Terres de Femmes

Mois : septembre 2011


  • TdF n° 82 ― septembre 2011


    LOGO TDF SEPT 2011 (1)
    Image, G.AdC




    SOMMAIRE DU MOIS DE SEPTEMBRE 2011


    Terres de femmes ― N° du mois d’août 2011
    1er septembre 1900 | Naissance d’André Dhôtel
    Erich Fried | Une sorte de poème d’amour
    Aimé Césaire | Investiture
    Emmanuelle Le Cam | Le sourire des rois
    5 septembre 1774 | Naissance de Caspar David Friedrich
    Malcolm Lowry | Reading Don Quixote
    Max Jacob | Torticolitalie
    8 septembre 1898 | Lettre de Pierre Louÿs à Georges Louis
    9 septembre 1569 | Mort de Peter Bruegel
    Ida Vitale | La palabra infinito
    Edmond Jabès | La soif de la mer
    12 septembre 1966 | Giuseppe Ungaretti, Dialogo
    Luis Antonio de Villena | El durmiente
    Pierre Dhainaut | Horizons, fontanelles…
    Jaroslav Seifert | Korálové náušnice
    Jean-Claude Izzo | Soif d’avoir soif
    17 septembre 1883 | Naissance de William Carlos Williams
    Milo De Angelis | Era buio
    Marilyse Leroux | [Tu ouvres une brèche] Anthologie poétique Terres de femmes (87)
    20 septembre 1519 | Départ du premier voyage de circumnavigation | Stefan Zweig, Magellan
    Constance Chlore | Pierre étincelante
    22 septembre 1988 | Thomas Bernhard, Maîtres anciens
    Jeanne de Petriconi | « Pour inventaire » à la galerie Una Volta (article d’Angèle Paoli)
    Rosalind Brackenbury | Artists in studios
    Bernard Mazo | Les rêves calcinés
    Amina Saïd, Les Saisons d’Aden (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    Jean-Georges Lossier, Le Long Voyage
    Terres de femmes ― N° du mois d’octobre 2011

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  • Jean-Georges Lossier, Le Long Voyage



    - travers le grand sommeil
    Ph., G.AdC







    LE LONG VOYAGE
    (extrait)



    J’aurai vécu comme vous tous
    Dans l’usure des choses
    Mais à force d’attendre


    Ma journée tombera
    Sa fatigue éteindra les lampes
    Au fond d’une chambre calme.


    Je marcherai alors plus loin que la mémoire
    Vous m’entendrez à peine
    À travers le grand sommeil


    Nourri des songes de la terre.
    Des morceaux d’air entassés brûleront
    Sous le souffle éternel.




    Jean-Georges Lossier, Le Long Voyage, L’Âge d’Homme, Lausanne, 1979 in Poésie complète, 1939-1994, Éditions Empreintes, Poche Poésie, Lausanne, 1995, page 187.





    JEAN-GEORGES LOSSIER


    Lossier
    Source



    ■ Jean-Georges Lossier
    sur Terres de femmes

    Le retour



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le Cultur@ctif Suisse)
    plusieurs pages sur Jean-Georges Lossier (dont un entretien de Jean-Georges Lossier avec Pierre Lepori)



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  • Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison

    Éphéméride culturelle à rebours






    La graine de l--me
    Image, G.AdC







    SEPTEMBRE 1981




    Le soleil du matin sur les pierres, le bois usé par le temps, une douceur difficilement exprimable — d’autant que l’air est presque immobile, le mouvement des feuillages silencieux — comme d’un enfant qui bouge la main en rêve. Les fleurs du laurier-rose toujours fleuries, depuis des semaines — si mystérieuses pour peu qu’on y pense. Pourquoi a-t-il fallu qu’il y ait des fleurs — des couleurs ? Leur rose — sans pareil : une fraîcheur. Ou comme quand les enfants portent des lanternes éclairées, pour des fêtes. Lanternes en plein jour. Mais aussi efflorescences de la terre, métamorphose, la monnaie, la petite monnaie des graines. La force qu’elles recèlent, qui fait qu’elles se brisent, laissent pousser hors d’elles une tige fragile, etc.

    La graine de l’âme ? Nous dans le corps maternel.

    Fleurs pour passer le fleuve des enfers, graines ou oboles.

    L’esprit voudrait s’en servir comme de lanterne celui qui conduit une barque sur des rivières, la nuit.

    « Vous êtes embarqués… »

    Comme celui qui allume une lanterne à l’avant de sa barque s’il s’aventure la nuit dans les passes entre les roseaux,

    prends cette fleur pour t’éclairer dans la traversée du jour…

    Même le jour, même la plus vive lumière, même le très doux septembre ne sont pas faciles à traverser…



    Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison, Carnets 1980-1994, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1996, pp. 41-42 ; Œuvres, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2014, page 880.





    PHILIPPE JACCOTTET


    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Toute fleur n’est que de la nuit] (autre poème extrait d’Airs)
    [Les larmes quelquefois montent aux yeux] (poème extrait d’À la lumière d’hiver)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet





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  • Amina Saïd, Les Saisons d’Aden

    par Angèle Paoli

    Amina Saïd, Les Saisons d’Aden,
    Al Manar, Collection “Poésie du Maghreb”, 2011.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Aden 1
    Ph., G.AdC






    “UN PAS VERS LE LIEU DE LA RÉPONSE”



    À Aden, les saisons se vivent au rythme des contes qui ramènent au port les voiles ou au contraire les lancent loin des « escarpements rocheux de la côte d’Al-Yaman ». C’est le temps de la mousson d’hiver qui apporte avec lui, ou emporte, aux abords du désert ― du désir ―, les récits de haute mémoire. Conteuse, héritière des longues traditions orales arabes, la poète Amina Saïd enlève sur ses traces celui/celle qui se risque à suivre ses pas dans Les Saisons d’Aden. Voyage hors des limites du temps, loin des seuils ébauchés par les cartes, le lecteur embarque avec Ramzi, à la recherche de Khalil, l’ami disparu un beau jour sans laisser de signe. Puisque « tout est miroir tout est profondeur tout est signe ». Sur le vaisseau armé par les soins du riche négociant d’Aden, un conteur chargé de maintenir l’équipage en éveil. Lorsque « dans le triomphe du silence » vient l’heure de la parole, le conteur module son souffle sur celui du ney. Montent alors vers la nuit, en même temps que la plainte de la flûte (ney), la voix qui porte les récits. Parfois, répondent en écho les voix des compagnons de voyage qui rajoutent au récit du conteur celui de leurs propres rêves.


    Récits du Livre : celui des commencements et de la Création, complété par le conte des Trois Princes et de la princesse « au cœur de glace » ; celui, maritime et divin de Jonas/Younès et de la baleine Noun ; celui de Nouh/Noé et de son arche, soulevée par les flots du Déluge « jusqu’au sommet du mont Nour » ; celui de l’oiseau « Anqa qui se nourrit de feu » ; celui de l’ermite qui raconte sa propre histoire et dit avoir aperçu « l’éternel voyageur », celui qui ne possède aucune « demeure fixe ni sur la terre ni dans le ciel ni dans le fond des eaux ».


    Par l’entremise du capitaine, hommes et prophètes prennent la parole à leur tour. Les uns pour confier au voyageur les vérités qui toujours se dérobent de génération en génération ; les autres, Moussa (Moïse), Al Khadhir le « Verdoyant », pour transmettre leurs actes à leur serviteur. Sacré et profane mêlent leurs voies/voix, aisément identifiables par le passage à l’italique. Entre ces leçons porteuses de la sagesse orientale mais aussi universelle, le récit principal poursuit son cours. Récit de voyage sur mer et de navigation ― dont les péripéties rejoignent celles d’autres lectures, d’Ulysse à Sindabad le marin, de Noun à Moby Dick, de Marco Polo à Lord Jim ― que Ramzi s’applique à rédiger à son retour à Aden. Devenu vieux et oublié de nombre de ses connaissances, Ramzi confie à ces pages le souvenir des tempêtes essuyées en pleine mer, des affres de l’angoisse provoquée par la descente aux enfers dans « la mer de la mort » et la vision de la géhenne ; ou tout au contraire le souvenir délicieux de l’harmonie entrevue au cours de séjours vécus dans les îles bienheureuses. Il dit les connaissances acquises au cours de la navigation, « la poésie des vagues », les rencontres avec les monstres redoutables, la terreur des hommes et leur vaillance, les heures passées à égrener le chapelet d’ambre donné par l’ami. Toujours, au plus fort du désarroi comme aux instants de délices, Ramzi poursuit sa quête de l’ami perdu, « pèlerin perpétuel » qui « avait échappé à tous les liens ». Toujours le guette, tenace et douloureux, le souvenir de leur complicité passée, de la richesse de leur échange. Au-delà se dessine cette vérité :


    « Je suis lui il est moi j’ai trouvé l’autre moitié de mon âme

    son absence n’a été qu’une longue absence à moi-même

    je n’ai fait que chercher ce qui jamais n’a été perdu… »


    Peu à peu, la mélancolie liée à la quête sans fin se change en sérénité. La sagesse est au bout du chemin, qui révèle à Ramzi « la profondeur des choses ». La leçon d’Al-Khadhir le « Verdoyant », « patron des navigateurs », guide Ramzi vers son centre. Et vers l’exil définitif.







    Aden  2
    Ph., G.AdC






    « Cherche la réponse en ce même lieu d’où t’est venue la question », écrit Jalal-ad-Din Roumi dans le Mathnawi. Au terme de son voyage et de sa quête initiatique, Ramzi comprend que le lien tissé avec l’ami ne se rompra qu’avec la mort.

    À travers la complexité d’un texte admirable et envoûtant, Amina Saïd conduit une réflexion de haut vol. Mais toujours le souffle poétique est au cœur de l’écriture du poète.


    « Par le poème

    par ce qui tremble

    et brûle dans ses ailes

    s’affranchir

    du poids du monde »


    écrivait hier Amina Saïd dans le recueil De décembre à la mer. À ces vers, elle répond aujourd’hui dans Les Saisons d’Aden :


    « le poème du monde s’écrit avec le corps

    et l’esprit de l’homme comme calame

    trempé dans la lumière de sa vision ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Saïd, Les Saisons d'Aden




    AMINA SAÏD


    Amina Saïd
    Ph. Michel Durigneux
    Source




    ■ Amina Saïd
    sur Terres de femmes

    alors au pied d’un arbre (extrait de Tombeau pour sept frères)
    amour notre parole (extrait de De décembre à la mer)
    [de ce côté-ci du monde ou de l’autre](extrait de Clairvoyante dans la ville des aveugles)
    Du Vieillard de la mer et de la Source de vie (extrait du Corps noir du soleil)
    [écrire] (extrait de Dernier visage avant le noir)
    enfant moi seule (extrait d’Au présent du monde)
    Jusqu’aux lendemains de la vie (extrait de L’Absence l’inachevé)
    l’élan le souffle le silence (extrait de La Douleur des seuils) [+ une notice bio-bibliographique]
    [si long fut l’exil du jour](extrait de Chronique des matins hantés)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Amina Saïd






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  • Bernard Mazo | Les rêves calcinés



    Ce territoire inconnu ou tu m attends
    Ph., G.AdC







    LES RÊVES CALCINÉS
    (Extrait)



    Est-ce là-bas
         au cœur
    de cette lueur de dégel
    où s’annule le froid
    que s’étend
    ce territoire inconnu
    où tu m’attends ?


    La seule déchirure
    inguérissable
    c’est le visage désespéré
    de la solitude
    où se consument sans fin
    nos rêves calcinés


    Qui d’autre que moi
    pourrait dire
    que je suis encore vivant
    au cœur des jours

    qui d’autre
    que je suis toujours là

    même si je suis
    désormais
    muet parmi vous ?

    Qui se souviendra des paroles
    Qui habitent la mémoire des morts ?




    Bernard Mazo, « Les rêves calcinés », Dossier Bernard Mazo rassemblé par Jean Poncet, in Phoenix, cahiers littéraires internationaux, juillet 2011 ― n° 3, pp. 23-24.





    BERNARD MAZO


    Bernard Mazo
    Source



    ■ Bernard Mazo
    sur Terres de femmes

    Dans la fracture du silence (extrait de Dans l’insomnie du silence)
    Retour au silence



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    Bernard Mazo où l’écriture « pour mieux vivre », par Antoine Beck
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une page consacrée à Bernard Mazo





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  • Rosalind Brackenbury | Artists in studios



    ARTISTS IN STUDIOS- VERMONT
    Ph., G.AdC






    ARTISTS IN STUDIOS, VERMONT



    Shacked up
    among squashed paint tubes,
    stacked canvases, whiskey
    on the shelf, turpentine
    in an open can on the floor,
    jazz, the cool spill of it;

    hot under the lights,
    sweaty and unaware,
    in the white cube of a room
    you’ve messed up already,
    late at night, you prowl
    up close and back, looking.

    Time doesn’t count,
    nor the weight of stuff
    you had to ship and cart
    and at last, will drag away.
    The matter’s it.

    I watch
    your processes, fingers
    in stuff ; brushes, tools
    the slack happy look
    of when it’s worked.
    When it hasn’t, you paint over.

    I want now
    to make something bigger than I am,
    that will take three men
    to cart away.









    ATELIERS D-ARTISTES- VERMONT
    Ph., G.AdC






    ATELIERS D’ARTISTES, VERMONT


    Tout un mélange
    de tubes de peinture écrasés,
    de toiles amoncelées, de whisky
    sur l’étagère, de térébenthine
    dans sa boîte ouverte à même le sol,
    de jazz, en cascade fraîche ;

    transpirant sous les spots,
    ruisselant mais oublieux de tout,
    dans le cube blanc d’une pièce
    que tu as chamboulée,
    tard dans la nuit, tu rôdes,
    approches, recules, regardes.

    Le temps ne compte pas,
    ni le poids du matériel
    que tu as fait venir et charrier ;
    à terme tu devras remporter tout :
    c’est la question.

    J’observe
    tes méthodes, les doigts
    dans la matière ; pinceaux, outils
    ton regard flottant avec bonheur
    quand ça a bien marché.
    Sinon, tu repeins par-dessus.

    Moi aussi veux maintenant
    créer quelque chose de plus grand que moi,
    qui demandera trois hommes
    pour être emporté.




    Rosalind Brackenbury, Jaune Balançoire | Yellow Swing, Poésie, Éditions de l’Amandier, Accents graves-accents aigus, 2011, pp. 108-109-110. Traduit de l’anglais par Delia Morris et André Ughetto. Édition bilingue.





    Rosalind Brackenburry
    ROSALIND BRACKENBURY


    Portrait de Rosalind Brackenbury
    Image, G.AdC



    ■ Rosalind Brackenbury
    sur Terres de femmes

    Jaune balançoire | Yellow Swing (note de lecture d’AP)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le poème Yellow Swing (extrait du même recueil)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Rosalind Brackenbury
    → (sur le site France Culture)
    Rosalind Brackenbury dans Le Temps des femmes de Sylvie Andreu (émission du 18 août 2011)
    → (sur le site de John Daniel & Company)
    une fiche de l’éditeur américain sur Yellow Swing, publié aux États-Unis en 2004




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  • Jeanne de Petriconi | « Pour inventaire » à la galerie Una Volta

    Jeanne de Petriconi  |  « Pour inventaire »

    galerie Una Volta de Bastia




        « Inventaire » et « travelling », mobilité du voyage et univers statique des objets, coexistent ici, rassemblés dans un même temps, dans un même espace. L’espace est celui de la galerie du Centre culturel Una Volta de Bastia. Lumineux, cet espace accueille jusqu’au 4 novembre 2011, la jeune artiste Jeanne de Petriconi et son exposition d’Art Visuel : « Pour Inventaire ».





    Jeanne de Petriconi, fusion de deux feuilles
    ©Jeanne de Petriconi






        Art Visuel ? La vue est en effet sollicitée d’emblée par la présence magistrale d’une chevelure. Vaste chevelure, qui ondoie ou se recroqueville en vagues serrées, immobiles, métissage de couleur châtain et de reflets mordorés. Le choc est violent. Le désir de toucher, de caresser également. Mais l’œuvre est fragile, en dépit de l’impression de force vitale qui s’en dégage. Puissance occulte, chamanique peut-être, à l’œuvre dans le secret des cheveux synthétiques. Lianes et fibres prennent dans l’épaisseur de leur agencement la fluidité d’une chevelure sauvage, domptée pourtant par les doigts experts de l’artiste. Inspirée par la nature, feuilles et lianes emmêlées, mais détachée de son univers d’origine, la forme est ici présence. « Furie » hypnotise le visiteur, le fige un instant sur le seuil, dans la crainte de la rencontre avec ses propres enchevêtrements et ses propres démons.

        Dans la première grande salle, la série des « Créatures » semble répondre au même souci de cerner par l’agencement des couleurs et des formes, la nature en gestation. Prises dans le mouvement de la métamorphose, ces aquarelles colorées et hybrides dérangent et inquiètent. Mais n’est-ce pas là le propre de toute œuvre d’art ?


        Cependant, dans une alvéole de l’autre rive, des formes légères miment l’envol. Envol de feuilles fauves. « Possibilités chorégraphiques ». Tel est le titre donné à cet ensemble de feuilles (de châtaigniers ?) d’acier et rouille, légères, élégantes, souples, posées en apesanteur dans leur espace ouvert. Leur répondent en écho les dessins ― pastel et crayon ― qui reprennent inlassablement les mêmes mouvements, les mêmes contorsions, les mêmes dentelures. L’inventaire peut commencer, qui s’organise autour de la collecte et du « penser-classer ».


        Patiemment collectés, recueillis, classés, les objets de Jeanne de Petriconi sont objets familiers, livres, chaussures, torchons et bols, boîtes, carnets. Feuilles. Ou encore tuyaux, vis et clous, écrous et barres, serrures, cordes et grillages, culs-de-lampe, accessoires domestiques… Mais aussi traces d’objets, restes, formes déchues et passées, démantelées. Répertoriés dans leurs formes et leur état, couchés sur les menues pages des carnets ou sur des lattes de bois, les objets, tirés de l’oubli où ils étaient tombés, tracent les sillons d’un parcours intérieur.


        Itinéraire à travers le monde de l’artiste, « Paysage enroulé » déroule ses « matériaux divers » sur son parterre de papier peint. Là, sur ce lé qui ouvre un chemin à même le sol, se croisent et se rencontrent livres jaunis et parapluie, galoches éculées, taillées en deux ; cheminement, de trace en trace, jusqu’à l’enroulement final.


        Invitation au voyage, «&nbspTravelling » déroule les images récoltées par la mémoire. Le visiteur est séduit par la diversité et par la poésie qui se dégage de ce long assemblage-accordéon de tableautins peints recto-verso. Il jubile de suivre, carton après carton, le kaléidoscope immobile qui déplie, d’un mur à l’autre, son univers de couleurs et de formes. Le regard croise des personnages inattendus, ancrés pourtant dans l’imagerie collective de chacun ; il s’arrête sur des paysages et des architectures, isole scènes et objets que le déplacement met en présence. Le rythme s’accélère ou au contraire se ralentit. C’est selon.


        Le voyage se poursuit avec « Dust-drawings ». Les objets présentés sont les mêmes, isolés à nouveau à la manière d’inserts cinématographiques. Mais ils sont pris ici à travers le prisme de la poussière, suggéré par des myriades de pointillés. Sur le mur opposé à la fenêtre qui donne sur la rue, quatre compositions, assemblages « d’azulejos » réalisés au stylo bille bleu. Chaque carré présente un objet isolé de son monde, un détail détaché de son univers ordinaire. Parfois une fissure, une lézarde, une brisure vient troubler l’équilibre du monde de « Suerta », lieu familier et familial de résidence de l’artiste. Et si l’on n’y prend garde, l’œil ne retient de l’ensemble que la composition en bleu et blanc, une faïence lumineuse, pareille aux rêves oubliés de l’enfance !


        Avec « Landscape », les lettres de polystyrène, prises dans le vertige de la vitesse, échappent dans le même temps au carcan du mot et à celui de l’espace. Le « paysage » tremblé semble vouloir prendre la fuite et s’échapper par la fenêtre. Humour et sourire.


        Objets inanimés, les objets de Jeanne de Petriconi ont bien une âme. Ils sont habités autant qu’ils habitent l’espace. Ils invitent à la méditation. Ils inventent « la traversée des apparences ».



    Angèle Paoli

    D.R. Texte angèlepaoli




        Jeanne de Petriconi est actuellement en résidence d’artiste en Finlande. Elle rejoindra ensuite la Suisse pour une durée de six mois. Remarquée dès 2010 par l’Arte Laguna de l’Arsenal de Venise qui lui a attribué la mention de « Best Young Artist », Jeanne de Petriconi s’est vu octroyer un séjour de trois mois en résidence d’artiste à Québec. Elle a par ailleurs déjà participé à de nombreuses expositions de groupe dont une à la Biennale Internationale pour jeunes artistes de Moscou en 2010.





    ■ Voir aussi ▼

    le site du Centre culturel Una Volta
    le site de Jeanne de Petriconi
    → (sur YouTube)
    une vidéo sur Jeanne de Petriconi



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  • 22 septembre 1988 | Thomas Bernhard, Maîtres anciens

    Éphéméride culturelle à rebours





        Le 22 septembre 1988 paraît aux Éditions Gallimard la traduction française de Maîtres anciens (Alte Meister, 1985), dernier ouvrage du romancier autrichien Thomas Bernhard (qui meurt le 12 février suivant). Sous-titré Comédie, ce roman, dont l’intrigue est centrée sur la rencontre ― au Kunsthistorisches Museum de Vienne (Musée d’art ancien) ― du narrateur Atzabacher et de son ami, le critique de musique Reger, est une comédie féroce autour de l’art et de la société de son temps.








    Thomas Bernhard
    Image, G.AdC







    MAÎTRES ANCIENS (extrait)


        Les deux hommes se sont donné rendez-vous salle Bordone, en face de L’homme à la barbe blanche de Tintoret. Arrivé à l’avance afin de pouvoir observer Reger ― assis, conformément à son habitude « depuis plus de trente ans » sur « la banquette recouverte de velours » de la salle Bordone ―, Atzabacher a pris place dans une salle voisine, la salle Sebastiano, en compagnie de Titien dont il doit se contenter.



        « Il était toujours assis sur la banquette, son chapeau noir sur la tête, positivement impassible, et il était évident que déjà depuis très longtemps il ne regardait pas L’homme à la barbe blanche mais tout autre chose, derrière L’homme à la barbe blanche, non pas le Tintoret mais quelque chose au loin, hors du musée, tandis que moi-même, si j’observais Reger et L’homme à la barbe blanche, je voyais cependant, derrière, le Reger qui m’avait hier expliqué les fugues. Je l’avais déjà entendu si souvent expliquer les fugues qu’hier je n’avais pas envie de l’écouter attentivement, je suivais bien ce qu’il me disait et c’était très intéressant, par exemple ce qu’il avait à dire sur les essais de fugues de Schumann, mais mes pensées étaient tout de même tout à fait ailleurs. Je voyais Reger assis sur la banquette et, derrière, L’homme à la barbe blanche, et je voyais le Reger qui, avec encore beaucoup plus d’amour qu’auparavant, essayait une fois de plus de m’éclairer sur l’art de la fugue, et j’entendais ce que Reger disait et pourtant je plongeais mes regards dans mon enfance et j’entendais les voix de mon enfance, les voix de mes frères et sœurs, la voix de ma mère, les voix de mes grands-parents à la campagne. Enfant, j’ai été très heureux à la campagne, mais j’ai tout de même été toujours plus heureux en ville, de même que par la suite et à présent, j’ai toujours été et je suis beaucoup plus heureux en ville qu’à la campagne. Tout comme j’ai toujours été plus heureux dans l’art que dans la nature, pendant toute ma vie j’ai trouvé la nature inquiétante, je me suis toujours senti en sécurité dans l’art. Dès mon enfance, que j’ai eu la chance de passer en majeure partie sous la garde de mes grands-parents maternels et au cours de laquelle, en vérité, j’ai tout de même été heureux dans l’ensemble, je me suis toujours senti en sécurité chez eux, à mon aise dans ce qu’on appelle le domaine de l’art, pas dans la nature, que j’ai toujours regardée avec un grand étonnement, mais que j’ai toujours redoutée aussi, ce qui n’a pas changé jusqu’à présent, je ne me sens pas un seul instant chez moi dans la nature, mais bien toujours dans le domaine de l’art, et le plus en sécurité dans le domaine de la musique. Du plus loin que je me souvienne, je n’ai rien aimé au monde plus que la musique, ai-je pensé, mon regard traversant Reger de part en part, sortant du musée et plongeant dans mon enfance. J’aime toujours ces regards projetés dans mon enfance depuis longtemps passée, et je m’y laisse aller complètement et j’en profite autant que je peux, puisse ce regard dans l’enfance ne jamais cesser, me dis-je toujours. Quel genre d’enfance a eue Reger ? me suis-je dit, je n’en sais pas grand’chose, pour ce qui est de l’enfance Reger n’est pas bavard. Et Irrsigler ? Il n’aime pas en parler et il n’aime pas se la rappeler non plus.


    […]


        « Ici, c’est Irrsigler qui donne le ton, a dit Reger, et je suis entièrement à sa merci, si Irrsigler dit aujourd’hui, Monsieur Reger, à partir d’aujourd’hui vous ne vous asseyez plus sur cette banquette, je ne peux rien y faire, a dit Reger, car c’est tout de même plus qu’une folie que d’aller pendant plus de trente ans au Musée d’art ancien et d’occuper cette banquette dans la salle Bordone. Je ne crois pas qu’Irrsigler ait jamais fait part à ses supérieurs du fait que je vais depuis plus de trente ans au Musée d’art ancien et que je m’assois tous les deux jours sur la banquette de la salle Bordone ; il ne l’a sûrement pas fait comme je le connais il sait qu’il ne doit pas le faire, que la Direction ne doit pas être mise au courant. En effet, les gens sont tout de suite prêts à envoyer quelqu’un comme moi à l’asile d’aliénés, donc de l’envoyer à Steinhof, s’ils apprennent que cette personne va depuis trente ans, tous les deux jours, au Musée d’art ancien pour s’asseoir sur la banquette de la salle Bordone. Pour les médecins psychiatres, je serais en vérité une aubaine, a dit Reger. Pour aller à l’asile d’aliénés, un homme n’a pas besoin d’être assis, tous les deux jours, depuis plus de trente ans, sur la banquette de la salle Bordone, devant L’homme à la barbe blanche de Tintoret, il suffit largement pour cela qu’un homme n’ait cette habitude que pendant deux ou trois semaines, mais moi, j’ai déjà cette habitude depuis plus de trente ans, a dit Reger. Je n’ai même pas renoncé à cette habitude quand je me suis marié, au contraire, avec ma femme j’ai encore renforcé mon habitude d’aller tous les deux jours au Musée d’art ancien et de m’asseoir sur la banquette de la salle Bordone. Pour les médecins psychiatres je serais une aubaine et un filon, comme on dit, mais les médecins psychiatres n’auront pas l’occasion de faire de moi leur aubaine et leur filon, a dit Reger… »


    Thomas Bernhard, Maîtres anciens, Comédie, Éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 1988, pp. 35-37 et 144-145. Traduit de l’allemand par Gilberte Lambrichs.





    ■ Thomas Bernhard
    sur Terres de femmes

    12 février 1989 | Mort de Thomas Bernhard



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  • Constance Chlore | Pierre étincelante



    PIERRE ÉTINCELANTE
    (incipit)





    Tout est bizarre       Dans quel sens   dans quel sens
    Ph., G.AdC







    Je             Pour franchir la porte             La taille n’est pas la bonne
    – – – – – – – – – – – – – – – 
    Je             Tout est bizarre       Dans quel sens ? dans quel sens ?
                                              M’aurait-on changée au cours de la nuit
                                                                  Imperceptiblement
                                                            Je ne suis plus identique
                     Je bouge je change                     Sous le baiser de l’œil même
    – – – – – – – – – – – 

    Je             Cette agitation           Chaotique, archaïque, violente

                                                             Mes cellules Au Péril menaçant
    – – – – – – – – – – – – – – – – 
                                                             Cassent mon premier corps
                      Au Péril menaçant
                                                             Cassent mon métal ailé


                             OI                       Aï
                                                                                 IO

    – – – – – – – – – – – – – – – 
    Je
    – – – – – – – – – – 
    – – – – – – – – – – 


                                                                Je suis sur un axe : lequel ?
                                                    Si je ne suis plus moi-même : qui suis-je ?




    Constance Chlore, « Pierre étincelante » (incipit), in Revue Kôan, Numéro 2 ― « La Métamorphose », Éditions Éoliennes, Bastia, mai 2011, pp. 39-40.






    Kôan
    Source




    CONSTANCE CHLORE





    ■ Constance Chlore
    sur Terres de femmes

    [L’été n’en finit plus] (poème extrait de L’Alphabet plutôt que rien)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique consacrée à Constance Chlore
    le site des éditions éoliennes





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  • 20 septembre 1519 | Départ du premier voyage de circumnavigation | Stefan Zweig, Magellan

    Éphéméride culturelle à rebours





    Stefan_zweig

    Source








    CHAPITRE VI

    Le départ

    (20 septembre 1519)




        […] Magellan a passé attentivement la revue de ses hommes, les scrutant au plus profond d’eux-mêmes et se demandant à part lui qui, aux heures critiques, lui restera fidèle et qui le trahira. Sans qu’il s’en doute l’effort a mis des rides à son front. Mais voilà que tout à coup le masque se détend et qu’un sourire éclaire son visage. Mon Dieu ! Un peu plus il allait oublier l’homme qui à la dernière minute est venu à lui d’une façon si imprévue. C’est vraiment par un pur hasard que cet Antonio Pigafetta, jeune italien calme et modeste, fils d’une vieille famille noble de Vicence, est tombé tout à coup dans cette société bigarrée de marins et d’aventuriers. Venu à Barcelone avec la suite du protonotaire papal, à la cour de Charles Quint, le jeune chevalier de Rhodes a entendu parler d’une expédition mystérieuse, qui, par des voies tout à fait inconnues, doit se rendre dans des régions que nul n’a encore atteintes. Il est probable qu’il a lu le livre d’Améric Vespuce, publié en 1507 dans sa ville natale, sur les « paese novamente retrovati », et où l’auteur parle de sa joie « di andare e vedere parte del mondo e le sue meraviglie », et qu’il s’est enthousiasmé à la lecture du célèbre Itinerario de son compatriote Lodovico Varthema. Lui aussi il se sent tout à coup du désir ardent de voir de ses propres yeux une partie des « choses horribles et grandioses de l’océan ». Charles Quint, à qui il a fait part de son désir, le recommande à Magellan. Et c’est ainsi que surgit brusquement au milieu de tous ces navigateurs, chercheurs d’or et aventuriers, un étrange idéaliste, qui ne se lance pas dans l’aventure pour la gloire ou pour l’argent, mais par amour sincère du voyage, pour la simple joie de voir, d’apprendre et d’admirer.

        C’est précisément cet homme qui deviendra pour Magellan le membre le plus important de son expédition. Car qu’est-ce qu’une action qui n’est pas racontée ? Un exploit n’entre pas dans l’histoire du seul fait qu’il a été accompli, mais seulement parce qu’il a été transmis à la postérité. Ce que nous appelons l’histoire n’est nullement la somme des événements qui se sont déroulés dans le temps et dans l’espace, mais seulement la petite partie d’entre eux qui est passée dans l’œuvre des poètes et des savants. Que serait Achille sans Homère ? Sans l’historien qui les raconte ou l’artiste qui les recrée sur le plan de l’art les plus grandes figures resteraient à tout jamais ensevelies dans l’ombre et les prouesses les plus héroïques tomberaient irrévocablement dans la mer insondable de l’oubli. Nous ne saurions que très peu de choses sur Magellan et son expédition si nous n’avions que la Décade de Pierre Martyr, la courte lettre de Maximilien Transilvanus et les quelques sèches indications et livres de loch des différents pilotes. Seul ce petit chevalier de Rhodes, cet inutile en apparence, a fait connaître à la postérité l’exploit de Magellan.

        Assurément ce brave Pigafetta n’est pas un Tacite ou un Tite-Live. Dans l’art d’écrire tout comme dans l’aventure il n’est qu’un très sympathique dilettante. La connaissance des hommes n’est pas son fort, et c’est ainsi qu’il semble avoir complètement ignoré les conflits qui ont éclaté entre Magellan et ses capitaines. Mais précisément parce qu’il se soucie peu de l’ensemble, il observe avec la plus grande attention les détails et les mentionne avec la précision allègre d’un écolier racontant une excursion dominicale. Son témoignage n’est pas toujours très sûr, et plus d’une fois il avale les bourdes les plus énormes que lui racontent les vieux pilotes, qui reconnaissent tout de suite en lui le novice. Mais ces faiblesses Pigafetta les rachète amplement par le soin avec lequel il décrit les moindres faits, allant jusqu’à interroger les Patagons à la façon de la méthode Berlitz, ce qui lui a valu, sans qu’il s’en doutât, la gloire d’avoir ébauché le premier dictionnaire de vocables américains. Mais un honneur encore plus grand devait lui échoir : car c’est bien Shakespeare qui a utilisé pour sa Tempête une scène de voyages de Pigafetta. Que peut-il arriver de plus beau à un écrivain médiocre que de voir un génie utiliser pour son œuvre immortelle quelque chose de lui, l’emportant ainsi, dans son vol d’aigle, vers les sphères éternelles ? […]

        Maintenant qu’il s’est acquitté du dernier devoir qu’il lui restait à accomplir sur terre, l’heure du départ est venue pour Magellan. Sa femme, avec laquelle il a eu la première année heureuse de sa vie, est devant lui, tremblante. Elle tient dans ses bras le fils qu’elle lui a donné, les sanglots lui secouent le corps. Il l’embrasse une dernière fois, il donne une dernière poignée de main à Barbosa, dont il emmène avec lui le fils unique, puis, rapidement, pour ne pas se laisser attendrir par les larmes de sa femme, il monte dans le canot qui le conduira à San Lucar, où l’attend sa flotte. Une fois encore, après s’être confessé, Magellan communie avec tout l’équipage dans la petite église de San Lucar. À l’aube — ce mardi 20 septembre 1519 sera désormais une date historique — les bateaux lèvent l’ancre, les voiles flottent au vent, les canons tonnent, saluant la terre qui peu à peu disparaît dans le lointain : le plus long voyage de découvertes, l’aventure la plus hardie de l’histoire a commencé.



    Stefan Zweig, Magellan [1938], Éditions Bernard Grasset, Les Cahiers Rouges, 2001, pp. 124-125-126-130-131.







    Magellan
    Magellan, en vue de la Terre de Feu,
    découvre le détroit qui portera son nom (octobre 1520).

    Gravure de Jean-Théodore de Bry, vers 1590,
    Paris, Bibliothèque nationale de France.







         « Le 8 septembre 1522, la Victoria, un petit bâtiment de 85 tonneaux, commandée par Sebastian del Cano et portant à son bord dix-huit hommes, était de retour à Séville. C’étaient les seuls rescapés d’une expédition partie trois ans plus tôt avec quatre navires formant la flottille du Portugais Fernão de Magalhães, envoyé à la recherche de la route des Indes par l’ouest. Contournant le nouveau continent récemment découvert, celui que nous appelons Magellan franchit, à l’extrême sud de l’Amérique, le détroit auquel il donna son nom et, le 28 novembre 1520, pénétra dans le grand océan qu’il dénomma Pacifique. Naviguant toujours vers l’ouest, Magellan avait en effet atteint l’Extrême-Orient et débarqué aux Philippines. Il y mourut dans un combat, à Mactan, le 27 avril 1521.


    Jacques Brosse, « Les premiers voyages autour du monde », 1519-1764, in Les Tours du monde des explorateurs, Éditions Bordas, 1983, page 11. Préface de Fernand Braudel.





    STEFAN ZWEIG



    ■ Stefan Zweig
    sur Terres de femmes

    27 octobre 1466 | Naissance d’Érasme (Extrait de Érasme, grandeur et décadence d’une idée, de Stefan Zweig)
    20 mai 1799 | Naissance d’Honoré de Balzac (extrait de Balzac. Le roman de sa vie)
    28 novembre 1881 | Naissance de Stefan Zweig (autre extrait de Magellan)
    22 février 1942 | Mort de Stefan Zweig
    Stefan Zweig | La folie malaise (note de lecture sur Amok ou le Fou de Malaisie)





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