Terres de Femmes

Mois : février 2025

  • Hélène Sanguinetti / Jadis, Poïena / Lecture d’Angèle Paoli

    Hélène Sanguinetti, Jadis, Poïena,
    une poème,
    Flammarion 2025
    Lecture d’Angèle Paoli

     

     

    HS BY GUIDU

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

                            Photos : Guidu Antonietti di Cinarca 

     

     

    « Une primitive confidence »

    Jadis, Poïena (une poème)

    Poïena. Éloge de l’aimée, une éloge. Tant aimée, et désormais perdue, ne peut ne vit que … par les mots du poème. D’où, désormais « une » poème, autant qu’un poème.

    Deux termes, « Jadis / Poïena », pour nommer le dernier recueil d’Hélène Sanguinetti: Jadis, Poïena. Un très beau titre dans sa brièveté et dans sa complétude. Un « faire » le poème – "Poïen" – qui se tourne vers un " ja " / vers un "dis ", qui demande pour exister de revenir en arrière dans un jour – " dis " (du latin " dies ") – qui n’est plus, un autre jour, antérieur à celui de l’écriture. Se chante dans ce dernier recueil, un avant et un après, liés à l’être Aimée.

    Le recueil se compose de trois volets, très nettement distincts. Un avant-propos daté et localisé, qui s’ancre avec l’affirmation bien plantée d’un " je " : « J’ai toujours eu horreur des boucles ». Le texte introducteur a été écrit par la poète en 2024, à Capo di Fenu, un promontoire ulysséen dressé au-dessus de la mer, en Corse du Sud. Un décor somptueux et peut-être quelque peu inquiétant, que la poète a de multiples raisons d’affectionner. Dans cet avant-propos, la poète donne quelques clés de lecture la concernant et concernant son écriture. La trajectoire de cette écriture. Ceux et celles qui la connaissent ou ont eu l’occasion de l’entendre lire ses textes mis en voix avec une énergie et des intonations qui lui sont propres, la retrouveront tout entière dans Jadis, Poïena. Elle confie ici quelques-uns de ses goûts, pour la ponctuation notamment. Elle affectionne la volute des virgules que l’on retrouve davantage dans d’autres recueils que dans celui-ci, fantaisies légères, volubiles, au même titre que les points qui vivent leur vie sur la page, en dehors de la phrase. Vient après ce préambule, le second volet du recueil, Jadis, Poïena, un texte composite, mi- théâtral – car composé de scènes (7) avec voix et des sortes de didascalies – mi- textes en prose « Fille de » (2) – d’une tout autre typographie. Puis un troisième volet qui reprend un texte ancien, « Fille de Jeanne-Félicie », salué en son temps par le poète René Char, qui avait adoubé la jeune poète. Puis entre René Char et aujourd’hui, par Yves di Manno qui aimait tout particulièrement ce texte et a proposé à Hélène Sanguinetti de le joindre à nouveau, à ce nouveau recueil. Il y a donc un retour en arrière sur une antériorité au Jadis, Poïena.

    L’ensemble constitue une sorte de triptyque, à coloration autobiographique – « car je vous mens pour dire vrai », écrit la poète – dont les liens secrets entre les trois volets apparaissent au fur et à mesure qu’avance la lecture. L’enfance et ses lieux – Marseille, la campagne provençale et la mer – ses acteurs – les parents, la fille et la fratrie – le rouge et le jaune, les jeux, l’amour… la mort. Même si le dernier volet demeure pour moi celui qui échappe davantage. Et qui demeure le plus mystérieux.

    Le Jadis, Poïena et sa facture composite, entraîne vers un passé toujours vivace qui fait ressurgir le temps d’un jadis enfui, évoqué par des voix partagées. Enfances, musiques, contes, rêves. Toute une déclinaison, liée à Poïena. Avec ses "suites". Les poèmes font revivre un univers, réserve de couleurs et d’images vibrantes, solaires. Dans un poème introducteur en italique (il y en a trois de cette sorte) annoncé par un intitulé entre parenthèses (Aux Enfuies, rêve grec 1…2…3), la poète en appelle aux MUSES ! qu’elle apostrophe, invective jusqu’à la violence d’une mise à mort CREVEZ/ M.u.s.e.s ! Dans le troisième poème cependant, les « muses » disparaissent et la poète se livre à des remerciements, notamment à la lune et au soleil.

    S’ouvre alors le théâtre intérieur, avec sa succession de petites scènes. Et l’on assiste d’abord à la mise en scène d’un temps stratifié, que les mots les images et les gestes font vivre, un avant inscrit dans un temps antérieur au « jadis », avant la naissance de l’Aimée ; puis à son éclosion à la vie, puis à sa mort. Le « Jadis » anaphorique qui rythme le poème disparaît au profit de la rupture – avec le retrait de cette formulation où se dit la force du définitif – « Aujourd’hui/ elle est très morte. » Et cette mort-même se déroule avant toute cette horreur qui saisit la poète dans son débordement. Cette réserve temporelle se fait dans la brièveté de strophes qui s’enchevillent autour des variations sur le « jadis », s’étirent sur la page et se clôt sur un aveu en forme de désespoir :

    « Avant il y avait toi
    Poïena
    C’était avant,
    tête fracassée
    d’y penser »

    Viennent ensuite des variations sur le « jadis », suites musicales et oniriques, où les enfances de P, ou peut-être les siennes, celles de la poète, colorées joyeuses désordonnées libres et ludiques se bousculent dans les rues de Marseille, jeux et désirs, vitesse, ânonnement de formules latines dansées sur un pied. Ça va vite, il y a du bruit, les actions s’emboîtent, l’une chassant l’autre, les déterminants sautent les onomatopées bourdonnent les vers, les infinitifs prennent la relève, tout se déroule dans l’urgence de grandir et de vivre, scènes insérées dans d’autres scènes. Les enfances se poursuivent, où tout se mêle, le réel et les rêves, les rêves transformant le réel, le réel mué en conte empreint de réminiscences de textes médiévaux, de leur bel univers. Les strophes – avec reprises – de (Un Conte de P) s’inscrivent dans la tradition des chansons de gestes, lues et étudiées dans les désormais très anciennes scolarités classiques :

    « – Douce enfant, beau neveu,
    votre vue nous réjouit,
    si vieux temps quelle attente ! »

    Retour en trois strophes chantées délicieusement à l’oreille sur le « jadis », le nôtre, fait de merveilleux chrétien – Chrétien de Troyes- ! J’en ai larmes aux yeux ! Et toujours ces points éparpillés, qui scintillent, étoiles, sur le blanc de la page… Et parfois déboulent, en flot de points en fuite dans la descente de la page.

    Il arrive que la poète pratique avec désinvolture et drôlerie le mélange de tons et de genres, car ne se prend jamais totalement au sérieux. Et l’enfance demeure, qui persiste au-delà des chagrins de la vie. Et outre les onomatopées, les interjections familières jetées sans retenue, le poème fourmille d’inventions trouvailles cocasseries inattendues qui font sourire (pour être franche, je jubile!):

    « Ne pas effacer
    traces du combat
    et du jour de victoire
    (ainsi coupa sa langue
    au dragon, s’endormit
    avec ça dans la chaussette !)

    Des interrogations saugrenues interrompent le récit – « quelle histoire ! / c’était quand ? » – qui poursuit sa chevauchée cependant. Et l’on assiste à (Une rencontre capitale), laquelle se clôt sur une bataille :

    « Pauvre jeune fille,
    retourne vite sous
    la couverture
    -N O N » dit-elle
    mais tous voulurent
    entendre un oui
    depuis lutte est
    terrible entre fille
    et garçon »

    Ce qui se poursuit par (Un autoportrait), c’est le portrait d’une rebelle ! Un garçon ! Seule admirée et reine dans une fratrie de garçons, elle aurait peut-être voulu être, non pas fille, mais parfois garçon, semblable à eux et en toute action, leur pair. Car elle a le caractère bien trempé ! C’est donc ainsi qu’elle se peint, y compris dans les petites proses de « Fille de », malgré les longs cheveux (!!!) que sa mère, Jeanne-Félicie, coiffe ou lave avec soin. Elle soigne, enfant, son côté garçon manqué en apprenant à siffler « Pas beau pour une fille », préférant la bicyclette ses chutes et ses bleus aux poupées délaissées par ennui et qui « meurent d’ennui », la castagne dans la rue – « tu joues à être comme seule dans la rue » – les joutes sexuées avec les garçons « tu veux sucer ma quiquette ? », les cavalcades de « 6 Indiens » – elle, c’est Flèche-Brisée – les défis lancés à la nage du côté de l’île Maïre, Dans ce déferlement de scènes originelles, se cache secrètement Poïena. Il est temps d’arriver à l’amour et à la mort. À l’amour d’abord, celui de Poïena, dont le nom est partout, tout le temps et sans interruption, un amour qui, de Poïena à elle et l’inverse, se vit dans le courant des jours des joutes de la joie. Poïena et ses secrets, déclaration « J’adore toi ». À la folie amoureuse, faite d’inépuisables désirs, succèdent les jours de désastres. Tout se déglingue au même rythme endiablé, toujours, mais « tout crève », dans la succession hivernale de jours vides, avec ses CHENILLES annonciatrices de désastres, que domine la mort à venir, amour et mort finissant par fusionner encore, un instant :

    « Dans les bois, je marchais,
    Poïena,
    sous mon bras,
    Chaque côté
    soutenant la vivante et
    la morte, la tête
    a cédé, a roulé sans s’abîmer
    sur le lit
    de la passion… »

    Puis les mots FROID… FINI, dominant le reste du récit.

    Dès lors demeure le désespoir :

    « ne pas tomber, ne pas
    laisser aux petits singes
    l’enfer de l’incendie,
    à tous les animaux,
    l’enfer de nous »

    Et les interrogations, les consolations, la nécessité de poursuivre. Les « comment comprendre » / « allez-y ça vous fera du bien… » / « pourquoi jambes et pieds fonctionnent/ bras mains malgré » … Comment demeurer vivante lorsque l’autre que l’on aimait tant n’est plus ?
    La vie reprendra-t-elle un jour. Contre toute attente elle reprend, mezza-voce d’abord, puis plus affirmée :

    « Je tiens au rouge, avant
    le rouge, au blanc, question
    d’étendard sur le pré. »

    Mais toujours avec « Poïena à célébrer »

    Troisième volet du recueil : « Fille de Jeanne-Félicie ». D’évidence, il me faut faire à mon tour une boucle et revenir en arrière sur l’avant-propos. Où il est question de René Char qui confie à la poète dans une lettre qu’il lui adresse le 22 novembre 1986: «Vos poèmes me sont mieux que compagnons dans cette voie rare où la parole, la vôtre, me dit " Soyez humain du presque rien patient et doué d’infini "[…]. Puis, plus tard, en août de la même année et de vive voix, autre aveu : « Le texte que vous avez écrit, il vient très loin avant vous et il ira très loin après vous… ».
    Retour sur « une primitive confidence ». « Fille de Jeanne-Félicie. »
    Le recueil se compose de 58 petites proses, parfois réduites à une seule phrase, parfois deux, comme celles-ci :

    « Le ravin n’est-il que la nostalgie de la montagne ?
    L’homme n’est pas seul à tâtonner »

    Je retrouve avec émotion ces deux vers que j’avais notés et mis en exergue dans mes Carnets de marche (2010). Je les avais trouvés la première fois dans ma lecture du recueil d’Hélène S. – De la main gauche exploratrice (Flammarion 1999) qui s'ouvre avec " Fille de Jeanne-Félicie". Comme dans le précédent recueil, ils figurent ici, texte 50, isolés sur la page.

    Les petites proses numérotées sont interrompues par des textes en italiques (5 au total), plus lyriques – avec des adresses, des interrogations, des interjections, des impératifs. La poète fait venir à elle ce qui constitue son monde, son environnement intime. Elle dit sa familiarité avec les mystères qui l’entourent. Dans la lumière mais aussi, peut-être, dans les contradictions qui la tiennent, prisonnière. Ainsi se dit aussi un regret. Et cette sorte de poids qui revient sous sa plume :

    « Fête sereine, fête.
    Pourtant qu’elle me pèse cette clarté qui m’obscurcit loin
    de vous. »

    ou encore :

    « Ô dragée, si lourde amande dans ma mémoire. »

    Il y a quelque chose de l’oracle dans le mystère de ces poèmes ; quelque chose d’Orphée, le prince des poètes :

    « Je prends l’encre sous la lumière et je dis :

    " Soyez l’œil, l’oreille, la bouche, l’attentif
    dans l’osier du ruisseau, dans l’âme de la mousse
    avec le feuille grillée au feu, dans l’air d’en haut." »

    Il y a aussi les petites proses numérotées introduites par un curieux refrain, que l’on retrouve à 5 reprises et chaque fois augmenté, ou prolongé par une expansion. C’est le refrain anaphorique à la mère.

    « Fille de Jeanne-Félicie,
    Fille de Louis-Joseph,
    Fille de France,
    dans un berceau. »

    « […]

    Fille de France, celle-là
    et aucune autre, pour ce temps-là
    et sur cette terre,
    parmi nous. »

    Dans ces vers, introduits par ces formulations ternaires identiques, se disent la naissance, les origines, les désirs et volontés, l’héritage légué par les siens, le caractère unique – pas de sœurs, seulement des frères – mais aussi, un manque, un vide.

    Ici se dit la « primitive confidence » de la naissance : « les Pâques déposèrent au balcon le Bleu des Surprises. »
    Retour sur l’enfance – « car il n’y eut plus athlétique enfance » – blessure et lumière, paysages, mer mouettes et grillons, l’Aventure et le voyage, chemin de vie déposé par les fées dans le berceau ou présentes dans les cartes (Tarot ? 7 familles ), les vers appris et modifiés par la poète, posés comme des jalons dans la mémoire:

    « L’heure vient où les chameaux vont boire »

    Les jeux – « les 7 épines, les 7 baisers ». Et la mère, bien sûr, Jeanne-Félicie, pour qui elle est l’unique fille :

    -« Quel rêve formais-tu en lui faisant les tresses ? » interroge la fille.

    Laquelle, de la mère ou de la fille, est rivée à l’autre ?

    Peut-être est-ce d’elle, Jeanne-Félicie, que la fille tient d’être ce qu’elle s'est choisi d’être :

    « Car elle t’a voulue droite,
    trop près de son image. »

    Mais aussi :

    « Fille de France, sois au monde
    ce que tu aurais voulu qu’il te fût. »

    Et enfin, la reconnaissance :

    « Ton heure, Fille aimée !
    Où les troupeaux ont bu.
    Voici, tu veilles le Poème de silence,
    rien et tout donnant ce qu’il ne sait plus. »

    Quel plus beau cadeau rêver de recevoir d’une mère ?

    En réponse ou en remerciement – de la « Fille de » à sa mère – le « Poème » et le recueil qui la nomme. Qui les nomme et les lie, toutes deux, en récompense de la vie transmise de l’une à l’autre. Un don qui demeure et éclot dans le temps. Et a permis à la poésie de donner vie à la filiation : mère, fille, Poïena.

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    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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    "Tu débordes du cadre, et te penches…"

     

     

    HÉLÈNE   SANGUINETTI

    Hélène jpg

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo de Kathie Arresteilles

    ■ Hélène Sanguinetti
    sur Terres de femmes ▼

     

    Jadis, Poïena, une poème, Flammarion 2025.
    Le Héros, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2008.
    Alparegho, Pareil-à-rien (note de lecture d’AP)
    → De quel pays êtes-vous ? (extrait d’Alparegho, Pareil-à-rien + bio-bibliographie)
    De la main gauche, exploratrice (I)
    → De la main gauche, exploratrice (II)
    De ce berceau, la mer (extrait de D’ici, de ce berceau)
    → À celui qui (extrait de Hence this cradle)
    Et voici la chanson (note de lecture d’AP)
    → [Automne vivant et adoré] (extrait de Et voici la chanson)
    → [Ma trouvaille de tout à l’heure] (extrait de Domaine des englués)
    → [Premier soleil] (autre extrait de Domaine des englués)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) La vieille femme regarde en bas
    → (dans la galerie Visages de femmes) un Portrait de Hélène Sanguinetti (+ un poème extrait de De la main gauche, exploratrice)

     

    ■ Voir | écouter aussi ▼

     

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique
    (+ un extrait sonore issu de Alparegho, Pareil-à-rien)
    → un extrait sonore [10 mn] de Et voici la chanson (« JOUG 2 » « Voici la chanson », pp. 22-31) dit par Hélène Sanguinetti. Prise de son : François de Bortoli

     

  • Mathieu Bénézet / L’Océan jusqu’à toi

    <<Poésie d'un jour

     

     

    UNE ILE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC 

     

     

     

     

    il reste une île tout bas
    un palmier
    au seuil du sommeil


    et qui s’assemble
    d’un rêve ou d’un fleuve

    ô navigation disparue tu me portes vers toi
    Ungaretti d’une voix rouverte à l’été
    tu disais pure au lointain la lumière amarrée

    ajoutant un chuchotement de signes
    sépare l’ombre de la fenêtre

     

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    Mathieu Bénézét, L’Océan jusqu’à toi, Rime, Flammarion 1994, p. 62.

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     MATHIEU  BÉNÉZET

    Mathieu Bénézet
    Ph. © Hervé B. (France)
    Source

    ■ Mathieu Bénézet
    sur Terres de femmes ▼

     

    → De Langue in Œuvre, 1968-2010, Éditions Flammarion, Collection Mille & et une pages, 2012, page 708.
           Choix et présentation par Yves di Manno.
    →  « Le bris de la biscotte… », Premier crayon, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno.
    → Une phrase maison (composés instables) [poème extrait de La Chemise de Pétrarque]
    → Premier crayon (lecture d’Isabelle Lévesque)
    → Trois mouvements (extrait de Premier crayon)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur remue.net) L’Œuvre poétique de Mathieu Bénézet

     

  • Iya Kiva / Poèmes

    << Poésie d'un jour

     

     

     

    Drapeau-ukrainien-champ-ble-fond-ciel-bleu-jour-independance-ukraine-jour-du-drapeau_323015-92

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    Source :Google images 

     

     

     

    LET’S GO

    l’espace humain est le contraire de la maison
    hostile à l’idée de stabilité
    mais circonscrit et clos
    et ce qui est pire
    absolument imprévisible

    supposons
    que tu te trouves un jour à l’intersection
    de la rue Dovjenko et de l’avenue de la Victoire
    ou sur le quai du métro Khreshchatyk
    ou encore que tu ailles de Podil à la place de l’Europe
    mais que fais-tu là

    ou bien supposons
    que tu écoutes un concert à la philharmonie
    que tu regardes un film au ciné du quartier
    que tu boives un café à la cannelle au bar du coin,
    que tu discutes avec un intellectuel local
    tu imagines avoir tes repères dans la ville

    dans ton sac tu as au moins quatre plans de Kiev
    dont un qui date d’avant-guerre

                         

                                      ***

    « GARDER L’AIGUILLE DU SILENCE DANS LA BOUCHE »

    garder l’aiguille du silence dans la bouche
    coudre les mots avec du fil blanc
    gémir en s’étouffant avec sa salive

    cracher du sang au lieu de crier
    réduire l’humidité de la parole sur la langue
    trouée comme un seau rouillé

    réparer les objets dont tu auras l’usage
    marquer d’une croix les points les plus vulnérables
    comme les pansements sur les blessés de l’hôpital

    apprendre à chercher les racines d’une vie
    qui ne sait pas encore comment elle s’appelle

                                      ***

    la forêt nocturne des sévices
    est densément peuplée
    de cris de désespoir

    entre les racines de la soif
    l’humidité s’infiltre
    jusqu’à la nudité

    le souffle obstrué
    par les rameaux de l’innocence
    ressemble aux désirs morts

    sur les arbres les haubans
    pendillent impuissants
    comme du linge sale

     

     

    Logoeurope

     

     

     

     

    Iya Kiva, Traduit du russe et de l’ukrainien par Jean-Baptiste Para in Europe, Revue Littéraire mensuelle, Mars 2025, pp.249, 250.

     

    Iya kiva

     

    Iya Kiva est née à Donetsk en 1984. En raison de la guerre, elle s’est d’abord installée à Kiev en 2014, puis à Lviv en 2022. Elle a notamment publié Plus loin du paradis (2018), La Première page de l’hiver (2019), ainsi qu’un recueil en traduction bulgare, Témoin sans nom (2022). Elle a réalisé un livre d’entretiens avec des écrivains bélarusses paru sous le titre Nous nous réveillerons différents (2021). Plusieurs prix littéraires lui ont été décernés. Iya Kiva a d’abord écrit alternativement en ukrainien et en russe1, mais la tragédie en cours l’a conduite à ne vouloir écrire à présent qu’en ukrainien.
    Parmi les poèmes publiés ici, seul « Let’s go » a été publié en russe.

     

    Source portrait  

     

  • Béatrice Englert / Jean-Pierre Chambon / Le visage inconnu

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    Eve en bleu Klein

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photocollage : G.AdC 

     

     

     

    Né de la blancheur du papier
    avant même qu’elle ne soit gagnée
    par le fourmillement éperdu
    des premiers mots sur la page

    ou entraperçu en filigrane
    à travers l’écran des paupières

    lambeau d’une affiche lacérée
    sur quelque cloison dérobée
    dans l’un des entrelacs
    du labyrinthe de la mémoire

    c’est bien toi je te reconnais
    revenu à la surface de l’invisible
    avec ton visage indéchiffrable

     

                           ***

    Qui a badigeonné tes traits
    du bleu approximatif
    des anthropométries d’Yves Klein

    ou du bleu explosif
    du pinceau de Pierrot Le Fou

    qui t’aura défiguré
    de tant de meurtrissures

    qui t’a fait ce masque cyanosé
    à l’aspect de fruit moisi

    on dirait qu’un ciel céruléen
    se reflète à ton visage
    ou qu’y affleure comme
    le cerne envahissant du sang

     

                         ***

    Tu n’as pas plus d’épaisseur
    qu’un courant d’air
    qui fait trembler la lumière
    au fond de tes yeux

    pas plus de consistance
    que le halo vaporeux
    laissé par ton haleine
    sur la vitre glacée

    mais ton image flottante
    ton visage d’ombre
    bien que d’un poids infinitésimal
    pèse d’une plus lourde présence

    que toute chair

     

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    Béatrice Englert/Jean-Pierre Chambon, Le visage inconnu, 2Rives, Les Lieux-Dits Éditions 2025.

    BÉATRICE ENGLERT→  son site 

     

    JEAN-PIERRE CHAMBON

    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source

    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes ▼

    Je ne vois pas l'oiseau (lecture d'A P), Al Manar 2022
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre,
          éditions Méridianes, collection Duo, 2020, (Lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon  & Michaël Glück, Une motte de terre, éditions Méridianes, collection Duo, 2020.
    → Étant donné/ Éditions Al Manar 2024, (Lecture d’AP)
    Je ne vois pas l’oiseau, Encres de Carmelo Zagari, Al Manar2022
    La montagne lumineuse, Peintures Mad, Voix d’encre 2022.

    → L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    → L’Écorce terrestre (lecture d'AP)
    → [Fleurs dans la fleur]
    → [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    → L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    → Des lecteurs (lecture d’AP)
    → Des lecteurs (extrait)
    → Noir de mouches (extrait)
    → Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    → Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    → [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    → Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    → Un écart de conscience, II (extrait)
    → Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    → Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)

     

  • Muriel Pic / Le Dernier Printemps de Rosa Luxemburg…

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    ROSA LUXEMBOURG(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

              Rosa Luxemburg : source Google images 

     

     

     

     

              MATHILDE
    Tu perds la boule
    ta mémoire crève
    tu oublies que mon rôle est double
    je suis aussi ta secrétaire
    je tape à la machine ta pièce
    sur Rosa et la révolution.

               BRECHT
    Tu as raison
    parlons de choses sérieuses
    as-tu tapé les notes d’hier ?

                MATHILDE sort un manuscrit.
    Les voici.

                 BRECHT
    Lis-moi la dernière page écrite
    que j’entende où nous en sommes
    avec l’affaire de la lettre clandestine.

                  MATHILDE
    C’est le Chœur qui prend la parole.

                   BRECHT
    Vas-y.

                   MATHILDE lit
    Lettre, petite lettre, en quelle main seras-tu ?
    Quel coupe-papier fera le sanglant sacrifice ?
    Qui lira les mots et condamnera le pacifiste ?
    Car le moment approche où la boiteuse sera perdue.
    Lettre, petite lettre, mais que racontes-tu ?
    L’hier pas exemplaire de la tragédie russe
    ou le demain qui espère la révolte de Spartakus ?
    Une chose est sûre : la boiteuse demain sera perdue.
    Lettre, petite lettre, quelle vérité dis-tu ?
    Le Parti socialiste allemand a voté la guerre
    il ne fait plus des prolétaires que la misère
    la boiteuse l’écrit, voilà pourquoi elle est perdue.
    Lettre, petite lettre mais qu’espères-tu ?
    Des fleurs pour les révolutions qui viennent
    Des fleurs pour que l’espoir des peuples tienne
    Des fleurs pour la boiteuse qui est déjà perdue ?

                    BRECHT
    Qu’en penses-tu ?

                    MATHILDE
    Bof.

                    BRECHT
    Comment ça bof ?

                    MATHILDE
    C’est déjà vu.

                    BRECHT
    Déjà vu ?

                    MATHILDE
    Le révolutionnaire qui meurt
    le sacrifice
    les fleurs par-dessus
    on a déjà vu ça.

                   BRECHT
    Ce sont les faits.

                   MATHILDE
    On peut les changer.

                   BRECHT
    Pourquoi faire ?

                   MATHILDE
    Sauver Rosa
    v l’injustice
    faire la révolution par l’imagination.

                   BRECHT
    La tragédie est écrite.

                   MATHILDE
    Il faut la réécrire autrement.

                   BRECHT
    Ne joue pas avec le feu
    il y a le réel
    il y a la scène
    c’est la loi de l’univers.

                  MATHILDE
    Si tu ne m’aides pas
    à changer la configuration des planètes
    je fais grève.

                  BRECHT
    Le Sergent Gertel est un hasard
    dans le destin de Rosa Luxembourg
    un imprévu dans la révolte de Spartakus
    il n’y a aucun rôle à jouer.

                  MATHILDE
    Tu peux lui en écrire un.

                  BRECHT
    Je ne suis pas un magicien
    qui jongle avec les planètes.

                  MATHILDE
    Il faut faire table rase.

                  BRECHT
    Les Orientaux donnaient à la Terre
    le nom de Tébel
    d’où nous vient celui de « table »
    car ils pensaient que la Terre
    était une surface plate
    terminée par un abime d’eau.
    À présent que la Terre est ronde
    il n’y a plus de tabula rasa.

                    MATHILDE
    D’autres mondes sont possibles.

                    BRECHT
    Le cours de l’histoire est inéluctable.

                    MATHILDE
    L’imagination est un trou noir
    tout peut en surgir et y disparaître…

                                                                              

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    Muriel Pic, Le Dernier Printemps de Rosa Luxemburg et autres poèmes dramatiques, Le Bruit du temps 2025, pp.52, 53, 54, 55, 56.

    Document de couverture:
    Pétale de rose, provenant de l'herbier de Rosa Luxemburg: au feuillet 20 du « Cahier XVI, 1-6 octobre1918, pénitencier de Breslau »…

     

    MURIEL   PIC  

    Muriel Pic NB
    Ph. © éditions Macula
    Source

    sur Terres de femmes ▼

    Muriel Pic & Anne Weber – Petit Atlas des pleurs, L’Extrême contemporain 2024
    En regardant Le Sang des bêtes, Suivi de Notes sur le montage documentaire, Trente-trois morceaux, 2017
    Élégies documentaires (lecture de Gérard Cartier)

    → Élégies documentaires
    → Janvier 2001 | Muriel Pic, Affranchissements

     

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → Le Sang de bêtes, Un documentaire de Georges Franju
    → (sur le site des éditions Macula) la fiche de l’éditeur sur Élégies documentaires
    → (sur CCP, Cahier critique de poésie) une lecture d’Élégies documentaires, par Jérôme Duwa
    → (sur le site de France Culture) Muriel Pic, décrire ou hanter
    → (sur Diacritik) Les montages documentaires de Muriel Pic : En regardant le sang des bêtes, par Laurent Demanze
    → (sur etudiants.ch) Muriel Pic: Lire est un acte critique, un acte civique (Fragments d’entretien avec Muriel Pic)
    → (sur Babelio) une notice bio-bibliographique sur Muriel Pic

     

     

  • Angèle Paoli / Ceneri / Braises

     

     

     

    VENISEMara. Elle a fait un rêve. Déjection violente d’un présent qui perdure. Au matin, elle se réveille meurtrie. Visage défait par les tourments de la nuit. Elle raconte. « Mara la Noire ». Sa vie de recluse séquestrée. Mara au bord de la tragédie. Ils écoutent. Patients. Ils accueillent sa parole. Colère et désespoir. Chagrin.

    La lagune. Ils avaient roulé ce mot de lagune dans leur bouche, chacun à sa manière. C’était comme un bonbon ancien, mystérieux, chargé de rêves. Et pourtant, il gardait une saveur fade et creuse. Lacunaire. Faite d’un mélange d’eau de mer et d’eau saumâtre. Un jour pourtant, la lagune les avait entraînés jusqu’à elle. Ils avaient d’abord découvert le large, la mer grise. Les grandes plages désertées du Lido abandonnées au vide de la solitude. Ils avaient marché longtemps dans le vent et les embruns. Elles avaient marqué le sable de leur empreinte jumelle. Elles récitaient Duras. Elles récitaient son nom de Venise. Elles erraient à l’embouchure du Mékong. Elles faisaient crisser sous leurs pas les coquillages qui affleuraient dans les trous d’eau. Le Pacifique les berçait du roulis nonchalant de ses vagues. La mendiante s’était glissée entre elles. Elles étaient habitées de son chant. Portées par une émotion qui les jetait l’une vers l’autre.

    Elles avaient retenu leur tendresse sur le fil.
    Pour la mendiante et pour elles-mêmes.

    Elle avait retrouvé le vaporetto du retour avec un certain soulagement. Il lui semblait qu’elle retournait à la vraie vie. Le Lido était mort. Ouvert sur le large, mais vide. Mortes et vides, les villas l’étaient aussi, comme le grand hôtel aux allures viscontiennes. Les arbres défeuillés geignaient sous les rafales. Le froid humide et pénétrant la glaçait. Accoudés au bastingage, ils regardaient les formes de la cité lacustre venir à leur rencontre, de plus en plus précises. Ils reconnaissaient au passage le campanile de San Giorgio, le corps rond et massif de la Salute, les ciselures de la place Saint-Marc. Ils allaient regagner l’intérieur des terres. C’était comme un repli nécessaire. Elle en savourait par avance les bienfaits. Elles avaient abandonné aux vents lagunaires, là-bas, de l’autre côté de la vie, le chant de la mendiante. Elles se serraient l’une contre l’autre, attentives, à l’affût chacune des contours, replis et formes, désirés dans le silence. Elles vibraient d’une attente qui n’osait s’exprimer, d’une tension contenue qui fluait et refluait de l’une à l’autre. D’Inès à Mona. De Mona à Inès.

    Mona se disait que peut-être Inès n’était pas prête à recevoir cette vérité d’elle qui l’appelait vers l’autre femme. Vers Mona. Mais quand le serait-elle ? Jusqu’à quand lui faudrait-il attendre ? Cette mélodie enfouie depuis les origines dans les fibres secrètes de son corps, Mona la reconnaissait. Elle était sienne depuis toujours. Mais avec Inès, elle n’osait pas. Elle avait peur qu’un geste, un mot, un sourire même ne viennent faire voler en éclats cette promesse. Elle avait peur du refus de l’autre. Peur du malentendu. Peur aussi de ses réactions. Les siennes, surtout. Le soir dans l’unique chambre qu’ils se partageaient, Inès se pelotonnait contre le corps de Yann, guettant le mystère de son sommeil à elle, cette autre femme qui s’endormait non loin d’elle. Peut-être Inès rêvait-elle de se couler contre le corps de Mona, un corps musclé de motarde dont elle percevait — à la dérobée — l’élasticité sous la cotonnade flottante du pyjama ? Mona espérait qu’Inès se déciderait à franchir le premier pas. Elle rêvait de longs embrasements de leurs corps jumeaux. Demain peut-être. Ce serait pour demain. Cette pensée la tenait en émoi.

    Elle se sentait dans un hors-temps qui n’appartenait qu’à elle.

    San Michele. « L’île des morts ». Le vaporetto glisse sur la lagune. Eau lisse, vaguement huileuse. Peu à peu les brumes de la nuit s’estompent. Une longue barque fuselée traverse. Tendue de voiles noirs. Elle accoste dans le silence. Une femme en sort la première, invisible sous ses mousselines. Des silhouettes sombres la suivent. Une autre gondole arrive, luisante et silencieuse. Le cercueil est hissé hors de l’embarcation, porté en terre ferme par quatre redingotes ténébreuses. Le froid de la mort les frôle au passage.

    Ils s’éloignent, recroquevillés sur leur silence.

    L’île de San Michele est belle mais noire. Mystérieuse et glaciale. Un rai de lumière tente une percée à travers des restes de feuillages. Les allées couvertes de feuilles mortes bruissent sous les pas. La première tombe est la tombe d’un poète. Quelques vers courent sur la pierre abandonnée. Le nom du poète italien lui saute au visage. C’est aussi le nom de Mara.
    « Mara la noire ». Un nom de marionnettiste. Un nom en accord avec la personnalité imprévisible de celle à qui il appartient. Que faire de cette coïncidence qui la bouleverse ? L’angoisse l’oppresse, qui la laisse sans voix. Quelque chose d’insolite et de dangereux l’habite. Quoi, au juste ? Elle savoure cette impression d’« inquiétante étrangeté ». Le malaise se dilue dans ses veines.

    Son savoir est contenu dans les rêves.

    Un peu plus loin, la tombe d’Ezra Pound est indiquée par une flèche. Un balai de sorcière pose à côté du grand homme, hirsute et enrubanné de rouge. Fiché de guingois dans le sol, il a été abandonné là par le gardien du cimetière, peu soucieux des hiérarchies. Pull down thy vanity.

    Des notes grincent entre les tombes. Diaghilev et Stravinsky, en vis-à-vis, affutent leurs notes. Vivaldi va-t-il surgir de sa boite ? Diable monté sur des ressorts ? Flanqué de nonnettes folles, le grand prêtre roux mène la sarabande. Le « concert baroque » peut commencer.

    Elle, sous l’emprise de la peur.

    Errance longue et lente dans le cimetière juif. Silence de mort.

    Ils rejoignent le quai. L’arrivée du vaporetto, un soulagement. La promesse est tenue : la vie continue ailleurs. Un temps, suspendue, elle reprend. Sur les damiers de la ville.

    Résurrection, auréolée de lumière.

     

    "Venise " image de G.AdC 

     

    Italies-fabulae-Paoli

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Angèle Paoli, «Ceneri/Braises» in Italies FabulÆ, Récits &Nouvelles, Postface Isabelle Lévesque, Al Manar 2017, Couverture: Maso Finiguerra, †1464.

     

    =>  Voir un portrait d'Angèle Paoli par Guidu Antonietti di Cinarca 

     

     

     

     

  • Anne Sexton / Folie, fureur et ferveur / Lecture de Noémie Antoine

    Anne Sexton, Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975)
    traduit de l’américain par→    Sabine Huynh
    pour les éditions des Femmes – Antoinette Fouque.
    Lecture de Noémie Antoine

     

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        Dans le sillage de la rentrée littéraire de janvier, se démarque Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975)1d’Anne Sexton, traduit de l’américain par Sabine Huynh pour les éditions des Femmes – Antoinette Fouque.

       Ce volume rassemble les œuvres tardives, voire posthumes, de cette poète américaine majeure, à savoir : The Book of Folly [Le livre de la folie] (1972), The Death Notebooks [Les Carnets de la mort] (1974) et The Awful Rowing Toward God [L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu] (1975).

       Le suicide d’Anne Sexton, en octobre 1974, impacte irrémédiablement l’expérience de lecture, et on ne peut s’empêcher de laisser affleurer ces quelques vers à nos oreilles :

    « Life […] : it is a tale
    Told by an idiot, full of sound and fury
    Signifying nothing. »2

       Car c’est un véritable parti pris éditorial que de faire connaître ces trois recueils écrits durant les deux dernières années de la vie d’Anne Sexton. Le lecteur s’engage dans un corps à corps avec des poèmes dont la voix, sans toutefois nous être complètement étrangère, fait entendre des inflexions jusqu’alors inconnues, déroutantes, même déconcertantes ; tant et si bien qu’il demeure quelque chose de l’ordre de l’inaccessible, comme un substrat d’étrangeté, à la lecture du recueil.
    Anne Sexton y fait éclater toutes les structures, toutes les images auxquelles elle avait habitué le lecteur et fait de Folie, fureur et ferveur un laboratoire au sein duquel elle poursuit son expérimentation de la forme poétique. La poète explore les potentialités de la prose et repousse les limites du récit, s’essayant à l’écriture de pastiches, de prières, d’incantations ou encore de psaumes. Elle laisse souffler une plus grande liberté de ton dans ses poèmes, jusqu’à se mettre parfois en danger, l’éclatement du moule poétique laissant percevoir les déflagrations de sa propre vie.
        Anne Sexton ne craint pas les débordements : mieux, elle les recherche. Elle étale, exhibe, détaille chaque infime expérience de sa vie psychique comme organique, sans filtre ni retenue. « Unleash » est le mot qui nous vient à l’esprit quand on pense à l’imaginaire d’Anne Sexton. Il exprime à la fois le mouvement de libération dans lequel s’inscrit l’auteure, tant du point de vue de la composition poétique que des images employées, tout en mettant l’accent sur le déchaînement de colère qui éclate çà et là dans le recueil. Le souci de bienséance ou d’esthétisme est rejeté pour saisir la singularité de chaque vécu et comprendre comment chacun d’entre eux modèle – pour le meilleur comme le pire – notre réalité.

    « […] Quand le moment viendra, » écrit-elle dans « La Bébée funèbre », « nous parlerons à cœur ouvert / nos mots viendront des hanches, […] oui, quand la mort viendra sous sa capuche, / nous ne serons pas bien élevées. »3

        La mort. Le mot est lâché, inéluctable. Le recueil est une confrontation avec la Faucheuse et, ce faisant, avec soi-même ; épreuve de laquelle on ne peut espérer triompher en « jouant petit », en demeurant douce, polie et policée, en ne faisant pas de bruit, en somme.
    Qu’on se le dise, la lecture du recueil n’est pas gratifiante. Plongé sans ménagement dans un bain glacé, le lecteur endure les brûlures d’une imagerie complètement débridée, nourrie de l’inconscient et des épisodes hallucinatoires de la poète. Anne Sexton récuse le discours raisonnable et linéaire du logos, autant par goût de la provocation que par recherche poétique. Retour, reprise, volte, interruption ou, au contraire, divagation, le mouvement d’écriture touche au contre-mouvement, à ce que Blanchot nomme le « jeu de déplacement sans place, du redoublement sans doublement et de la réitération sans répétition.»4  

         La langue poétique est celle de l’anti-séduction. Elle dérange, « […] ne conna[ît] que l’exubérance »5 La poète expose et explose les tabous liés à la sexualité, au suicide ou à la maladie mentale qui fait d’elle « une maison saturée d’excréments »6 . Le lecteur accède à « la pièce verrouillée là-haut » qui « contient tous [ses] mauvais rêves »7, comme dans le poème « Rêver les seins » dans lequel elle fantasme les seins maternels devenus « deux chauves-souris / […] fonçant sur [elle] , / et[la] domptant. »8 La mère y incarne une figure tricéphale : c’est à la fois ce « visage de déesse étrange /[…] ce refuge délicat … »9 , mais c’est aussi la Parque qui peut couper le fil de la vie, de ses « doigts ensanglantés … »10 et c’est enfin la malade qui finit, vulnérable, sur la table d’opération : « À la fin ils t’ont coupé les seins / et du lait a coulé / sur les mains du chirurgien ».11
    Souvent, le poème se tient sur une ligne de crête, oscillant entre la célébration de tout ou partie du monde et la mise en garde d’un danger mortel sous-jacent. Là, même éteinte, la puissance maternelle, tout entière localisée dans la poitrine, provoque à la fois crainte et émerveillement :

    « Je t’ai mis un verrou
    dessus, Mère, chère humaine morte,
    afin que tes grandes cloches,
    ces chers poneys blancs,
    continuent à galoper, galoper,
    où que tu sois. »12

    Verbum caro factum est

       Anne Sexton se révèle être la poète de la chair et de l’incarnation, y compris dans ce que celle-ci a de plus rebutant. La poète reconfigure d’ailleurs son propre corps dans le corps même du poème. Elle s’y déploie ou s’y rétracte, s’y fantasme nouvelle matière organique au gré des ajouts ou des retraits, accentuant l’idée d’expérience morcelée ou parcellaire que l’on peut avoir de l’existence. L’iconographie surprenante des poèmes laisse au lecteur la possibilité d’entrevoir une reconfiguration tantôt cauchemardesque, tantôt ludique et onirique du monde. Anne Sexton explore la matière inconsciente faite de désirs profonds et inavouables, mais elle examine aussi les rêves et la rêverie. Ainsi, dans le « Le Docteur du cœur », elle moque le savoir universitaire de son « Herr Doktor » avant de lui proposer une procédure de guérison digne du « comme si … » des jeux d’enfants :

    « Je prendrai une limace si vous le permettez
    et ça me fera un appendice impeccable.

    Donnez-moi un ongle à la place d’un monocle.
    Le monde était laiteux depuis le commencement.

    Je prendrai un fer à repasser et repasserai
    mon hernie discale jusqu’à ce qu’elle soit plate.
    …
    Existe-t-il un tel appareil pour mon cœur ?
    Je n’ai qu’un gadget qu’on appelle doigts magiques.

    Laissez-moi me dilater comme une mauvaise dette.
    Voici une éponge. Je peux l’essorer moi-même.

    Ô cœur, cœur rouge tabac,
    Pulse comme une guitare rock.

    Je suis à la proue du bateau.
    Je ne suis plus la suicidée … »13

     

        Hospitalisée en juin 1972 pour une opération chirurgicale, Anne Sexton transforme sa douleur physique et son exaspération en matière poétique. La série de poèmes « Les furies » évoque l’impuissance du corps alité, diminué, tout comme la frustration consécutive à la perte d’autonomie ou à l’autoritarisme du personnel hospitalier. Surtout, les poèmes font entendre, quand ils ne crachent pas, la fureur de l’esprit – malade, lui aussi – qui voit le corps se dérober à son contrôle pour faire sédition :

    « Je me demande, monsieur Os, ce que tu penses à présent
    de ta fureur, devenue aussi acide qu’une baleine qui sombre,
    escaladant l’alphabet à l’aide de ses propres os.
    Suis-je dans ton oreille chantant encore sous la pluie,
    moi du hochet de mort, moi des magnolias,
    […]
    Je ne peux pas
    répondre de toi, seulement de tes os,
    des règles rondes, des érections rondes, des poteaux ronds,
    […]

    Je sens le crâne, monsieur Squelette, qui vit
    sa propre vie, dans sa propre peau. »14

        Les expériences intimes des proches sont également convoquées, Anne Sexton faisant se dresser devant nous une forêt de corps dont elle ne tait rien des petits et grands maux. La sexualité d’autrui fait effraction dans la lecture, comme ce sexe paternel devenu, le temps d’une danse partagée avec la poète, « le serpent, ce persifleur » qui « s’est réveillé et a pressé / sa divinité contre [elle] »15 . Le matériau de chaque vécu est examiné sous tous les angles et réinvesti dans le poème pour en faire un moyen de catharsis et de rédemption. Le texte poétique représente en effet le lieu sûr, l’espace sauf, au sein duquel poète et lecteur peuvent se confronter à la souffrance, aux traumatismes, pour dégager une meilleure compréhension d’eux-mêmes et de leurs émotions.

    Du profane au sacré

        Dans son essai Writing like a woman, Alicia Ostriker observait que l’écriture d’Anne Sexton oscillait entre une vision sacrée et féconde de la chair et une perception de celle-ci comme étant impure et souillée. « En tant qu’humanistes, nous avons tendance à oublier que rien de ce qui est humain ne nous est étranger. C’est là notre péché originel. Cela signifie que je ne peux pas traiter la femme folle et suicidaire avec condescendance. Cela signifie également qu’elle est une des nombreuses habitantes de mon propre grenier que je renie à mes risques et périls »16, écrivait Alicia Ostriker au sujet d’Anne Sexton, avant d’ajouter : « Un poème n’a pas à être, mais peut légitimement être, « une hache pour la mer gelée »17Folie, fureur et ferveur enfonce nos défenses intérieures pour en révéler les vérités et émotions enfouies. Le corps, même hideux ou mutilé, devient le véhicule par excellence du sacré et du profane. La trivialité de certains poèmes nous rapproche les uns des autres dans ce que nous possédons de plus humain : nos imperfections, nos douleurs, nos doutes, nos désirs, nos aspirations, mais aussi nos disgrâces et la matérialité de nos corps.
        Anne Sexton dépasse donc la dichotomie usuelle du sacré et du profane. Celle qui se considérait comme une « primitive » brouille les frontières et perçoit la dimension hiérophanique derrière chaque manifestation physiologique ou organique. Dans Folie, fureur et ferveur, il n’est plus question de processus, mais de ce que Mircea Eliade désignait comme un « sacrement, une communion au sacré ».18 Si les déviances et les transgressions sexuelles sont ouvertement évoquées et dénoncées dans les références à l’inceste, d’autres poèmes célèbrent ce que la sexualité a de plus mystique. « Quand l’homme pénètre la femme » fait penser à ces hiérogamies primitives qui exaltent l’amour humain à travers l’union du spirituel, du charnel et du terrestre. Le logos y apparaît dans l’extase, dans une forme de déraison semblable à la folie tant décriée par la société :

    « Quand l’homme
    pénètre la femme,
    comme les vagues mordant le rivage,
    encore et encore,
    et la femme ouvre la bouche de plaisir
    […]
    le Logos apparait, qui trait une étoile,
    et l’homme
    dans la femme
    noue un lien
    pour que jamais plus
    ils ne soient séparés
    et la femme
    monte dans une fleur
    et avale sa tige
    et le Logos apparaît,
    qui libère leurs fleuves. »19

       Selon Mircea Eliade, « le sacré est saturé d’être »20. C’est bien toute la finalité des poèmes d’Anne Sexton : culminer en une saturation de désirs, d’expériences – y compris langagières – de proximité en soi, avec soi comme avec le monde. Ses poèmes montrent tout ce que le quotidien porte en lui de germes sacrés, y compris les objets usuels qui se chargent d’une puissance d’être inédite :

    « Bénis soient tous les objets utiles,
    les cuillères en os,
    le matelas sur lequel je cuisine mes rêves,
    la machine à écrire qui est mon église
    avec un autel de clés toujours en attente,
    les échelles qui vous laissent grimper
    […]
    Bénie soit aussi la poêle,
    toute noire et graisseuse,
    qui frit les œufs comme des yeux de saints. »21

       Si l’on ne peut ignorer le ton satirique d’un poème qui détourne les louanges des psaumes bibliques, questionnant ce que l’on considère comme sacré selon les normes sociétales et religieuses, on comprend également qu’investir les objets inanimés d’une dimension spirituelle participe à la fois d’une poétique du sacré et d’un réenchantement du quotidien.

    Anne Sexton, poète visionnaire ?

       Anne Sexton serait-elle une poète visionnaire ? Bien que l’expérience personnelle, le souvenir et le trauma soient les mares dans lesquelles elle puise son inspiration, lui valant l’étiquette de poète « confessionnelle », les poèmes des dernières années tendent à se décentrer du moi de l’auteure pour embrasser la condition humaine. Folie, fureur et ferveur poursuit et clôt un mouvement d’introspection et de réinterprétation des mythologies telles que les définit Barthes, en tant que représentations idéalisées véhiculant des significations culturelles et idéologiques. Anne Sexton, qui avait déjà amorcé le réexamen des contes de fées dans Transformations22, revisite ici les mythes égyptiens, grecs, hindous, mais aussi les récits hébraïques et chrétiens. Elle reprend à son compte les grandes figures éternelles de la mère et de la marâtre, de la grand-mère et de la sorcière, de la folle et du malade, du bourreau et de la victime, qui semblent parfois jouer le rôle de ses alter-egos. Tous interrogent les notions de pouvoir, de justice, de trahison, mais aussi celles de transformation, de sacrifice et de résilience.

        « Une histoire, une histoire ! / (Laisse-là aller, laisse-là venir)»23 s’écrie la poète, rappelant ainsi que tous les grands textes fondateurs s’ancrent dans stade oral de l’histoire. Folie, fureur et ferveur vibre des échos d’un chant rituel généalogique. Il rappelle l’histoire du monde, celle d’Anne, de la communauté américaine et, plus largement, humaine. Le recueil participe à la fois de l’anéantissement et de la recréation du Monde. Le poème « Ô vous langues » reprend les thèmes et les tournures phrastiques de la Genèse, dans une répétition de l’acte primordial de la transformation du chaos en Cosmos. Anne Sexton s’y approprie l’inconnu en connu, elle forge sa propre mythologie :

    « Qu’il y ait un Dieu aussi grand qu’une lampe à bronzer pour vous
    baigner de la chaleur de son rire.

    Qu’il y ait une Terre de la forme d’une pièce de puzzle et qu’elle
    convienne à chacun d’entre vous.

    Que l’obscurité d’une chambre noire monte de l’abîme. Une
    chambre de lombrics.

    Qu’il y ait un Dieu qui voie la lumière au bout d’un long tuyau
    très fin et qu’il la laisse entrer.

    Que Dieu les sépare en deux.
    […]
    Que la lumière soit appelée Jour pour que les hommes puissent
    cultiver du maïs ou prendre des bus. »24

        De même, de nombreux poèmes du recueil font directement référence à la création de l’homme et de la femme. Ils apparaissent notamment sous la forme de deux mains tendues vers Dieu, qui s’enlacent et qui applaudissent – pour un temps – la perfection de la création : « Et ce n’était pas un péché. / C’était comme cela devait être. »25 Dans un autre texte, Anne Sexton compare la naissance au moment du petit-déjeuner. Nous revient alors en mémoire, le souvenir doux-amer de cette publicité pour du café instantané, qui mettait en scène les membres d’une même famille trop souriants, dans une atmosphère de convivialité criante :

    « Une fois, nous étions tous nés,
    nous avons jailli comme des rouleaux de bande de tissu
    oubliant notre monde de poissons,
    les mers agréables,
    le pays du bien-être,
    fessés jusqu’aux oxygènes de la mort,
    Bonjour la vie, nous disons au réveil,
    je vous salue marie café tartine
    et nous Américains buvons du jus,
    […]
    Bonjour la vie.
    Se réveiller c’est être né … »26

        Dès lors, le poème devient le seuil, le franchissement qui permet l’accès à un temps et à un espace sacrés. Anne Sexton y provoque le divin, y cherche le signe apodictique en se livrant à toutes sortes d’invocations. Le rythme cadencé de certains textes rappelle la prière ou le rituel, quand les champs lexicaux du mysticisme et de l’occulte renforcent l’effet incantatoire, hypnotique de la transe :

    Anges du feu et des organes génitaux, […]
    Femme de feu, toi de la flamme antique, toi
    du brûleur Bunsen, toi de la bougie,
    toi du haut fourneau, toi du petit fourneau, toi
    de l’énergie solaire féroce, […]
    Mère du feu, laisse-moi me poster à ton portail insatiable … »27

       Les poèmes sont ceux de la connaissance et de la révélation, de la célébration et de la dénonciation, mais ce sont aussi des chants médicinaux de la confrontation au Mal et à nos propres démons. On écrit et on dit pour stimuler sa créativité, pour (se) guérir, pour (se) préparer à la mort. « En connaissant le mythe » écrit Mircea Eliade, « on connaît “l’origine” des choses et, par la suite, on arrive à les maîtriser et à les manipuler à volonté ; il ne s’agit pas d’une connaissance “extérieure”, “abstraite”, mais d’une connaissance que l’on “vit” rituellement, soit en narrant cérémoniellement le mythe, soit en effectuant le rituel auquel il sert de justification. […] [D’]une manière ou d’une autre, on “vit” le mythe dans le sens qu’on est saisi par la puissance sacrée ; exaltante des évènements qu’on remémore et qu’on réactualise.28 »

        Dire les mythes d’origine permet une régénérescence. En recréant le monde, Anne Sexton s’accorde la permission d’un retour aux temps des origines et recommence son existence, dans une nouvelle naissance symbolique :

    « Oh Marie,
    Douce Mère,
    ouvre-moi la porte et laisse-moi entrer.
    Une abeille t’a piqué le ventre avec foi.
    Laisse-moi flotter dedans comme un poisson.
    Laisse-moi entrer ! Laisse-moi entrer !
    Je suis née plusieurs fois, un faux Messie,
    mais laisse-moi renaître
    en quelque chose de vrai. »29

        Anne Sexton réactualise le temps sacré du passé par le temps liturgique de l’écriture puis de la lecture des poèmes, mais leur modernité, leur vivacité, leur audace et leur iconographie marquent un esprit de rupture avec le temps sacré tel qu’on l’envisage traditionnellement.

    Et Dieu, dans tout ça ?

        Dans le documentaire USA : Poetry, Anne Sexton confiait à la caméra qui la filmait : « I like something I’ve lost. There is something in there, but I’ve lost and that I can’t find. »30 Anne Sexton languit de « nostalgie ontologique »31, ce qui se traduit par l’ouverture des poèmes à la philosophie existentialiste. Folie, fureur et ferveur reflète ses doutes et sa quête de sens :

    « Avec toutes mes questions,
    Et les mots nihilistes dans ma tête,
    Je suis partie à la recherche d’une réponse,
    Je suis partie à la recherche de l’autre monde… »32

        Anne Sexton cherche Dieu, mais lequel ? L’aspect éclectique et hétérodoxe du recueil souligne les parallèles, les contrastes et les apories des références mythologiques ou religieuses. La réécriture permet la critique acerbe des dogmes imposés à la société. La série de poèmes « Les papiers de Jésus »33 revisite les grands épisodes de la vie du Christ en insistant de façon moqueuse sur son humanité. « Jésus tète »34 sa mère, « Jésus cuisine »35… La figure sacrée y est dégradée, taraudée du désir qu’il éprouve pour Marie. Les miracles, tournés en dérision, deviennent des tours de passe-passe, quant aux injonctions célestes, leur caractère absurde empêche l’homme de s’attirer comme de garder les bonnes grâces divines.
    C’est que Dieu (ou les dieux) jalouse l’Homme. Il « […] traine la savate au paradis, / […] mais Il brigue la terre »36. De là s’origine le conflit entre un Dieu qui voudrait définitivement se faire Homme, et un homme qui n’aspire qu’à s’élever pour fuir une incarnation douloureuse :

    « C’est vrai, j’ai un corps
    et je ne peux pas m’en échapper.
    J’aimerais m’envoler hors de ma tête,
    mais il n’en est pas question.
    Il est écrit sur la tablette du destin
    que je suis coincée ici dans cette forme humaine. »37

        Plus on avance dans le recueil, plus la question de la foi et de son effondrement se pose, notamment en regard des grandes tragédies du XXe siècle. Le recueil crie la solitude de la condition humaine. Il n’y a « Personne. »38 nous assène Anne Sexton qui ne cesse pourtant de chercher. « Dieu semble-t-il, / nous a tourné le dos, / nous présentant le négatif sombre ».39 S’il y a rencontre avec la divinité, elle ne peut qu’être manquée, déceptive ou dégradée. L’auteure souligne le paradoxe d’une humanité qui cherche Dieu mais qui craint le reconnaître quand elle le trouve ou qui le rejette « […] dans les toilettes. […] avant de verrouiller la porte. »40 On peut alors se demander si l’intrication des fils narratifs et des traditions mythologiques ou religieuses ne serait pas une façon pour l’auteure de dénoncer la fausseté de toutes ces figures référentielles et, ce faisant, de choisir de créer sa propre divinité : celle du poème.

    Un voyage initiatique

       En bonne philosophe, Anne Sexton met en scène son doute radical avant de parfois reconnaître sa nescience ou son impuissance : « mais qui suis-je pour croire aux rêves ? »41Certains poèmes relèvent de la disputatio : la poète y alpague son double et lui adresse ses questions existentielles fondamentales, dans une recherche frénétique de vérité :

    « Je pourrais manger le ciel
    comme une pomme
    mais je préfère demander à la première étoile :
    pourquoi suis-je ici ?
    pourquoi vis-je dans cette maison ?
    à qui la faute ?
    hein ? »42

       Le volume marque donc un double mouvement de l’intérieur vers l’extérieur, d’introspection et d’examen du réel, qui se nourrissent et s’interpellent mutuellement. La poète met en doute la véracité des expériences vécues à travers le prisme de la maladie et des phénomènes hallucinatoires : « Et je me pose des questions sur / cette vie entière avec moi-même, / ce rêve que je vis. »43
    Comment démêler le vrai du faux ? Quelle est la part de réel dans les images inconscientes ou hallucinées de la poète ? Le langage poétique cherche à mettre le doigt sur ce qui est, mais aussi à nommer l’innommable. Tantôt extérieure au poète (« Madame Delamort »)44 , tantôt prenant possession d’elle (« Je me surnomme / moi-même / madame Anubis »45 , la Mort rôde partout. Folie, Fureur et Ferveur s’apparente alors à un voyage initiatique au cours duquel l’auteure se familiarise avec sa propre mort, apprend à composer avec elle, à l’apprivoiser et, ce faisant, à s’en rapprocher dangereusement. Dans le corps enclos du poème, Anne Sexton fantasme sa propre mort et, paradoxalement, se voit mourir tout en étant vivante, triomphant ainsi de l’immobilité éternelle :

    « J’aspire à une vie simple
    pourtant chaque nuit j’étends
    des poèmes dans une boîte allongée.
    C’est ma boîte d’immortalité,
    mon plan d’épargne,
    mon cercueil . »46

        Inscrit comme trace cadavérique, le poème écrit lutte contre le silence et l’oubli, puisque selon la poète, il vaut mieux tout dire que se taire :

    « Le silence c’est la mort.
    Il vient chaque jour avec son choc
    se percher sur mon épaule, un oiseau blanc,
    et picore mes yeux noirs
    et le muscle rouge et vibrant
    de ma bouche. »47

        L’auteure ne craint donc pas d’évoquer le Mal sous toutes ses coutures, notamment lorsqu’elle intègre des références à la Shoah dans ses poèmes. Mais comment témoigner de l’innommable sans l’esthétiser ? Comment confronter la mémoire traumatique à l’expression poétique ? Faisant écho à la fracassante déclaration d’Adorno dès le titre même du poème « Après Auschwitz », Anne Sexton pointe l’impossibilité de tout retour en arrière, aussi bien culturel que sociétal, et crée une rythmique proche du bégaiement pour faire entendre la colère, l’impuissance, le désespoir, tout en « rejouant » le souvenir traumatique.
    Pour autant, « [l’] amoureuse des mots »48 , rappelle combien il lui coûte de trouver le mot juste. Celle qui « a tant de choses [qu’elle] aimerai[t] raconter, / Tant d’histoires, d’images de proverbes, etc. »49 admet l’inanité du dire. Quand le langage n’est pas un parasite permanent dont « [l]es mots coulent comme une fausse couche »50, il semble lui échapper : « Les mauvais [mots] m’embrassent. / Parfois je vole comme un aigle / mais avec les ailes d’un roitelet. »51

    American Woman

       Soudain, derrière la folie mystique et la fureur de vivre, se dressent la Femme et l’Amérique. Folie, Fureur et Ferveur sonne la charge contre une Amérique mortifère, marchande de mort :

    « Nous sommes l’Amérique.
    Nous sommes ceux qui remplissent les cercueils.
    Nous sommes les épiciers de la mort.
    Nous les emballons dans des caisses comme des choux-fleurs. »52

        Anne Sexton critique l’exceptionnalisme théorisé par Winthrop et rejette l’idée d’une Amérique comme modèle avancé de la chrétienté dans le monde. « L’Amérique, / où sont tes qualifications ? »53 n’hésite-t-elle pas à interpeller. La poète dénonce le puritanisme d’une société qui s’inquiète de la dégénérescence de son corps social, mais qui ne craint pas d’envoyer ses propres enfants à la mort, ni d’allumer les feux de la guerre, économique ou bien réelle, dans le monde. Dès lors, comment ne pas considérer que le dérèglement de la structure poétique soit un symptôme dénonçant une Amérique hypocrite et contradictoire ?
        L’auteure condamne également l’hérésie d’une société vouée tout entière à l’industrie du spectacle. La machine à vendre du rêve Hollywoodienne aussi bien que les féeries disneyennes empoisonnent les esprits. Elles font des femmes leurs principales victimes et passent les corps, les sexualités ou les ambitions au tamis d’un modèle normatif. Anne Sexton évoque les discordances entre les désirs individuels et les exigences sociales, laissant entendre son propre tiraillement entre sa soif de réussite et son envie de « se contenter de boire du chocolat chaud »54, comme le ferait une fillette inoffensive. Dans les poèmes sextoniens, la femme est toujours excessive ou insuffisante, en regard d’un idéal féminin américain inatteignable. Les textes accentuent le contraste entre la réalité des femmes et les attentes irréalistes de la société, nous faisant penser à ce portrait esquissé par Hélène Cixous : « L’incodable, la mal coupée ; pas assez aplatie, rognée, pas assez domestique, pas assez morte. La femme-trop : trop désirante, trop intelligente, trop malheureuse, trop heureuse, trop angoissée, trop vivante ; alors trop bruyante, trop encombrante. Celle qui en crie trop long, en hurlements ou en silence, sur la femme… »55
    « Le problème quand on est une femme, Skeezix / c’est qu’on est d’abord une petite fille »56, explique Anne Sexton en soulevant des problématiques de genre. Les poèmes font entendre une confrontation aux attentes familiales et sociétales qui s’enracine presque au berceau et se transmet de mère en fille :

    « Continue, continue, continue,
    à apporter des reliques aux garçons,
    apporter des poudres au garçons,
    apporter, ma petite Linda, du sang,
    au saigneur. »57

        Anne Sexton dénonce ici l’idée selon laquelle toute la destinée de la femme se concentrerait dans la séduction et le désir de plaire. Le jeu de mot entre seigneur et « saigneur »58 renforce, par sa violence implicite, le tragique de la situation. Les femmes incarnent les victimes expiatoires sacrifiées sur l’autel de l’ordre moral, religieux et social. Pour « tent[er] de survivre » sans tomber dans la « folie »59, la fillette n’a d’autre choix que d’apprendre à taire ses propres aspirations pour se conformer à celles d’autrui, avant de se retirer dans le mariage ou la maternité. Dans une société où la femme ne laisse aucun leg à sa fille, où les moyens de production et de reproduction sont entre les mains des hommes, la femme est écartée du pouvoir et renvoyée à son utérus. Anne Sexton condamne la perception de l’enfantement comme mission biologique féminine et critique le culte de la virginité pour ce qu’il est : un culte de l’impuissance féminine. La chasteté des femmes et/ou leur inactivité sexuelle hors du cadre légal du mariage s’avèrent avant tout être des moyens de préservation et de contrôle de l’ordre social. C’est pourquoi elles sont perpétuellement infantilisées : « les gentilles filles ne portent que du coton blanc. »60 pour ne plus être une menace à l’ordre public.
    Que signifie être une femme dans l’Amérique des années 70 ? En s’interrogeant sur la condition féminine, la poète relève les problématiques rencontrées par les femmes ambitieuses, sexuellement actives et donc potentiellement jugées « délirantes ». Tout comme Anne Sexton dans ses poèmes, Phyllis Chesler observe que la folie est bien souvent une étiquette imposée à celles qui défient l’ordre social. Plus qu’une réalité inhérente aux femmes, la folie serait une construction sociale utilisée pour contrôler et marginaliser les femmes : « Qu’est-ce que c’est folie ? Qu’est-ce que c’est femme ? Et si nous étions toutes plus-ou-moins folles ? Si, quelque part, femme et folie s’échangeaient ? Là où la femme cesse aux yeux de (la) Loi de ressembler à son mannequin, brisant ou seulement égratignant la poupée officielle, la millénaire icône, où elle raye le miroir et devient la menace, la coupable, la vilaine Sophie-des-malheurs : si le fouet n’avait pas existé, ils l’auraient inventé pour elle. »61

    Quelle folie ?

        Folie, fureur et ferveur fait diablement écho à nos problématiques modernes. Les poèmes illustrent parfaitement le flou des frontières entre réalité et illusion, comme leur manipulation dans un but de contrôle et d’oppression des individus, en premier lieu les femmes. Les questions de véracité des expériences vécues et de « réalité » des mythes transmis sont d’autant plus actuelles dans un monde où les décors de synthèse, plus vrais que nature, donnent à certains l’envie de s’immerger complètement dans le virtuel. La « folie » d’Anne Sexton nous rendrait-elle plus fous, finalement, que la surexposition, sans aucune modération de contenu ni de diffusion, à de fausses images, associées à du son factice, le tout réalisé avec tant de technicité qu’il devient impossible de distinguer le vrai du faux ? À une époque où les fake news, les deep fakes ou les audios générés par les IA distordent complètement le réel, lire Folie, fureur et ferveur, c’est avaler un contre-poison. Peut-être même peut-on se dire que la libération sextonienne des images, de la structure et du langage poétique favorisent une réaction du lecteur, un pas de côté pour observer sous un autre angle sa propre réalité.

        Folie, Fureur et Ferveur est de ces embarcations qui ne nous épargnent rien des dangers de la traversée. Elle nous précipite dans les rapides, nous fracasse contre les rochers, nous retourne l’estomac, avant de nous laisser trempés et pantelants, de l’autre côté de la rive.

     

    NOTES

    1. Sexton, A. (2025). Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975), (Traduit par Huynh, S.), des femmes-Antoinette Fouque.
    2. Shakespeare, W. (1606). Macbeth, V, 5.
    « La vie est une histoire racontée par un idiot / Pleine de bruit et de fureur / Et qui ne signifie rien. »
    3. Sexton, A. (2025). « La Bébée funèbre », « 5. Max », « Les Carnets de la mort », Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975), (Traduit par Huynh, S.), des femmes-Antoinette Fouque, p. 97.
    4. Blanchot, M. (1969). L’Entretien infini, Paris, Gallimard, p. 497.
    5. Sexton, A. (2025). « Les saints entreront en marchant », « L’épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975), (Traduit par Huynh, S.), des femmes-Antoinette Fouque, p. 254.
    6. Ibid. « La maladie à la mort », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 212.
    7. Ibid. « Portes verrouillées », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 214.
    8. Ibid. « Rêver les seins », « Le livre de la folie », pp. 37-38.
    9. Ibid.
    10. Ibid.
    11. Ibid.
    12. Ibid.
    13. Ibid. « Le docteur du cœur », « Le livre de la folie », pp. 16-17.
    14. Ibid. « La furie des beaux os », « Les Carnets de la mort », pp. 106-107.
    15. Ibid. « La mort des pères », « 2. Comme nous dansions », « Le Livre de la folie », p. 51.
    16. Ostriker, A. (1983) Writing like a woman, University of Michigan Press, pp. 59-60.
    Original: « Our original sin as humanists is a tendency to forget that nothing human is alien to any of us. This means that the crazy suicidal lady is not to be condescended to by me. It also means that she is one of the inhabitants of my own proper attic, whom I deny at my peril. »
    17. Ostriker, A. (1983) Writing like a woman, University of Michigan Press, pp. 59-60.
    Original: “A poem does not have to be, yet may legitimately be, "an axe for the frozen sea" of sympathy and self-recognition "within us," provided only that its language be living and its form just. »
    18 .Eliade, M. (1965) Le sacré et le profane, Gallimard, p. 20.
    19. Ibid.
    20. Eliade, M. (1965) Le sacré et le profane, Gallimard, p. 18.
    21 Sexton, A. (2025). « Est-ce vrai ? », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975), (Traduit par Huynh, S.), des femmes-Antoinette Fouque, p. 223.
    22.Sexton, A. (2023). Transformations, (traduit par Huynh, S.), Des Femmes Antoinette Fouque.
    23. Sexton, A. (2025). « Ramer », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975), (Traduit par Huynh, S.), des femmes-Antoinette Fouque, p. 173.
    24. Ibid. « Premier psaume », « Ô vous langues », « Les Carnets de la mort », p. 145.
    25. Ibid. « Deux mains », « L’épouvantable traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 179.
    26. Ibid. « Dépêchez-vous s’il vous plaît, c’est l’heure », « Les Carnets de la mort », pp. 140-141.
    27. Ibid. « Anges de l’histoire d’amour », « 1. Ange du feu et des organes génitaux », « Le livre de la Folie », p. 62.
    28. Eliade, M. (1965) Aspects du mythe, Gallimard, p. 29.

    29. Sexton, A. (2025). « Jésus, l’acteur, joue le Saint-Esprit », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975), (Traduit par Huynh, S.), des femmes-Antoinette Fouque, p. 62.
    30. « USA : Poetry », documentaire de Richard O. Moore réalisé en 1966, diffusé sur la National Educational Television. Présence : Anne Sexton, Linda Sexton, Alfred Sexton, Richard O. Moore (voix-off).
    31.Eliade, M. (1971) La nostalgie des origines, Gallimard.
    33. Sexton, A. (2025). « Le marchand de dieux », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 235.
    34. Ibid. « Les papiers de Jésus », « Le Livre de la folie », pp. 67-79
    35. Ibid. « Les papiers de Jésus », « Le Livre de la folie », p. 67.
    36.Ibid. « Les papiers de Jésus », « Le Livre de la folie », p. 73.
    37. Ibid. « La Terre », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 196.

    38. Ibid. « Le Poète de l’ignorance », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 201.
    39. Ibid. « Les Dieux », « Les Carnets de la mort », p. 85.
    40. Ibid. « Le derrière de Dieu », « Les Carnets de la mort », p. 129.
    41. Ibid. « Les Dieux », « Les Carnets de la mort », p. 86.
    42. Ibid. « Le Poète de l’ignorance », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 201.
    43. Ibid. « La furie des couchers de soleil », « Les furies », « Le Livre de la folie », pp. 120-121.

    44. Ibid. « La furie des couchers de soleil », « Les furies », « Le Livre de la folie », pp. 120-121.
    45. Ibid. « Les furies », « La furie des couchers de soleil », « Le Livre de la Folie », pp. 120-121.
    46. Ibid. « Est-ce vrai ? », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 227.

    47. Ibid. « Le silence », « Le Livre de la folie », p. 44.

    48. Ibid. « Les mots », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 244.
    49. Ibid. « Les mots », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 244.
    50. Ibid. « Le silence », « Le Livre de la folie », p. 43.
    51. Ibid. « Les mots », « L’Épouvantable Traversée à la rame jusqu’à Dieu », p. 244.
    52. Ibid. « Ceux qui lâchent des bombes incendiaires », « Le Livre de la folie », p. 26.
    53. Winthrop, J. (1630), sermon sur le navire Arabella : « We shall be as a city upon a hill… » (« Nous devons considérer que nous serons comme une ville sur une colline et que les yeux de tous les peuples nous regardent…»)
    54. Sexton, A. (2025). « Ceux qui lâchent des bombes incendiaires », « Le Livre de la folie »,
    Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975), (Traduit par Huynh, S.), des femmes-Antoinette Fouque, p. 26.

    55. Ibid. « L’oiseau d’ambition », « Le Livre de la folie », p. 15.
    56. Cixous, H. « L’ordre mental », préface à Chesler, P. (1975), « Les femmes et la folie », traduit de l’américain par J-P Cottereau, Payot, p.8.
    57. Sexton, A. (2025). « Dépêchez-vous s’il vous plaît, c’est l’heure », « Les Carnets de la mort », Folie, fureur et ferveur : Œuvres poétiques (1972-1975), (Traduit par Huynh, S.), des femmes-Antoinette Fouque, p. 132.
    58. Ibid. « Mère et fille », « Le Livre de la folie », pp. 22-23.
    59. Ibid. « Photo de bébé », « Les Carnets de la mort », p. 105.

    60. Ibid. « Les vêtements », « Les Carnets de la mort », p. 126.
    61. Chesler, P. (1975), « Les femmes et la folie », préface de Hélène Cixous, traduit de l’américain par J-P Cottereau, Payot, p.8.

        A N N E    S E X T O N 

    Anne-sexton_Joanna-Rusinek
    Source

     

     

    ■ Anne Sexton
    sur Terres de femmes ▼

    Transformations, Poèmes traduits de l’anglais (États-Unis) par Sabine Huynh, Préface de Sabine Huynh, Des femmes |  Antoinette Fouque, 2023
    [The Awful Rowing Toward God, 1975] in Anne Sexton, The Complete Poems, Boston, Houghton Mifflin Company, 1981 ; First Mariner Books Edition, 1999

    To Bedlam and Part Way Back (Boston: Houghton, Mifflin, 1960), in The Complete Poems, Boston: Houghton Mifflin Company, 1981 ; First Mariner Books edition, 1999

     "Live or Die" (1966) in The complete Poems, foreword by Maxime Kumin; Mariner Books,1999
    → Anne Sexton | Elisa Biagini | Due mani… Due voci

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube) Anne Sexton lisant le poème ci-dessus : « Her Kind », 1966 (The Poetry Center and American Poetry Archives at San Francisco State University)
    → (sur YouTube) Short clips of Anne Sexton reciting some poetry and excerpts from home movies
    → (sur YouTube) Anne Sexton at home – 1 (VOSE)
    → (sur YouTube) Anne Sexton at home – 2 (VOSE)
    → (sur Poetry Foundation) une page sur Anne Sexton
    → (sur anne-sexton.blogspot.fr) de nombreux poèmes (12) d'Anne Sexton (+ leur traduction en français par Michel Corne)
    → (sur le blog Quelques pages d’un autre livre ouvertune bio-bibliographie (en français) d'Anne Sexton
    → (sur PoemHunter.com) Poems of Anne Sexton
    → (sur lyrikline blog) Readings to remember: Anne Sexton


     

     

     

     

     

  • Angèle Paoli / Synchronicités silencieuses

    <<Poésie d'un jour

     

     

     CETOINE DORÉE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo: Google images 

     

     

    Synchronicités silencieuses
                                                                                                     à Sylvie

    Est-ce toi      cétoine d’or      qui grattes à ma fenêtre ?
    J’avais pourtant pris soin de te déposer
    entre 3 grains      blonds à croquer
    souviens-toi      cétoine d’or      couchée dans l’enclos
    de la confrérie      tu gisais dans l’herbe sèche
    élytres repliés      luisant dans le soleil     vert mordoré
    tourné vers l’azur brun d’or        mordant la poussière

    J’avais la tête      cétoine d’or     emplie d’ex-voto
    navires naïfs      voiliers des temps anciens
    tout vibrants de mystère     et voilà     que tu étais
    là     miroitante de pépites       éclats de lumière

    Je t’avais recueillie      effleurement de paume
    à peine     ta carapace gardait intacte   ta forme
    charnelle   close sur l’absence    tu n’étais plus
    qu’enveloppe vide     vide mais belle
    hannetonne des roses

    Est-ce cela cétoine mordorée     qui fait la différence
    entre ta vie arrêtée là       et la mienne qui t’interroge
    avais-je seule conscience      dans l’enclos de la confrérie
    des navires au long cours     drossés par les tempêtes
    de la vie de la mort qui d’un bout à l’autre nous mène
    cétoine     c’est toi que ce jour-là j’ai enlevée
    pour te ranger dans le cabinet de curiosités
    de ma mémoire      Nil bleu des Égyptiens
    scarabée d’or des pirates        carabe-tête-d’homme
    vieux parchemin crypté     aux secrets palimpsestes
    je t’avais souviens-toi      déposée entre 3 grains
    de raisin blond     cercle de fruits mûrs     pour protéger
    ton corps défunt

    De tout cela     cétoine dorée      tu ne te soucies
    mais je te parle    dans ma langue puisque   tu es
    sur mon chemin     et si je n’y avais pris garde
    tu aurais péri une nouvelle fois        écrasée
    sous mon pied      tout cela cétoine d’or    est-ce
    toi     qui me le dictes    toi qui      sans le savoir
    me poursuis au long du jour       et ce jour-là
    souviens-toi      jour de la confrérie je t’ai retrouvée
    sous une forme nouvelle inattendue forme
    singulière        est-ce toi qui as fait signe
    mystérieuse         vers mon amie perdue

    synchronicités silencieuses.

     

    IMG_1519

    Angèle Paoli, in I Vagabondi, n°7, Hiver 2024/25 Revue de créations des deux rives de la Méditerranée,
    V
    ivre & Penser La Méditerranée, Jean-Jacques Colonna d'Istria, Scudo Édition,p.107.

     

  • Luce Guilbaud / L’une de l’autre

    <<Poésie d'un jour

     

     

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    Peinture d'Isabelle Clément 

     

     

     

     

    Elle redoublait face au miroir
    embrassée partout renaissant à la ligne
    et noyée d’encre noire
    recommençait le matin des yeux
    parole entre les regards
    et souffle dans l’attente
    et l’oubli si la mer est close
    c’est la forme d’une femme

    Il déclarait « mort au lierre »
    taillait les heures d’hiver au cordeau
    limitait le temps domestique
    il réglait la banquise à la voile
    cœur à bâbord appâtant les nuages
    de nouveaux nœuds sans retour
    mais la menace est à portée
    quand le quotidien est persistant

     

    Elle caracolait et cavalait
    attendant la caravelle de baisers
    par la herse des vagues
    ses ailes bien découpées
    allait jusqu’au phare défaire les nœuds
    « ganse d’amante » à retenir
    pour le voyage entre ses bras
    « dans l’étrave ou si l’on veut dans l’écume »*

    Il savait où les volcans se vident dans la mer
    les abris sous le temple du Cap Soumion
    et le poids d’une ancre
    là où les yeux portent plus loin
    outre-jour par rafales
    paroles d’albatros et mots d’algues
    pour renouer l’arbitrage et la sentence
    et nos nuits bord à bord

     

                                        *H. Michaux

     

    LUCE GUIBAUD

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Luce Guilbaud, L’un de l’autre, Vignette de couverture Isabelle Clément, La main aux poètes,
    Collection dirigée par Jean Le Boël, Éditions Henry, ©la rumeur libre Éditions, 2024, pp.20, 21, 22, 23.



    LUCE  GUILBAUD

    Luce guilbaud

    ■ Luce Guilbaud
    sur Terres de femmes ▼

    → [L’ombre amoureuse] (extrait de Débordé pourpre)
    → [Le haut le bas l’envers l’endroit] (extrait de Demain l’instant du large)
    → [il y a eu des pluies] (extrait de Nuit l’habitable)
    → [Mon enfance] (extrait d’Où la chambre d’enfant)
    → [les ombres envahissent] (extrait de Pas encore et déjà)
    → [mon père m’offre des animaux] (extrait de Vent de leur nom)
    → Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (note de lecture d’AP)
    → Danielle Fournier | Luce Guilbaud, Iris (extrait)
    → Danielle Fournier | Luce Guilbaud [Dis-moi plutôt ce qui nous réunit](autre extrait d’Iris)
    → Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime (chronique de Marie-Hélène Prouteau)
    → Luce Guilbaud | Amandine Marembert | Renouée (extraits de Renouées)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) Le corps penche

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Luce Guilbaud
    → (sur le site de la Maison des écrivains) une fiche bio-bibliographique sur Luce Guibaud
    → (sur YouTube) Rencontre avec Luce Guilbaud, peintre et poète de Saint-Benoist-sur-Mer

     

     

     

  • Jean Le Boël / l’enfant sur la berge

                                                                                  <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

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    Source 

     

     

     

                                                       À Étienne Paulin

     

    cette enfance qui nous taraude
    que nous épelons sans cesse
    dont nous caressons les plaies
    dans l’effroi de notre sang qui se perd
    cette enfance
    qui nous échappe nous guide nous égare
    obscure douleur traversée de quelques soleils

    il faut la chérir
    nous n’aurons eu que celle-là

    l’enfant est comme la pierre
    silex d’où jaillit le feu
    veine où palpite indécise la vie
    angle de toute fondation
    caboche aveugle pourtant
    et fragile
    qu’il faut préserver de l’éclat
    et polir d’une main douce
    dit-il devenir
    monnaie ordinaire du chemin

    tandis que le sécateur en main
    j’émonde la haie paisible
    et pare les vieux arbres
    le rouge-gorge me défie de son cri
    et si je bêche il me poursuit aussi
    que puis-je lui répondre
    nos vies nos souffles se côtoient
    mais nos monde diffèrent
    juste cette terre à partager

                                                                                                                                 

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    Jean Le Boël, l’enfant sur la berge, la rumeur livre Éditions, 2024, pp.53, 54, 55.

     

       JEAN   LE BOËL

    Jean Le Boël portrait
    Source

    ■ Jean Le Boël
    sur Terres de femmes ▼

    Jusqu’au jour, éditions Henry, Collection Les Écrits du Nord, Prix Mallarmé 2020
    → [Ce lien que nous étions] (extrait de Clôtures)
    → [femme noire | toujours vêtue de ta couleur] (extrait d’et leurs bras frêles tordant le destin)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Henry) la fiche de l’éditeur sur Jusqu’au jour de Jean Le Boël
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature) une notice bio-bibliographique sur Jean Le Boël