Terres de Femmes

Mois : juillet 2012


  • pas d’ici, pas d’ailleurs


    VIENT DE PARAÎTRE





    Pas d'ici pas d'ailleurs






    Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines


    Présentation et choix de Sabine Huynh, Andrée Lacelle, Angèle Paoli et Aurélie Tourniaire
    Préface de Déborah Heissler


    Une anthologie réalisée en partenariat avec Terres de femmes


    VIENT DE PARAÎTRE chez VOIX d’ENCRE


    Pour en savoir plus, cliquer ICI (site de l’éditeur)




    NOTE d’AP : l’ouvrage sera officiellement commercialisé en octobre prochain.
    Il est toutefois possible de le commander sur lelibraire.com à partir du site des éditions Voix d’encre.
    Les frais de port s’élèvent à 2€ pour toute commande inférieure à 32€.
    Gratuité des frais de port pour toute commande supérieure à 32€.






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  • Terres de femmes n° 92 ― sommaire du mois de juillet 2012



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    Image, G.AdC




    SOMMAIRE DU MOIS DE JUILLET 2012


    Terres de femmes ― N° du mois de juin 2012
    1er juillet 1804 | Naissance de George Sand
    Martine Cros | Burned in/out Anthologie poétique Terres de femmes (95)
    Amin Khan | [Il y a ce temps gagné]
    Claudine Bertrand | [Tu t’évertues à amalgamer]
    Françoise Clédat | [Disparition]
    Jean-Noël Pancrazi | D’une montagne à l’autre, une voix coule sous les mots (note de lecture d’Angèle Paoli)
    7 juillet 1807 | Signature du traité de Tilsit (extrait d’Une haine de Corse de Marie Ferranti)
    8 juillet 1593 | Naissance d’Artemisia Gentileschi
    James Sacré | Dans le format de la page
    Amin Khan | [Toi qui touches à la rive]
    11 juillet 2001 | Henri Deluy, Imprévisible passé
    Pierre Cendors | L’intime du large
    Luce Guilbaud | [il y a eu des pluies]
    14 juillet | Jacques Ancet, Comme si de rien
    Claudine Bertrand | [Mille serments sur l’oreiller]
    17 juillet | Enrique Vila-Matas, Bartleby et compagnie
    Bernard Mazo | Retour au silence
    19 juillet 1957 | Mort de Curzio Malaparte
    Sylvie Brès | [Territoires incertains]
    Joëlle Gardes, L’Eau tremblante des saisons (lecture de Françoise Donadieu)
    sous la peau comme une écharde (AP)
    Sylvana Perigot, 3 balles perdues (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Arnaut Daniel | Anc ieu non l’aic, mas ela m’a
    António Ramos Rosa | C’étaient des jours de clarté estivale
    26 juillet 1971 | Mort de Diane Arbus
    Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles
    Jean Métellus | Voix du passé
    Juillet 2009 | Xavier Dandoy de Casabianca, Cahier noir
    Bernard Noël | Sur le peu de corps, 18
    31 juillet 1784 | Mort de Denis Diderot
    Terres de femmes ― N° du mois d’août 2012

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  • 31 juillet 1784 | Mort de Denis Diderot

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 31 juillet 1784 meurt à Paris Denis Diderot. Son corps est inhumé le 1er août dans la chapelle de la Vierge de l’église Saint-Roch, dans le quartier Saint-Honoré à Paris.







    DIDEROT
    Image, G.AdC







        Dans ses Mémoires, Madame de Vandeul, la fille de Denis Diderot, raconte :

        « Il se mit à table, mangea une soupe, du mouton bouilli et de la chicorée. Il prit un abricot ; ma mère voulut l’empêcher de manger ce fruit. “Mais quel diable veux-tu que cela me fasse ?” Il le mangea, appuya son coude sur la table pour manger quelques cerises en compote, toussa légèrement. Ma mère lui fit une question ; comme il gardait le silence, elle leva la tête, le regarda : il n’était plus. »


        Très tôt fasciné par la diversité des choses et la dialectique qui naît des contradictions du monde, Diderot est engagé en 1746 par le libraire Le Breton comme traducteur-contrôleur de la Cyclopaedia de Chambers. La même année, en juin 1746, il publie sa première œuvre personnelle : les Pensées philosophiques sont condamnées le mois suivant par le Parlement de Paris. En juin 1747, le « misérable Diderot » est dénoncé au lieutenant de police Berryer par le lieutenant Perrault comme « homme très dangereux » et libertin. En octobre 1747, Diderot et D’Alembert prennent la direction de l’Encyclopédie. Parallèlement, Diderot rédige la Promenade du sceptique et Les Bijoux indiscrets.






    LES BIJOUX INDISCRETS



        Premier roman de Diderot, Les Bijoux indiscrets a d’abord paru en Hollande. Composé de cinquante-quatre chapitres, le roman fut rédigé en quinze jours. Ainsi en attestent les Mémoires de Madame de Vandeul qui confie aussi que son père avait besoin de cinquante louis pour couvrir les dépenses de sa maîtresse, Mme de Puisieux. Il s’agissait également pour Diderot de convaincre cette noble dame qu’il était tout à fait possible d’écrire un conte licencieux aussi excellemment que Crébillon fils, à condition de tenir « une idée plaisante, cheville de tout le reste. » C’est donc à la suite d’une dispute de société que l’on doit à Diderot d’avoir réalisé ce long roman qualifié de libertin mais qui se démarque néanmoins des codes du genre par le biais du pastiche. « L’idée plaisante », Diderot l’emprunte au fabliau Du Chevalier qui fist les cons parler, qui venait d’être adapté par le comte de Caylus (Charles de Caylus) sous le titre Nocrion, conte allobroge (ouvrage parfois attribué à François-Joachim de Pierre de Bernis et à Thomas-Simon Gueullette), Nocrion étant l’anagramme de « con noir ». Même si le sujet de l’ouvrage n’est pas très original, Les Bijoux indiscrets remporte immédiatement un très vif succès. Le roman est réédité plusieurs fois en l’espace de six mois, traduit en anglais en 1749, à nouveau réédité en 1756, 1772, 1786. Mais l’intérêt majeur du roman ― outre les « bigarrures » et chatoiements de son style, réside dans le fait qu’il contient en germe les thèmes et les idées philosophiques que l’auteur polygraphe ne tardera pas à développer dans la suite de son œuvre. Il faut cependant attendre 1798 pour que Les Bijoux indiscrets soit publié par Jacques-André Naigeon dans son intégralité. Il manquait en effet aux précédentes éditions les chapitres XVI, XVIII et XIX.
        Diderot, regrettant plus tard de s’être adonné à l’écriture de ce roman polyphonique ― qui « joue de toute la gamme de la fiction contemporaine » ―, le qualifia de « grande sottise ». Cependant, on y trouve nombre de scènes cocasses et les personnages présents qui y sont confrontés, sont aisément identifiables. La brillante société « congolaise » n’est autre que celle de Paris et derrière les noms exotiques de Mangogul et de Mirzoza se cachent le roi Louis XV et sa maîtresse, Madame de Pompadour, dont la liaison avec le roi était connue depuis 1745.




        Mangogul, sultan du Congo, s’ennuie. La présence de Mirzoza, sa favorite depuis si longtemps, ne lui est plus d’un grand secours. Pour le distraire, le génie Cucufa lui remet un anneau mystérieux à passer à son doigt en lui disant : « Toutes les femmes sur lesquelles vous en tournerez le chaton, raconteront leurs intrigues à voix haute, claire et intelligible : mais n’allez pas croire au moins que c’est par la bouche qu’elles parleront.
        ― Et par où donc, ventre saint-gris, s’écria Mangogul, parleront-elles donc ?
        ― Par la partie la plus franche qui soit en elles et la mieux instruite des choses que vous désirez savoir, dit Cucufa ; par leurs bijoux… »






    CHAPITRE DIX-NEUVIÈME


    De la figure des insulaires, et de la toilette des femmes, Extrait.


        « Un jour, au sortir de table, mon hôte se jeta sur un sofa où il ne tarda pas à s’endormir, et j’accompagnai les dames dans leur appartement. Après avoir traversé plusieurs pièces, nous entrâmes dans un cabinet, grand et bien éclairé, au milieu duquel il y avait un clavecin. Madame s’assit, promena ses doigts sur le clavier, les yeux attachés sur l’intérieur de la caisse, et dit d’un air satisfait : Je le crois d’accord ; et moi, je me disais tout bas : Je crois qu’elle rêve ; car je n’avais point entendu de son… “Madame est musicienne, et sans doute elle accompagne ? ― Non. ― Qu’est-ce donc que cet instrument ? ― Vous l’allez voir.” Puis, se tournant vers ses filles : “Sonnez, dit-elle à l’aînée, pour mes femmes.” Il en vint trois, auxquelles elle tint à peu près ce discours : “Mesdemoiselles, je suis très mécontente de vous. Il y a plus de six mois que ni mes filles ni moi n’avons été mises avec goût. Cependant vous me dépensez un argent immense. Je vous ai donné les meilleurs maîtres ; et il semble que vous n’avez pas encore les premiers principes de l’harmonie. Je veux aujourd’hui que ma fontange soit verte et or. Trouvez-moi le reste.” La plus jeune pressa les touches, et fit sortir un rayon blanc, un jaune un cramoisi, un vert, d’une main, et de l’autre, un bleu et un violet. “Ce n’est pas cela, dit la maîtresse d’un ton impatient ; adoucissez-moi ces nuances.” La femme de chambre toucha de nouveau, blanc, citron, turc, ponceau, couleur de rose, aurore et noir. “Encore pis ! dit la maîtresse. Cela est à excéder. Faites le dessus. ” La femme de chambre obéit ; et il en résulta : blanc, orangé, bleu pâle, couleur de chair, soufre et gris. La maîtresse s’écria : “On n’y saurait plus tenir. ― Si madame voulait faire attention, dit une des deux autres femmes, qu’avec son grand panier et ses petites mules… ― Mais oui, cela pourrait aller…” Ensuite la dame passa dans un arrière-cabinet pour s’habiller dans cette modulation. Cependant l’aînée de ses filles priait la suivante de lui jouer un ajustement de fantaisie, ajoutant : “Je suis priée d’un bal ; et je me voudrais leste, singulière et brillante. Je suis lasse des couleurs pleines. ― Rien n’est plus aisé”, dit la suivante ; et elle toucha gris-de-perle, avec un clair-obscur qui ne ressemblait à rien ; et dit : “Voyez, mademoiselle, comme cela fera bien avec votre coiffure de la Chine, votre mantelet de plumes de paon, votre jupon céladon et or, vos bas cannelle, et vos souliers de jais ; surtout si vous vous coiffez en brun, avec votre aigrette de rubis. ― Tu veux trop, ma chère, répliqua la jeune fille. Viens toi-même exécuter tes idées.” Le tour de la cadette arriva ; la suivante qui restait lui dit : “Votre grande sœur va au bal ; mais vous, n’allez-vous pas au temple ? ― Précisément ; et c’est par cette raison que je veux que tu me touches quelque chose de fort coquet. ― Eh bien ! répondit la suivante, prenez votre robe de gaze couleur de feu, et je vais chercher le reste de l’accompagnement. Je n’y suis pas…, m’y voici… non… c’est cela… oui, c’est cela… vous serez à ravir… Voyez, mademoiselle : jaune, vert, noir, couleur de feu, azur, blanc et bleu ; cela fera à merveille avec vos boucles d’oreilles de topaze de Bohême, une nuance de rouge, deux assassins, trois croissants et sept mouches…” Ensuite elles sortirent, en me faisant une profonde révérence. Seul, je me disais : Elles sont aussi folles ici que chez nous. Ce clavecin épargne bien de la peine. »

        Mirzoza, interrompant la lecture, dit au sultan : « Votre voyageur aurait bien dû nous apporter une ariette au moins d’ajustements notés, avec la basse chiffrée. » LE SULTAN : « C’est ce qu’il a fait. » MIRZOZA. « Et qui est-ce qui nous jouera cela ? » LE SULTAN : « Mais quelques uns des disciples du brame noir ; celui entre les mains duquel son instrument oculaire est resté. Mais en avez-vous assez ? » MIRZOZA : « Y en a-t-il encore beaucoup ? » LE SULTAN : « Non ; encore quelques pages, et vous en serez quitte… » MIRZOZA : « Lisez-les ».

        « J’en étais là, dit mon journal, lorsque la porte du cabinet où la mère était entrée, s’ouvrit, et m’offrit une figure si étrangement déguisée, que je ne la reconnus pas. Sa coiffure pyramidale et ses mules en échasses l’avaient agrandie d’un pied et demi ; elle avait avec cela une palatine blanche, un mantelet orange, une robe de velours ras bleu pâle, un jupon couleur de chair, des bas soufre, et des mules petit-gris ; mais ce qui me frappa surtout, ce fut un panier pentagone, à angles saillants et rentrants, dont chacun portait une toise de projection. Vous eussiez dit que c’était un donjon ambulant, flanqué de cinq bastions. L’une des filles parut ensuite. “Miséricorde, s’écria la mère ; qui est-ce qui vous a ajustée de la sorte ? Resterez-vous… ! vous me faites horreur. Si l’heure du bal n’était pas si proche, je vous ferais déshabiller. J’espère du moins que vous vous masquerez.” Puis, s’adressant à la cadette : « Pour cela, dit-elle, en la parcourant de la tête aux pieds, voilà qui est raisonnable et décent. » Cependant monsieur, qui avait aussi fait sa toilette après sa médianoche, se montra avec un chapeau couleur de feuille morte, sous lequel s’étendait une longue perruque en volutes, un habit de drap à double broche, avec des parements en carré longs, d’un pied et demi chacun ; cinq boutons par devant, quatre poches, mais point de plis ni de paniers ; une culotte et des bas chamois, des souliers de maroquin vert ; le tout tenant ensemble, et formant un pantalon. »

        Ici Mangogul s’arrêta et dit à Mirzoza, qui se tenait les côtés : « Ces insulaires vous paraissent fort ridicules… » Mirzoza, lui coupant la parole, ajouta : « Je vous dispense du reste ; pour cette fois, sultan, vous avez raison ; que ce soit, je vous prie, sans tirer à conséquence. Si vous vous avisez de devenir raisonnable, tout est perdu. Il est sûr que nous paraîtrions aussi bizarres à ces insulaires, qu’ils nous le paraissent ; et qu’en fait de modes, ce sont les fous qui donnent la loi aux sages, les courtisanes qui la donnent aux honnêtes femmes, et qu’on n’a rien de mieux à faire que de la suivre. Nous rions en voyant les portraits de nos aïeux, sans penser que nos neveux riront en voyant les nôtres… »


    Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets in Contes et romans, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 2004, pp. 60-61-62-63.





    DENIS DIDEROT


    Denis_diderot1
    Source



    ■ Denis Diderot
    sur Terres de femmes

    → (sur Terres de femmes)
    5 octobre 1713 | Naissance de Denis Diderot (+ notice sur La Religieuse de Diderot et extrait)
    14 octobre 1762 | Diderot, Lettre à Sophie Volland (+ Commentaire)
    9 septembre 1767 | Denis Diderot, Lettre à Sophie Volland
    4 février 1963 | Le Neveu de Rameau au théâtre de la Michodière (+ extrait du Neveu de Rameau)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    31 mars 1966 | Interdiction du film La Religieuse de Jacques Rivette (notice + extrait de La Religieuse de Diderot)
    → (sur Terres de femmes)
    29 septembre 1981 | Création de Jacques et son maître de Milan Kundera
    → (sur Terres de femmes)
    31 août 1811 | Mort de Louis-Antoine de Bougainville





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  • Bernard Noël | Sur le peu de corps, 18



    Son beau silence noir
    Ph., G.AdC






    SUR LE PEU DE CORPS , 18



    entre les os
    gîtent les vieilles ombres


    elles étaient là
    bien avant je


    nous partageons la place
    pendant que mûrit
    le passé


    son beau silence noir


    l’ici là-bas
    qu’en chacun creuse
    l’inconnu


    la forme
    que souffle
    du cœur aux lèvres
    notre propre disparition


    un fouet de froid




    Bernard Noël, Les États du corps, III, « Sur le peu de corps », 18, in Extraits du corps, Éditions Gallimard, Collection Poésie, page 306.





    BERNARD NOËL


    Bernardnoël02
    Ph. © Steve Seiler
    Source





    ■ Bernard Noël
    sur Terres de femmes


    19 novembre 1930 | Naissance de Bernard Noël
    la paume caressant un souffle
    L’Encre et l’Eau
    La Langue d’Anna
    Fenêtres fougère (extrait de Sur un pli du temps)
    [le temps ne sait rien]
    TOI est le nom sans néant
    Viens dis-tu
    19 octobre 1977 | André Pieyre de Mandiargues | Bernard Noël
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    Édith Azam | Bernard Noël, Retours de langue (lecture d’AP)
    Mohammed Bennis | Bernard





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  • Juillet 2009 | Xavier Dandoy de Casabianca, Cahier noir

    Éphéméride culturelle à rebours


    CAHIER NOIR




    Juillet 2009
    Soudain la vie commence,,, telle que je l’espérais. Ma sœur, la Surelluccia, a quitté la maison avec mes neveux. Pendant quelques jours je ne faisais que la cuisine, la vaisselle, le linge et la garde des enfants. À peine possible de travailler la peinture, l’écriture, la lecture de manuscrits. Ma petite sœur a dit : « Mais là, tu… ne travailles pas ? »


    Enfin j’ai installé un ordinateur dans la chambre de mon père. Enfin cela commence.


    Il m’est possible maintenant d’avoir le champ libre. Je peux me lever à 11 heures – ce qui est très tard ici, tellement nous sommes à l’Est, ― me promener, être nu. Le mieux pour sentir son corps.
    Je chamanise. C’est mon activité préférée.


    Mon ego est comme une pirogue à balancier, dont le balancier serait une belle connerie. Sans connerie, pas d’équilibre. Elle est ce qui m’aide à garder le cap et mon calme. Impossible d’être parfait. À ce titre, noter que :
    J’ai maintenant une voiture neuve, blanche comme une colombe ou bien est-ce comme un uniforme d’infirmier ? Une voiture neuve… pour la première fois de ma vie.


    Une nouvelle carte bleue toute dorée, avec marqué dessus : « Premier ». Avà.


    Je pense chaque jour à la mort, comme si j’avais 99 ans.
    J’écris déjà mes dernières volontés :
    Je veux que le chauffeur de mon corbillard soit une jeune femme qui n’a pas son permis de conduire ;
    Je veux que le trajet soit long, qu’elle conduise pour la première fois, pucelle de la route,, que le moteur cale et secoue mon corps inerte. Je veux sentir ;;
    Je veux être enterré dans la concession n°21 au cimetière de Saint-Antoine ;;; sur les hauteurs de Casabianca.


    En vacances en Turquie alors que je venais d’obtenir mon baccalauréat, je fus déçu de voir combien tel ou tel homme faisait des gestes obscènes dans le dos de jolies blondes venues d’Europe du nord. Ces gestes me disaient :


    Mais enfin, ne te rends-tu pas compte que tu as la chance de pouvoir fourrer (là, l’index pénètre fort le poing serré de l’autre main) une blonde, une belle, une riche ? Qu’attends-tu ? Par pitié attaque-les, idiot !


    Au fur et à mesure, j’ai compris que même se marier avec une Turque c’est très difficile quand on est pauvre. Alors une riche et blonde suédoise, c’est l’inaccessible.


    Voici à quoi ressemble ma nouvelle vie :: un chien qui hurle lorsque l’Angélus de midi sonne.


    Rester en pyjama toute la journée / ne pas prendre de douche / ne pas se laver les dents / ne pas manger à heure fixe / ne manger que des gâteaux / ne plus savoir l’heure.


    Avoir quitté mes trente-trois mètres carrés. Dans cet espace je devenais fou : j’étais obligé de marcher une heure, au minimum, chaque jour, dans ma capitale bien-aimée.




    Xavier Dandoy de Casabianca, Quai Tino Rossi, Colonna Édition, Collection Poésie, 20167 Alata, 2012, pp. 12-13-14.






    Xavier Dandoy de Casabianca, Quai Tino Rossi




    XAVIER DANDOY DE CASABIANCA


    Xavier Dandoy de Casabianca denim
    Source




    ■ Xavier Dandoy de Casabianca
    sur Terres de femmes


    Noms prénom (lecture de Bernadette Engel-Roux)




    ■ Voir aussi ▼


    le site des éditions Éoliennes (la maison d’édition de Xavier Dandoy de Casabianca)





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  • Jean Métellus | Voix du passé



    Couleur prune ou importune
    Source






    VOIX DU PASSÉ



    Plus ne me suffit ma voix
    Ni dans le rêve
    Ni dans la vie
    D’autres voix s’imposent
    D’autres paroles marronnes sonnent
    Sonnent pour affirmer l’éternité
    Où tremble la solitude


    Couleur prune ou importune
    Dans la nuit
    Sur des lettres décolorées
    Sur des mots nus et des sons éclatés
    Aux liquides rares et discrètes
    Sur un tambour sans prétention
    Aux allures militaires
    Traitant les notes allègrement
    S’en va la voix, s’efface le crayon
    Ne reste plus que l’imprononçable
    Voix témoin de l’aventure d’un peuple
    D’une pensée prune ou importune
    D’une pensée fantôme
    D’une pensée d’homme




    Jean Métellus in « Dossier Jean Métellus », revue Phœnix, cahiers littéraires internationaux, juin 2012 ― n° 6, page 16.





    NOTE d’AP : la deuxième livraison des cahiers littéraires internationaux Phœnix (juin 2012 – n° 6) s’articule autour d’un dossier consacré à Jean Métellus. L’élaboration de ce dossier a été confiée à Jeanine Baude : celui-ci comprend notamment une introduction à la poétique de Jean Métellus : « Braises de la mémoire » et un entretien avec Jean Métellus (outre des articles de Claude Mouchard, de Ginette Adamson, de Patrizia Oppici, de Joëlle Gardes et d’Haun Sassy, et une « Lettre à Jean Métellus » de Bruno Doucey).





    JEAN MÉTELLUS


    Jean Métellus
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Jean Métellus
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Jean Métellus





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  • Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles



    Je rentre dans Ithaque
    Ph., G.AdC






    ULYSSE AU SEUIL DES ÎLES (extraits)




         J’avance à mains nues parmi les mots. Écrire : nager, lutter avec la vague, charnellement, à tout corps. Les tirer (les mots), bras levés et les paumes en crochet, ― qu’ils reflètent ― du ciel, allongé (ciel ou moi) dans la mer l’algue et la méduse dépourvue de sang, chapelet de brûlures : des astres plein le derme, j’y lis des galaxies, mon archipel, caraïbe à paroles.




    […]




         Toute mer s’en retourne aux la(r)mes, vient quelque jour bivouaquer sous les paupières avec le sel corrodeur de syllabes, mangeur de terre, et qui ne laisse en bouche, de l’insula de Virgile, que l’île démaillée par les vagues. Le sable des anses, on le croirait nourri du seul deuil des coquillages et des roches : c’est aussi concours de paroles mortes, consonnes vidées de leurs voyelles comme test d’oursin délesté de sa laitance. Que peut d’autre chanter l’île que ce thrène de fracture, l’écorchure consentie des heures telles reptile apocopant ― pour fuir et survivre à son bris ― une partie de sa membrure ?




    […]




    Ulysse parle :


         « Trouverai-je ailleurs plus ample afflux de mots pour dire l’éternellement pareil du monde, les chemins dans la vague, et l’île où faire escale et dessaler cuir et cœur dans l’eau douce inconstante ? Et en quel lointain ferai-je plus riche cueillette de parole que dans cette abondance toute proche, où il n’est que de tendre la bouche pour boire à l’outre des syllabes, mordre la chair du verbe ? Ma langue natale est ma nourrice et mon porcher, mon lait bourru et mon carré de viande (et le soupir des graisses quand elles s’égouttent sur la braise !) : je rentre dans Ithaque, et c’est ma langue que je rallie, flairant le fumet des phrases d’antan, et l’onde la plus douce et la moins éphémère


         Est celle qui garde souvenir, dans les larmes d’une vieille femme, de la blessure de mon enfance. »



    Lionel-Édouard Martin, Ulysse au seuil des îles, Ibis Rouge Éditions, Matoury (Guyane), 2004, pp. 12 ; 29 ; 41.




    NOTE d’AP : Ulysse au seuil des îles a obtenu le Prix « Poésie » de la 7e édition du Prix du Livre Insulaire (Ouessant 2005).





    LIONEL-ÉDOUARD MARTIN


    Lionel-Édouard Martin
    Source



    ■ Lionel-Édouard Martin
    sur Terres de femmes

    Le flamboyant (texte extrait d’Avènement des ponts)
    Froufrou des voiles (texte extrait de Litanie des bulles)
    La Vieille au buisson de roses (note de lecture d’AP)
    Martinique (extraits)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site De Litteris)
    une note de lecture sur Ulysse au seuil des îles
    → (dans la bibliothèque insulaire virtuelle du site Vers les îles)
    une fiche sur Ulysse au seuil des îles
    → (sur enjambées fauves)
    un autre extrait d’Ulysse au seuil des îles
    → (sur le site de Marc Villemain)
    un entretien de Lionel-Édouard Martin avec Marc Villemain (paru dans Le Magazine des Livres n° 34, février/avril 2012)
    → (sur Exigence : Littérature)
    une bibliographie de Lionel-Édouard Martin
    le blog de Lionel-Édouard Martin
    le site des éditions Ibis Rouge





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  • 26 juillet 1971 | Mort de Diane Arbus

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 26 juillet 1971 meurt dans son appartement de Greenwich Village à New York la photographe Diane Arbus. Elle est retrouvée morte deux jours plus tard par le peintre et graphiste Marvin Israel. Dépressive, Diane Arbus s’est donné la mort en avalant des barbituriques et en se tailladant les veines.







    Stephen Frank Diane Arbus
    Stephen Frank, Diane Arbus
    pendant un cours à la Rhode Island School of Design,
    1970
    Source







    DIANE ARBUS SELON SUSAN SONTAG



         Les deux années importantes de l’œuvre d’Arbus coïncident avec les années soixante et en sont très caractéristiques : ce sont les années où les phénomènes sont devenus chose publique et, pour l’art, un sujet accepté, une sorte de lieu commun. Un sujet traité sur un mode angoissé dans les années trente, comme dans Miss Lonely-hearts et The Day of the Locust (L’Incendie de Los Angeles), serait traité sans un froncement de sourcils, voire avec une véritable délectation, dans les années soixante (dans les films de Fellini, Arrabal, Jodorowsky, dans les bandes dessinées underground, dans les spectacles rock). […]


         Qui aurait su apprécier la vérité de ces marginaux mieux qu’Arbus qui, de son métier, était photographe de mode, concourant donc à fabriquer le fard mensonger qui masque les inégalités incontournables de la naissance, de la classe sociale et de l’apparence physique ? Mais à l’inverse de Wahrol, qui fut dessinateur publicitaire pendant plusieurs années, Arbus ne construisit pas son œuvre sur la promotion et la parodie d’esthétique de séduction à laquelle elle avait été formée : elle lui tourna complètement le dos. L’œuvre d’Arbus est en réaction : réaction contre le bon ton, réaction contre ce qui a reçu l’agrément général. C’était sa façon de dire merde à Vogue, merde à la mode, merde à ce qui est joli. Ce défi prend deux formes qui ne sont pas totalement compatibles. L’une est une révolte contre l’hypertrophie de la sensibilité morale juive. L’autre révolte, elle aussi imprégnée de moralisme, se porte contre le monde de la réussite. Le moraliste propose, de façon subversive, la définition de la vie comme échec, pour servir d’antidote à la vie comme réussite. L’esthète, dans une subversion que les années soixante allaient s’approprier comme une de leurs caractéristiques, propose la définition de la vie comme parade monstrueuse pour servir d’antidote à la vie comme ennui.


         L’essentiel de l’œuvre d’Arbus se situe à l’intérieur de l’esthétique warholienne, c’est-à-dire qu’elle se définit par relation au couple jumeau ennui-monstruosité ; mais elle n’a pas le style de Warhol. Elle n’avait ni son narcissisme et son génie de la publicité, ni l’attitude de neutralité qu’il adopte pour s’isoler du monstrueux, ni son sentimentalisme. Il est peu probable que Warhol, issu d’une famille ouvrière, ait jamais rien ressenti de l’attitude ambivalente à l’égard de la réussite dont étaient affligés les enfants de la bourgeoisie juive dans les années soixante. Pour quelqu’un qui a été élevé dans le catholicisme, comme Warhol et la quasi-totalité des membres de sa bande, la fascination du mal est une attitude bien plus authentique que pour qui vient d’un milieu juif. Comparée à lui, Arbus paraît extraordinairement vulnérable, innocente, ― et certainement plus pessimiste. Sa vision dantesque de la ville (et de la banlieue) est sans recours ironique. Bien que le matériau d’Arbus soit dans une grande mesure identique à celui que dépeint, par exemple, Chelsea girls de Warhol (1966), ses photos ne jouent jamais avec l’horreur pour en tirer des rires ; elles n’offrent pas d’ouverture à la moquerie, ni de possibilité de s’attendrir sur les marginaux comme c’est le cas dans les films de Warhol et Paul Morrissey. Pour Arbus, les marginaux et les Américains moyens étaient aussi exotiques les uns que les autres : un garçon défilant dans une manifestation belliciste et une ménagère de Levittown appartient à un monde aussi étranger qu’un nain ou un travesti ; une banlieue petite-bourgeoise était aussi lointaine que Times Square, les asiles d’aliénés et les bars homosexuels. L’œuvre d’Arbus exprimait son opposition à tout ce qu’elle éprouvait comme public, à tout ce qui était conventionnel, sûr, rassurant… et ennuyeux, et son attrait pour ce qui était privé, caché, laid, dangereux et fascinant. Ces contrastes, aujourd’hui, ont quelque chose de vieillot. L’imagerie collective n’est plus monopolisée par la sécurité. Le monstrueux n’est plus un domaine réservé, difficile d’accès. C’est tous les jours qu’on voit dans les kiosques à journaux, à la télévision, dans le métro, des êtres bizarres, des réprouvés sexuels, des gens apathiques. L’homme de Hobbes court les rues, au vu de tous, des paillettes dans les cheveux.


    Susan Sontag, Sur la photographie, Christian Bourgois Éditeur, Collection « Choix-Essais », 2000, pp. 61-62-63-64. Traduit de l’anglais par Philippe Blanchard en collaboration avec l’auteur.





    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur diane-arbus-photography.com)
    The Photography of Diane Arbus
    → (sur YouTube)
    Masters of photography – Diane Arbus (documentary, 1972)
    → (sur Terres de femmes)
    29 avril 1909 | 13e Salon international de la photographie à Paris (d’autres extraits de Sur la photographie de Susan Sontag)





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  • António Ramos Rosa | C’étaient des jours de clarté estivale



    Les voici les instruments des sens qui ne rêvent pas
    Ph., G.AdC






    C’ÉTAIENT DES JOURS DE CLARTÉ ESTIVALE



    C’étaient des jours de clarté estivale Il y avait
    la fougue de la lumière et de la chaleur et une concave
    densité Les arabesques tombaient des murs
    Il n’y avait que l’espace l’ivre lucidité
    du feu le sang dans les arbres violents
    Nous étions sur le versant aride et fulgurant de la chaleur
    Jamais substance ne fut si aveuglante et si épaisse
    De la mer émergeaient des corps très ardents
    Ils se consumaient dans la fraîcheur et la clarté
    Qui pourra inventer des images si pures
    qu’on les croirait imaginées par la brise légère ?
    Ô torrent de la réalité sans chimères !
    Les voici les instruments des sens qui ne rêvent pas
    qui captent les images luisantes et nues
    et révèlent les formes gracieuses et subtiles
    Nous sommes sur la crête de l’été et au sein de la joie
    qui découvre en elle le corps tout entier




    António Ramos Rosa, Le Livre de l’ignorance, Éditions Lettres Vives, Collection Terre de poésie, 1991, page 69. Traduit du portugais par Michel Chandeigne. Préface de Robert Bréchon.





    ANTÓNIO RAMOS ROSA


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    ■ António Ramos Rosa
    sur Terres de femmes

    [Il y a une terre qui halète dans la gorge] (poème extrait du Cycle du cheval)
    Parfois chaque objet s’éclaire (poème extrait du Livre de l’ignorance)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Lettres vives)
    « António Ramos Rosa, l’Ermite de Lisbonne », par Michel Camus
    → (sur Poetry International Web)
    une bio-bibliographie d’António Ramos Rosa
    → (sur le site de la revue Prétexte Éditeur)
    « L’éloge de l’ignorance», par Chantal Colomb
    → (sur Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    deux poèmes d’António Ramos Rosa





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  • Arnaut Daniel | Anc ieu non l’aic, mas ela m’a



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    ANC IEU NON L’AIC, MAS ELA M’A




    Anc ieu non l’aic, mas ela m’a
    Totz temps en son poder Amors
    E fai’m irat, lèt, savi, fòl,
    Com celui qu’en re no’s torna ;
    Qu’om no’s defend qui ben ama ;
              Qu’amors comanda
         Qu’òm la sèrv’ e la blanda,
              Per qu’ieu n’atend
                   Sofrent,
              Bona partida
         Quand m’èr escarida.


    S’ieu dic pauc, ins el còr m’està
    Qu’estar mi fa tement paors ;
    La lenga’s fenh, mas lo còrs vòl
    Çò dont dolens si sojorna ;
    Qu’el languís mas non se’n clama,
              Qu’en tant a randa
         Com mars tèrra garanda
              Non a tan gent
                   Present
              Com la chausida
         Qu’ieu ai encobida.


    Tant sai son prètz fin e certà
    Per qu’ieu no’m puòsc virar alhors :
    Per çò fatz ieu que’l còrs me’n dòl,
    Que quand sols claus ni sojorna
    Eu non aus dir qui m’aflama ;
              Lo còrs m’abranda
         E’lh uòlh n’an la vïanda,
              Car solament
                   Vesent
              M’estai aisida :
         Ve’us que’m ten a vida !


    Fòls es qui per parlar en va
    Quièr com sos jòis sia dolors !
    Car lauszengier cui Dieus afòl,
    Non an ges lenguet’ adorna ;
    L’us conselh’e l’autre brama
              Per que’s desmanda
         Amors tals fora granda.
              Mas ieu’m defend
                   Fenhent
              De lor brugida
         E am sens falhida.


    Pero gausent mi ten e plan
    Ab un plaser de que m’a sòrz,
    Mas mi non passarà ja’l còl
    Per paor qui’lh no’m fos morna,
    Qu’enquèra’m sent de la flama
              D’Amor qui’m manda
         Que mon còr non espanda ;
              Si fatz sovent
                   Tement,
              Puòis vei per crida
         Maint’amor delida.


    Maint bon, chantar levet e plan
    N’agr’ieu plus fait, si’m fes socors
    Cela que’m da jòi e’l me tòl ;
    Qu’èr sui lètz, èr m’o trastorna ;
    Car a son vòl me lïama.
              Ren no’lh desmanda
         Mos còrs, ni no’l fai ganda,
              Ans franchament
                   Li’m rend :
              Doncs, si m’oblida,
         Mercés es perida.


              Mielhs-de-Ben rend,
                   Si’t prend,
              Chançós, grasida,
              Qu’Arnautz non oblida.







    JE NE L’EUS JAMAIS MAIS LUI M’A !




    Je ne l’eus jamais mais lui m’a !
    Amour, toujours à son pouvoir,
    Me rend triste, gai, sage et fou
    Comme quelqu’un qui tout accepte,
    Car mal se défend qui aime ;
              Amour commande
         Qu’on le serve et le flatte
              Ainsi j’attends,
                   Souffrant,
              Le beau destin
         Quand il m’écherra.


    Je dis peu ce que j’ai au cœur
    Car la peur rend tout craintif ;
    La langue feint, mais le cœur veut
    Ce dont il jouit en souffrant ;
    Mais ne s’en plaint nullement
              Dans tout l’espace
         Dont la mer ceint la terre
              Il n’est si beau
                   Présent
              Que mon élue
         Que j’ai désirée.


    Je sais qu’est si sûr son mérite
    Que je ne puis en voir une autre ;
    Et tant fais que mon cœur a mal,
    Car du levant jusqu’au couchant
    Je n’ose dire ma flamme
              Le cœur me brûle
         Mais les yeux ont leur dû,
              Car seulement
                   La voir
              M’est concédé
         Et me tient en vie.


    Fou est qui peut parler en vain
    Veut que sa joie soit sa douleur !
    Car les fâcheux que Dieu maudisse
    N’ont pas la langue si ornée :
    L’un conseille et l’autre brame
              Et se renie
         Amour pour grand qu’il soit,
              Mais je proteste
                   Et feins
              De les entendre
         Et j’aime sans faute.


    Elle me tient joyeux et sain
    Par la grâce qu’elle m’accorde
    Et qui ne me sort pas du cœur
    Tant je crains qu’elle soit fâchée.
    Je sens encore la flamme
              Mais l’amour mande
         De ne pas me trahir :
              Ce que je fais
                   Craignant
              Que par rumeurs
         Maint amour ne se brise


    D’autres chants légers et faciles
    J’aurais faits si m’eût secouru
    Celle qui donne peine et joie ;
    Quand je suis gai elle m’attriste
    Et suis à son bon-vouloir
              Rien ne demande
         Ce cœur qui ne la trompe,
              Et franchement
                   Se rend :
              Donc, si m’oublie,
         Merci est perdue.


              Que bien t’accueille
                   Chanson,
              Mon Mieux-que-bien,
              Arnaut lui n’oublie.




    Arnaut Daniel, Fin’amor et folie du verbe, édition bilingue occitan-français, éditions fédérop, Collection “Troubadours”, 2012, pp. 60-65. Introduction et traduction de Pierre Bec.







    Arnaut Daniel





    ■ Arnaut Daniel
    sur Terres de femmes

    Ongle et oncle d’Arnaut Daniel (sextine)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions fédérop)
    une page sur Arnaut Daniel (+ une autre sur Fin’amor et folie du verbe)





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