Terres de Femmes

Mois : juin 2023

  • Claude Ber | Du Genre Dans La Langue

                                    

                                                                                                                                                                                                   Site de Claude Ber : www.claude-ber.org

     

     

    Sexismelanguefrançaise_WEB-1800x4461

    DU GENRE DANS LA LANGUE

    ( Illustration : source ) 

    Le genre « sexuel » et le genre dans la langue sont distincts. Les confondre c’est risquer de projeter sur la langue une intentionnalité qui lui est étrangère. Le « e » final est certes, en français, le signe du féminin de l’adjectif, mais la langue est plus souple et plus riche qui dit la chanson, la raison, la vertu, la peur, la main, la mer, la vérité, etc. au féminin sans « e », l’article suffisant à le marquer, et le voyage, le rivage, le courage, le fleuve, le rire, le sable, le neutre etc. au masculin en terminaison « e ». Un discours trop dogmatique sur le sexisme de la langue se heurte à son arbitraire sans rapport avec l’idéologie et, non sans quelque humour, au féminin des attributs masculins tels que la verge, la couille ou la barbe et à une virilité tout aussi fémininement genrée que le sein, le vagin, le clitoris, le sont masculinement.

    Une langue porte, néanmoins, trace des mentalités et de l’histoire. Elle est surtout périodiquement instrumentalisée. L’énoncé grammatical « le masculin l’emporte sur le féminin » est un exemple de l’instrumentalisation d’un fait linguistique sans intention par un discours dominant misogyne.

     

    Au terme d’une évolution phonétique et morphologique, le masculin et le neutre du latin se sont confondus en français. Des trois genres latins – masculin, féminin, neutre- n’en sont restés que deux, le masculin portant le neutre car leurs finales devinrent identiques par perte respectives du « s » (de dominus par exemple) et du « m » (de templum par exemple). Le grammairien Grevisse le présente ainsi en parlant « d’indifférencié ». D’autres grammairiens ont, en revanche, expliqué ce fonctionnement par une argumentation sexiste – « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte. Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » écrit le grammairien Beauzée en 1767 reprenant Vaugelas qui en 1647 décrétait déjà « Parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins, quoiqu’ils soient plus proches de leur adjectif. » -. C’est cette instrumentalisation politique et bien sûr erronée de la langue que perpétue la formule grammaticale « le masculin l’emporte sur le féminin ». Dire « le masculin porte le neutre en français » ou bien « le masculin joue le rôle de neutre » exprime tout autre chose et a le mérite d’être exact. La première mesure nécessaire serait donc déjà d’enseigner correctement l’histoire de la langue et de modifier la formulation de la règle.

    Les victimes de cette instrumentalisation de la langue par un discours dominateur qui s’est cherché légitimité en elle, ont tendance, à leur tour, à instrumentaliser la langue à leur profit. Cette réponse de la bergère au berger est d’autant plus compréhensible qu’elle prend place dans un système patriarcal ou ladite bergère a trop longtemps joué les seconds rôles voire a été écartée de l’histoire et ses œuvres passées à la trappe. Un fonctionnement de la langue en lui-même sans intention devient alors symbolique d’inégalité et changer la langue fait figure de conquête d’égalité.

    Si la démarche est politiquement légitime, elle n’est pas pour autant linguistiquement ni langagièrement viable. Les grammairiens misogynes du XVIIème ont profité d’un fait de langue, la fusion du masculin et du neutre, pour l’interpréter de façon tendancieuse. C’était une distorsion de l’histoire de la langue, qui n’ébranlait pas son système, la modification des règles d’accords vise, elle, à en changer le fonctionnement. Toutes les modifications proposées en ce sens reposent sur la confusion du genre sexuel et du genre dans la langue. Cette instrumentalisation idéologique de la langue a ses raisons politiques et exprime un ressenti, mais n’en demeure pas moins linguistiquement fausse et langagièrement difficilement praticable car elle risque davantage de compliquer et d’obscurcir le message que d’éclaircir les idées. L’accord de proximité a lui-même évolué pour des raisons internes et pas seulement politiques. L’accord de choix brouille beaucoup les repères et celui de majorité est l’apothéose de la confusion du genre dans la langue et dans la vie.

    Il faut, dans tous les cas, garder mesure. La volonté d’afficher ainsi de l’égalité est d’un effet limité par rapport au poids des représentations. Le neutre de la langue allemande n’a jamais empêché les Allemandes d’être reléguées aux trois K (Kinder, Küche, Kirche, les enfants, la cuisine, l’église). Et même si les propositions de féminisation du français ne sont pas la novlangue d’Orwell, dont le but est d’imposer une langue qui efface toute histoire, élimine la complexité pour empêcher la pensée, son spectre hante toute ingérence de l’idéologie dans la langue. Même écartés (accord au neutre ou de proximité avec le mot suivant) les espoirs et les craintes excessives (accord de proximité au risque que l’espoir ne soit pas perçu comme excessif), le débat ne se réduit pas à une opposition entre progressistes et réactionnaires. On ne peut évacuer d’un revers de main ni une revendication d’égalité ni l’objection d’ingérence directe de l’idéologie dans la langue même dans de bonnes intentions. D’autant plus que l’argumentation des « pour » et des « contre » ne se prive pas de simplifier et d’instrumentaliser à tout va, les « pour » en justifiant leur forcing comme un légitime retour de la violence subie au mépris d’une histoire de la langue schématisée comme de son fonctionnement et en rabattant le genre sexuel sur le genre dans la langue, les « contre » en minimisant les effets délétères d’une interprétation intentionnellement erronée et misogyne d’un fait de langue dans le sens d’une domination.

    Qu’on veuille contraindre l’évolution de la langue ou en corseter l’usage, on intervient idéologiquement sur elle. L’évolution d’une langue est fait collectif et répond davantage à une logique interne qu’à des injonctions politiques. Au final, c’est l’usage qui trie entre plusieurs possibles et même l’Académie française n’a jamais fait qu’entériner des usages, avec réticence parfois, mais sans rien inventer. La langue appartient à tous les locuteurs et locutrices. C’est leur usage qui détermine ses évolutions, elles-mêmes possibles tant qu’elles n’affectent pas le système de la langue. Si cet usage est influencé aux marges par des représentations, il l’est surtout par la logique de la langue qui va toujours vers la simplification et non vers la complication. Que le féminin porte le neutre par généralisation du « e » serait, en cela, plus conforme au fonctionnement de la langue à défaut de l’être à son histoire!

    À observer l’usage, on voit vite que les élèves, par exemple, n’ont pas eu besoin de théories ni d’être linguistes pour parler de « la prof » ou de « la proviseur » en appliquant spontanément le fonctionnement de la langue où l’article suffit à signifier le féminin quand la valeur, la liberté, la douceur comme la fureur s’en passent sans perdre leur « genre ». On peut comprendre la fonction (pas de « e » à ce féminin !) de la féminisation forcée des noms de métier, ajoutant à l’article ce « e » institué symbole du féminin même s’il ne l’est que pour l’adjectif, pour enfoncer le clou, mais l’étendre serait aussi absurde qu’infaisable car de la « fonctione » à la « vertue » en passant par la douleure, la vélocitée et tous les mots en finale « é » « n », « u », « r », qui sont au féminin sans « e » final, c’est un sacré chantier et surtout un beau chaos qui se profile à l’horizon ! La raisone ferait vite homophonie avec les verbes « raisonne » et « résonne » dans, au final, un charabia déraisonnable…

    Une langue est un système, qui mute, évolue dans une logique interne, elle-même marquée par de l’accident et des illogismes (l’orthographe française et les régimes grammaticaux d’exception suffisent à le montrer) mais dans un minimum de cohérence qui maintient la cohérence linguistique et langagière globale. Au delà d’un certain seuil, elle se détruit. C’est ce qui rend les mutations décrétées inopérantes ou infaisables. Ainsi par exemple aussi bien la volonté de simplification de l’orthographe qui a été un temps de mode que la féminisation à outrance finissent-elles par introduire plus de complication que de simplification quand la complexité (en l’occurrence d’une langue) n’est pas davantage la complication que la simplicité le simplisme… La langue peut évoluer, elle évolue d’ailleurs qu’on le veuille ou non, hors décision, mais lentement et d’elle-même par l’effet de l’usage collectif qui obéit à des mécanismes internes à la langue et intègre des évolutions socio-politiques, plus lexicales d’ailleurs que grammaticales ou morphologiques même si ces dernières aussi ont lieu. C’est, dans tous les cas, l’usage collectif – la langue est collective et coercitive – qui détermine au final les évolutions non des décisions externes aux locuteurs et aux locutrices (je double volontairement ici, parce qu’il s’agit de personnes agissantes et que femmes comme hommes parlent et modèlent la langue, alors que la langue inclut masculin et féminin dans « locuteurs », le masculin portant le neutre).

    Tout ceci nous rappelle surtout que parler n’est jamais innocent. Une langue porte cicatrices et marques du politique et de l’histoire. Faut-il effacer ces traces de l’histoire ou plutôt les éclairer? Une langue sans plus de traces, qui viserait à la transparence et perçue comme un décalque du réel dessinerait un horizon totalitaire. On n’en est pas là. On en est à constater que l’évolution sociale fait pression sur la langue et que la langue résiste car elle ne peut évoluer que tant que cette évolution est compatible avec son fonctionnement, ce qui n’est pas neuf.

    À trop affirmer que la langue française serait sexiste, non seulement on dit une sottise – la langue porte cicatrices du sexisme, comme du racisme, comme de l’inverse, elle porte mémoire de toute notre histoire dans son ambivalence-, mais on touche à son histoire et à son système grammatical. Inversement défendre une langue immobile et intangible, qu’outragerait toute évolution, est mortifère. Les langues sont vivantes. Elles muent, meurent aussi en donnant naissance à d’autres langues. Elles sont à notre images, complexes, ni innocentes ni transparentes. Vouloir infléchir de force idéologiquement une langue va-t-il univoquement dans le sens d’un surplus d’égalité incontestablement nécessaire ou en même temps vers une perte de mémoire et une vaine complication? Je ne crois pas qu’on puisse vaticiner avec assurance à ce sujet.

    Les écrivains et poètes, dont je suis, sont plutôt du « genre rétif » aux ingérences idéologiques et du « genre inventif » par rapport à la langue. Ils jouent avec. Ils l’expérimentent. Ils prennent le risque d’essayer, de proposer des possibles langagiers, mais ne les imposent pas. Des écrivaines ont travaillé depuis longtemps sur le « e » perçu comme une féminisation de la langue, d’autres ont rejeté cette mainmise du politique sur la langue sans être pour autant moins attachées aux droits et à la visibilité des femmes, considérant que ces derniers passaient moins par ce « e », de surcroit muet, que par l’impact et la reconnaissance d’une création littéraire des femmes, qui, comme l’écrivait Virginia Woolf, doit explorer l’entier territoire de la langue et s’emparer de toutes les thématiques et de toutes les formes sans être confinée aux questions du féminin. Aucune artiste, aucune écrivaine, aucune autrice n’accepterait plus que son travail soit qualifié d’écriture, de peinture féminines, mais le préjugé et les attentes les y assignent encore parfois implicitement ou les écartent de l’histoire commune. Les travaux de « l’herstory » sont essentiels dans ce domaine et les questions liées. La création et la visibilité des femmes dans la langue passe-t-elle par sa modification ? Certains (et ce « certains » est au choix d’interpréter comme accord de proximité avec le mot suivant ou neutre porté par le masculin) auteurs et autrices travaillent en ce sens, d’autres n’en sont pas convaincus (neutre, qu’il faudrait dé-neutraliser en u.e.s). Pour les uns (un.e.s ?) comme pour les autres, le risque est pour toutes et tous le même (le chiasme vaut ici en efficacité le point tiret) d’aboutir au chef-d’œuvre, qui influera sur la langue, ou au fiasco total.

    Pour l’écrivaine que je suis, c’est la liberté et l’inventivité qui importent. Que ceux et celles qui sont convaincues (accord de proximité au risque qu’on entende peu de convaincus !) de la nécessité de l’inclusive, par exemple, l’emploient donc dans leurs livres, leurs articles, leurs discours. L’illustrent, la diffusent. Nous verrons si ça fonctionne et si ça prend.

    On peut avoir des convictions, des utopies, des craintes, mais on ne décide pas de la langue seul.e (essayons donc l’inclusive) ni non plus seulement par décret aussi bien intentionné soit-il. Et il faut l’espérer car si de l’idéologique, quel qu’il soit, parvenaient aisément à modifier la langue pour la rationaliser dans son sens, la pensée et la liberté seraient en grand danger. Le débat et les points de vue contradictoires ont, eux, le mérite de les alimenter. Au final, la parole revient aux locuteurs à la fois collectivement et singulièrement. Car si la langue est collective et extérieure à soi en tant que système, nous l’actualisons chacun et chacune singulièrement – c’est notre style, notre manière de parler, d’écrire- et en avons une expérience personnelle et même intime.
    Les relations à la langue et notre attitude face à elle recouvrent aussi de l’histoire personnelle, de l’inconscient et des affects. Je n’ai jamais vécu la langue française comme m’excluant, mais, au contraire, comme une alliée dans la construction de ma personnalité, la conquête de ma liberté, l’expression de ma pensée et de ma possibilité créatrice. D’autres expériences peuvent ressentir la langue comme plus marâtre que maternelle ou effaçant le féminin. Nous différons, ce n’est pas une découverte. Cela se nomme la singularité, que la langue conjugue sans problème avec le commun. Et non l’identité voire l’assignation identitaire, qui le met en cause.

    Tout écrivain ne cesse de travailler la langue et d’en proposer des mutations, qui se révèleront viables ou pas. D’y mettre du je (de la singularité) et du jeu dans les rouages de l’idéologie, qui la rigidifie toujours en langue de bois doctrinale. En tant que poète, j’ai choisi depuis longtemps, par exemple, de dire « une poète » car poétesse a une connotation, pour moi, un peu vieillie, l’article suffit et « poeta » en latin étant du féminin, aux hommes de se nommer poét à pousser jusqu’à l’absurde ce prétendu « e » féminisant, qui ne l’est que pour l’adjectif ! D’autres autrices, en revanche, préfèreront revitaliser poétesse et je ne sais pas lequel des deux usages l’emportera ou si les deux cohabiteront. En tant que poète, poétesse, écrivain, écrivaine, j’ai une relation sensible, sensuelle et même charnelle à la langue, j’entends donc très bien comme une revendication de corps ce « e », significativement muet d’ailleurs, tant le corps et le désir des femmes ont été bâillonnés, mutilés, asservis, humiliés et le sont encore. Je ne peux pas être sourde à cela.
    J’ai vécu comme toutes l’expérience de dévalorisation du féminin, j’ai combattu ma vie durant cette dernière, mais je n’ai jamais ressenti la langue comme responsable ou ennemie. La langue m’a donné parole ou je l’ai prise dans la langue. Quand on touche la langue, on touche aussi à l’intime et symboliquement aux corps. Les propositions d’amendement de la langue comme l’inclusive apparaissent pour certaines et certains inscription légitime du corps féminin dans la langue, agression pour d’autres. C’est, dans tous les cas, le corps des femmes qui fait effraction dans l’espace public comme dans les questions du harcèlement et des violences. De là l’âpreté et l’instrumentalisation qui dominent le débat. Car il touche aux corps des locutrices et des locuteurs. C’est à eux et à elles que revient la possibilité d’influer sur l’usage par l’usage.

    Cela ne me convainc pas pour autant que la langue soit la bonne cible ni l’inclusive, l’accord de proximité ou de majorité, les bons moyens. Pour des questions de cohérence langagière déjà évoquées, mais aussi parce que ma conviction est que l’émancipation passe par les singularités, dont celles des femmes, non par l’identitaire, qui m’est toujours apparu comme l’idéologie par excellence de l’ultralibéralisme et l’outil de fractionnement des solidarités qui pourraient s’y opposer. Mais il est bien que les locuteurs et locutrices s’emparent de ce qu’ils proposent, en étendent l’emploi à des livres complexes. À écrire on prend des risques, à inciter les autres à suivre des chemins que l’on n’a pas expérimentés dans toutes leurs conséquences, c’est déjà moins risqué… Pour l’écrivaine que je suis, c’est le risque qui fonde l’écriture, la confrontation aux regards des autres.
    Qu’on illustre donc ces propositions, on en est tout fait libre, mais je regimbe devant leur inscription forcée dans l’usage. Car cela renvoie à de multiples questions et pas seulement à celle de l’affichage du féminin. Par exemple est-on toujours et continument genré ou l’est-on variablement en situation ? L’est-on toujours quand on écrit ou quand on est sujet de parole ? Certes l’écriture s’enracine dans le corps, mais la réduction de l’écriture des femmes à la plainte ou à la louange du corps comme à la révolte sur leur condition est la première des assignations réductrices, une ghettoïsation, qui gomme à la fois leurs singularités multiples et le commun d’une humanité, dont le mâle a été et demeure trop souvent le « patron » au double sens de modèle et de maître. Akhmatova est épique, Tsvetaieva non réductible à un propos « féminin » quand en outre ce terme même est une construction sociale. Le « tout homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition » de Montaigne est à entendre comme tout humain portant cette forme entière quand le mot « homme » en français ne désigne pas le mâle, mais l’humain. Dommage qu’il n’y ait pas de « Mensch » allemand, mais « humain » fait l’affaire ! C’est donc à la fois expérience subjective et conviction qui s’expriment dans ma réticence. J’ai des compte à régler avec le patriarcat et la domination, mais pas avec la langue maternelle ni avec le lien paternel. Peut-être à cause d’une ascendance résolument libertaire. C’est mon histoire, ma singularité, ma décision aussi. Elles ne m’empêchent pas d’entendre celles des autres. Ni d’avoir ponctuellement recours à la féminisation forcée selon le contexte, la situation d’énonciation et la visée de mon propos. Les poètes et poétesses sont diables et diablesses qui ne se privent de rien en matière d’exploration langagière ! Car travailler la langue, y expérimenter, est aussi un plaisir, dont il sort « bonheurs d’écriture » comme la langue le dit justement ou échec de la tentative.

    Ce qui compte dans une langue c’est son efficacité, sa souplesse, sa richesse en terme de communication certes, mais aussi de pensée et de création. Si on n’envisage la langue qu’en termes de « communication » et d’affichage politique, dans une illusoire transparence au réel, on oublie sa fonction essentielle que Saussure nommait poétique et on instaure la croyance en une adéquation du mot à la chose et en une transparence mirador telle que d’ailleurs la rêve et la diffuse la « com » de l’idéologie dominante. Toute manipulation idéologique d’une langue peut autant aboutir à des mutations émancipatrices et productrices de sens que finir en victoire d’une « com » simplificatrice sur la pensée. Sous la poussée de mutations sociales apparaissent des possibles qui ne sont ni à rejeter en bloc en brandissant l’anathème ni à sacraliser en panacée, ils peuvent avoir un impact comme n’être qu’épiphénomènes passagers. Dans tous les cas, le débat, lui, signifie.

    Qu’en restera-t-il langagièrement ? Certaines propositions se révèleront sans doute viables d’autres non. Certaines, comme l’inclusive, peuvent aisément entrer dans un usage restreint, administratif par exemple, plus difficilement dans un ouvrage littéraire ou philosophique car l’écriture en devient acrobatique et la signification plus parasitée qu’éclaircie. Que ceux et celles qui défendent ces évolutions les mettent donc à l’essai dans leurs écrits, on prêche mieux par l’exemple que par l’injonction. La parole reviendra, au final, aux usagers et usagères car elle leur appartient.

    Suis-je du genre mi chèvre mi chou à considérer les aspects contradictoires de la question ? Plutôt du genre poétique (qui signifie étymologiquement fabricant) à préférer la complexité et la nuance aux simplifications et l’esprit critique aux diktats idéologiques d’où qu’ils viennent, du genre rétif aux catégories, aux étiquetages et normalisations, du genre à prôner la singularité et à se méfier de l’identité et de ses assignations, – serais-je d’ailleurs, au passage, à classer gender fluid ou queer que mon écriture ne le serait pas pour autant quand le premier critère du poétique est d’abord et seulement sa poéticité…-, bref, du genre mauvais genre (c’est, en général, le lot des artistes) à préférer le libre jeu ouvert de la créativité, de l’imaginaire et les tentatives qui se confrontent à la création langagière plutôt que les décrétales. Au final, d’un genre humain ambivalent, volatile, incertain, complexe et ambigu, inventif et faillible, pour lequel il n’y aura de liberté véritable que si elle se conjugue à l’égalité réelle de tous ses membres délivrés de toutes les formes de domination. De cette nécessité je suis convaincue sans réserve, depuis toujours activement défenseuse, mais moins persuadée qu’elle passe par l’infléchissement forcé d’une langue. Il faut voir à l’usage, essayer, tester, tenter, risquer plutôt que de chercher à imposer dans l’instrumentalisation et la réduction d’une langue à un enjeu politique. À chacune et chacun de prendre ses risques quand la langue est toujours commune et écrire un pari risqué.

     

    Claude Ber 

     

    CLAUDE    BER

    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source

    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes ▼

    → Il y a des choses que non (note de lecture d’AP)
    → Épître Langue Louve (note de lecture d’AP)
    → In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve)
    → La mort n'est jamais comme (note de lecture d’AP)
    → Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    → Les mots, le vent, les herbes racontent (extrait de Mues)
    → Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    → Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    → Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) le miel à la bouche

    ■ Voir aussi ▼

    → le site de l’écrivain Claude Ber

     

     

     

  • Philippe Leuckx | Une rampe de lumière

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

     

    Lumière dans l'escalier

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    PH: G.AdC

     

     

     

    Je ne demande que
    le peu
    juste une rampe de lumière
    pour étayer le cœur

    Comme le train traverse le givre
    la brume
    le cœur apprivoise ce peu de lumière
    il happe la moindre clarté
    fanal secret de l’ombre des rues
    petite pointe d’espoir
    lampe de l’âme

    La maison que je n’habite plus
    couve l’enfance
    elle est vide comme un cœur
    qui n’aimerait plus
    l’abandon la range
    comme vieilles planches
    désormais inutiles
    même dépecée
    elle vit dans mes mots

    On ne sait presque rien de la ville
    de ce col de brume qui l’enserre
    ni de ses gens qui la traversent
    sans égards pour elle
    ni de ce temps compté
    qui égare les âmes
    on reste là presque aveugle
    à tout accomplissement
    en retrait
    comme un témoin privé de parole
    dans l’entre-deux des vies

    La main ou la lumière
    caresse les mots
    l’enfant les loge
    au cœur
    sans les brusquer
    avec une inaltérable
    tendresse

     

     

    Rampe lumière.jpg 2

     

    Philippe Leuckx, Une rampe de lumière, Oxybia éditions, 2023, pp.21, 22, 23, 24, 25.

    _____________________________________________________________________________________________________

    _____________________________________________________________________________________________________

     


    PHILIPPE LEUCKX

    Vignette PHILIPPE LEUCKX
    Ph. Christelle Dossche

    ■ Philippe Leuckx
    sur Terres de femmes 

    → Ce long sillage du cœur (lecture d’AP)
    → D’obscures rumeurs (lecture d’AP)
    → [Il reste au-dessus du jour quelque vœu d’enfance](poème extrait de D’obscures rumeurs)
    → [Laisse la nuit s’éclairer sous tes yeux](poème extrait de Doigts tachés d’ombre)
    → [On a vécu sous le verre] (poème extrait de L’imparfait nous mène)
    → [On ose à peine la lumière](poème extrait de L’Effeuillement des choses vers les confins)
    → [J’assume mes greniers d’enfance](poème extrait de Maisons habitées)
    → Le Mendiant sans tain (extraits)
    → Nuit close (extraits)
    → Poèmes du chagrin (lecture d’AP)
    → [Tu marches dans ta ville] (poème extrait de Poèmes du chagrin)
    → Piéton de Rome, 13 (poème extrait de Rome rumeurs nomades)
    → [Parfois il est bon de s’égarer](poème extrait des Ruelles montent vers la nuit)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions La tête à l’envers) la fiche de l’éditeur sur Ce long sillage du cœur
    → (sur La Cause Littéraireune lecture de Ce long sillage du cœur par Patrick Devaux
    → (sur le site de la revue Textureune lecture de Ce long sillage du cœur par Jacques Morin
    → (sur le site de la revue Textureune lecture de Ce long sillage du cœur par Michel Baglin

     

  • Anne Sexton | Transformations | Traduction de Sabine Huynh 

     

    Anne Sexton | Transformations
    Traduction de Sabine Huynh
    Éditions des femmes-Antoinette Fouque, 2023

    Lecture de Noémie Antoine : La fille Karamazov

     

    ANNE SEXTON PORTRAIT

     

     

     

     

     

     

    Source 

     

     

    « We are all mad here!1 » Transformations d’Anne Sexton n’a décidément rien à envier au fol univers du Cheshire Cat.

    Traduit par Sabine Huynh, à qui l’on doit déjà le fulgurant Tu vis ou tu meurs2, ce cinquième recueil de la poète américaine s’inscrit dans la continuité du travail éditorial de la maison « Des Femmes – Antoinette Fouque » et poursuit la mise en lumière d’une œuvre poétique jusqu’alors confidentielle en France.

    De tous les recueils d’Anne Sexton, Transformations est celui qui a connu le plus vif succès. À sa publication en 1971, Anne Sexton apparaît déjà comme une autrice émérite, saluée du public comme de la critique3. Mais alors qu’aux États-Unis déferle « une marée de voix4 » féminines, les poétesses souffrent encore d’une idéologie conservatrice visant à dénigrer leurs productions littéraires, circonscrites à de simples expressions lyriques, essentiellement centrées sur le vécu personnel de leurs autrices. Figure de proue de la poésie dite « confessionnelle », Anne Sexton choisit de s’emparer de la littérature patrimoniale et de s’affranchir de toute étiquette grâce à l’universalité de la fiction.
    Ses Transformations s’appuient sur le canevas des contes traditionnels de Grimm dont ils détournent les invariants – personnages et péripéties – pour en proposer une relecture satirique. Anne Sexton crée ainsi la forme hybride du poème-conte, à l’ossature assez fixe pour se répéter d’un écrit à l’autre et cependant suffisamment élastique pour défier les limites du genre initial. À la manière d’un frontispice, chaque réécriture est introduite par une forme de glose qui vient accentuer un motif du récit, le discuter ou encore glisser quelques clefs de lecture à l’attention du lecteur. S’ensuit un long poème narratif : le poème-conte.

    Les contes qui nourrissaient jadis les rêveries ensemencent ici une sombre forêt, à la fois caustique et cauchemardesque, au cœur de laquelle le lecteur est invité à se perdre. Blanche-Neige et les sept nains, Le Nain Tracassin, Cendrillon, Raiponce ou encore Le Petit Chaperon Rouge sont passés à la moulinette d’une plume transgressive et féministe qui exacerbe leurs discordances et autres incongruités. Sans rien céder au mouvement de « Disneyfication » qui donne lieu à l’édulcoration des contes sources, Anne Sexton revivifie la tonalité inquiétante des récits et préserve leur fin parfois tragique, comme celle des demi-sœurs de Cendrillon, aveuglées par une colombe après s’être sciemment mutilé les pieds, ou encore celle de la marâtre de Blanche-Neige qui s’élance dans une danse fatale, les pieds chaussés de « souliers de fer chauffés à blanc5 ».

    Mais les ressemblances avec les contes populaires s’arrêtent là. Anne Sexton déforme, tord et contorsionne les récits pour les amener à leur point de fusion, comme le ferait un souffleur de verre. Elle les soustrait au carcan de la tradition au moyen d’un style mordant et d’un humour grinçant. Ses images poétiques décalées, presque surréalistes, sèment le trouble dans l’esprit du lecteur : le sang des sorcières bout « comme du Coca-Cola6 », Blanche-Neige est une « bécassine7 » et les nains des « hot dogs ridicules8 ».

    Certes, Anne Sexton réinvestit les formules consacrées du conte, mais elle leur redonne de la densité. Alors que le conte condamne les personnages à rejouer les mêmes scènes sans perspective d’évolution, les poèmes-contes de Transformations les arriment à une temporalité bien concrète pour les arracher aux griffes mortifères d’un présent perpétuel. Les « héros » s’enfoncent les deux pieds dans la boue du hic et nunc et s’affranchissent, ce faisant, du triple sarcophage des signes graphiques, des règles du genre et des contraintes stylistiques. Les poèmes-contes investissent le champ du quotidien et rapprochent les personnages des quidams de fait divers voire de gazette people :

    Elle revient souvent dans les livres :
    le plombier père de douze enfants
    qui remporte le gros lot à la loterie.
    Du ruisseau à la société.
    Ce genre d’histoire.

    Ou la gouvernante,
    un pur délice venu du Danemark
    qui enflamme le cœur du fils aîné.
    Des couches à Chanel.
    Ce genre d’histoire9.

    Le lieu du poème devient celui d’une négociation perpétuelle entre une forme parlée moderne qui s’incarne en chair et en encre, et une forme écrite qui laisse s’écouler les fluctuations de la voix poétique.

    La voix ? Entre nos mains, le recueil se fait lampe merveilleuse d’où jaillissent des timbres polyphoniques, harmonieux ou dissonants, étrangers ou intimes. C’est qu’Anne Sexton cherche le « miracle du poème », ce qui ferait sonner vrai la poésie au travers, par-delà comme en dépit de la fiction. La vérité du poème passe alors par une plasticité des personas de la locutrice, par des pas de côté volontaires qui se jouent du « je » autobiographique puis reviennent par une voie détournée à l’écriture de soi. On ne peut s’empêcher de songer à la « petite voix qui criait de loin10 » et qui tourmentait la poétesse, comme si l’inscription du poème-conte sur la page permettait d’apprivoiser la folie, à l’intérieur du cadre rassurant de la strophe ou de la contrainte stylistique. Tension du dehors et du dedans :

    À cause du serpent blanc
    il entendit les animaux
    parler dans toutes les langues.
    Ainsi l’aura descendit sur lui11.

    Saisie par l’étrangeté de la langue sextonienne, voilà près de vingt ans que Sabine Huynh « étire sa propre peau12 » pour saisir la portée de ces voix. L’idée même de frontière, chère à l’œuvre d’Anne Sexton, se réactive dans les ouvertures pratiquées par la traductrice. Le texte poétique s’épanouit dans ses autres potentialités. Il résonne d’un autre timbre, grâce au jeu des assonances, des allitérations ou des rimes internes, et s’il voile les rimes finales, il conserve précieusement les aphorismes en fin de vers, comme s’il s’agissait de participer au désenchantement féérique. Il en va ainsi du Parrain Faucheur qui clôt vers et poème sur ce qu’est la mort : « la grande extinction, / le grand non13. »

    En vérité, l’oralité sous les signes n’est jamais bien loin. Scandée par les répétitions, la langue poétique chahute la syntaxe et se hérisse d’américanismes. Anne Sexton affûte ses vers pour en faire un carmen incantatoire chargé de secouer un lecteur par trop léthargique. Prenons garde ! Dès le début du recueil, la parole est à l’accusée qui nous met au défi : « Celle qui parle dans ce contexte / est une sorcière d’âge moyen, moi14 — » Irrévérencieuse, la sorcière use du sarcasme comme de la trivialité pour tisser les motifs de ses poèmes-contes où érotisme et sexualité féminine sont exacerbés. Là où on escamotait les corps à corps, Anne Sexton répercute au contraire, les stridences d’un désir abordé de front, à l’image de Raiponce et de sa geôlière, mère Gotel, qui « touchent leur délicats goussets15».

    Serpentine, la langue poétique poursuit sa mue. Du corps intime d’Anne Sexton, elle s’enroule autour de la chair autoriale, avant d’épouser les courbes poétiques des vers alanguis sur la page. Elle s’échappe encore, déborde des caractères typographiques, embrasse le timbre sonore des poèmes et de leur déclamation. Elle touche enfin l’universalité et finit par s’emparer du corps collectif d’une infinie communauté de lecteurs.

    Car si la pythonisse nous interpelle, c’est pour chercher les clefs. « Il nous faut les réponses16 », assène-t-elle, péremptoire. Anne Sexton ne craint pas d’exhiber nos monstres primordiaux, notre chaos interne. Elle trace les limites d’un espace transversal qui donne corps à la voix et rend visible des créatures voraces devant lesquelles s’abîmer, tout frissonnants de fascination et d’effroi. La mécanique du conte se dérègle, le poème s’enfle et se boursoufle comme si le monstrueux n’était pas seulement ce qui se décrit mais aussi ce qui s’écrit : le désenchantement du mariage, la désillusion de la maternité ou encore l’inceste sont autant d’Érinyes qui poursuivent le « je » poétique et inquiètent le lecteur. Entre ce qu’on ne devrait pas dire et ce qu’on ne veut pas voir, Transformations devient le recueil de toutes les subversions.

    « Nos problèmes personnels sont des problèmes politiques » écrivait Carole Hanisch. Loin d’en faire un objet esthétique forclos sur lui-même, Anne Sexton laisse le recueil s’inscrire dans le champ du politique. Sans être ouvertement militante, l’écriture sextonienne s’imprègne des apports de la deuxième vague du féminisme aux États-Unis et participe, comme The Princess and the Goblins de Sylvia Plath ou Beginning with O d’Olga Brouma, d’une réécriture postmoderne féministe des contes de fées.

    « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. » Vraiment ? Les poèmes-contes explorent des thèmes non seulement novateurs mais surtout délibérément ignorés par tout un pan de la littérature. La sorcière du recueil, figure de contre-pouvoir par excellence, met en avant les conflits de valeurs entre les nouvelles aspirations des femmes et la perpétuation des modèles incongrus qu’on leur tend. Elle s’insurge contre les rôles creux dans lesquels on voudrait les enfermer pour les réduire à des personnages de second plan, sans désir ni volonté propres. Elle remet en cause le bonheur domestique et la quête de normalité servis en horizon d’attente par la société américaine. La sexualité hétéronormée ne fait plus rêver personne et les « héroïnes » ne craignent pas d’explorer une homosexualité, synonyme de fontaine de jouvence.

    Finalement, ce qui s’écrit en filigrane de l’espace poétique, ce qui s’entend dans les interstices de la traduction, c’est une œuvre résolument queer. C’est le loup travesti « de dentelles à froufrous17», c’est le bon roi, échauffé par la difformité de son épouse, c’est encore la femme qui écrit, qui plus est, de la poésie. Ces « anti-contes » s’apparentent à une allée du grotesque où défilent parias et autres outcasts dans une ambiance carnavalesque. Les personnages des marges, proscrits ou inadaptés, illustrent la transversalité des poèmes-contes et font le point de jonction entre l’intimité des failles et l’extériorité d’un monde normé qu’ils invitent à transgresser.

    Transformations ne souffle pas seulement la bise de nos pires cauchemars, il déchaîne avant tout un furieux vent de liberté. Mieux : d’espoir.

     

    La Fille Karamazov

     

    1. Carroll, L. (2015). chap. 6 « Pig and Pepper ». Dans Carroll, L. (2015). The annotated Alice, 150 TH anniversary deluxe edition, ed. Martin Gardner, enrichi et annoté par Mark Burstein, illustré par John Tenniel, W.W. Norton & Company, Londres, novembre 2015, p. 79.
    2. Sexton, A. (2022). Tu vis ou tu meurs : Œuvres poétiques (1960-1969), (Traduit par Huynh, S.), Des femmes-Antoinette Fouque.
    3. Elle reçoit le prix Pulitzer pour Live or Die en 1967.
    4. Ostriker, A. citée par Godi, P. Dans « Anne Sexton sous l’œil expert de Sabine Huynh et Patricia Godi / Le printemps des poétesses », L’affranchie, avec Courbet, S., Godi, P. et Huynh, S., 18 mai 2022, 46 min.
    5. Sexton, A. (2023). Transformations, (traduit par Huynh, S.), Des Femmes Antoinette Fouque, p.29.
    6. Sexton, A., op. cit. p.107.
    7. Sexton, A. op. cit. p.127.
    8. Sexton, A. op. cit. P.25.
    9. . Middlebrook, D.W. (1992). Anne Sexton, a biography, First Vintage Book Edition, pp. 16 et 219.
    1 Sexton, A. (2023). Transformations, (traduit par Huynh, S.), Des Femmes Antoinette Fouque, p.30.
    2. Ostriker, A.
    3. Sexton, A. op. cit. P.49.
    4. Sexton, A. op. cit. p.21.
    5. Sexton, A. op. cit. p.51.
    6. Sexton, A. op. cit. p.22.
    7. Sexton, A. op. cit. p.83.

     

    Anne-sexton-transformations

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Anne Sexton sur  →  Tdf

     

  • Béatrice Bonhomme | Prix Mallarmé 2023

     Béatrice Bonhomme| Prix Mallarmé 2023 pour son recueil: Monde, genoux couronnés.

                                                             

     

    Au creux du rien

     

     

     

     

     

     

     

     

    "Avec son absolu en bannière"

    Ph: G.AdC

     

     

     

     

     

     

     

    L'Être (Extrait)

     

    […]

     

    Combien de temps a-t-il attendu ?
    Le temps d’une vie y est passé
    À espérer que des bras s’ouvrent
    Et préférant le dénuement.

    L’éclat de la lumière
    Les plateaux enneigés
    L’ont rendu à sa solitude.

     

     

    C’est comme s’il nous attendait
    Ou est-ce nous qui l’attendons ?
    Fragile, intouché
    Dans sa minceur nue.

    Nous restons devant lui
    Les yeux fermés
    Car il est fort
    De n’attendre rien.

     

     

    Il reste avec ses mains
    Ouvertes et nues
    Blotti on ne sait où
    Petit, effacé, sans traces.

    Nul ne l’a saisi et emporté
    Aucun bras protecteur
    Il est dans le froid du monde
    Avec sa vaillance claire
    Et son constat sans merci.

     

     

    C’est un combattant, une bataille
    Avec son absolu en bannière
    Discret de tout ce qu’il sait
    Lucide de ce qu’il ignore.

    Il a fait ses comptes et son cœur
    Accepté la perte et le deuil
    Réconcilié avec le temps
    Il s’est dessaisi de tout.

     

     

    Blotti au creux du rien
    Quelqu’un pourtant garde la lumière.

     

    COUV

     

     

     

     

     

     

     

     

    Monde, Genoux couronnés

     

    J'ai édifié huit chants, huit séquences car j'aime la perfection du chiffre 8, dont on peut vérifier l’harmonie octogonale dans certains monuments. L'idée est celle d'une architecture avec une dimension chiffrée qui va vers l'être que nous portons en nous.
    Deux initiatrices accompagnent le cheminement, deux figures tutélaires féminines. Juste après une séquence introductive sur le lien symbiotique au monde :
    « Devenir d'arbre », la grand-mère intervient qui donne la couture, la broderie, le tissage : « Le Cœur de la brodeuse ». Plus tard dans le recueil, la mère donne la fascination pour la lecture et les mots : « Le Matin des mots ».

    Puis à la fin du recueil l'être intérieur nous attend dans sa lumière et sa nudité.

    Dans l'intervalle, ce que j'essaie d'exprimer, c'est la relation au monde, la porosité à tous les règnes de la nature. Le lien au cosmos, à tous les êtres les plus humbles, les plus minuscules, cette place essentielle de liberté dans une affirmation d’un monde qui ne serait pas seulement dominé par l’humanité, mais respectueux et sensible à toutes les formes de vie.
    Cette partie résiste à une forme de pensée qui a fait la démonstration de son danger foncier pour le monde et par contrecoup pour l’homme. Elle résonne avec le titre qui évoque un monde asservi et mis à terre, genoux en terre, comme un cheval aux « genoux couronnés » et que l'on va abattre (le terme « couronnés » faisant allusion également aux années du corona virus et à ce qui va vers la contagion, l'épidémie et la guerre.)

    Puis j'évoque l'ouverture à l'autre avec ses difficultés, ses ombres mais aussi ses lumières. C'est sur terme de « lumière » que s'achève le recueil après un parcours à travers l'être au monde.

     

    Béatrice Bonhomme

    Professeure à l’Université Côte d’Azur, Béatrice Bonhomme est poète, critique littéraire et directrice de revue. Le prix Léopold Sédar Senghor lui a été décerné en 2016 par le Cénacle Européen – sa recherche ayant contribué à la reconnaissance de la poésie contemporaine – et, en juin 2019, le Prix Vénus Khoury-Ghata pour son livre : Dialogue avec l’Anonyme. Citons ses derniers livres de poèmes Les Boxeurs de l’absurde (2019), Proses écorchées au fil noir (2020) et Monde, genoux couronnés, paru aux éditions Collodion, qui a reçu le Prix Mallarmé en 2023. Elle a fondé en 1994 la Revue Nu(e), revue de poésie et d’art qui a consacré 81 numéros à la poésie contemporaine et paraît désormais en ligne sur POESIBAO. Elle dirige La Société des lecteurs de Pierre Jean Jouve. Dans le cadre du centre culturel de Cerisy, où elle a dirigé plusieurs colloques, elle a édité de nombreux ouvrages et publié plusieurs études et articles sur la poésie moderne et contemporaine. Un livre sur l’œuvre poétique de Béatrice Bonhomme Le mot, la mort, l’amour chez Peter Lang est paru en 2012. Deux revues Poésie-sur-Seine et Coup de soleil lui ont été consacrées (2020-21).

     

    BÉATRICE   BONHOMME

    Béatrice Bonhomme Bourdelas 2
    D.R. Ph. Laurent Bourdelas

    ■ Béatrice Bonhomme
    sur Terres de femmes ▼

    → Mutilation d’arbre(lecture d'AP)
    → Le pacte des mots
    → Passage du passereau
    → [Les petits chevaux de Tarquinia]
    → Poumon d'oiseau éphémère
    → Sauvages
    → T’écrire adolescent
    → La terre rouge
    → Tes nuits sont devenues mes jours
    → Variations du visage & de la rose (lecture de France Burghelle Rey)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)Un lacis de sang et d'ombre
    → (dans la galerie Visages de femmes) le Portrait de Béatrice Bonhomme-Villani par
    Guidu Antonietti di Cinarca, un poème extrait de Poumon d'oiseau éphémère et l’excipit de Mutilation d'arbre

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur la site des éditions L’Étoile des limites) la fiche de l'éditeur sur Les Boxeurs de l’absurde
    → (sur Terres de femmesKaléidoscope d’Enfances
    → (sur Wikipedia) une belle bio-bibliographie de Béatrice Bonhomme
    → (sur Terres de femmesLa rencontre Hölderlin-Jouve-Klossowski par Béatrice Bonhomme et Jean-Paul Louis-Lambert
    → (sur le site de la Revue d'art et de littérature, musique) un entretien de Rodica Draghincescu avec Béatrice Bonhomme (Numéro 45 – décembre 2008)

     

  • Yves Namur | La nuit amère

    <<Poésie d'un jour

     

     

     

    MIRO

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    L’Oiseau Solaire de Joa Miro  (1968)

    Photo  by G.AdC / Hasselblad 6×6
    (Fondation Miro de  Barcelone) 2005

     

     

     

    Les plis
                  De la rivière aux loups,

    Et ce long doigt de fée
    Qui traverse l’assoiffé et le désir
    D’être.

    Un oiseau est là aussi
    Qui boit la parole toute blanche

    Et ce quelque chose
    De l’imperceptible monde.

     

     

    L’oiseau n’interroge ni le nuage
    Ni la pauvreté de nos gestes.

     

    Seuls
    Lui importent vraiment

    La nudité du jour naissant,
    Le pain – en miettes comme le cœur –

    Et la trop vaste étendue
    D’un poème vert.

     

     

    Combien de signes
    Et de poèmes inachevés

    L’oiseau n’aura-t-il pas laissés
    Sur le rebord de la fenêtre ?

    Combien d’autres
    Sont-ils, hélas, à jamais perdus

    Dans le vide
    Et l’obscurité des hommes ?

     

     

    Namur 3

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Yves Namur,« Des poèmes que les oiseaux ont bus» in La nuit amère, Couverture Cécile Miguel, Pallidula nudulla, 1971, peinture et collage,
    Arfuyen 2023, pp. 83, 84, 85.

     

    ______________________________________________________________________________________________________________________________

    ______________________________________________________________________________________________________________________________

     

    YVES   NAMUR

    YVES NAMUR (1)
    Source

    ■ Yves Namur
    sur Terres de femmes ▼

    [Aujourd’hui j’ouvre des livres] (extrait de Ce que j’ai peut-être fait)
    → Les Lèvres et la Soif (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    → [un oiseau s’est posé aujourd’hui sur tes lèvres] (extrait des Lèvres et la Soif)

    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen) la page de l'éditeur sur Dis-moi quelque chose d'Yves Namur
    → (sur le site de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique) une notice bio-bibliographique sur Yves Namur

     

  • Isabelle Lévesque | Pierre Dhainaut | La troisième voix

     << Poésie d'un jour

     

     

    ROUGE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Aquatinte de  →   G.AdC 

     

     

     

     

     

    Docile
    à souffle court,

    essaie l’oubli.

     

    Et pourtant
    la profonde, l’inapaisable
    respiration…

     

    Le jour finit.

    Il s’échappe,
    terrasse le vol,
    course lointaine.

     

     

    Jusqu’où
    la nuit sera-t-elle
    sans horizon, sans
    terre ?

     

    Loin se fraie
    un corps de boussole.
    L’aiguille attise, tu traces
    les pôles silencieux.

     

     

     

     

    J’accours
    (j’attendais l’instant des ailes).

    Alors cent ans, exaucés.
    Le sommeil attendait.

    Un baiser (loin).

     

     

    Un siècle, mille ans,
    une minute,
    tout le temps
    que tu rêves, tu voles.

    (Même en tombant.)

     

     

    Le conte
    a rendez-vous.
    À l’instant se voue.

    Le serment appelle

    la hâte
    docile.

    Partir, aller à la rencontre,
    être fidèles
    à la voix aimée,

    la voix inconnue.

     

    La-troisieme-voix

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Isabelle Lévesque/ Pierre Dhainaut, « Le conte » in La troisième voix, Peintures de Fabrice Rebeyrolle,
    L’Herbe qui tremble 2023, pp.21, 22, 23, 24, 25.

     

    Isabelle Lévesque sur →  Terres de femmes

    Pierre Dhainaut sur Terres de femmes 

     

  • Terres de femmes n° 221―mai 2023

     
    CLIQUER SUR LA PHOTO
    pour accéder au SOMMAIRE
    du numéro du mois de mai 2023

     

    TDF MAI 2023

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Image: G.AdC

     

    Responsable de la rédaction :  Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages :  Yves Thomas  ( † 2021 ) 
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca:  (G. AdC )