifiées et plurielles. »




    Les villes et le désir. 4.


        Au centre de Foedora, métropole de pierre grise, il y a un palais de métal avec une boule de verre dans chaque salle. Si l’on regarde dans ces boules, on y voit chaque fois une ville bleue qui est la maquette d’une autre Foedora. Ce sont les formes que la ville aurait pu prendre, si, pour une raison ou pour une autre, elle n’était devenue la ville telle qu’aujourd’hui nous la voyons. À chaque époque il y eut quelqu’un pour, regardant Foedora comme elle était alors, imaginer comment en faire la ville idéale ; mais alors même qu’il en construisait en miniature la maquette, déjà Foedora n’était plus ce qu’elle était au début, et ce qui avait été, jusqu’à la veille, l’un de ses avenirs possibles, n’était plus désormais qu’un jouet dans une boule de verre. Foedora, à présent, avec ce palais des boules de verre, possède son musée : tous ses habitants le visitent, chacun y choisit la ville qui répond à ses désirs…


    Italo Calvino, Les Villes invisibles, Éditions du Seuil, 1974, p. 41. Traduit de l’italien par Jean Thibaudeau.




    Le città e il desiderio. 4.


        Al centro di Fedora, metropoli di pietra grigia, sta un palazzo di metallo con una sfera di vetro in ogni stanza. Guardando dentro ogni sfera si vede una città azzurra che è il modello di un’altra Fedora. Sono le forme che la città avrebbe potuto prendere se non fosse, per una ragione o per l’altra, diventata come oggi la vediamo. In ogni epoca qualcuno, guardando Fedora qual era, aveva immaginato il modo di farne la città ideale, ma mentre costruiva il suo modello in miniatura già Fedora non era più la stessa di prima e quello che fino a ieri era stato un suo possibile futuro ormai era solo un giocattolo in una sfera di vetro. Fedora ha adesso nel palazzo delle sfere il suo museo: ogni abitante lo visita, sceglie la città che corrisponde ai suoi desideri…


    Le Città invisibili, Einaudi, « Nuovi Coralli », 1984, p. 39.






    Les villes « effilées ». 2.


        Je dirai de la ville de Zénobie qu’elle a ceci d’admirable : bien que située sur un terrain sec, elle repose sur de très hauts pilotis, les maisons sont de bambou et de zinc, avec un grand nombre de galeries et balcons, elles sont placées à des hauteurs différentes, comme sur des échasses qui se défient entre elles, et reliées par des échelles et des passerelles, surmontées par des belvédères couverts de toits coniques, de tonneaux qui sont des réservoirs d’eau, de girouettes tournant au vent, et il en dépasse des poulies, des cannes à pêche et des grues…


    Les Villes invisibles, p. 45.




    Le Città sottili. 2.


        Ora dirò della città di Zenobia che ha questo di mirabile: benché posta su terreno asciutto essa sorge su altissime palafitte, e le case sono di bambù e di zinco, con molti ballatoi e balconi, poste a diversa altezza, su trampoli che si scavalcano l’un l’altro, collegate da scale a pioli e marciapiedi pensili, sormontate da belvederi coperti da tettoie a cono, barili di serbatoi d’acqua, girandole marcavento, e ne sporgono carrucole, lenze e gru.


    Le Città invisibili, p. 41.






    Les villes et les regards. 1.


        Les anciens construisirent Baldrade sur les rives d’un lac avec des maisons aux vérandas entassées les unes au-dessus des autres et des rues hautes dont les parapets à balustres dominent l’eau. De sorte qu’en arrivant le voyageur voit deux villes : l’une qui s’élève au-dessus du lac et l’autre, inversée, qui y est reflétée. Il n’existe ou n’arrive rien dans l’une des Valdrade que l’autre Valdrade ne répète, car la ville fut construite de telle manière qu’en tous ses points elle soit réfléchie par son miroir, et la Valdrade qui est en bas dans l’eau contient non seulement toutes les cannelures et tous les reliefs des façades qui se dressent au-dessus du lac mais encore l’intérieur des appartements avec les plafonds et planchers, la perspective des couloirs, les glaces des armoires.


    Les Villes invisibles, p. 66.




    Le città e gli occhi. 1.


        Gli antichi costruirono Valdrada sulle rive di un lago con case tutte verande una sopra l’altra e vie alte che affacciano sull’acqua i parapetti a balaustra. Così il viaggiatore vede arrivando due città: una diritta sopra il lago e una riflessa capovolta. Non esiste o avviene cosa nell’una Valdrada che l’altra Valdrada non ripeta, perché la città fu costruita in modo che ogni suo punto fosse riflesso dal suo specchio, e la Valdrada giù nell’acqua contiene non solo tutte le scanalature e gli sbalzi delle facciate che s’elevano sopra il lago ma anche l’interno delle stanze con i soffitti e i pavimenti, la prospettiva dei corridoi, gli specchi degli armadi.


    Le Città invisibili, p. 59.






    Les villes « effilées ». 4.


        La ville de Sophronia se compose de deux moitiés de ville. Dans l’une, il y a le grand-huit volant aux bosses brutales, le manège avec ses chaînes en rayons de soleil, la roue avec ses cages mobiles, le puits de la mort avec ses motocyclistes la tête en bas, la coupole du cirque avec la grappe de trapèzes qui pend en son milieu. L’autre moitié de la ville est en pierre, en marbre et en ciment, avec la banque, les usines, les palais, l’abattoir, l’école et tout le reste. L’une des moitiés de la ville est fixe, l’autre est provisoire, et quand le terme de sa halte est arrivé, ils la déclouent, la démontent et l’emportent pour la replanter sur les terrains vagues d’une autre moitié de ville. Ainsi chaque année survient le jour où les manœuvres enlèvent les frontons de marbre, descendent les murs de pierre, les pylônes de ciment, démontent le ministère, le monument, les docks, la raffinerie de pétrole, l’hôpital, les chargent sur des remorques, pour suivre de place en place l’itinéraire de chaque année. Ce qui demeure ici, c’est la demi-Sophronia de tirs à la cible et de manèges […]


    Les Villes invisibles, p. 77.




    Le città sottili. 4.


        La città di Sofronia si compone di due mezze città. In una c’è il grande ottovolante dalle ripide gobbe, la giostra con la raggera di catene, la ruota delle gabbie girevoli, il pozzo della morte coi motociclisti a testa in giù, la cupola del circo col grappolo dei trapezi che pende in mezzo. L’altra mezza città è di pietra e marmo e cemento, con la banca, gli opifici, i palazzi, il mattatoio, la scuola e tutto il resto. Una delle mezze città è fissa, l’altra è provvisoria e quando il tempo della sua sosta è finito la schiodano, la smontano e la portano via, per trapiantarla nei terreni vaghi di un’altra mezza città. Così ogni anno arriva il giorno in cui i manovali staccano i frantoni di marmo, calano i muri di pietra, i piloni di cemento, smontano il ministero, il monumento, i docks, la raffineria di petrolio, l’ospedale, li caricano sui rimorchi, per seguire di piazza in piazza l’itinerario di ogni anno. Qui resta la mezza Sofronia dei tirassegni e delle giostre […]


    Le Città invisibili, p. 69.






    Les villes et les échanges. 5.


        À Sméraldine, ville aquatique, un réseau de canaux et un réseau de rues se superposent et se recoupent. Pour aller d’un endroit à un autre, tu as toujours le choix entre le parcours terrestre et le parcours en barque : et comme à Sméraldine le chemin le plus court d’un point à un autre n’est pas une droite mais une ligne en zigzags ramifiée en variantes tortueuses, les voies qui s’offrent aux passants ne sont pas simplement deux, il y en a beaucoup, et elles augmentent encore si on fait alterner trajets en barque et passages à pieds secs. Ainsi l’ennui de parcourir chaque jour les mêmes rues est-il épargné aux habitants de Sméraldine.


    Les Villes invisibles, p. 106.




    Le città e gli scambi. 5.


        A Smeraldina, città acquatica, un reticolo di canali e un reticolo di strade si sovrappongono e s’intersecano. Per andare da un posto a un altro hai sempre la scelta tra il percorso terrestre e quello in barca: e poiché la linea più breve tra due punti a Smeraldina non è una retta ma uno zigzag che si ramifica in tortuose varianti, le vie che s’aprono a ogni passante non sono soltanto due ma molte, e ancora aumentano per chi alterna traghetti in barca e trasbordi all’asciutto. Cosi la noia a percorrere ogni giorno le stesse strade è risparmiata agli abitanti di Smeraldina.


    Le Città invisibili, p. 95.






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    Ph., G.AdC





    ■ Italo Calvino
    sur Terres de femmes

    15 juin 1767 | Italo Calvino, Le Baron perché
    19 septembre 1985 | Mort d’Italo Calvino (extrait des Fables italiennes)





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  • 19 septembre 1985 | Mort d’Italo Calvino

    Éphéméride culturelle à rebours



    Il y a trente-cinq ans, dans la nuit du 18 au 19 septembre 1985, mourait à l’hôpital Santa Maria della Scala de Sienne, des suites d’un accident vasculaire cérébral, Italo Calvino (né le 15 octobre 1923 à Santiago de Las Vegas, près de La Havane, Cuba). Italo Calvino est enterré dans le cimetière de Castiglione della Pescaia.







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    Ph, G.AdC







    IL PAESE DOVE NON SI MUORE MAI


    « Un giorno, un giovane disse:
    — A me questa storia che tutti devono morire mi piace poco: voglio andare a cercare il paese dove non si muore mai.
    Saluta padre, madre, zii e cugini, e parte. Cammina giorni, cammina mesi, e a tutti quelli che incontrava domandava se sapevano insegnargli il posto dove non si muore mai: ma nessuno lo sapeva. Un giorno incontrò un vecchio, con una barba bianca fino al petto, che spingeva una carriola carica di pietre. Gli domandò:
    — Sapete insegnarmi dov’è il posto in cui non si muore mai?
    — Non vuoi morire? Stattene con me. Finche non ho finito di trasportare con la mia carriola tutta quella montagna a pietra a pietra, non morirai.
    — E quanto tempo ci mettere te a spianarla?
    — Cent’ anni, ci metterò.
    — E poi dovrò morire?
    — E sí.
    — No, non è questo il posto per me: voglio andare in un posto dove non si muoia mai.
    Saluta il vecchio e tira dritto. Cammina cammina, e arriva a un bosco così grande che pareva senza fine. C’era un vecchio con la barba fino all’ombelico, che con una roncola tagliava rami. Il giovane gli domandò :
    — Per piacere, un posto dove non si muoia mai, me lo sapete dire?
    — Sta’ con me, – gli disse il vecchio.
    — Se prima non ho tagliato tutto il bosco con la mia roncola, non morirai.
    — E quanto ci vorrà ?
    — Mah! Duecento anni.
    — E dopo dovrò morire lo stesso?
    — Sicuro. Non ti basta?
    — No, non è questo il posto per me: vado in cerca d’un posto dove non si muoia mai.
    Si salutarono, e il giovane andò avanti. Dopo qualche mese, arrivò in riva al mare. C’era un vecchio con la barba fino ai ginocchi, che guardava un’anatra bere l’acqua del mare.
    — Per piacere, lo sapete un posto dove non si muore mai?
    — Se hai paura di morire, sta’ con me. Guarda: finché questa anatra non avrà asciugato questo mare col suo becco, non morirai.
    — E quanto tempo ci vorrà ?
    — A occhio e croce, un trecento anni.
    — E dopo bisognerà che muoia?
    — E come vuoi fare? Quanti anni ancora vorresti scampartela?
    — No: neanche questo posto fa per me; devo andare là dove non si muore mai.
    Si rimise per via. Una sera, arrivò a un magnifico palazzo. Bussò e gli aperse un vecchio con la barba fino ai piedi: — Cosa volete, bravo giovane?
    — Vado in cerca del posto dove non si muore mai.
    — Bravo, capiti bene. È questo il posto dove non si muore mai. Finché starai qui con me, sarai sicuro di non morire.
    — Finalmente! Ne ho fatto di giri! Questo è proprio il posto che cercavo! Ma lei, poi, è contento che stia qui?
    — Ma sì contentone, anzi: mi fai compagnia.
    Così il giovane si stabilì nel palazzo con quel vecchio, e faceva vita da signore. Passavano gli anni che nessuno se n’accorgeva: anni, anni, anni. Un giorno il giovane disse al vecchio:
    — Perbacco, qua con lei ci sto proprio bene, ma avrei voglia d’andare a vedere un po’ cosa ne è dei miei parenti.
    — Ma che parenti vuoi andare a vedere? A quest’ ora sono morti tutti da un bel pezzo.
    — Be’, cosa vuole che le dica? Ho voglia d’andare a vedere i miei posti, e chissà che non incontri i figli dei figli dei miei parenti.
    — Se proprio ci hai quest’ idea in testa, t’insegnerò come devi fare. Va’ in stalla, prendi il mio cavallo bianco, che ha la virtù di andare come il vento, ma ricordati di non scendere mai di sella, per nessuna ragione, perché se scendi muori subito.
    — Stia tranquillo che non smonto: ho troppa paura di morire!
    Andò alla stalla, tirò fuori il cavallo bianco, montò in sella, e via come il vento. Passa nel posto in cui aveva incontrato il vecchio con l’anatra: dove prima era il mare ora si estendeva una gran prateria. Da una parte c’era un mucchio d’ossa: erano le ossa del vecchio. « Guarda un po’, — si disse il giovane, — ho fatto bene a tirare dritto; se stavo con quello là a quest’ora ero morto anch’io! » Continuò la sua strada. Dov’era quel gran bosco che un vecchio doveva tagliare con la roncola, ora era nudo e pelato: non si vedeva più neanche un albero. « Anche con questo qui, — pensò il giovane, — sarei bell’e morto da un pezzo! »
    Passò dal posto dov’era quella gran montagna che un vecchio doveva portar via pietra per pietra: adesso c’era una pianura piatta come un biliardo.
    — Altro che morto, sarei, con questo qui!
    Va e va e arriva al suo paese, ma era tanto cambiato che non lo riconosceva più. Cerca casa sua, ma non c’è neanche più la strada. Domanda dei suoi, ma il suo cognome nessuno l’aveva mai inteso. Ci restò male. « Tanto vale che torni indietro subito », si disse.
    Girò il cavallo, e prese la via del ritorno. Non era nemmeno a mezza strada che incontrò un carrettiere, che conduceva un carro carico di scarpe vecchie, tirato da un bue.
    — Signore, mi faccia la carità, disse il carrettiere.
    — Scenda un momento, e m’aiuti ad alzare questa ruota, che m’è andata giù dalla carreggiata.
    — Ho fretta, non posso scendere di sella, disse il giovane.
    — Mi faccia questa grazia, vede che sono solo, ora viene sera…
    Il giovane si lasciò impietosire, e smontò. Aveva ancora un piede sulla staffa e un piede già in terra, quando il carrettiere l’abbrancò per un braccio e disse: – Ah! finalmente t’ho preso! Sai chi sono? Son la Morte! Vedi tutte quelle scarpe sfondate lì nel carro? Sono tutte quelle che m’hai fatto consumare per correrti dietro. Adesso ci sei cascato! Tutti dovrete finire nelle mie mani, non c’è scampo!
    E al povero giovane toccò di morire anche a lui. »


    Italo Calvino, Fiabe italiane [1956], Oscar Mondadori, 1968, pp. 148-153.





    LE PAYS OÙ L’ON NE MEURT JAMAIS



    « Un jour, un jeune homme dit :
    — Moi, cette histoire que tout le monde doit mourir ne me plaît pas beaucoup : je veux aller chercher le pays où l’on ne meurt jamais.
    Il dit au revoir à son père, à sa mère, à ses oncles et ses cousins, et il s’en va. Il marche pendant des jours, il marche pendant des mois, et, à tous ceux qu’il rencontrait, il demandait s’ils pouvaient lui indiquer l’endroit où l’on ne meurt jamais : mais nul ne connaissait cet endroit.
    Un jour, il rencontra un vieil homme, qui portait une barbe blanche jusqu’à la poitrine, et qui poussait une brouette remplie de pierres. Il lui demanda :
    — Est-ce que vous sauriez me dire où se trouve l’endroit où l’on ne meurt jamais ?
    — Tu ne veux pas mourir ? Reste avec moi. Tant que je n’aurai pas fini de transporter toute cette montagne avec ma brouette, pierre après pierre, tu ne mourras pas.
    — Et combien de temps faut-il pour la raser ?
    — Ça prendra cent ans.
    — Et ensuite, je devrai mourir ?
    — Eh bien oui.
    — Non, ce n’est pas l’endroit qui me convient : je veux aller dans un endroit où l’on ne puisse jamais mourir.
    Il salue le vieil homme et continue, droit devant. Après avoir marché longtemps, il arrive en un bois si grand qu’il semblait infini. Il y avait un vieil homme, qui portait une barbe longue jusqu’au nombril, et qui, avec une serpe, coupait des branches. Le jeune homme lui demanda :
    — S’il vous plaît, sauriez-vous m’indiquer un endroit où l’on ne meure jamais ?
    — Reste avec moi, lui répondit le vieil homme. Tant que je n’aurai pas coupé tout le bois avec ma serpe, tu ne mourras pas.
    — Et cela prendra combien de temps ?
    — Bah ! Deux cents ans.
    — Et après, je devrai mourir quand même ?
    — Bien sûr. Cela ne te suffit pas ?
    — Non, ce n’est pas l’endroit qui me convient. Je suis à la recherche d’un endroit où l’on ne mourrait jamais.
    Ils se saluèrent, et le jeune homme poursuivit sa route. Quelques mois plus tard, il arriva au bord de la mer. Il y avait un vieil homme, qui portait une barbe longue jusqu’aux genoux, et qui regardait un canard boire l’eau de la mer.
    — S’il vous plaît ? Vous savez où se trouve l’endroit où l’on ne meurt jamais ?
    — Si tu as peur de mourir, reste avec moi. Regarde : tant que ce canard n’aura pas vidé cette mer avec son bec, tu ne mourras pas.
    — Et cela prendra combien de temps ?
    — À vue de nez, environ trois cents ans.
    — Et après, il faudra que je meure ?
    — Et que veux-tu faire ? Combien d’années encore voudrais-tu y échapper ?
    — Non ! Pas même cet endroit ne me convient : je dois aller là où l’on ne meurt jamais.
    Il se remit en route. Un soir, il arriva devant un palais magnifique. Il frappa ; un vieil homme, qui portait une barbe longue jusqu’aux pieds, lui ouvrit :
    — Que voulez-vous, mon brave ?
    — Je suis à la recherche de l’endroit où l’on ne meurt jamais.
    — Bravo, tu tombes à pic. C’est ici l’endroit où l’on ne meurt jamais. Tant que tu resteras avec moi, tu seras sûr de ne pas mourir.
    — Enfin ! J’en ai fait du chemin ! C’est justement l’endroit que je cherchais ! Mais, et vous ? Êtes-vous content que je reste ici ?
    — Oh oui ! très content, et même que tu me tiendras compagnie.
    Ainsi le jeune homme s’installa dans le palais avec ce vieillard, et menait une vie de seigneur. Les années passaient, et nul ne s’en apercevait : des années, des années, des années.
    Un jour, le jeune dit au vieillard :
    — Mon dieu, ici avec vous, je suis vraiment bien, mais j’aurais envie d’aller voir un peu ce que deviennent mes parents.
    — Mais quels parents veux-tu aller voir ? À ce jour, ils sont tous morts, depuis belle lurette !
    — Ma foi, que voulez-vous que je vous dise ? J’ai envie d’aller voir des coins familiers. Qui sait, peut-être rencontrerai-je les enfants des enfants de mes parents ?
    — Si réellement tu as cette idée en tête, je te dirai comment tu dois faire. Va à l’écurie, prends mon cheval blanc, qui a le don de se déplacer comme le vent. Mais souviens-toi : ne descends jamais de selle, sous aucun prétexte, car si tu descends, tu meurs aussitôt.
    — Soyez rassuré, je ne descendrai pas : j’ai trop peur de mourir !
    Il gagna l’écurie, fit sortir le cheval blanc, se mit en selle et partit comme le vent. Il passe par où il avait rencontré le vieil homme au canard : là où jadis il y avait la mer, à présent s’allongeait une vaste prairie. Dans un coin il y avait un tas d’ossements : c’étaient les os du vieillard. « Tiens !, pensa le jeune homme, j’ai bien fait de continuer ma route : si j’étais resté avec celui-là, à cette heure je serais mort moi aussi ! »
    Il continua son chemin. Et là, ce grand bois, qu’un vieil homme devait couper avec sa serpe, était nu et tondu : on ne voyait pas même un arbre.
    — Même avec celui-ci, se dit le jeune homme, je serais bel et bien mort depuis un bout de temps !
    Il passa par l’endroit où se trouvait cette grande montagne qu’un vieil homme devait transporter, pierre après pierre : à présent il y avait une plaine lisse comme un billard.
    — Je ne serais pas plus mort, avec celui-ci !
    Il poursuit sa route, encore et encore, et il arrive dans son pays ; mais il était si changé qu’il ne le reconnaissait plus. Il cherche sa maison, mais la route elle-même n’existe plus. Il se renseigne au sujet de ses parents, mais personne n’avait jamais entendu son nom. Il ne se sentit pas bien.
    — Mieux vaut que je rentre immédiatement, se dit-il.
    Il tourna bride, et prit le chemin du retour. Il n’avait pas fait la moitié de la route quand il rencontra un charretier, qui conduisait une charrette chargée de vieilles chaussures et tirée par un bœuf.
    — Monsieur, je vous en prie, dit le charretier, descendez un instant, aidez-moi à soulever cette roue qui est allée dans le fossé.
    — Je suis pressé, je ne peux pas descendre de selle, dit le jeune homme.
    — Faites-moi cette faveur, vous voyez que je suis seul, et le soir tombe…
    Le jeune homme, saisi de pitié, descendit de cheval. Il avait encore un pied dans l’étrier et un pied déjà à terre, quand le charretier l’attrapa par un bras et dit :
    — Ah, enfin, je t’ai pris ! Sais-tu qui je suis ? Je suis la Mort ! Tu vois toutes ces chaussures percées, là, au fond de la charrette ? Ce sont toutes celles que tu m’as fait user à courir derrière toi. Maintenant, tu t’es laissé prendre. Vous devrez tous finir entre mes mains : il n’y a pas de salut.
    Et l’heure de mourir sonna aussi pour le pauvre jeune homme. »


    Italo Calvino, Fables italiennes recueillies et transcrites par Italo Calvino. Traduction d’Ugo Bratelli, janvier 2003.





    ■ Italo Calvino
    sur Terres de femmes

    15 juin 1767 | Italo Calvino, Le Baron perché
    15 octobre 1923 | Naissance d’Italo Calvino (extraits des Villes invisibles)





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  • Giuseppe Conte | [Je retourne où déjà j’ai été]

    «  Poésie d’un jour »





    Scale vers l'Aventino
    Ph., G.AdC







    [RITORNO DOVE SONO GIÀ STATO]



    Ritorno dove sono già stato
    alle mura di una città calamitata
    dalle costellazioni
    diserbata, macigna, mare immobile
    eterno
    volo di pavoni di pietra e luce.
    Il sogno che io so di sognare
    l’unico, il primo, mi conduce
    là.




    Giuseppe Conte, « Una stella mi traversa », “Altari achei” [L’Oceano e il Ragazzo, Biblioteca Universale Rizzoli, Collana “Bur Poesia”, 1983. Introduzione e note di Giorgio Ficara] in Giuseppe Conte, Poesie 1983-2015, Oscar Mondadori, Oscar Poesia, Milano, 2015, pagina 37.





    Giuseppe Conte  L'oceano e il ragazzo 3








    [JE RETOURNE OÙ DÉJÀ J’AI ÉTÉ]



    Je retourne où déjà j’ai été
    vers les murs d’une ville qu’aimantent
    les constellations
    sans herbe, rocheuse, immobile mer
    d’éternité
    paon de pierre en plein vol scintillant.
    Le rêve que je suis conscient de rêver
    l’unique, le premier, me dirige
    là.




    Giuseppe Conte, « Une étoile me traverse », “Autels achéens”, L’Océan et l’Enfant* (édition bilingue), Arcane 17, Collection « L’Hippogriffe », dirigée par Jean-Baptiste Para et Philippe Di Meo, Saint-Nazaire, 1989, pp. 90-91. Traduit de l’italien par Jean-Baptiste Para. Préface d’Italo Calvino.





    Giuseppe Conte  L'Océan et l'Enfant



    ___________________
    * Ce recueil a été réédité par Jacques Brémond en avril 2002.





    GIUSEPPE  CONTE


    Giuseppe_conte
    Source




    ■ Giuseppe Conte
    sur Terres de femmes


    Alle origini (poème extrait de Dialogo del poeta e del messaggero)
    Mer qui chante comme les cigales (poème extrait de Non finirò di scrivere sul mare)
    [La beauté est le polythéisme] (extrait du Manuscrit de Saint-Nazaire)
    [Archéologue de mes jours] (poème extrait de L’Océan et l’Enfant)
    [Sur les coquelicots] (autre poème extrait de L’Océan et l’Enfant)
    Il poeta (+ notice bio-bibliographique) [poème extrait des Saisons]
    Proserpine (autre poème extrait des Saisons)





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