Terres de Femmes

Mois : mars 2016


  • Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli

    par Isabelle Lévesque

    Françoise Ascal, Noir-racine,
    précédé de Le Fil de l’oubli,
    Éditions Al Manar, 2015.
    Monotypes de Marie Alloy.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    Ascal Autre Livre
    Source






    On ne saura rien du sang répandu qui a
    noyé son âme, de la boue des tranchées
    pétrifiée dans son corps, ensevelissant l’aimé,
    puis le frère trop jeune, puis les rêves.

    F. A.



    Sur « le bruit d’une faux », le livre s’ouvre. S’agit-il de couper l’herbe qui nourrira le bétail ou est-ce le grand Faucheur qui tranche les fils d’une lignée 1 ? Cet ensemble affirme un paradoxe que la fin de la première page interroge, en juxtaposant l’aube et le crépuscule et le questionnement, manifeste (présent cinq fois en ces quelques lignes), réfute toute devise. Ici, rien n’est certain. L’observation puis l’écoute de ce que le mouvement de faucher a généré suscite une analyse dont la réponse reste en suspens. Le début est placé sous le signe d’une menace, d’un trouble généré par la perception double, visuelle et auditive, qui fait osciller les couleurs, vert (sombre puis pâle), jaune, avant que soit enfin capté le parfum. L’éveil, là, en ce tumulte du « bruit de la faux », identique au premier monotype de Marie Alloy qui le précède, rendu noir et blanc de mouvements contradictoires, verticalité balayée par un pinceau large qui la réduit alors que des taches sombres se concentrent sur la page. Fort à dire, pour ce qui concerne Françoise Ascal, de la vocation du peintre dans ses livres et du lien « organique », elle a plusieurs fois employé ce terme, entre la vision du peintre et la parole balbutiante qui s’efforce et cerne, qui constate et demeure.

    Ce volume assemble deux recueils précédemment publiés pour un tout cohérent aux différentes facettes. Le Fil de l’oubli fut publié par les éditions Calligrammes (Quimper) en 1998 et Noir-racine par les éditions Al Manar en 2009, sous forme de livre d’artiste avec Marie Alloy.

    Le Fil de l’oubli s’organise autour de cinq cartes postales écrites par Joseph, le grand-père paternel de la narratrice, à son épouse Élise. Celui-ci est en train de mourir à l’hôpital militaire de Besançon, elle a 34 ans. Chacune des cinq cartes postales de Joseph, datées du 20 au 27 mars 1915, commence par « Chers Élise, Marthe, Gabriel », l’épouse, la fille et le fils, par ordre de préséance, d’âge. Et chacune est suivie de textes en prose suivant un fil de la lignée. Aux trois destinataires des cartes postales s’ajoute la « petite fille », fille de Gabriel et petite-fille de Joseph et Élise, que nous devinons être l’auteur. L’évocation de ces vies court de 1915 à 1985. Le lieu central en est la ferme de Joseph et Élise, située près d’un village non nommé. Un pont sur la rivière permet de rejoindre un autre village où se trouve la ferme de l’oncle.

    Le premier fil est celui de Gabriel, le fils de Joseph et Élise, frère de Marthe et père de la « petite fille ». Fils, frère, père, les fils ne sont pas isolés et les liens familiaux essentiels. Nous le suivons ici de 1915 à 1951. Il connaît l’essentiel, les « signes que lancent l’herbe et le vent, l’arbre et l’oiseau ». Privé de son père par la guerre, il met en pratique le déchiffrement de la nature enseigné sans mots. Qu’est-ce qui se transmet et comment ? La parole n’est pas le seul vecteur et les lettres du père que la guerre oblige à « parler » changent la transmission établie sur la répétition des gestes que permet la proximité. Imitation silencieuse, gestes accomplis ensemble avant la guerre comme un rite qui fonde une relation (père/fils) mais aussi un enseignement efficace. Dans la remémoration des jours où fils et père se trouvaient ensemble, le lecteur s’approprie une communication tandis que Gabriel, qui ne sait pas écrire, observe sa sœur tracer des lettres sur le papier pour répondre à leur père. Puis vient une écriture trouée, des vers qui n’atteignent pas la phrase, pour évoquer ceux qui « avancent / piétinent / avancent », ce mouvement de conquête et repli – ce qui revient au même. Alors la narration, elle-même percée, progresse vers l’histoire remémorée de ceux qui furent, à travers leurs traces. Ici, le temps n’est pas un simple flux. Le texte épouse ce mouvement qui va, cette force qui hésite, la ligne est discontinue.

    On retrouve des mots presque oubliés (« la salle commune »), on revoit le visage ouvert et souriant de jeunes filles inconnues, sur les chromos, cartes postales anciennes, cela qui n’est rien – un trésor de mémoire. On imagine celle qui écrit, narratrice, poète, cherchant, dans ces traces dénichées, un fil. Et ce trésor, infime, l’écriture en est la matière, qu’il s’agisse des traces manuscrites ou des légendes courtes portées par les cartes illustrées, que Gabriel voudrait « EN COULEURS ». Les images révèlent aussi la vie à la caserne (fusil, godillots ou juste à côté, ironique portée, l’Arc de Triomphe de Paris). Succession d’instants, le quotidien d’« une religieuse en cornette », « une épouse », « des enfants réunis autour d’une mappemonde », l’absence du père est comblée par ce réseau d’images que les enfants voudraient traduire « en mots ». Genèse. Rituel de plume et d’encrier — buvard. Or les mêmes mots s’écriront, « carte très jolie… deux bons points… hâte de te voir ». Ici c’est déjà l’oubli que la poète retient, ici un livre s’écrit. Le livre avance, de prolepse en fil rompu du temps recousu (de 1915 à 1924), ce « fil des générations » qui couvre d’oubli le temps qu’on peut à peine entrevoir, ce fil rompu entre la vie paysanne, « sur une terre trop ingrate », et le destin de Gabriel qui la quitte. Dans le texte, la figure de la coupe rythme les pages, « le soir tu es rompu », écho de la faux, ou plus tard, en 1937, « [l]a rivière sépare les deux villages »… Comment réparer les trous du temps, lier la mémoire au texte et renouer le fil ? Un accident a blessé l’oncle cultivateur, « une roue de chariot lui est passée sur le corps, l’estropiant pour toujours ». Une des photographies, retrouvée par la narratrice, le montre « très droit, étrangement crispé », appuyé sur les deux femmes, épouse et belle-sœur, qui l’entourent. Perception des êtres en ce à quoi ils appartiennent : terre nourricière qui façonne les personnes, leur donnant un visage et l’âme de ce qu’ils sont, voués au travail, au sacrifice peut-être :

    « Qui est-il sans la chaleur de ses bœufs sous la paume, sans leur dialogue complice, attelés ensemble pour l’éternité ? »

    Oncle claudiquant, livré au manque, les prépositions privatives lui ôtent sa vocation, homme voué à creuser sillon pour retourner la terre, la rendre féconde et l’on retourne à la faux initiale, au fil rompu des herbes qui furent avant la coupe. On le dit fou, on le condamne, les femmes prient pour le garder du diable, elles toutes qui cherchent à le protéger. De lui-même, elles ne le pourront pas, il se pend. Le fil et la corde, en écho.

    Ainsi, le récit lacunaire avance : bond de quelques années et le futur simple pour évoquer ce qui se serait passé, autre trame ou la même, celle du fil noir de l’encre que la poète tisse, Pénélope de la mémoire elliptique retenant le temps, suggérée par plusieurs clichés retrouvés. Parfois les verbes d’action occupent le devant de la scène (« il fera… allumera… regardera… sortira… choisira »), prophétie à l’envers d’un temps passé troué, inventé. Gestes rituels :

    « Puis il sortira son couteau, et avec lenteur, circonspection, il choisira deux branches bien droites, qu’il coupera avec soin. »

    Penser au geste séculaire de la taille (branches de noisetier), fondre le geste individuel en ceux des autres : bâton de marche, appui, comme écrire se fonde sur la remémoration nécessaire et créative d’un passé que l’on ne peut que supposer. Les traces sont trop infimes pour être fidèles à chaque mouvement, mais la restitution existe et l’arbre ne vit pas sans racine. Entre la mère et le fils, Gabriel, le patois à mi-voix lorsqu’ils se retrouvent, pour partager ce qu’il est devenu : parti, pour un autre métier plus sûr. Ce dialecte du pays où les clochers sont en forme de bulbe ne sera plus parlé par les enfants partis près de Paris.




    Que reste-t-il de ceux qui nous précèdent lorsque la faucheuse, passée, a coupé tous les fils, lorsque les branches de l’arbre ont été sectionnées ? L’interrogation suscite également l’idée des destins alignés. La ligne pour Françoise Ascal est cruciale : ligne des combattants de guerre, lignée des descendants, nervures des feuilles, irriguées.

    Dans L’Évolution créatrice, Bergson montre que « comme l’univers dans son ensemble, comme chaque être conscient pris à part, l’organisme qui vit est chose qui dure. Son passé se prolonge tout entier dans son présent, y demeure actuel et agissant » 2. L’anthropologue anglais Tim Ingold prolonge la réflexion du philosophe en montrant que les arbres généalogiques rendent mal compte des lignées : chaque personne y est un point. Les lignes n’y sont que des connecteurs indiquant un lien : union (avec ou sans amour ?), filiation (avec ou sans amour ?). Alors que les vies ne sont pas des points mais des lignes, entrelacées, chacune partant d’une autre, en divergeant lors des séparations ou des éloignements, puis se rapprochant des mêmes ou d’autres. Le fil de la vie qui se transmet est aussi constitué d’histoires racontées, de gestes enseignés, d’habitudes, de regards. La transmission s’établit des parents aux enfants, mais souvent aussi des grands-parents aux petits-enfants. Tim Ingold évoque « la tresse de la vie » 3.

    Gabriel adolescent, poussé par sa mère qui rêve d’une vie autre que la sienne pour son fils, quitte la ferme pour faire des études et passer un brevet de technicien. Puis ce sera un emploi dans la banlieue parisienne, le mariage, un enfant. Divergence alors, éloignement, une vie.

    Jeux de points de vue déplacés, les cartes postales de Gabriel s’éteignent à l’hôpital de Besançon. Intercalées, elles forment un récit troué, obus tombés dans la mémoire dont le fil se noue pour révéler un passé qu’on suppose, les traces d’une fin de vie. Cette transposition s’apparente à l’appropriation, tentative pour lire et faire sien le destin des aïeux, leur trace menacée entre dans une préservation. Alors les fils (du trousseau) apparaissent encore, métaphore filée du destin : en 1926, Marthe brode sa robe de mariée, mariage « sans amour, mais sans aigreur », « [e]lle trace des arabesques, rehausse de satin la taille » et se souvient de celui qui partit – ne revint. « [V]isage pétrifié » : ôtée par la guerre, la promesse de l’amour a cédé. Les mots se succèdent (père et l’aimé secret), les soirs d’orage, les sauts dans le temps (1953), le basculement d’une génération à l’autre et le mot « zébrures », répété, dans le ciel d’orage ou parce que le cri et les gémissements des hommes, dans les tranchées, percent les âges comme le grondement du tonnerre. La terre rappelle qu’à elle on revient, « porteuse d’os et de fleurs », vie et mort mêlées, deux fils qui se joignent ou un seul promis à disparaître.

    Guerre et la veuve, guerre et le mari ou le fils ôtés, ce sont les enfants qui porteront « une poignée de champignons fraîchement cueillis. Ce sont les premières girolles que la chaleur de juillet mêlée aux brèves ondées ont fait jaillir en une nuit sous les sapins. »

    En bout de récit, un fil se coupe : Joseph mort à l’hôpital militaire, laissant un message humble où l’amour murmure la mort prochaine pressentie. La narratrice clôt ce récit en décrivant le cimetière qui semble oublié, où les tombes abîmées, la végétation se mêlent et emmêlent les noms, « [o]n finit par ne plus savoir ce que l’on cherche ». Des os exhumés apparaissent, morts remontés, terre retournée, fragments :

    « On marche sur d’anciens corps de femmes, d’hommes, d’enfants, on avance parmi des morts remontés de terre, affleurant sous sa croûte durcie. »

    « Trop de morts », ici, partout, dans la maison à l’abandon qui fut celle des vivants où trouver les cinq cartes postales et le « canif de fer-blanc » qui laisse passer les souvenirs, pour tapisser la mémoire. La faux revient, son ombre sur la fin, fil de l’oubli passé par le tranchant d’un objet intercesseur :

    « Coquillage au creux de l’oreille des vivants pour prolonger leur murmure. »

    Entre l’aube et le crépuscule – nul choix, la faux s’abat. Mais le cœur bat trop fort de tous ses morts au secret, même le fil dénoué d’une narration trouée les entend encore.

    Dans le livre déjà cité, Tim Ingold, à propos de la lecture au Moyen Âge, évoque le souvenir comme un cheminement : « La mémoire doit donc s’entendre comme un acte : on se souvient d’un texte en le lisant, d’un récit en le racontant et d’un voyage en le faisant. […] un texte, un récit ou un voyage est un trajet qu’on accomplit et non un objet qu’on découvre. Et même si chaque trajet couvre le même terrain, chaque déplacement est unique. » 4 Françoise Ascal nous entraîne dans son cheminement. Les lignes de son grand-père Joseph, traces de sa vie, permettent de faire venir à la mémoire les fils liés à cette vie. Et chaque lecteur est renvoyé à lui-même et à sa propre tresse de vie.

    Dix poèmes, à la fin du livre, pour Noir-racine et le sème de l’obscurité agglutine les deux textes, c’est l’ombre vouée de la frontière entre l’enfance et l’âge adulte qui force – point. L’odeur de fermentation des fruits guide ces pages, elle actionne un temps qui fait surgir les êtres dans l’ombre. Silence. Ne se délivre pas la mémoire, en terre, elle bat. Ne débute pas (ni début ni fin : tout déborde).

    Obscurité dans la ferme, la tenue de deuil, noir des secrets et des non-dits : ces générations qui précèdent et dont nous ne savons rien. Et puis le noir des disparitions à venir.

    Ce qui a si bien noué ces fils de sorte qu’ils puissent ici réapparaître, c’est la force de l’amour, celui d’Élise et Joseph. Jamais Élise n’a voulu se remarier malgré les sollicitations, et Joseph a continué de vivre en elle. Amour encore, celui de Marthe pour un jeune homme à peine connu et mort à la guerre, jamais oublié lui non plus. Enfin l’amour d’Élise pour son fils dont l’éloignement est un sacrifice et puis celui de la narratrice pour sa grand-mère…

    Lignes et traces se tressent en fil de broderie, sillons des labours, lignes d’écriture, fil de laine du tricot, lignes courbes tracées par la faux, chemin de mémoire allant de trace en trace, de vie en vie, vies mêlées et enchaînées.

    Pour ces derniers poèmes, une ligne encore, les mots, pour « les soulever, un à un, avec précaution, comme on lève les pierres au fond de la rivière pour voir apparaître ce qu’on ignorait ». L’écriture, alors, contre ce noir, juste pour regarder en face et franchir.


    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. Lignées, de Françoise Ascal, dessins de Gérard Titus-Carmel, éd. Æncrages & Co, 2012.
    2. Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Presses Universitaires de France, collection Quadrige, 1941, p. 15.
    3. Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Éditions Zone Sensible, 2013, p. 152. Traduction de Sophie Renaut. Voir en particulier son schéma très éclairant de la p. 154.
    4. op. cit. supra, p. 27.








    Marie Alloy détail 2
    « Entendez-vous parfois le bruit d’une faux ?
    Une vibration dans l’air,
    Un bruissement de graminées qui chutent

    Est-ce l’aube ?
    Est-ce le crépuscule ? »
    (p. 56)
    Source








    Noir-racine 2





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la page de l’éditeur consacrée à Noir racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Le Silence qui roule, le site de Marie Alloy




    ■ Autres notes de lecture (53) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Françoise Ascal | [Carnet, 2004]





    Transmigration des bleus
    Aquatinte numérique, G.AdC






    [CARNET, 2004]
    (extrait)




    Connaîtrai-je un moment de vraies « relevailles » (comme on dit d’une accouchée) ? ou bien désormais suis-je vouée à la descente — jusqu’au trou.

    Une émotion débordante : pas de mots. Et c’est justement cette absence de mots qui fait lever le désir — rayonnant — d’écrire.

    La nature : somptueusement indifférente. C’est cela qui m’apaise. « Je » n’est plus au/un centre. Il prend place dans un ensemble plus vaste, continûment vivant et renaissant, sans « états d’âme ». Jamais je ne projette sur la nature la moindre pensée anthropomorphique. La nature n’a pas souci d’envelopper l’humain, mais elle l’enveloppe de fait, dans une unité du vivant.

    Jamais encore il ne m’était arrivé de prendre mon stylo et de le trouver si desséché qu’il était impossible d’écrire. Vidé de son encre, inutilisé depuis trop longtemps. Cela m’a blessée comme un symbole.
    Suis devenue cette femme non irriguée par les eaux vitales. Recroquevillée sur ses petites souffrances, sur ses jambes raides, ses angoisses de mort, sa maladie, son inaptitude.

    Invité par B., j’ai réouvert ce cahier, tâchant de renouer le fil — sans jugement sur ce qui vient, juste pour retrouver la posture, l’accueil, le geste de la main.

    Gratitude pour ces moments « parfaits » : la lumière, les voix des trois petites filles de la maison voisine, un bref son de toux du vieux monsieur dans son potager, une scie au loin qui vrille la ligne d’horizon cachée, la dentelure d’une fougère à deux mètres de mon regard, le goût de ce petit cigare extrait de la boite bleu indigo, l’écho des paroles de A., hier, le baiser de B. déposé sur ma joue endormie, ce matin.

    Ne pas lâcher ce fil.
    Ne pas lâcher le bleu diffus des myosotis traversant les générations — père semant tes graines à larges poignées, vois ici se déployer la transmigration des bleus.

    Un oiseau est venu frapper la fenêtre en plein vol. Après quelques minutes d’égarement, il est reparti, haut vers le ciel, laissant sur la vitre une empreinte d’ailes largement déployées et quelques duvets minuscules.
    Un oiseau transparent, immatériel, m’accompagne en creux.
    Je le laisse s’ébattre en moi.
    Qu’il remue les mots emmurés dans mon corps.



    Françoise Ascal, Un bleu d’octobre, Carnets 2001-2012, Éditions Apogée, 2016, pp. 33-34-35.







    Unbleud'octobre





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Apogée)
    la fiche de l’éditeur sur Un bleu d’octobre
    → (sur La Pierre et le Sel)
    une note de lecture d’Isabelle Lévesque sur Un bleu d’octobre
    → (sur le site de la mél)
    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal





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  • Terres de femmes n° 136 ― mars 2016






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    du numéro du mois de mars 2016






    Tdf mars 2016



    Responsable de la rédaction : Angèle Paoli
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  • TdF n° 136 ― mars 2016 (Sommaire)



    Tdf mars 2016
    Image, G.AdC






    SOMMAIRE DU MOIS DE MARS 2016


    Terres de femmes ― N° du mois de février 2016
    Corinne Hoex, L’Été de la rainette (lecture de Philippe Leuckx)
    Antonia Pozzi, La Vie rêvée (lecture d’Angèle Paoli)
    Françoise Ascal | [Carnet, 2004]
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Alexandre Hollan | Arbres amis
    Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’Angèle Paoli)
    Sylvie Marot | Fragments
    Fernando Pessoa | [Hommes de barre !]
    Christian Marsan | [s’il a blessé mes ailes]
    Tal Nitzán | [La vérité et moi nous sommes colocataires]
    Anise Koltz | Ouverte
    Jean-Claude Caër, Alaska (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Sabine Huynh | [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots]
    Michel Leiris | Glossaire j’y serre mes gloses [P]
    Muriel Stuckel | [Sous la courbe de la phrase]
    Albertine Benedetto | Glottes
    Nimrod | [J’ai aimé ma mère]
    Jean-Claude Caër | Lectures sous le signe de l’ours
    Clara Regy | [après longtemps]
    Zingonia Zingone | [l’inattendu porte ton visage]
    Marlène Tissot | [La maison, froide et vide]
    John Taylor | [Vallée cachée sous le glacier]


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  • Antonia Pozzi, La Vie rêvée

    par Angèle Paoli

    Antonia Pozzi, La Vie rêvée,
    Journal de poésie 1929-1933,

    éditions Arfuyen,
    Collection Neige, volume 32, 2016.
    Traduit de l’italien par Thierry Gillybœuf.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Chant de ma nudité
    Ph., G.AdC





    UNE ÂME EN PROIE À L’APPEL DU NAUFRAGE




    Née le 13 février 1912, Antonia Pozzi est âgée de dix-sept ans lorsqu’elle se lance dans l’écriture de son Journal de poésie. C’est avec « La mascarade des pêcheurs », un tout petit poème très ramassé mais dense, écrit à Sorrente le 2 avril 1929, qu’elle donne sa tonalité à La Vie rêvée. La vie est déjà perçue, ce jour-là, comme une mascarade – envers du rêve. Éprise d’absolu et de pureté, torturée par le doute et par le sentiment exacerbé d’une « inanité convulsive », la jeune femme est confrontée très tôt à une inquiétude existentielle, à l’angoisse et au déchirement. Et ce, jusqu’à sa mort, onze ans plus tard. Antonia Pozzi choisit en effet de disparaître en mettant fin à ses jours. Le 2 décembre 1938.

    Le premier tome de La Vie rêvée couvre cinq années. De 1929 à 1933. Années adolescentes au cours desquelles la jeune fille écrit sa vie au fil des jours sous forme de poèmes. De manière régulière, presque quotidiennement durant l’année 1929, avec des ellipses plus importantes au cours des quatre années suivantes. Chaque poème, précisément daté, fait le plus souvent mention du lieu où il a été écrit. Milan, la ville natale d’Antonia Pozzi, étant le plus représentée. Mais aussi Pasturo, lieu privilégié des vacances familiales dans la Valsassina ; Santa Margherita, Silvaplana, Varese, Campiglio… Palermo, Kingston, Siracusa… Il arrive que le lieu d’écriture diffère du lieu évoqué par le poème. C’est le cas du poème « La petite gare de Torre Annunziata », sise aux pieds du Vésuve, poème sans doute écrit à Milan, au lendemain d’une escapade napolitaine, le 17 avril 1929.

    Tous ces points confortent le lecteur dans l’idée que l’ouvrage est bel et bien un « journal ». Quand bien même Eugenio Montale, dans un article rédigé en 1945, a refusé de voir dans cette œuvre un « journal de l’âme ». Montale proposant dans ce même article de lire le recueil comme un « livre de poésie », « témoignage des œuvres de notre temps ». Dans sa préface à La Vie rêvée, Thierry Gillyboeuf, traducteur de cette œuvre imposante, foisonnante et bouleversante, définit (subtilement) l’écriture d’Antonia Pozzi comme une « sorte de poésie diariste ». Se fondant, pour le choix de cette expression, sur le sous-titre — Diario di poesia — sous lequel l’éditeur Mondadori avait publié Parole en 1943.

    Certains poèmes ont un ou une dédicataire. Par exemple, les initiales L. B. sont celles de Lucia Bozzi, l’amie de cœur, la grande confidente d’Antonia Pozzi. Mais on trouve le plus souvent l’adresse Ad A.M.C. Ainsi le poème « Offrande à une tombe », dédié à Antonio Maria Cervi, professeur de latin-grec du lycée Manzoni. La tombe étant celle du frère de Cervi, tué pendant la Première Guerre mondiale. Fascinée par l’érudition de son professeur (de seize ans son aîné), par sa culture, par le raffinement de ses goûts, par sa passion à enseigner, la jeune fille tombe amoureuse. Avec le renoncement à cette idylle, contrariée par un veto paternel, prend fin « la vie rêvée », en 1933.

    « Oh ! pour t’avoir rêvée,

    ma chère vie,

    je bénis les jours qui restent —

    la branche morte de tous les jours qui restent,

    qui servent

    à te pleurer. »

    (25 septembre 1933)

    Quels que soient l’époque ou les lieux évoqués, une même ligne de force traverse le paysage mental d’Antonia Pozzi et l’ensemble du livre. La mort y est omniprésente. Elle se manifeste sous des formes ou métaphores diverses — « lierre noir », « chrysanthèmes », « cimetière » de rochers… — une mort que la jeune femme semble désirer. Ou, du moins, appelle de ses vœux.

    Ainsi dans « Alpage » :

    «… qu’il serait bon

    de se fracasser sur un rocher,

    et la mort serait

    vie lumineuse et certaine, à défaut d’esprit

    qui dit qu’ici Dieu n’est pas loin. »

    (Pasturo, 28 août 1929, p. 89)

    Le poème le plus impressionnant est sans nul doute « Chant sauvage », écrit un mois plus tôt. Il préfigure la mort réelle de la poète, non pas qu’il l’annonce mais parce qu’il en suggère par anticipation la trame. La poète, exaltée par la joie que lui a procurée son excursion en montagne, évoque la vision idéalisée de sa propre mort :

    « Au loin, dans un triangle de vert,

    le soleil s’attardait. J’aurais voulu

    bondir, d’un seul élan vers cette lumière ;

    m’allonger au soleil et me dénuder,

    pour que le dieu mourant s’abreuve

    de mon sang. Et puis rester, la nuit,

    étendue dans le pré, les veines vides :

    les étoiles — lapidant folles de rage

    ma chair desséchée, morte. »

    (Pasturo le 17 juillet 1929, p. 71)

    Antonia Pozzi mettra en scène sa mort le 2 décembre 1938, dans la belle nature de l’abbaye cistercienne de Chiaravalle où elle a coutume de se rendre. « Là elle avale plusieurs comprimés de barbituriques et s’allonge dans un pré voisin en attendant la mort. » (Préface de Thierry Gillybœuf ). Là, peut-être, pour la première fois, rêve et réalité se rejoignent-ils pour former un visage unique.

    Chez la jeune poète, la pensée de la mort s’accompagne de visions de pureté, de nudité, de virginité. Visions non dénuées d’érotisme, qu’elle synthétise dans les derniers vers de « Chant de ma nudité » :

    « Aujourd’hui, je me cambre nue, dans la pureté

    du bain blanc et je me cambrerai nue

    demain sur un lit, si quelqu’un

    me prend. Et un jour nue, seule,

    je serai étendue sur le dos sous un trop plein de terre,

    quand la mort aura appelé. »

    (Palerme, 20 juillet 1929, p. 77)

    La mort semble être l’aboutissement ultime et recherché de l’exaltation qui habite Antonia Pozzi. Exaltation liée à l’ascension. Réelle en montagne et requérant l’effort, l’ascension fait partie intégrante du rêve. Elle s’accentue à la tombée du jour avec le battement des cloches — « inexorables les cloches » — et culmine avec les images de mort.

    « Les cloches scandent pour moi le rythme

    d’une ascension ce soir.

    […]

    Mes pas ne quittent pas le rythme

    des cloches, ce soir :

    cloches aussi graves, pénibles et lentes

    que mon ascension.

    Soudain, au loin

    une cloche

    résonne plusieurs fois.

    Je suis au terme de mon ascension ;

    je me dépêche, j’arrive sur la cime la plus haute.

    Cela tonne. C’est la tempête sur les sommets.

    […]

    Au matin on nous retrouvera morts.

    Morts parmi les rhododendrons.

    Morts parmi les rochers

    aux visages des tombes.

    Morts par une nuit de tempête.

    Morts d’amour. »

    (Pasturo, 23 juillet 1930, pp. 103-105)

    Mourir d’aimer. Un rêve inatteignable pour Antonia Pozzi. Le plus souvent exalté par la solitude, par une mélancolie de l’âme que rien ne parvient à calmer, l’amour l’est aussi par un désir exacerbé qui transparaît dans les poèmes. Dans « Bénédiction », poème aux accents de prière et de sensualité, la poète confie à Lucia Bozzi la fièvre qui s’empare d’elle. Au point qu’il est difficile de savoir de qui parle vraiment Antonia Pozzi :

    « Tempe contre tempe

    se transfusent

    nos fièvres

    […]

    Loin,

    une grande voix d’eau

    éclate en paroles incomprises

    et te bénit peut-être,

    douce sœur,

    au nom de mon amour et de ta tristesse,

    toi, aile blanche

    de mon existence. »

    (Pasturo, 7 septembre 1929, p. 91)

    La fièvre qu’éprouve la jeune femme s’accompagne aussi d’images d’impureté qui viennent contrarier l’aspiration à la blancheur et à la légèreté de l’aile.

    Pour calmer les ardeurs de son âme incandescente et contradictoire, Antonia Pozzi échafaude un plan de fuite avec Antonio Maria Cervi. Ainsi évoque-t-elle dans « Fuite » les différentes étapes de ce plan, bâtissant au futur les gestes en partage avec son amant : « nous foulerons la couche molle/des aiguilles » ; « nous trébucherons/sur les racines »/« nous nous collerons/aux troncs » ; « et nous fuirons »…

    Le poème se clôt sur une distribution des rôles et sur l’aveu d’un rêve idyllique :

    « Et toi, tu seras

    dans la pinède, le soir, l’ombre penchée

    qui veille : et moi, rien que pour toi,

    sur la route douce et sans but,

    une âme accrochée à son amour ».

    (Madonna di Campiglio, 11 août 1929, p. 81)

    Ailleurs, dans le poème intitulé « Paix », antérieur de quelques jours, la poète invite son amant à jouir avec elle de la douceur et de la sérénité qu’elle veut lui offrir en partage.

    « Donne-moi la main : je sais combien ta main

    a souffert sous mes baisers. Donne-la-moi.

    Ce soir mes lèvres ne me brûlent pas.

    Marchons ainsi : la route est longue.

    […]

    Mais viens : marchons ; même l’inconnu

    ne m’effraie pas, si je puis être près de toi.

    Tu me rends bonne et blanche comme un enfant

    qui dit ses prières et s’endort. »

    (Carnisio, 3 juillet 1929)

    Chez Antonia Pozzi, la paix de l’âme est éphémère. Son esprit enfiévré veille, qui la met au bord de l’abîme. La folie guette, obsession liée au désir et à l’appel de la chair. Ainsi dans « Solitude », poème adressé à Antonio Maria Cervi, la poète énumère-t-elle une suite de désirs – « je voudrais attraper…/me ruer…/lutter…sombrer…/me replier…/dormir ». Et rejoint-elle, dans les derniers vers, une forme de délire pathologique :

    « J’ai les bras douloureux et alanguis

    par un désir inepte d’étreindre

    quelque chose de vivant, que je sens

    plus petit que moi […]

    Non : je suis seule. Seule je me pelotonne

    sur mon maigre corps. Je ne me rends pas compte

    qu’au lieu d’un visage endolori,

    j’embrasse comme une démente

    la peau tendue de mes genoux. »

    (Milan, 4 juin 1929)

    « Recopiés sur un cahier d’école », les « poémicules » (poesucciole) d’Antonia Pozzi portent la marque permanente d’une « âme » en proie à l’appel du naufrage. La tonalité souvent élégiaque de ses poèmes rend compte de la mélancolie qui habite la jeune femme. Mais le regard aigu qu’Antonia Pozzi porte sur elle-même et sur l’existence lui permet d’éviter l’écueil d’une spontanéité qui la conduirait inéluctablement vers un excès de lyrisme. Et même si des accents autres que les siens l’habitent par moments — les poètes Gozzano, Pascoli, Rilke, Dickinson… —, la voix qui sourd d’un poème à l’autre est légère et fluide, portée par une traduction qui l’est tout pareillement. La poésie d’Antonia Pozzi est riche de promesses auxquelles une mort précoce a mis un terme. Mais traverser la vie de la poète au rythme lent de la lecture du diario de La Vie rêvée est une aventure tendre et émouvante. Rendons hommage à Thierry Gillybœuf de s’être attelé à ce travail de tout premier ordre, et à Cécile de le lui avoir inspiré (Pour Cécile à qui ce livre doit tout). Qu’ils en soient l’un et l’autre chaleureusement remerciés.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Antonia Pozzi, La Vie rêvée





    ANTONIA POZZI


    Antonia Pozzi.5




    ■ Antonia Pozzi
    sur Terres de femmes

    Paura | Incantesimi



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la fiche de l’éditeur sur La Vie rêvée
    le site (en italien) consacré à Antonia Pozzi
    → (sur books.google.fr)
    Antonia Pozzi ou la nuit du cœur, par Hélène Leroy
    → (sur wikipedia.it)
    l’article (en italien) consacré à Antonia Pozzi
    → (sur Chroniques italiennes | Université de la Sorbonne nouvelle)
    Antonia Pozzi, une biographie intellectuelle, par Hélène Leroy
    → (sur Nel mondo di Krilu)
    une note sur Antonia Pozzi (+ de nombreuses photographies)
    → (sur YouTube)
    un court extrait du film-documentaire de Marina Spada présenté hors-concours au Festival de Venise 2009
    → (sur YouTube)
    un extrait du livre-CD Antonia Pozzi: …verso l’ultimo sogno di sole





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  • Corinne Hoex, L’Été de la rainette

    par Philippe Leuckx

    Corinne Hoex, L’Été de la rainette,
    Le Cormier, Bruxelles, 2016.



    Lecture de Philippe Leuckx



    [UN ÉTÉ 53]




    Sous la bannière épigraphique d’André Hardellet, ici convoqué pour une inventive recréation d’une définition de l’enfance (tirée de son répertoire : « clef rouillée que cachent les buis, celle qui forcerait toutes les serrures » in La Cité Montgol, Collection Poésie/Gallimard, 1998), la poète Corinne Hoex rameute celle, lointaine, qui a déjà marqué nombre de ses livres romanesques (Le Grand Menu, 2001 ; Ma robe n’est pas froissée, 2008). Faut-il la dire, cette enfance ? La taire ? La récrire ?

    La poète, au conditionnel présent, recrée un lieu, des usages (on coud ainsi beaucoup chez Pelote-Pénélope-Hoex) ; on a des sœurs en « tresses » et « l’enfant tend l’aiguille » de ses mots « à la lumière ».

    À cette époque-là (je vous parle « d’un temps que les moins de soixante-dix ans ne peuvent pas connaître » !), la table est essentielle : on n’a pas le droit de la quitter. Alors, on « joue » comme on peut : et si on disait que ce serait l’été ? Comme tout enfant qui sommeille dans le poète adulte, l’anaphore « Ce serait l’été » dévide la pelote des poèmes.

    Hoex brode bien sûr, dans tous les sens du terme (réinventer l’enfance, tramer la toile de ses textes etc.), coud, mots et mailles, et le dé – qui protège le doigt est « d’argent », « trop large » pour la gamine. « Vie cousue, décousue ». L’enfance, chez elle, ce sont « des voix sans corps ni visages ». Et, comme chez Hardellet, penchez-vous, lecteur, sur un puits et vous en recevrez, dit-il, toute la fraîcheur (!) au visage.

    L’enfance ? « Pâte de sommeil », méridiennes lourdes, temps enfoui, immobile, ENLISÉ.

    L’enfance ? « Mâche(r) le lait âcre de leurs tiges » de pissenlits « amers » !

    L’anaphore, bien sûr, de « Ce serait l’été » avec Irma qui prépare le poisson de famille, celui de l’oncle Armand, blagueur comme tout.

    Ce serait cette « rainette » qui, selon le même oncle, appelle à former un « vœu »…

    L’enfant de « sept ans » que l’on enjoint de « mieux écouter cette tourterelle »…

    Oui, un été 1953, un bel été ?



    Philippe Leuckx
    pour Terres de femmes
    D.R. Texte Philippe Leuckx






    Hoex-Rainette







    CORINNE HOEX


    Corinne Hoex
    Source




    ■ Corinne Hoex
    sur Terres de femmes

    Et surtout j’étais blonde (lecture de Philippe Leuckx)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Le Cormier)
    la fiche de l’éditeur sur L’Été de la rainette
    (sur espace livres & création)
    une fiche sur L’Été de la rainette





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  • TdF n° 136 ― mars 2016 (Sommaire)



    Tdf mars 2016
    Image, G.AdC






    SOMMAIRE DU MOIS DE MARS 2016


    Terres de femmes ― N° du mois de février 2016
    Corinne Hoex, L’Été de la rainette (lecture de Philippe Leuckx)
    Antonia Pozzi, La Vie rêvée (lecture d’Angèle Paoli)
    Françoise Ascal | [Carnet, 2004]
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Alexandre Hollan | Arbres amis
    Nicolas Pesquès, La Face nord de Juliau, treize à seize (lecture d’Angèle Paoli)
    Sylvie Marot | Fragments
    Fernando Pessoa | [Hommes de barre !]
    Christian Marsan | [s’il a blessé mes ailes]
    Tal Nitzán | [La vérité et moi nous sommes colocataires]
    Anise Koltz | Ouverte
    Jean-Claude Caër, Alaska (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Sabine Huynh | [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots]
    Michel Leiris | Glossaire j’y serre mes gloses [P]
    Muriel Stuckel | [Sous la courbe de la phrase]
    Albertine Benedetto | Glottes
    Nimrod | [J’ai aimé ma mère]
    Jean-Claude Caër | Lectures sous le signe de l’ours
    Clara Regy | [après longtemps]
    Zingonia Zingone | [l’inattendu porte ton visage]
    Marlène Tissot | [La maison, froide et vide]
    John Taylor | [Vallée cachée sous le glacier]


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