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CE QUI GOUVERNE LE SILENCE (extrait) Le mot est, dans l’eau ronde du puits, ce jus noir de voyelles que vient froisser, comme un caillou, la chute des consonnes. Au seuil du souffle, à l’orée de tout bruit, quelque chose soudain se déplace, furtif, que l’on ignorait être là, ou qu’on croyait perdu.
Et la parole devient geste, s’étire dans l’effort hélicoïdal de s’arracher à sa matrice, s’anime, marche, épouse l’or du jour, s’aventure au-devant de la nuit qu’elle brave, au-delà de ses ombres. C’est l’heure d’engranger le bois, les moissons récoltées avant la venue de l’hiver.
Avant que la parole se dégrade, crispée dans son manteau de givre, ou se recroqueville dans le paysage, arbuste mal nourri de sécheresse, olivier mal inscrit dans le ciel, que le soleil colère parce qu’il a su étirer devant lui quelques rameaux qui saignent et peinent horriblement. Il nous faudrait combler tant de distance encore !
On s’avance alors, tâtonnant, dans un champ de paroles, tout l’alphabet autour du cou, pesante et inutile cartouchière, comme dans un champ de bataille après la défaite.
À la lumière des étoiles, on reconnaît ses morts.
Et on se sent mourir aussi, à chaque mot que l’on arrache. On avance, de mot en mot, à travers les pages du livre, celui-là qui s’écrit à mesure, comme on erre parmi les tombes. Stèles gravées de mots inertes. Pierres de lune sèches que l’on arrose, en vain, de son crachat et de l’aigre sueur de son front. La pierre est phrase encore, à l’angle où s’écorchent les doigts. Où l’on peut adosser sa fatigue. Hommage à qui nous prête encore son épaule ! Mais combien de pierres mal transcrites la mort emportera dans son giron de femme enceinte ? Que nous restera-t-il alors à déchiffrer quand, du plain-chant du monde, il ne demeurera qu’un silence de neige et pas de place pour un mot de plus ?
Michel Diaz, « I – Ce qui gouverne le silence » in Comme un chemin qui s’ouvre, L’Amourier éditions, Collection Fonds Poésie, dirigée par Alain Freixe, 2019, pp. 40-41.
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MICHEL DIAZ![]() Source ■ Michel Diaz sur Terres de femmes ▼ → Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP) → clair-obscur (extrait de Lignes de crête) → [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde) → Le Verger abandonné (lecture d’AP) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site de L’Amourier éditions) la fiche de l’éditeur sur Comme un chemin qui s’ouvre → le site de Michel Diaz ■ Notes de lecture de Michel Diaz sur Terres de femmes ▼ → Jeanne Bastide, La nuit déborde → Alain Freixe, Contre le désert → Françoise Oriot, À un jour de la source |
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