Terres de Femmes

Mois : août 2024

  • Éric Sautou / Histoires qui n’ont pas pu / Lecture d’Angèle Paoli

     

    Éric Sautou / Histoires qui n'ont pas pu
    Éditions Faï fioc 2024
    Lecture d’Angèle Paoli

     

    Éric Sautou  : Histoires qui n'ont pas pu :

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Aquatinte de G.AdC 

     

    De l’haridelle… fleur des bois.

    Il existe sur terre des histoires qui n’en finissent pas de commencer et qui ne se terminent jamais. Mais il arrive aussi que les histoires, même incomplètes, perdurent à travers temps. Elles vagabondent, morceaux épars, d’une génération à l’autre, se transmettant jadis de bouche à oreille, se transformant et se modifiant en fonction du locuteur ainsi que des trépignements du jeune auditeur. Il arrive parfois qu’elles s’arrêtent en chemin, qu’elles s’interrompent, laissant celui ou celle à qui elles s’adressent, dans le suspens. Ou dans le loisir de les poursuivre à leur guise. Ainsi des Histoires qui n’ont pas pu. Dont le titre à lui seul ouvre sur une indécision de la pensée.

    Auteur des Histoires qui n’ont pas pu, Éric Sautou laisse à chacune et à chacun le loisir de poursuivre à son gré les récits qu’il a entrepris sans leur permettre de parvenir à leur terme ; ou au contraire de n’en rien faire, respectant ainsi leur état d’incomplétude. D’ailleurs, le poète, en grand enfant qu’il semble être, prend-il le soin de préciser en 4è de couverture qu’« un livre pour enfants ça n’existe pas », ajoutant et complétant, non sans un certain humour, cette première assertion par la suivante, plus énigmatique : « (les enfants n’existent pas) ». En effet, les enfants n’existant pas, les livres d’enfants n’ont aucune chance d’exister. Peut-être pour le poète, les enfants ne sont-ils que des adultes en miniature de sorte qu’il n’existe aucune différence entre les uns et les autres. Aucune différence entre les livres destinés aux uns et aux autres.

    Pour en revenir aux histoires rassemblées dans ce dernier recueil, l’on peut s’attendre à être surpris ; à rester sur sa faim (sa fin ?) ; à s’interroger. Á quoi bon en effet se lancer dans la lecture d’un recueil, si les histoires annoncées n’ont pas abouti ? Cela risque d’en décourager plus d’un ! Á quoi bon poursuivre si elles ont renoncé – ou échoué – à dire ? Car les mots disent rarement ce que l’on cherche à leur faire dire. Hé bien justement ! Tout le talent du poète réside dans ce suspens. Histoires qui n’ont pas pu. Avec beaucoup d’humour, le poète joue. Peut-être se joue-t-il aussi de nous, lecteurs, de nos attentes et nos us bien rôdés de lecture. Nous, à qui il propose de poursuivre à notre gré et selon notre sensibilité, les histoires qu’il a commencées puis qui se sont abandonnées d’elles-mêmes en cours de route. Á chacun de les reprendre. De donner une suite possible au poème. Ou au contraire de n’en rien faire. Ne pas tout dire. Ne pas dire. Laisser aux mots la liberté d’aller leur chemin. De rejoindre leur cible. Et à la lectrice éblouie, le plaisir de savourer le suspense.

    Je lis et je relis Éric Sautou sur la plage, au milieu du fracas des vagues et du vague brouhaha des voix et rien ne peut me distraire de ma lecture. Il arrive même que je rie et que je me lance dans une lecture à voix haute. Pour faire résonner autrement les poèmes, pour leur donner une chance de se prolonger au-delà des mots-mêmes. D’aller au-delà du silence. Le silence, quelle que soit la forme qu’il prend, est souvent chez Éric Sautou, le personnage principal. Et l’attente, son principal corollaire. Tous les autres – « Monsieur Récamier », « Monsieur et Madame Simonin », « Valentine la poupée » – … ne sont là que de passage. Plus d’une fois, le propos s’interrompt, prolongé par des points de suspension.

    Annoncées par un titre, les histoires prennent pourtant le temps de s’inscrire sur la page, tantôt réduites à quelques phrases, parfois même à une seule ; d’autres fois un peu plus développées mais tout aussi singulières. Les mots sont simples, les situations familières, parfois même ordinaires. Les interrogations sont celles de la vie courante. Á quoi tient qu’elles nous surprennent ? Qu’elles nous saisissent ? Qu’elles nous font sourire ? Le plus souvent, à une forme de décalage. D’inattendu. Qui nous laisse dans le suspens, justement. Comme dans ce poème dont seul le titre éclaire le propos :

    « Je l’ai toujours connue.

    Quand je l’ai vue pour la première fois, j’ai pensé :
    Alors te revoilà ! » (in « La Mer et Moi »)

    Ou dans cet autre, construit sur la musicalité de la répétition et de ses variations. Pour moi, la fine fleur de la poésie :

    « Où qu’elle portât son regard, n’était offert à sa vue
    que neige qui tombe, neige tombée.

    Neige qui tombe, neige tombée…

    Il neigeait en silence sur la neige tombée. » (in « La fille neigée »)

    Les dialogues, lorsqu’il y en a, se résument parfois à une amorce. Qui parle à qui ? On ignore tout du contexte, du lieu, de ce qui a précédé et de ce qui va suivre. Ou alors, les échanges tournent court, dans un marmonnement à la Ionesco. Ou à un tour de passe-passe à la Tardieu. Parfois jusqu’au bord de l’absurde. Dans un questionnement qui prend par surprise. Et pourtant, pas si absurde que cela :

    « Qu’y a-t-il dans l’œuf ?
    Quelque chose – ou peut-être quelqu’un.

    L’agiter (maintenant lui parler).
    Qui est là ?
    Dans l’œuf secoué rien ne bouge ni ne répond.
    Qui est là ? (in « L’œuf où nous sommes ») »

    Il arrive aussi que le contexte soit détourné par un titre-écran. Ainsi dans le décor boisé du « Renard ou Lapereau ». Où il n’y a ni l’un ni l’autre. Mais ce n’est pas la seule perplexité. Les mots ont-ils le même sens pour tout le monde ? Je m’interroge. Pour moi une « haridelle » est un mauvais cheval. De type rossinante. Une haquenée. L’un et l’autre mot – haridelle/haquenée/Rossinante – ont un sens péjoratif lorsqu’ils désignent une femme. Éric Sautou fait de l’haridelle une fleur des bois, aux couleurs indéfinissables, hésitant entre le bleu et le mauve. Elle est assortie de lumière dans un poème où tout était sombre. En réalité, tout échappe. Rien ne se laisse appréhender ou saisir de manière claire. Les mots sont ambivalents, qui désignent tout autre chose que ce qu’en dit le dictionnaire. Ou de ce qu’annonce le titre du poème. De sorte que nommer donne sur une autre réalité. Les noms propres – noms de pays de fleuves ou de personnages – ouvrent en quelques vers sur un imaginaire inédit. Inouï. Sidéral. Alors même qu’ils sont poursuivis, les lieux échappent. Dont les noms sont insaisissables. Ils se dérobent, laissant place à la seule attente. Ou alors au vide. De sens d’objet de compréhension:

    « Il ne se souvenait de rien.
    Pas même qu’il y eut des mots pour dire ces choses
    (d’avoir été). » (in « La nuit d'ici »)

    Les personnages eux-mêmes doutent de leur identité. Évanescents, voués à disparaître aussitôt que surgis, à s’effacer sans bruit, les êtres sont des apparitions. Ainsi de ce « garçon qui n’en finissait pas ». Qui n’en finissait pas de compter. Quoi ? Rien. Et qui revient par trois fois poursuivre sa litanie de chiffres interminable. Réels irréels, sans cesse réduits à s’interroger sur leur identité, les êtres flottent dans le paysage, s’absorbent en lui, se confondent et fusionnent. Certains lieux évoquent l’Hérault. Ses plages et ses dunes de sable fin, son arrière-pays et ses paysages spécifiques. « La Tamarissière ». « Navacelles ». Mais il ne faut pas s’y fier. Les lieux aussi se dérobent à toute identification géographique précise.
    Au bord du sommeil, les visages s’estompent puis disparaissent. Laissant la scène de théâtre dans le mystère et la tendre incertitude de leur présence-absence :

    … « (un temps)

    Tu es toujours là ?
    Je serai là – toujours.
    Tu penseras toujours à moi ?
    Je penserai toujours à toi.
    Tu n’oublieras pas mon visage ?
    Je l’ai déjà un peu oublié.
    Et ma voix ?
    Je l’entends mais c’est déjà une autre voix.
    Voix et visage alors s’en vont ?
    Voix et visage s’en vont. » (in « Je suis là »)

    Avec Histoires qui n’ont pas pu, Éric Sautou s’affirme en maître de la poésie onirique.

    ANGELE NB

     Angèle Paoli / D.R. Texte angelepaoli

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       É R I C   S A U T O U

    ERIC SAUTOU

    Ph. Sébastien Solidon
    Source

    ■ Éric Sautou
    sur Terres de femmes ▼

    Grand Saint Vincent, Éditions Unes 2023, lecture d’Olivier Vossot
    → Beaupré (lecture d’AP)
    → [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré)
    → [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront)
    → La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution)
    → [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances)
    → La Véranda (lecture d’AP)
    → [assise et seule assise] (extrait de La Véranda)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou
    → (sur Terre à ciel) une page sur Éric Sautou

     

  • Jean-Pierre Chambon / Étant donné

    Poésie d'un jour

     

     

     

     

    LUNE-COINS

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    photo : G.AdC 

     

     

     

    ǀ Transsubstantiation ǀ

    Papillotant à travers des feuillages
    que le vent brasse
    la lumière filtrée par un vitrail fait danser
    sur le pavement de la petite église
    la queue d’un arc-en-ciel décomposée
    en un jeu de pastilles de couleur
    comme si en elles miraculeusement s’étaient
    transsubstantiés les pigments des fleurs des champs
    dont se fane un bouquet dans le transept
    au pied de la statue d’un saint

    ǀ Au fil de l’eau ǀ

    Dans une trouée entre des saules
    dont la rousseur infuse l’eau
    deux canards de leur sillage
    décomposent en paillettes d’or
    l’étincellement de la lumière
    et distordent le reflet
    des feuillages et des nuages
    puis la cicatrice se dissipe
    à la surface apaisée de l’eau
    où saisi d’une sorte d’hypnose
    je laisse dériver dans le courant
    le mince fil de ma rêverie.

    ǀ Ricochetsǀ

    À l’approche du soir
    le ciel en blanchissant prête
    à la surface de l’étang un poli de miroir
    qu’un enfant se plaît à troubler au jeu des ricochets
    s’émerveillant de voir à l’impact
    de chaque rebond l’eau se mettre à sourire
    jusqu’à ce que longtemps après le dernier choc absorbé
    au bout de la dernière pierre engloutie
    assez d’ombre ait enfin in fusé toute clarté
    pour que la lune puisse venir déposer
    son œuf pâle au creux d’un nid de joncs
    et que le chœur des crapauds goitreux
    entonne sa ritournelle sardonique

     

    Chambon

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Jean-Pierre Chambon, Étant donné, Aquarelles de Philippe Cognée, Éditions Al Manar 2024 , pp.40, 53,101.

     

     

    JEAN-PIERRE CHAMBON

    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source

    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes ▼

    →Je ne vois pas l’oiseau, Encres de Carmelo Zagari, Al Manar2022
    La montagne lumineuse, Peintures Mad, Voix d’encre 2022.
    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d'AP)
    [Fleurs dans la fleur]
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    → L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    → Des lecteurs (lecture d’AP)
    → Des lecteurs (extrait)
    → Noir de mouches (extrait)
    → Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    → Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    → [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    → Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    → [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    → Un écart de conscience, II (extrait)
    → Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    → Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)

     

  • Katie Farris / Debout dans la forêt des vivants / Standing in the Forest of Being Alive

     

     

     

    << Poésie d'un jour

     

     

    Katie Farris(1)

     

     

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

    Against Loss

    I don’t remember this December on the precipice
    of holiday : your hair poorly cut, the pile of calico fur between
    my right shoulder and your left, purring.
                            The year and the truck out back
    both idling, idling and dying.

                             This memory I do not have –
    I would like to give it to you,
          a prophylactic against loss :

    just four arms and four
    paws and eight legs. Just six lungs,
    sending our breath to the air,
                                                  just
    the air.

     

    Contre la perte

    Je ne me souviens pas de ce mois de décembre au bord
           du précipice
    des vacances : tes cheveux mal coupés, le tas de fourrure
           calicot entre
    mon épaule droite et ton épaule gauche, ronronnant.
                            Derrière, l’année et le pick-up,
    tous deux au ralenti       au ralenti et à l’agonie.

                             Ce souvenir que je n’ai pas –
    j’aimerais te l’offrir,
           une prophylaxie contre la perte :

    juste quatre bras et quatre
    pattes et huit jambes. Juste six poumons,
    envoyant notre souffle dans l’air,
                                                            juste
    l’air.

     

     

     

    Farris

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Katie Farris, Debout dans la forêt du vivant/ Standing in the Forest of Being Alive, Traduit de l’anglais (États-Unis ) par Sabine Huynh, Black Herald Press 2024, pp.82,83. Ce recueil a fait partie de la dernière sélection du T. S. Eliot Prize 2023.

    La poétesse américaine Katie Farris est l’autrice de plusieurs ouvrages, dont Standing in the Forest of Being Alive (Alice James Books), boysgirls (Tupelo Press), A Net to Catch My Body in its Weaving (lauréat du Chad Walsh Poetry Award, 2021), Thirteen Intimacies (Fivehundred Places) et Mother Superior in Hell (Dancing Girl). Ses textes ont paru aux États-Unis dans le New York Times, Granta, The Atlantic Monthly, The Nation et le magazine Poetry. Elle a également co-traduit plusieurs recueils de poésie de l’ukrainien, du français, du chinois et du russe, dont The Country Where Everyone’s Name is Fear, de Boris et Ludmila Khersonsky, traduit avec Ilya Kaminsky (Lost Horse Press, 2023). Diplômée de Brown University, elle est actuellement professeure associée de poésie à Princeton University.

     

    Arm braid

     

      = >  Son site 

     

     

     

     

     

     

  • Nohad Salameh : Saïda / Sidon et Baalbek / Héliopolis, Une adolescence levantine

     

                                                                                                                                         Lecture

     

    Extrait 1 : « Jours tranquilles à Sidon »

    Sidon-chateau-liban-1170x450

     

     

     

     

    Source 

     

         Sidon, jadis perle des mers, avait certes perdu de sa superbe en devenant Saïda, mais elle brûlait toujours à la façon du Phénix, emblème de la Phénicie. Cette espèce d’intériorisation physique de l’émotion celée dans les pierres allait marquer au fer rouge sa mémoire, naturellement en osmose avec les choses et les espaces. Plus tard, ayant mûri, le souvenir des années vécues dans cette cité portuaire se traduira par quantité de rêves récurrents, creusant ses nuits, les ponctuant, mourant à l’aube après avoir restitué une sorte de nostalgie douloureuse. Au petit matin, les rêves nocturnes conservaient la substance lumineuse et épaisse de la prophétie. Que de fois, en songe, elle parcourait sans reprendre souffle les quartiers intérieurs, s’engouffrant dans le tournoiement des souks, comme au cœur d’un enfer délectable ! Souks aux ruelles exigües et sinueuses, fraîches et ombreuses, voûtées par endroits jusqu’à forcer le passant à se courber. Marché vertigineux aux couloirs communicants mais dont elle connaissait la moindre issue. Cependant, il lui arrivait d’éprouver un sentiment de peur au milieu de ces impasses pavées de galets recueillis jadis sur les rivages par les Phéniciens ? Festonnés d’échoppes odorantes, il fuse de ces ruelles anguleuses des parfums d’épices mêlés à celui du traditionnel chawarma1. À noter que chacune de ces ruelles débouche sur une placette laquelle, à son tour, se prolonge par une grande place ponctuée de bistrots. C’est sur les terrasses de ces cafés – connus pour leur succulente citronnade parfumée de fleur d’oranger ou de menthe – que les Sidoniens s’offrent une pause en jouant au trictrac ou en fumant un narghileh2.
          Mais la récurrence des rêves nocturnes de l’adulte ne prolonge-t-elle pas le vécu de l’adolescente ? Vécu dont elle ressuscitait la poésie à chacune de ses déambulations sous les arcades de la vieille ville alors qu’elle était encore la fillette en retrait, prisonnière de ses manuels scolaires : minarets consumés de prières, terrasses dentelées de rayons solaires, moucharabiehs quadrillés d’interdits. C’est à cette période qu’elle déchiffrait ces espèces d’antres d’où naissent dans tous les sens d’autres bifurcations et cul-de -sac fourmillant d’une humanité joyeuse, sereine et pacifique, constituant à elles seules un étrange village inséré dans l’ordonnancement des maisons.

    1: Viande de forme pyramidale qui se grille en tournoyant au-dessus d'un feu de bois.
    2: L'usage remonte, dit-on, au XIVe siècle. en Orient, sa datation correspond à l'approvisionnement de la région en tabac vers le XVIe siècle.

     

    Extrait 2 : « Un verger sur l’Acropole »

    Baalbek-Jupiter-Temple

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

    Étrange Baalbek qui perdure de siècle en siècle grâce au souffle immatériel de ses divinités, qui s’enfle de tous les assauts de ses vents de neige, se nourrit du contraste de la mort et de la vie ! Ville à dominante chiite, jadis elle partageait avec quelques milliers de chrétiens, retranchés au sein de l’extra-muros ou disséminés sur les hauteurs, un miracle de coexistence pacifique jusqu’au conflit armé de 1975. Les massacres et exactions perpétrés un peu partout sur le sol libanais, la main mise des khomeynistes sur la cité, eurent pour conséquence le repli quasi-total des chrétiens vers les localités avoisinantes. Depuis, leur nombre se réduisit à une dizaine de résidents dont l’âge et la neutralité ne pouvaient exercer quelque ascendant politique. Ainsi, au profil antérieur d’une cité paisible et rêveuse se superposera dans l’imaginaire de Myriam une farouche réalité. Cependant, sa mémoire continuait de puiser, même dans la première enfance, de réminiscences délectables : les après-midis de dimanche consacrés aux promenades en carrosse, aux côtés de ses parents, vers la source de Ras-el-Aïn1, d’où partent de multiples canaux irrigant la ville et ses jardins. Prématurément, elle ne tarda pas à saisir l’étymologie du lieu d’agrément vers lequel s’orientait la calèche : « Ba’al Nebecq ou Baalbek signifie seigneur des sources », ne cessait de lui préciser son père qui, installé sur le siège avant, près du cocher, donnait le signal d’emprunter la rue principale en traversant le centre-ville vers le secteur des restaurants. En moins d’une demi-heure, on atteignait le fameux havre, à travers le boulevard de huit cents mètres au sud-est des temples, bordé de part et d’autres de saules. La promenade à pied, à pas lents et mesurés, le long de ce boulevard ombragé par les arbres était la prédilection des quêteurs de félicité et de paradis perdu.

                           1.En français: tête de la source.

     

                        Nohad Baalbek

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Nohad Salameh, Saïda /Sidon et Baalbek/ Héliopolis, Une adolescence levantine, Éditions du Cygne 2024, pp. 13,14,15/100,101.

     


    NOHAD SALAMEH

    Nohad Salameh

    ■ Nohad Salameh
    sur Terres de femmes ▼

    L’écoute intérieure
    → L’envol immobile
    → L’intervalle (+ notice bio-bibliographique)
    → Les nudités premières
    → Plus neuve que la mort (poème extrait du Livre de Lilith)
    Marcheuses au bord du gouffre, Onze figures tragiques des lettres féminines, éditions de La Lettre volée, collection Essais, 2017

    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Nohad Salameh
    → (sur exhibitionsinternational.org) « Le féminin singulier », avant-propos de Marcheuses au bord du gouffre de Nohad Salameh [PDF]

     

  • Caroline Sagot-Duvauroux / Canto Rodado

                      Poésie d'un jour

     

     

    Nuages

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Photo: G.AdC 

     

     

     

     

     

    In memoriam

     

    Un lézard, une salamandre, un masque d’idiot, la gazelle. Tiens ! la bave de limnée, c’est en liant ça, une agglutinant, une colle ! Et puis ca recommence. C’est une colle, penser. Quand les mains touchent encore aux copeaux légers de l’histoire rabotée par les hommes.
    En l’honneur sorti d’espèce, cuit à point, dit je suis un homme sans savoir ce qu’il dit.
    Alors l’œil attelle ses mains soc ou sep et mancherons et l’âge.
    Tout ! du dental au misérable.
    Araires fronts et dos sursautent parmi les cantos.
    Tout retentit, là sous la main qui sillonne.
    De l’informe à l’informe en passant par la chose.
    Et l’insolite ? Ce qui arrive.
    Quand l’œil veut.

    Alors la pâte lève, drue. Les ingrédients prennent au rêve et l’homme en teste longuement l’efficacité, la solidité, la souplesse. La chair. Longuement. Comme longuement Van Gogh méticuleux questionne l’épaisseur pour qu’une matière survive au désir. Et elle dure. Son éclat dure !
    Honnêteté d’un métier dans les marges des gains de productivité.
    Et le cœur désire désirer encore. Bien final, immatériel, né de fabrique et de glaise. D’une survivance de la matière, naît sans cesse et le désir. Poiein. Paradis dont le cercle rampant s’écarte.
    Loin du mufflisme des colons, financiers et docteurs.

    Alors l’homme pose sur le support de bois, sur le format de penser ce jour-là, la pâte qui tient son rôle. Et la matière livre sa rugosité d’écorce et sa délicatesse de peau.
    Pendant que l’œil veut.
    Une forme naît.

    Et l’homme fabrique l’arbre en l’épousant. Pour que l’arbre ne meure pas. Pour que l’arbre ne meure que d’un crime non pas d’être. Pour que l’arbre totem survive à l’œil et aux mains dans
    l’œil du prochain clampin qui abordera de l’œil, l’arbre.
    Et l’homme accroche son visage à l’arbre. Non pour nommer l’arbre à son visage mais pour que visage d’homme, n’importe quel ce visage d’homme, continue d’envisager le monde.

    Les nuages ? Les nuages. La physionomie du monde.

     

    Canto Rodado

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Caroline Sagot Duvauroux, Canto Rodado, « Le Refuge en Méditerranée », CIPM/ Spectres Familiers 2014, s.f.


    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX

    Caroline Sagot Duvauroux 2

    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes ▼

    Canto rodado, Centre international de poésie Marseille, Collection ‘‘‘Le Refuge en Méditerranée’’’, 2014, s.f.
    → 
    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    → 
    Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    → 
    Mais avant (extrait du Buffre)
    → 
    [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?] (extrait de ’j)
    → 
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    → 
    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
    → 
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes) 
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (un autre extrait du Livre d’El d’où)
    → 
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
    → 
    Le Vent chaule (lecture d’AP)

    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur remue.net) « L’intime dehors » (une conversation du 23 août 2012 avec Caroline Sagot Duvauroux)
    → (sur Ta résonance
    Cacophonie vs. polyphonie ou la musicalité de tout dans l’œuvre poétique de Caroline Sagot Duvauroux (par Serge Martin)