Terres de Femmes

Étiquette : Albert Camus


  • 3 juillet 1923 | Naissance d’Henriette Grindat

    Éphéméride culturelle à rebours


    Le 3 juillet 1923 naît à Lausanne Henriette Grindat.




    Portait d-Henriette Grindat
    Image, G.AdC




         Élève de Gertrude Fehr, Henriette Grindat étudie la photographie à l’École de photographie de Lausanne puis à l’École des Arts et Métiers de Vevey, en Suisse. En 1948, elle séjourne à Paris et expose, l’année suivante, à la Librairie-Galerie La Hune. La même année, elle participe au Gewerbmuseum de Bâle à l’exposition Photographie in der Schweiz-heute. Le mois de juillet 1949 est marqué par sa rencontre avec le graveur Edgar Albert Yersin qui devient son compagnon.

        Publié aux éditions de la Guilde du Livre en 1952, Lausanne, son premier ouvrage, rassemble 50 photographies. De 1952 à 1959, Henriette Grindat multiplie les voyages : Algérie, Venise, Espagne, Proche-Orient, Afrique. Ces moments d’itinérances sont accompagnés d’expositions et de nombreuses publications : Dictionnaire pittoresque de la France (Arthaud, 1955), Le Livre des arbres (Paris, Arts et Métiers graphiques, 1956), Algérie, ouvrage préfacé par Jean Amrouche (Guilde du Livre, 1956), Méditerranée  (Guilde du Livre, 1957), Adriatique (Éditions Françoise Mermod, 1959), Le Nil  (Guilde du Livre, 1960), Matière  (Éditions Chabloz de Lausanne, 1960).

        L’année 1962 est consacrée à ses Abstractions. À la rêveuse matière (Éditions du Verseau, Lausanne, 1963), est une plaquette-estampe qui regroupe un poème de Francis Ponge, une gravure d’Edgar Albert Yersin et une photographie d’Henriette Grindat. De 1964 à 1973, l’artiste s’attache à une série sur les agaves.

        En 1965 est publié, sur l’initiative de René Char, La Postérité du soleil d’Albert Camus, aux Éditions Edwin Engelberts de Genève. Les photographies qui accompagnent le texte de cette édition à tirage limité ont été prises par Henriette Grindat au début des années 1950 à L’Isle-sur-Sorgue. Cet ouvrage, enrichi d’Itinéraire, poème liminaire de René Char, et d’une postface du poète, a fait l’objet d’une exposition éponyme dans la galerie de l’éditeur genevois. Une autre exposition La Postérité du soleil se tiendra à L’Isle-sur-Sorgue en 1967, puis en 1977.

        Entretemps, Henriette Grindat épouse Edgar Albert Yersin (1970) et effectue deux voyages aux États-Unis. En 1968, elle expose à l’Art Institute of Chicago, puis, en 1971, au Massachussetts Institute of Technology de Boston. De retour en Europe, Henriette Grindat participe à l’exposition « Print » (Lausanne) et cherche à promouvoir (avec d’autres photographes) l’édition de photographies à tirages limités.

        L’année 1984 est marquée par une exposition monographique « Photographien 1948-1983 » au Kunsthaus de Zurich, et surtout par le décès d’Edgar Albert Yersin.

        Le 25 février 1986, Henriette Grindat se suicide à Lausanne. Elle est une des grandes figures de la photographie des années 1950-1980.


                     LA POSTÉRITÉ DU SOLEIL, Extraits



    « Ici veille, sous des boucliers d’argile tiède, un peuple de rois. L’herbe pousse entre les douces tuiles rondes. L’ennemi est le vent  l’alliée, la pierre. »




    A(2)





    « Voici le proche lit de l’amour. La place
    est déjà chaude. On les entend rire, au loin. »




    « 
    Ici vit un homme libre.
    Personne ne le sert. »




    « 
    Le flot primordial se partage. Sur la pierre il devient force opaque, huile et sang noir. Mais une fois libéré, il écume dans le soleil. Cède à mon désir ! »





    B





    « 
    Le torrent est aride. Au printemps,
    il emporte tout. Les hommes qui lui
    ressemblent reçoivent la privation et la
    volupté du même coeur reconnaissant. »




    « 
    Autour de l’arbre juvénile du hasard, de frêles moissons se préparent. Demain, oui, dans cette vallée heureuse, nous trouverons l’audace de mourir contents ! »




    Albert Camus, La Postérité du soleil, Éditions Gallimard, 2009, pp. 8-20-32-40-48-66.






        « La Postérité du soleil naquit de la rencontre d’une jeune photographe, Henriette Grindat, du plaisir qu’Albert Camus prenait de plus en plus à parcourir ce pays, et de mon désir, quand je vis les premières photographies d’Henriette Grindat, d’obtenir des images, des portraits, des paysages du Vaucluse qui différaient des photographies cartes-postales ou des documents de pure recherche que le maniérisme involontaire exile aussitôt.

        Nos yeux trop rapides, peut-être trop habitués, n’en peuvent transmettre que la boursouflure ou un ascétisme affecté. Tous les pays cessent de se valoir dès qu’on différencie le relief de leur peau pour en exprimer un aspect mental qui nous importe. Je voulais qu’Henriette Grindat saisît avec son objectif l’arrière-pays qui est l’image du nôtre, invisible à autrui, et nous donnât ce que je m’efforce dans la poésie d’atteindre, si dire cela n’est pas trop hasardeux : le passé voilé et le présent où affleure une turbulence que survole et féconde une flèche hardie.

        Camus approuva. Les photographies le satisfaisaient infiniment. Le projet nous surprit ensemble, par cette pente qui est celle où nous nous définissons, de faire un livre… »


    René Char, La Postérité du soleil, Éditions Gallimard, 2009, pp. 74-75.





    ■ Voir/écouter aussi ▼

    le dossier de presse de l’exposition Henriette Grindat, Matières et Mémoire (L’Isle-sur-la-Sorgue, 7 novembre 2009 – 7 février 2010, Hôtel Campredon – Maison René Char)
    → (sur TSR Archives)
    un film de Christian Mottier et Yette Perrin sur Henriette Grindat (5 mars 1966, film réalisé à l’occasion de la publication de La Postérité du soleil)




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  • 26 septembre 1945 | Création de Caligula d’Albert Camus

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 26 septembre 1945 est créé au théâtre Hébertot, à Paris, Caligula, d’Albert Camus. Dans une mise en scène de Paul Œttly. Les décors sont de Louis Miquel et les costumes de Marie Viton.





    Caligula_1_1
    Source





        Écrite en 1938 après la lecture de l’Histoire des douze Césars de Suétone, la pièce d’Albert Camus est publiée chez Gallimard en 1944. Composée en quatre actes et en prose, cette « tragédie de l’intelligence » ancre son argument dans les préoccupations existentielles de l’auteur. Dans le rôle de Caligula, Gérard Philipe, que cette première représentation a révélé au public.





    EXTRAIT


    Caligula, (éclatant, se jette sur lui et le prend au collet ; il le secoue).

       « La solitude! Tu la connais, toi, la solitude? Celle des poètes et des impuissants. La solitude? Mais laquelle? Ah! tu ne sais pas que seul, on ne l’est jamais! Et que partout le même poids d’avenir et de passé nous accompagne! Les êtres qu’on a tués sont avec nous. Et pour ceux-là, ce serait encore facile. Mais ceux qu’on a aimés, ceux qu’on n’a pas aimés et qui vous ont aimé, les regrets, le désir, l’amertume et la douceur, les putains et la clique des dieux. (Il le lâche et recule vers sa place.) Seul! Ah, si du moins, au lieu de cette solitude empoisonnée de présences qui est la mienne, je pouvais goûter la vraie, le silence et le tremblement d’un arbre! (Assis, avec une soudaine lassitude.) La solitude! Mais non, Scipion. Elle est peuplée de grincements de dents et tout entière retentissante de bruits et de clameurs perdues. Et près des femmes que je caresse, quand la nuit se referme sur nous et que je crois, éloigné de ma chair enfin contentée, saisir un peu de moi entre la vie et la mort, ma solitude s’emplit de l’aigre odeur du plaisir aux aisselles de la femme qui sombre encore à mes côtés. »


    Il a l’air exténué. Long
    silence. Le jeune Scipion passe derrière
    Caligula et s’approche, hésitant.
    Il tend une main vers Caligula
    et la pose sur son épaule.
    Caligula, sans se retourner,
    la couvre d’une des siennes.



    Albert Camus, Caligula, Acte II, scène XIV, in Théâtre, Récits, Nouvelles, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1962, pp. 59-60.









    ALBERT CAMUS


    ■ Albert Camus
    sur Terres de femmes

    30 janvier 1959 | Création des Possédés d’Albert Camus
    4 janvier 1960 | Mort d’Albert Camus


    ■ Voir/écouter aussi ▼

    → (sur ina.fr)
    dans le cadre des productions du Club d’Essai, série Les auteurs interprètes de leur œuvre , Albert Camus lit Caligula en public au théâtre des Noctambules
    → (sur le site de la revue Sens Public)
    Le jeune homme et la mort : nihilisme, logique de l’absurde et sens de l’amour dans le Caligula d’Albert Camus, par Johann Chapoutot
    le Web Camus



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  • 4 janvier 1960 | Mort d’Albert Camus

    Éphéméride culturelle à rebours



        « Nous ne vivons vraiment que quelques heures de notre vie… »


    Albert Camus, Carnets, Cahier n°6 (avril 1948-mars 1951), Gallimard, Collection blanche, 1964, page 252.







    Albert Camus par Cartier-Bresson
    Henri Cartier-Bresson
    Albert Camus, 1947

    Magnum Photos
    Source






        Il y a cinquante-deux ans, le 4 janvier 1960, Albert Camus était tué sur le coup dans un accident de voiture au lieu-dit « le Grand Frossard », à Villeblevin, près de Montereau (Yonne). Il avait 47 ans. La voiture que conduisait Michel Gallimard, neveu de l’éditeur Gaston Gallimard, s’est écrasée contre un platane. Aux côtés d’Albert Camus, on retrouvera le manuscrit (en cours d’écriture) du Premier homme, son journal, Le Gai Savoir et Othello. Michel Gallimard succombe à ses blessures cinq jours plus tard. Albert Camus était né à Mondovi (Algérie) le 7 novembre 1913.

        Ci-après, le script d’un entretien radiophonique avec Albert Camus, réalisé par Martine de Barcy pour Radio-Canada, autour de la création de la pièce Les Possédés (date de diffusion : 20 décembre 1959, 15 jours avant la mort d’Albert Camus) => Interview en accès audio libre (3min 47s). Cette entrevue fut l’une des dernières accordées par l’écrivain.



    • Martine de Barcy :
        « Mais je crois, Monsieur Camus, aussi loin que l’on remonte dans votre œuvre, on voit toujours le théâtre présent, et même déjà dans votre passé, puisque vous avez, dans votre vie d’étudiant à Alger, monté un certain nombre de pièces. Et vous avez vous-même joué. »

    • Albert Camus :
        « C’est exact, d’une part il n’y avait pas de théâtre à Alger ; comme j’en avais la passion, j’ai simplement créé un théâtre moi-même, un petit théâtre d’amateurs et d’autre part pour gagner ma vie, j’ai joué dans des troupes professionnelles en tournée. »

    • Martine de Barcy :
        « Mais que représente donc le théâtre pour vous attirer à différentes étapes de votre carrière ? »

    • Albert Camus :
        « Eh bien, je ne sais pas, souvent les créatures de théâtre me paraissent plus réelles que les créatures de la vie et, en tout cas, c’est un monde où je me sens beaucoup plus à l’aise que dans la vie courante. »

    • Martine de Barcy :
        « Mais n’y a-t-il pas pour vous contradiction entre l’œuvre créatrice d’homme de théâtre et celle de l’homme de lettres qui écrit des romans ou des essais ? »

    • Albert Camus :
        « Il n’y a aucune contradiction pour moi parce que le théâtre me paraît le plus haut des arts littéraires en ce sens qu’il demande la formulation la plus simple et la plus précise à l’intention du plus grand public possible et, pour moi, c’est la définition même de l’art. »

    • Martine de Barcy :
        « Pourquoi avez-vous choisi cette œuvre de Dostoïevski spécialement ? »

    • Albert Camus :
        « Je l’ai choisie spécialement parce que je l’aime spécialement et j’ai toujours vu ces personnages dans une lumière dramatique, dans une lumière de scène, par conséquent j’ai été tenté de les porter à la scène. »

    • Martine de Barcy :
        « Mais ce roman paraît un peu touffu et certains disent même confus à la lecture ? Est-ce que ça ne présente pas quelque difficulté justement pour la schématisation scénique ? »

    • Albert Camus :
        « En fait, le roman est certainement touffu mais il n’est certainement pas confus. En ce sens que la logique intérieure qui est propre à Dostoïevski peut très bien s’y retrouver. C’est cette logique que j’ai justement essayé de retrouver et j’ai simplement éliminé ce qui était touffu pour ne garder que cette logique intérieure. »

    • Martine de Barcy :
        « Eh bien, Monsieur Camus, puisque vous avez l’amabilité de nous lire quelque chose, je vais vous demander de nous situer le passage. »

    • Albert Camus :
        « C’est très simple. Ce sont exactement les premières phrases prononcées au début de la pièce par le narrateur lorsqu’il arrive devant le public. Ce narrateur, qui fait aussi partie des personnages de la pièce, arrive devant un rideau noir. »




        « Mesdames, Messieurs,

        Les étranges événements auxquels vous allez assister se sont produits dans notre ville de province sous l’influence de mon respectable ami le professeur Stépan Trophimovitch Verkhovensky. Le professeur avait toujours joué, parmi nous, un rôle véritablement civique. Il était libéral et idéaliste ; il aimait l’Occident, le progrès, la justice, et, en général, tout ce qui est élevé. Mais sur ces hauteurs, il en vint malheureusement à s’imaginer que le tsar et ses ministres lui en voulaient personnellement et il s’installa chez nous pour y tenir, avec beaucoup de dignité, l’emploi de penseur exilé et persécuté. Simplement, trois ou quatre fois par an, il avait des accès de tristesse civique qui le tenaient au lit avec une bouillotte sur le ventre. […]
    Là commence mon histoire. »


    Albert Camus, Les Possédés (d’après Dostoïevski), in Théâtre, récits, nouvelles, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, page 925.





    ■ Albert Camus
    sur Terres de femmes

    26 septembre 1945 | Création de Caligula d’Albert Camus
    30 janvier 1959 | Création des Possédés d’Albert Camus


    ■ Voir aussi ▼


    → (sur ina.fr)
    Interview de Simone Berriau, directrice du Théâtre Antoine + Albert Camus présente les comédiens qui jouent Les Possédés au Théâtre Antoine (24 janvier 1959) + description par Albert Camus des particularités de son adaptation
    → (sur ina.fr)
    Pierre Dumayet reçoit Albert Camus à l’occasion de l’adaptation et de la mise en scène de la pièce Les Possédés (Lectures pour tous, 28 janvier 1959)
    le Web Camus



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  • 30 janvier 1959 | Création des Possédés d’Albert Camus

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 30 janvier 1959, création au Théâtre Antoine de la pièce Les Possédés, d’après le roman de Fédor Dostoïevski (roman réintitulé par la suite Les Démons), dans une adaptation théâtrale et une mise en scène d’Albert Camus. Décors et costumes de Mayo. La pièce a tenu l’affiche du Théâtre Antoine jusqu’en juillet 1959, puis a bénéficié d’une tournée en banlieue (notamment à Suresnes au mois de septembre) et en province.






    Les Possédés
    Source






        Avec la distribution suivante :

    Pierre Vaneck dans le rôle de Nicolas Stavroguine
    Pierre Blanchar dans le rôle de Stépan Trophimovitch Verkhovensky
    Roger Blin dans le rôle de l’évêque Tikhone
    Michel Bouquet dans le rôle de Pierre Stepanovitch Verkhovensky
    Charles Denner dans le rôle du capitaine Lebiadkine.



        Et dans les rôles féminins :

    Tania Balachova dans le rôle de Varvara Petrovna Stavroguine
    Charlotte Clasis dans le rôle de Prascovie Drozdov
    Nadine Basile dans le rôle de Dacha Chatov
    Janine Patrick dans le rôle de Lisa Drozdov
    Catherine Sellers dans le rôle de Maria Timopheievna Lebiadkine
    Nicole Kessel dans le rôle de Marie Chatov.



        « J’ai rencontré cette œuvre à vingt ans et l’ébranlement que j’en ai reçu dure encore, après vingt autres années. » (Albert Camus)






    Albert Camus au théâtre Antoine
    Albert Camus au théâtre Antoine
    au cours d’une répétition des Possédés (20 avril 1959)
    Crédits Ph. : Fallot, Daniel/INA
    Source





    DEUXIÈME TABLEAU


    (extrait)


    Le salon de Varvara Stavroguine.


    Varvara Stavroguine et Prascovie Drozdov sont en scène.



    VARVARA


        Écoute. J’ai pensé à toi. Lâche ta broderie et viens t’asseoir près de moi. (Dacha vient près d’elle.) Veux-tu te marier ? (Dacha la regarde.) Attends, tais-toi. Je pense à quelqu’un de plus âgé que toi. Mais tu es raisonnable. D’ailleurs, c’est encore un bel homme. Il s’agit de Stépan Trophimovitch qui a été ton professeur et que tu as toujours estimé. Eh bien ? (Dacha la regarde encore.) Je sais, il est léger, il pleurniche, il pense trop à lui. Mais il a des qualités que tu apprécieras d’autant plus que je te le demande. Il mérite d’être aimé parce qu’il est sans défense. Comprends-tu cela ? (Dacha fait un geste affirmatif. Éclatant.) J’en étais sûre, j’étais sûre de toi. Quant à lui, il t’aimera parce qu’il le doit, il le doit ! Il faut qu’il t’adore ! Écoute, Dacha, il t’obéira. Tu l’y forceras à moins d’être une imbécile. Mais ne le pousse jamais à bout, c’est la première règle de la vie conjugale. Ah ! Dacha, il n’y a pas de plus grand bonheur que de se sacrifier. D’ailleurs tu me feras un grand plaisir et c’est là l’important. Mais je ne te force nullement. C’est à toi de décider. Parle.


    DACHA, (lentement).


        S’il le faut absolument, je le ferai.


    VARVARA

        Absolument ? À quoi fais-tu allusion ? (Dacha se tait et baisse la tête.) Tu viens de dire une sottise. Je vais te marier, c’est vrai, mais ce n’est point par nécessité, tu entends. L’idée m’en est venue, voilà tout. Il n’y a rien à cacher, n’est-ce pas ?


    DACHA


        Non. Je ferai comme vous voudrez.


    VARVARA


        Donc, tu consens. Alors, venons-en aux détails. Aussitôt après la cérémonie, je te verserai quinze mille roubles. Sur ces quinze mille, tu en donneras huit mille à Stépan Trophimovitch. Permets-lui de recevoir ses amis une fois par semaine. S’ils venaient plus souvent, mets-les à la porte. D’ailleurs, je serai là.


    DACHA


        Est-ce que Stépan Trophimovitch vous a dit quelque chose à ce sujet ?


    VARVARA

        Non, il ne m’a rien dit. Mais il va parler. (Elle se lève d’un mouvement brusque et jette son châle noir sur ses épaules. Dacha ne cesse de la regarder.) Tu es une ingrate ! Qu’imagines-tu ? Crois-tu que je vais te compromettre ? Mais il viendra lui-même te supplier, humblement, à genoux ! Il va mourir de bonheur, voilà comment cela se fera !

    Entre Stépan Trophimovitch.




    Albert Camus, Les Possédés (d’après Dostoïevski), in Théâtre, Récits, Nouvelles, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1962, pp. 944, 947-848.





    ■ Albert Camus
    sur Terres de femmes

    26 septembre 1945 | Création de Caligula d’Albert Camus
    4 janvier 1960 | Mort d’Albert Camus (+ ultime entretien radiophonique avec Albert Camus, réalisé par Martine de Barcy pour Radio-Canada, autour de la création de la pièce Les Possédés [date de diffusion : 20 décembre 1959])


    ■ Voir/écouter aussi ▼

    → (sur ina.fr)
    Interview de Simone Berriau, directrice du Théâtre Antoine + Albert Camus présente les comédiens qui jouent Les Possédés au Théâtre Antoine (24 janvier 1959) + description par Albert Camus des particularités de son adaptation
    → (sur ina.fr)
    Pierre Dumayet reçoit Albert Camus à l’occasion de l’adaptation et de la mise en scène de la pièce Les Possédés (Lectures pour tous, 28 janvier 1959)
    → (dans les archives de la TSR)
    Albert Camus parle de sa passion pour le théâtre
    le Web Camus



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