Terres de Femmes

Mois : septembre 2018


  • Brigitte Mouchel | à tenter de voir dans la nuit ‒ un homme ?



    À TENTER DE VOIR DANS LA NUIT ‒ UN HOMME ?
    (extrait)




    L’’île est un plateau calcaire avec, au nord, une impressionnante falaise, tandis qu’au sud, la côte est très découpée, formant des promontoires et des anses profondes qui abritent de petites plages de sable. Les habitants vivent de pêche et de tourisme. L’intérieur de l’île, aride et caillouteux, a un aspect désertique.

    Certains parlent d’une île-sentinelle.

    Ils tentent la traversée dans des embarcations de fortune. Chaque fois, ils racontent. Après quelques heures de navigation, un autre bateau s’approche, le passeur saute à bord et le bateau disparaît. Ils sont abandonnés, pertes humaines, dommages collatéraux aux guerres, à la misère.


    Et ta carcasse raide, le froid au creux du dos, cette rencontre tactile contre la nuit
    où tu ne perçois rien, monochrome ‒ palpite
    parfois apparaît une trouée
    un faible éclat de jour ‒ ou de vie, de terre et d’humains ‒ qui fait comme un voile
    une sorte de visage ‒ la trace d’un visage ‒ à peine un éclat, même pas, faible, et rien ne peut désemparer l’éclatante noirceur ‒ l’attente, le temps à peine ‒ ne passe
    une vague lumière, des traces voilées comme buée ‒ ta bouche ? ‒ il n’y a personne




    Brigitte Mouchel, « à tenter de voir dans la nuit ‒ un homme ? » (extrait), in Et qui hante, éditions Isabelle Sauvage, collection « présent (im)parfait », 2018, pp. 67-68.






    Brigitte Mouchel  Et qui hante






    BRIGITTE MOUCHEL




    ■ Brigitte Mouchel
    sur Terres de femmes

    exil (extrait d’événements du paysage)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une fiche bio-bibliographique sur Brigitte Mouchel
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Et qui hante





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  • Sandro Penna | [Nuit : rêve de fenêtres]




    Nuit - rêve de fenêtres
    Image, G.AdC





    [NOTTE : SOGNO DI SPARSE]



    Notte : sogno di sparse
    finestre illuminate.
    sentir la chiara voce
    dal mare. Da un amato
    libro veder parole
    sparire… ‒ Oh stelle in corsa
    l’amore della vita !






    [NUIT : RÊVE DE FENÊTRES]



    Nuit : rêve de fenêtres
    éparses illuminées.
    entendre la voix claire
    venue de la mer. D’un livre
    aimé voir des mots
    disparaître… ‒ Oh étoiles en fuite
    l’amour de la vie !




    Sandro Penna, « Poèmes, Poesie, 1927-1957 » in Croix et délice et autres poèmes [Croce e delizia, Mondadori Libri, Milano], Ypςilon, éditeur, 2018, pp. 100-101. Traduction de Bernard Simeone.






    Sandro Penna  Croix et délice






    SANDRO PENNA


    Sandro_Penna 3
    Source




    ■ Sandro Penna
    sur Terres de femmes


    L’automne me parle déjà
    Chroniques de printemps (+ notice bio-bibliographique)
    [La vie… c’est se souvenir d’un réveil]
    Un’estate




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur italialibri)
    une bio-bibliographie (en italien) sur Sandro Penna
    → (sur le site des Lettres françaises, n° 136, Nouvelle série, 14 avril 2016)
    d’autres poèmes de Sandro Penna, traduits par René de Ceccatty [PDF]





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  • Manuel Daull | [je connais depuis longtemps la fragilité des hommes]



    [JE CONNAIS DEPUIS LONGTEMPS LA FRAGILITÉ DES HOMMES]



    je connais depuis longtemps la fragilité des hommes, peut-être je la connais depuis toujours ‒ toujours senti cette chose en leur ventre, tout part du ventre chez les hommes ‒ ils ont beau croire que c’est leur tête qui leur dicte quoi faire, il n’en est rien, tout part du ventre chez eux ‒ les restes d’un cerveau reptilien sûrement ‒ quelque chose que je ne saurais pas nommer, une fragilité ‒ une fragilité que j’ai su reconnaître chez tous les hommes que j’ai connus ‒ des hommes que j’ai aimés

    je savais qu’il ne s’agissait pas d’un homme de plus ‒ qu’il serait mon chef-d’œuvre ‒ la pièce maîtresse d’un puzzle que j’assemble depuis longtemps ‒ depuis si longtemps que je connais par cœur la forme des pièces qu’il me reste à poser, ce qu’elles représentent, leur nombre ‒ à l’image de ces pièces, je connais par cœur les besoins qu’ont les hommes ‒ ce qu’ils sont capables de donner ‒ je sais que rares sont ceux qui donnent vraiment ‒ quand ils donnent ils ont l’impression de s’amputer d’une partie d’eux-mêmes ‒ ils se sentent bancals à l’intérieur quand ils nous sont vraiment présents ‒ les hommes sont des animaux qui ne cessent de construire à l’extérieur ce qu’ils ne peuvent construire à l’intérieur ‒ ils ne sont jamais chez eux en eux ‒ toujours au dehors d’eux-mêmes ‒ toujours dans l’attente de construire quelque chose à la mesure de leur attente ‒ quand ils font des enfants, les enfants viennent à l’intérieur de nous extérieurs à eux ‒ leur rapport à l’amour même tient dans cette construction-là extérieure à eux qu’ils ne maîtrisent pas, ce qui leur rend la vie insupportable ‒ leur besoin de contrôle est plus fort que leur amour pour nous quand il est sincère ‒ la passion est leur chimère ‒ le seul moment de leur vie où ce qui leur échappe les nourrit mieux qu’un sein maternel ‒ ils pratiquent alors de façon archaïque le troc amoureux, de ne pas connaître la petite mécanique des relations humaines ‒ le pouvoir est une autre chimère leur permettant d’accepter la fuite du temps ‒ le sexe chez eux est un besoin vital de possession, comme manger ou dormir ‒ ils baisent comme ils chient, juste une histoire d’appétit et de fréquence ‒ ils ne sont guère doués de don ou de partage ‒ l’idée de réussite est un horizon mouvant pour eux, aussi attirant qu’il les terrorise ‒ ils tentent toute leur vie d’établir une hiérarchie de leurs priorités par peur du vide ‒ puisque l’idée même de priorité est le socle sur lequel ils construisent leur identité ‒ ils sont ainsi leur propre priorité et créent autour d’eux à l’image du rythme qui leur convient, un rapport au monde fait de spirales où tout ce qu’ils touchent devrait s’adapter à la place et au rang qu’ils leur accordent ‒ on n’entre pas dans la vie d’un homme on finit par en faire partie, un fragment élémentaire de plus ‒ un agrégat de son paysage rassurant



    Manuel Daull, Fragiles in Please do not stock flat, suivi de Fragiles, éditions LansKine, 2018, pp. 69-70.






    Manuel Daull  Please do not stock flat






    MANUEL DAULL


    Manuel Daull  jpg
    Source




    ■ Manuel Daull
    sur Terres de femmes

    [écrire c’est] (extrait de La Vie à l’usage)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Please do not stock flat, suivi de Fragiles
    le site de Manuel Daull





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  • Claudine Bohi | Corps levé



    CORPS LEVÉ (extrait)



    corps levé
    sur les anciens désastres

    corps intérieur
    brûlant dans tous les mots

    une fièvre orpheline
    est demeurée absente

    un long ruban de ciel
    s’obstinant vers le blanc




    ce fut la main
    trempée de signes
    inconnus

    relevant
    la proue de chair
    où ça commence


    et juste là
    cette éternelle disparition

    dans un futur
    très antérieur




    tu crispes vers le bord
    tu défais le blanc

    ce puits si vague
    entre les cils

    et la dormeuse
    donne à l’exil

    son nom d’eau sèche
    et dure

    l’œil de la pierre

    si tard ouvert
    jusqu’à recommencer



    […]



    Claudine Bohi, « Corps levé » (extrait) in Naître c’est longtemps, éditions La tête à l’envers, 2018, pp. 58-59-60. Eaux-fortes, aquatintes, huiles sur bois de Mitsuo Shiraishi.






    Claudine Bohi  Naître c'est longtemps
    Huile sur bois Mitsuo Shiraishi.
    Première de couverture de Naître c’est longtemps.
    Source





    CLAUDINE BOHI


    Claudine Bohi






    ■ Claudine Bohi
    sur Terres de femmes


    Naître c’est longtemps (lecture d’AP)
    Naître c’est longtemps (lecture de Philippe Leuckx)
    [brouillard n’est pas absence] (poème extrait d’Éloge du brouillard)
    Et cette fièvre qui demeure
    Secret de la neige (poème extrait de L’Enfant de neige)
    [Duels de lumière] (poème extrait de La plus mendiante)
    [je laisse tomber le mot maman] (poème extrait de Mère la seule)
    Le funambule sans son fil (poème extrait de Même pas)
    Mère la seule (lecture d’Isabelle Lévesque)
    L’invisible (poème extrait de Mettre au monde)
    [L’eau son puits étrange] (poème extrait d’On serre les mots)
    [à force de mots sur la peau] (poème extrait de Parler c’est caresser un corps)
    [La raison sort toujours de l’irrationnel] (poème extrait de Rêver réel)
    Une lumière de terre (poème extrait d’Une saison de neige avec thé)
    Claudine Bohi | Philippe Bouret, Cet enfant sans mot qui te commence (lecture d’AP)
    Claudine Bohi | Olivier Gouéry [Voici donc le matin]
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    si ce n’est pas trembler




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la fiche de l’éditeur sur Naître c’est longtemps
    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Claudine Bohi
    → (sur le site de d’Haudrecy Art Gallery)
    une page sur Mitsuo Shiraishi





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  • Philippe Leuckx, Ce long sillage du cœur

    par Angèle Paoli

    Philippe Leuckx, Ce long sillage du cœur,
    éditions La tête à l’envers, 58330 Crux-la-Ville, 2018.
    Préface de Françoise Lefèvre.



    Lecture d’Angèle Paoli



    LA POÉSIE DE PHILIPPE LEUCKX, UN « LIMON DE PASSAGE »




    « L’enfant blessé d’ombre

    se recoud au soleil »

    Ainsi se clôt, sur ces deux vers, le dernier recueil de Philippe Leuckx : Ce long sillage du cœur. On trouve là, rassemblés en peu de mots, les motifs essentiels qui courent au long des poèmes. L’enfance omniprésente, bien que devenue floue par le « temps incertain » laissé par les souvenirs, en est un des leitmotive. Enfance paysanne blessée, vécue dans les paysages du Hainaut. Talus fenaisons chapardages de fruits, jeux de peu, la modestie draine la vie du jeune garçon livré le plus souvent à la solitude :

    « J’avais pour compagnie

    Un ruisseau

    À peine sorti des talus

    Que déjà encavé

    Je m’égarais alors

    À lire entre les fils

    De clôtures

    Les taches

    De vaches pie. »

    Rêves inaboutis d’écorché, sentiment d’incomplétude bercent l’ordinaire des jours. Tout cela qui affleure est suggéré plutôt que dit. Tout dans la poésie de Philippe Leuckx s’écrit dans la douceur. Et si blessure il y a, durable, têtue, solidement ancrée dans le cœur ‒  cœur omniprésent lui aussi et polymorphe dans les images qui le nomment ‒, émergent dans la sensibilité du poète des moyens de remédier aux failles et sillons creusés par la souffrance. Si l’ombre joue sa partition au même titre que le gris – « L’air soudain a ses petites morts grises » ‒, la lumière joue aussi la sienne qui contribue, comme les mots, à ravauder et à apaiser ce qui longtemps a souffert de déchirure :

    « […] Je bêche quelques mots ‒ il y a au jardin une pensée profonde

    Creuse

    Creuse

    […]

    Le ciel fait ce qu’il peut s’il est gris

    Je range la bêche à l’étroit

    Dans la langue du sol. »

    Le soleil réparateur, c’est peut-être celui de la Grèce et des îles que le poète oppose (à quelques pages d’intervalle, et sans insistance ni plainte) à la grisaille mélancolique des terrils.

    « Traversant Treherbert notre enfance avec ses maisons minières minces et grises

    […]

    Traversant Treherbert comme une longue mélancolie en mode mineur. »

    Et, plus avant, dans un autre poème :

    « Nauplie déplie ses venelles et les rues montent avec la lumière

    Dans le jour plein et dense écrire épuise l’ombre… »

    Mais jamais, chez lui, d’accablement, de révolte, de désespoir. Tout est calme et presque serein dans le paysage mental du poète du Hainaut. Comme dans ce poème aux accents hugoliens :

    « Au-delà des rumeurs

    La lumière ruse

    À l’heure où les herbes

    Vont boire

    Un abri sous les fleurs »

    Tout se joue en demi-teinte dans les six sections qui forment le recueil. Sans lyrisme excessif ni excès d’aucune sorte. Qu’elle se présente sous la forme de poèmes ou sous celle de petites proses parfois réduites à peu de lignes, la poésie de Philippe Leuckx est celle d’un « pèlerin tranquille » qui va au plus profond chercher les mots qu’il reconduit sur la page, vers la lumière. Voyageur mélomane, attaché à accueillir « l’intime partition du jour qui fuit » ou à bercer son « chagrin nomade », le « wanderer des Flandres » dont Françoise Lefèvre chante l’éloge dans sa préface, est depuis longtemps « pèlerin de soi », ce « promeneur [plus] pressé d’en découdre avec lui-même ». Et qui y parvient, grâce à « ces bribes de poèmes qu’effleure le paysage ».

    « Chaque poème rend pèlerin de soi », écrit Philippe Leuckx en fronton d’une page vierge. Une affirmation qui rend bien compte de l’esprit du poète vagabond qui creuse loin en lui ; de son goût pour « cette langue douce de l’errance » qui est la sienne. Ne laisser derrière soi qu’un « limon de passage », ce peu de traces ‒ « ces petits leurres du lexique » ‒ , qui témoignent, par les coutures qui affleurent ici et là, dans le tremblé de la main, d’une « enfance manquée » que le cœur du poète, tantôt « plein d’épingles », tantôt « plein de fenêtres / [e]t d’étoiles vers les confins », frôle, à peine.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Philippe Leuckx  Ce long sillage du coeur





    PHILIPPE LEUCKX


    Vignette PHILIPPE LEUCKX
    Ph. Christelle Dossche




    ■ Philippe Leuckx
    sur Terres de femmes


    [Le soir](poème extrait de Ce long sillage du cœur)
    D’obscures rumeurs (lecture d’AP)
    [Il reste au-dessus du jour quelque vœu d’enfance](poème extrait de D’obscures rumeurs)
    [Laisse la nuit s’éclairer sous tes yeux](poème extrait de Doigts tachés d’ombre)
    [On a vécu sous le verre] (poème extrait de L’imparfait nous mène)
    [On ose à peine la lumière](poème extrait de L’Effeuillement des choses vers les confins)
    [J’assume mes greniers d’enfance](poème extrait de Maisons habitées)
    Le Mendiant sans tain (extraits)
    Nuit close (extraits)
    Poèmes du chagrin (lecture d’AP)
    [Tu marches dans ta ville] (poème extrait de Poèmes du chagrin)
    [Parfois il est bon de s’égarer](poème extrait des Ruelles montent vers la nuit)
    Piéton de Rome, 13 (poème extrait de Rome rumeurs nomades)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La tête à l’envers)
    la fiche de l’éditeur sur Ce long sillage du cœur
    → (sur La Cause Littéraire)
    une lecture de Ce long sillage du cœur par Patrick Devaux
    → (sur le site de la revue Texture)
    une lecture de Ce long sillage du cœur par Jacques Morin
    → (sur le site de la revue Texture)
    une lecture de Ce long sillage du cœur par Michel Baglin





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  • Jacques Moulin | D 27 et D 28



    D 27

    Ne plus t’entretenir du quotidien du temps.
    Des riens des jours.
    Entends toujours les goélands à tes fenêtres.



    Le fils sentait ce silence de la mère en allée comme un chuintement détourné asphyxié. Il a couru en sous-bois. Il a ballotté ses humeurs. Il savait ne plus respirer pour elle ne plus l’embarquer dans sa promenade. Elle était l’humus d’automne la feuille abandonnée aux vents du défaire. L’enfermement des sèves. La nature défunte. Le silence de la mère en terre toutes braises confisquées. Même celle des mélèzes qu’elle avait découverts tardivement grâce aux enfants au creux des pentes de l’automne.




    D 28

    Comment emporter sa morte et demeurer léger ?
    Quand tu aimes il faut laisser partir.
    Laisse ta mère franchir l’horizon marin.



    Un mois sans toi
    Sans feu ni lieu de toi
    Sans mère ni voie
    Chenal perdu

    Sans voix sans toi
    Corne de brume
    Mouillures aux yeux
    L’humeur des vitres avec l’embrun

    Du brou en gorge
    L’automne des noix
    Et coque vide.




    Jacques Moulin, L’Épine blanche, L’Atelier contemporain | François-Marie Deyrolle éditeur, 2018, pp. 36-37-38-39. Lecture de Michaël Glück. Dessins de Géraldine Trubert.






    Jacques Moulin  L'Épine blanche  Éditions L'Atelier Contemporain





    JACQUES MOULIN


    Jacques-Moulin
    Source




    ■ Jacques Moulin
    sur Terres de femmes

    Écrire à vue (lecture d’AP)
    [Partir à dos de feuilles ou d’arbres] (extrait d’Écrire à vue)
    Journal de Campagne (lecture d’AP)
    Portique (lecture d’AP)
    Portique 2 (extrait de Portique)
    [Sur le halage certains soirs] (extrait d’À vol d’oiseaux)
    Un galet dans la bouche (extrait)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions L’Atelier contemporain)
    la page de l’éditeur sur L’Épine blanche
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la Littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Jacques Moulin





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  • Terres de femmes n° 165 ― août 2018






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    du numéro du mois d’août 2018






    TDF AOUT  2018




    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages : Yves Thomas
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca [G. AdC]



    © 2004-2019 Angèle Paoli. Tous droits réservés.




  • Terres de femmes n° 166 ― septembre 2018






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    du numéro du mois de septembre 2018






    TDF  SEPTEMBRE 2018




    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
    Coordination éditoriale et mise en pages : Yves Thomas
    Direction artistique et mise en images : Guidu Antonietti di Cinarca [G. AdC]



    © 2004-2019 Angèle Paoli. Tous droits réservés.


  • TdF n° 166 ― septembre 2018  (Sommaire)



    TDF  SEPTEMBRE 2018
    Image, G.AdC






    SOMMAIRE DU MOIS DE SEPTEMBRE 2018




    Terres de femmes ― N° du mois d’août 2018
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Lambert Schlechter | [liste des choses arrivées…]
    Lysiane Rakotoson, Dans l’enclos des hanches (lecture d’Angèle Paoli)
    Pascal Commère | Sur la poussière
    Anne Rothschild | [Hors du temps et du souvenir]
    Lili Frikh | Corps
    Catherine Weinzaepflen | Huit [avec Jean-Jacques Viton]
    Muriel Stuckel | [Trop vif le soleil]
    Philippe Leuckx | [Le soir]
    Yves Bonnefoy | [De Caraco à l’île de Capraia]
    Jean-Claude Pinson, (lecture d’Angèle Paoli)
    Jacques Moulin | D 27 et D 28
    Philippe Leuckx, Ce long sillage du cœur (lecture d’Angèle Paoli)
    Claudine Bohi | Corps levé
    Manuel Daull | [je connais depuis longtemps la fragilité des hommes]
    Sandro Penna | [Nuit : rêve de fenêtres]
    Brigitte Mouchel | à tenter de voir dans la nuit ‒ un homme ?
    Terres de femmes ― N° du mois d’octobre 2018

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  • Jean-Claude Pinson,

    par Angèle Paoli

    Jean-Claude Pinson, Là (L.-A., Loire-Atlantique)
    Variations autobiographiques et départementales,
    suivi de Frères oiseaux,
    éditions joca seria, Nantes, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Écrire à la suite ou en marge des Variations autobiographiques et départementales de Jean-Claude Pinson est, me semble-t-il, une entreprise bien ambitieuse. Et risquée. Néanmoins, à la densité de cet ouvrage (qui ne comporte pourtant que vingt entrées + une) vient s’adjoindre un plaisir sans cesse renouvelé par la surprise que de page en page suscite la lecture ; et le désir de se couler entre les lignes d’une prose éblouissante est le plus fort. À la longueur du sous-titre, lequel donne de l’ouvrage une orientation de lecture à double entrée, s’oppose la brièveté adverbiale du titre LÀ, dont la graphie majuscule et en blanc sur la première de couverture attire d’emblée le regard et le fixe, durablement. Une échelle à deux lettres s’imprime sur un fond de carte à tramé jaune orangé, enjambe l’espace, guide le déchiffrement explorateur. Entre les deux jambes du À (de ) se détache le nom de la ville de Nantes (en noir, localisé par une puce carrée rouge). Tout autour de la grande ville s’amoncellent d’autres toponymes (de corps typographiques variables) qui entraînent tantôt vers l’intérieur des terres ‒ Vendée, Saint-Colomban, Nozay (plus au Nord), Châteaubr(iant), tronqué et presque en dehors de la carte ; ou au contraire vers le bleu de l’océan. Où s’ancre le tropisme Sud de l’écrivain. Saint-Nazaire, Saint-Brévin-les-Pins, Saint-Michel-Chef-Chef, Pornic s’échelonnent sur la côte. Avec, comme pour départager la Loire-Atlantique de la Bretagne, le cours de la Loire qui, depuis l’estuaire, rejoint Nantes. Autant de noms qui me sont depuis longtemps familiers, qui confirment que le « là » du titre est bien une promesse de lecture « départementale », telle qu’annoncée par l’auteur. Pour ce qui est de l’« autobiographique », il suffit de lire l’incipit de l’ouvrage pour se convaincre de l’importance de cette dimension particulière. Originaire par sa famille de cette région où il est né, une région qu’il n’a que très peu quittée, et provisoirement — « ce ne furent que trajets limicoles, au bord de l’eau toujours, tantôt douce tantôt salée » —, Jean-Claude Pinson vit aujourd’hui au lieu-dit Le Cormier-L.-A. Loire Atlantique, d’où il écrit. De ce lieu « là » et d’aucun autre.

    « Là. — Là que j’ai vu le jour. Que je cesserai, probablement, de le voir. Là que. Rien que là. Pas là-bas. Là tout court — c’est-à-dire ici. Où je suis, habite, écris. »

    Ici où il a « grandi, étudié, milité, déchanté, marché, pédalé, roulé,
    ramé (dans tous les sens du terme)… »

    Conscient qu’il explore sans cesse les moyens de rendre compte par l’écriture de la « géographie pathétique » de sa région, Jean-Claude Pinson — qui se définit comme « un pur produit de L.-A. », mais « nantais évasivement » — s’interroge :

    « Comment ai-je pour ma part habité la Loire-Atlantique ? Ne l’ai-je pas trop habitée pour qu’y soit préservée cette part de rêve dont parle Gracq ? Ou plutôt ne l’ai-je pas trop peu habitée, interposant, l’âge adulte venu, entre les lieux et moi, de puissants filtres idéologiques et livresques, qui longtemps ont agi comme autant de philtres de désamour (ou du moins d’indifférence) à leur égard ? »

    Quelques pages en amont, dans le premier chapitre intitulé « L.-A, mode d’emploi », Jean-Claude Pinson expose définitions et objectifs, méthodologie qui sous-tendent réflexion et écriture. Notamment dans le sous-chapitre « Autoportrait au département ».

    « Une autobiographie qu’on pourrait dire également à double foyer, en ce que la considération du département fournit au propos autobio son principal contrepoint. C’est toujours in situ que j’ai voulu parler de ma vie, et c’est toujours in visu (sous l’angle d’inclinaison de mon existence) que j’évoque les lieux où j’ai vécu ‒ Parce qu’il est toujours bon de se situer, de dire d’où l’on parle, et parce que les lieux en question m’ont durablement marqué de leur empreinte, quand bien même j’ai voulu leur imposer des lunettes déformantes et m’en abstraire à grand renfort de théories et fantasmes (de théories virant vite au fantasme).

    […]

    Un tel titre (« Autoportrait au département ») a cependant l’avantage de souligner que le sujet n’est pas seul et célibataire, mais solidaire d’un contexte et d’un monde, celui qu’apporte avec lui l’objet. C’est ce contexte que j’ai voulu évoquer ; c’est la corrélation d’un je subjectif et du objectif (“objectal”) où il se trouvait vivre qui m’importait : L.-A. comme un alter ego et soi-même comme un département. »

    Jean-Claude Pinson matérialise par un triangle géographique son territoire : Nantes/Saint-Nazaire // Saint-Nazaire/ Tharon-Plage // Tharon-Plage/ Nantes, définissant chacun de ces pôles en leur attribuant une dimension socio-culturelle et philosophique spécifique. Saint-Nazaire correspondant, selon lui, à la « ville de l’Idée (de l’Idée intransigeante et prolétarienne, rétive à tout arrondissement des angles), tandis que Nantes est la ville de la Culture et du “poétariat” (substitué au prolétariat). Tharon-Plage la sablonneuse, de son côté, bercée par le refrain des marées chantant l’éternel retour de la Nature d’avant et d’après l’homme, propose le trompe-l’œil d’un locus amoenus (d’un lieu amène et idyllique) où finir paisiblement sa vie. »

    Chaque chapitre, vingt au total plus Un ‒ « Frères oiseaux » ‒ se subdivise en sous-chapitres introduits par un titre en italiques. Unité et diversité, c’est dans cette matrice que se trament et se forment les « variations ». C’est à l’intérieur de ce binôme fort que se noue et se dénoue la pensée de Jean-Claude Pinson ; laquelle digresse avec rigueur et de manière entraînante, s’enrichit au cours de la réflexion de tableaux inattendus où se mêlent souvenirs d’enfance et de jeunesse ‒ ainsi du chapitre plein d’humour consacré à ses grands-parents paternels, « Vie de Suzanne et de Louis », histoire d’une mésalliance, zizanies dans le couple, portrait de l’un et de l’autre, elle, la belle, qui aspire à monter à Paris, lui, « simple paysan vendéen », « maraichin noiraud » que Jean-Claude Pinson assimile, à grands renforts d’imaginaire, à « un surréaliste inconnu et sans manifeste » ‒, lectures et voyages intérieurs, errances sur les bords de Loire ou balades à pied le long de la côte.

    Formé à la philosophie, armé d’une solide pensée politique ainsi que d’une solide culture générale, Jean-Claude Pinson, amateur depuis sa jeunesse de Free Jazz, déploie une traversée du siècle, sans cesse revisitée à l’aune du territoire départemental. Bouleversements et révolutions sont circonscrits en un lieu unique (ou quasi) que l’écrivain érudit, ex-maoïste militant (version « marxiste-léniniste ») et héritier d’une famille anticléricale et anti-vendéenne, connaît comme sa poche et affectionne depuis son plus jeune âge, en dépit des nombreux conflits et antagonismes auxquels le jeune homme puis l’adulte et enfin l’écrivain à dû se frotter. Ainsi l’écriture et les analyses qui composent cet « essai » d’un genre singulier entraînent-ils le lecteur dans une subtile tension spatio-temporelle en même temps que toutes les considérations reconduisent sans cesse vers la région de la Loire-Atlantique originelle. Analyses nourries et conduites à partir de la fréquentation assidue de poètes ou d’auteurs choisis qui président à l’exploration. « Au plus près, avec beaucoup d’ailleurs aussi », comme l’écrit Jean-Claude Pinson dans la dédicace qu’il m’a adressée. Et si l’on s’arrête un instant sur l’extrait de Description d’Olonne de Jean-Christophe Bailly, cité en exergue du même chapitre premier, le lecteur attentif est séduit par les mots qui mettent en évidence la correspondance entre les démarches similaires des deux écrivains, celle de Jean-Claude Pinson et celle de Jean-Christophe Bailly :

    « En procédant par approches successives, il me semblait que je pouvais du moins trouver un équilibre entre le caractère nécessairement autobiographique d’un livre de souvenirs et les motifs plus neutres ou aériens d’une sorte de monographie. »

    Ainsi croise-t-on en chemin, à quelques pages d’intervalle, Mallarmé et Jean-Christophe Bailly ; Romain Gary et Jules Vallès, Arthur Rimbaud et Michel Chaillou ; Julien Gracq et Pascal Quignard. Pour ne citer que quelques noms. Ou encore celui de Luis Mizón. À la demande du poète chilien, Jean-Claude Pinson se lance dans une improvisation sur Hölderlin. C’était à Saint-Nazaire, dans les années 1980, lors d’une rencontre au MEET (Maison des écrivains étrangers et des traducteurs de Saint-Nazaire), qui venait de voir le jour. Quel rapport entre Hölderlin et Saint-Nazaire ? se demande Jean-Claude Pinson. Le fleuve, bien sûr. La belle Garonne pour le poète allemand ‒ Andenken. La Loire pour Jean-Claude Pinson. Dans le même chapitre ‒ « Au bord de l’eau » ‒, l’écrivain évoque alternativement les promenades en compagnie de sa grand-mère paternelle (passage qu’il conclut en confiant : « Je n’avais pas conscience que l’échappée vers le fleuve était aussi une façon pour l’aïeule de fuir les remous qui agitaient un couple grand-parental lui très désenchanté ») ; la pêche aux anguilles, lamproies et murènes, pratiquée sur « la plate » en compagnie de son grand-père et de ses frères. La réflexion prend plus loin un tour philosophique dans Métaphysiques estuariennes :

    « Panta rei, tout coule, tel est l’adage qui condense la philosophie du devenir d’Héraclite. Ou encore, tout passe, tout change, rien ne demeure. On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve. Tout être, toute chose, est voué à la disparition, à la mort. Le temps n’est pas réversible, on ne reviendra pas en arrière, on ne renaîtra pas. »

    Pour ce qui est de Hölderlin, la fascination qu’exerce le fleuve sur le poète allemand est « affaire poétique […] S’en aller vers l’Est, comme le Danube, c’est pour lui s’en aller vers les Scythes et l’Orient, vers l’Originaire (un supposé Originaire majuscule), tandis qu’à Bordeaux, où il passe quelques mois en 1802, il voit s’ouvrir à lui, césure décisive, toute l’aventure du Nouveau Monde, à l’Ouest. »

    Pour Jean-Claude Pinson, comme pour Jean-Claude Bailly, « les fleuves induisaient dans les paysages une sorte de pensée, ayant le temps pour domaine, tout le temps… » (in Description d’Olonne).

    On le voit dans cet exemple, le champ culturel de Jean-Claude Pinson est un champ largement ouvert. Rien ici dans la pensée qui se réclame peu ou prou du repliement régionaliste et identitaire. Si le terreau familial de Jean-Claude Pinson est celui de la terre et du monde ouvrier, « l’arrière-pays mental » de l’écrivain est tout autre. En témoigne le chapitre de clôture de l’ouvrage, un « Hymne à la joie au lieu-dit Le Cormier », inspiré par la relecture des Petites œuvres morales de Giacomo Leopardi. Cette « prose de caractère réflexif, philosophique »… « pleine de fraîcheur et d’élan » est une invitation à poursuivre le « motif » que le poète de Recanati fait lever dans la pensée de Jean-Claude Pinson. Motif à plusieurs dessins : Lire/ écrire ; « paysage intérieur et paysage extérieur/ joie des oiseaux » / « vie universelle »… Installé dans son hamac tendu à ciel ouvert entre deux pins, l’auteur se laisse bercer par sa lecture, laquelle va déboucher sur l’écriture de ce chapitre. Sa rêverie, nourrie par la rumeur du vent dans les branches et par le chant des oiseaux (par le rire des mouettes aussi), plonge l’auteur dans un demi-sommeil qui le guide dans une méditation joyeuse sur « les oiseaux, nos semblables, nos frères ». Non point méditation franciscaine béate cependant, car « l’Éloge des oiseaux » de J.-C. Pinson, tout comme celui de Leopardi, sans se départir de l’enthousiasme propre au genre qu’ils ont choisi, ne perd pas de vue celui du maître dont il épouse la pensée ; et s’il y a une vision anthropomorphique chez l’un comme chez l’autre, « Frères oiseaux » n’en demeure pas moins une réflexion sur la place de l’homme dans l’univers, son anthropocentrisme dans la Création étant relégué à la périphérie au profit de l’oiseau. Une réflexion métaphysique propre à redessiner « les contours d’une existence à contre-courant d’un dolorisme chrétien dont Leopardi a voulu desserrer la trop puissante emprise. » Réflexion que Jean-Claude Pinson, anticlérical et athée, n’a pas eu de mal à épouser.

    Quant à moi, lectrice passionnée de ce livre, moi qui ne suis ni ne me prétends pourtant ni philologue ni philosophe ni métaphysicienne, j’ai aimé m’adonner au plaisir de ce texte, tout en m’étant livrée à l’exercice difficile de tenter d’en approcher la plus « substantifique moelle », mais me disant surtout que cet ouvrage, comme quelques rares autres livres de même tenue, demeurera désormais l’un de mes livres de référence dans les rayonnages de ma bibliothèque.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Jean-Claude Pinson  Là





    JEAN-CLAUDE PINSON


    Jean-Claude Pinson
    Source





    ■ Jean-Claude Pinson
    sur Terres de femmes


    [Bucoliques feuillées] (extrait de )
    Gagarine de la marine (extrait d’Alphabet cyrillique)
    Pastoral (lecture d’AP)
    Poéthique (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le site officiel de Jean-Claude Pinson





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