<< Poésie d'un jour

" marchant comme je marchais avant
comme un homme, comme une femme, dans la ville "
Photo: G.AdC
THE STRANGER
Looking as I’ve looked before, straight down the heart
of the street to the river
walking the rivers of the avenues
feeling the shudder of the caves beneath the asphalt
watching the lights turn in the towers
walking as I’ve walked before
like a man, like a woman, in the city
my visionary anger cleaning my sight
and the detailed perceptions of mercy
flowering from the anger
if I come into a room out of the sharp misty light
and hear them talking a dead language
if they ask me my identity
what can I say but
I am the androgyne
I am the living mind you fail to describe
in your dead language
the lost noun, the verb surviving
only in the infinitive
the letters of my name are written under the lids
of the newborn child
1972
L’ÉTRANGÈRE
Regardant comme je regardais avant, en plein cœur
de la rue jusqu’à la rivière
marchant dans les rivières des avenues
éprouvant le frisson des caves sous l’asphalte
observant les lumières qui s’allument dans les tours
marchant comme je marchais avant
comme un homme, comme une femme, dans la ville
ma colère visionnaire clarifiant mon regard
et les images détaillées de la compassion
fleurissant dans cette colère
si j’entre dans une pièce hors de la vive lumière brumeuse
et les entends parler une langue morte
s’ils me demandent de déclarer mon identité
que puis-je dire hormis ceci
je suis l’androgyne
je suis l’esprit vivant que vous échouez à décrire
dans votre langue morte
le nom perdu, le verbe survivant
seulement à l’infinitif
les lettres de mon prénom sont gravées sous les paupières
du nouveau-né
1972

Adrienne Rich, « I-Plonger dans l’épave » in Plonger dans l’épave, Diving into the Wreck, Poèmes 1971-1972, Traduction et préface de Chantal Ringuet, Noroît 2025, pp.46-47.
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A D R I E N N E R I C H
■ Adrienne Rich
sur Terres de femmes ▼
→Adrienne Rich, Paroles d’un monde difficile, Poèmes 1988-2004, La rumeur libre éditions,
Série mεtaphrasi | Domaine américain, 2019. Traduit de l’anglais (États-Unis)par Chantal Bizzini.
→ From An Old House In America (traduction en français d’Olivier Apert)
→ 27 mars 2012 | Mort d’Adrienne Rich (+ un extrait d’Un atlas du monde difficile)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site des éditions La rumeur libre) une notice bio-bibliographique sur Adrienne Rich
→ (sur Poetry Foundation) une biographie d’Adrienne Rich
→ (sur Modern American Poetry) un ensemble d’articles sur Adrienne Rich
→ (sur En attendant Nadeau) Adrienne Rich, Audre Lorde, Irena Klepfisz, poétesses guerrières,
par Jeanne Bacharach (22 avril 2020)




Né en 1962, Philippe Forest est romancier, essayiste , professeur de littérature à l’université de Nantes. 

Nikolaï Alekseïevitch Zabolotski (1903-1958) a été l’un des poètes les plus importants du XXe siècle. Pourtant peu connu en Europe, il fut un innovateur dont la poésie est une brillante combinaison de classicisme et de modernité (qui tient compte, en particulier, de l’expressivité de l’avant-garde). Ses premiers poèmes ont été publiés dès 1927 dans les revues littéraires de l’époque. Dans le même temps il fréquente les cercles littéraires de Leningrad où il se lie d’amitié avec Daniil Harms et Alexandre Vvedenski. Avec ses compagnons ainsi qu’avec Igor’ Bachterev, Boris Levin Konstantin Vaginov, il fonde OBERIOU (acronyme d’Association pour l’art réel), qui se réclame de l’aile radicale du Futurisme, selon Maïakovski et Khlebnikov. Passionné de littérature scientifique et d’art, il entre en contact avec Kasimir Malevitch. La violente critique sociale contenue dans ses poèmes notamment dans « Le Triomphe de l’agriculture » (1933) lui vaut en 1937 d’être accusé d’appartenir à un groupe subversif. Arrêté en 1938, il est condamné et envoyé au goulag de Karaganda (Kazakstan). De retour du goulag en 1944, il se consacre à la traduction en russe moderne russe du médiéval Dit de la Campagne d’Igor ; il traduit ensuite le poème épique géorgien du XIIe siècle Le chevalier à la peau de panthère de Chota Roustaveli, ainsi que nombre d’autres textes de poètes géorgiens. Ses derniers recueils poétiques furent publiés en 1948 et en 1957. Sa poésie riche de philosophie et de réflexions sur la nature est nourrie par l’étude des auteurs les plus divers, russes mais pas uniquement. Zabolotski est un poète de la violence, une violence qu’il ne cesse d’exprimer. La vie n’est qu’un enchaînement de luttes perpétuelles. La nature elle-même est un emprisonnement. Pour échapper à la douleur de l’existence, il faut civiliser la nature, c’est-à-dire l’humaniser et la rendre raisonnable. Cette utopie est conforme aux idéologies de son temps qui vont de pair avec une grande transformation économique et sociale.









