Terres de Femmes

Mois : août 2011


  • Pascaline Mourier-Casile, La Fente d’eau

    Pascaline Mourier-Casile, La Fente d’eau,
    éditions Maurice Nadeau, 2011.



    Lecture de Paul de Brancion



    « SOUS LA FENTE D’EAU, IL Y A LA FANGE »



         « Un crabe m’habite. Il fait son nid de sable dans mon ventre ». Dans une maison vide près d’un fleuve en crue, une jeune femme enceinte confie au magnétophone une sorte de confession hallucinée. Elle lutte contre l’angoissante sensation d’être envahie par un corps étranger ― l’enfant à venir ― qui porte atteinte à sa plénitude et la prive de la liberté sensuelle qui faisait naguère tout son bonheur.
        Pour lire La Fente d’eau, j’ai abandonné la mer pour l’eau stagnante et pour les replis du corps à l’excès de lui-même fasciné, écœuré, tendrement effrayé.
        Ce texte est un récit poétique de fascination et de dégoût du corps. L’insupportable de ne pas être l’unique, la seule à naître jeune fille et femme, seule à être dans son corps attente. Il y a un homme aimé qu’on ne voit pas, François, un frère mort et l’eau, une jeune femme enceinte et des bouffées de souvenirs d’un paradis exotique déjà marqué par la mort, il y a aussi des senteurs à la fois capiteuses et écoeurantes, avec une grande omniprésence de la décomposition des plantes et des corps, tragédie de l’opposition entre une nature sublime, physique, et tout ce qu’elle comporte aussi d’obscur, de stagnant, d’inquiétant et de morbide.

         Guyane.
        Qui dit Guyane dit bagne. Un prisonnier aidait la mère aux travaux du ménage. Il s’appelait Catoire « il glissait pieds nus sur le carrelage. Silencieux. Nous guettions, André et moi [André c’est le frère], vaguement mal à l’aise, sur son visage un mélange inquiétant de tendresse et de brutalité… Catoire parlait peu, comme s’il craignait de voir par cette brèche ouverte échapper les chiens tenus en laisse … une nuit, Catoire disparut. Il fallut huit jours pour le retrouver. Catoire mort dans le fleuve au goût d’herbes décomposées. Son corps accroché aux racines immergées, pendant les longues journées moites de la fin de l’été. Corps flottant comme une algue. Les herbes que le courant entraîne s’attardent le long de son flanc. S’enroulent en collier à son cou ».
        La mort rôde. Le paradis perdu, mais le paradis était déjà en décomposition. Comme si le fait d’attendre un enfant ouvrait tous les souvenirs de mort de cette jeune femme et faisait porter dans son ventre même la possibilité d’une mort venue, présente, agissante au cœur d’elle-même !
        Ce texte, en effet, est un texte dépourvu de toute concession à la vulgate de l’épanouissement féminin en maternité, un récit-souvenir. Il y a son frère mort ces moments de grâce, d’amour qu’elle avait pour lui, « main dans la main, petit frère à la pointe de l’île, nous regarderons la nuit monter lentement dans la brume des crépuscules. Tu parlais du poulpe tapi au fond de toi, qui était déjà la mort ». Elle-même porte à présent en son sein un crabe dont elle ressent l’emprise et qui se repaît de son corps.
        « Sous la fente d’eau, il y a la fange. »
         L’écriture de Pascaline Mourier-Casile est une écriture à la fois simple et extrêmement riche. On tourne autour du corps-douleur, du corps-humeur. « Celle du lit défait au réveil. Son odeur. »


    Paul de Brancion
    D.R. Texte Paul de Brancion






    Mourier-Casile



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  • Derek Walcott | To Norline



    Plage Norline
    Ph. angèlepaoli







    TO NORLINE



    This beach will remain empty
    for more slate-coloured dawns
    of lines the surf continually
    erases with its sponge,

    and someone else will come
    from the still-sleeping house,
    a coffee mug warming his palm
    as my body once cupped yours,

    to memorize this passage
    of a salt-sipping tern,
    like when some line on a page
    is loved, and it’s hard to turn.







    POUR NORLINE



    Cette plage restera vide
    pour de nouvelles aubes couleur ardoise
    des lignes que le ressac efface
    sans cesse avec son éponge,

    et quelqu’un d’autre viendra
    de la maison encore endormie,
    une tasse à café chauffant dans sa main
    comme autrefois mon corps se lovait sur le tien,

    pour mémoriser ce passage
    d’une sterne sirotant le sel,
    comme quand on aime une ligne
    sur une page, et qu’il est difficile de la tourner.




    Derek Walcott, La Lumière du Monde, Éditions Circé, 2005, pp. 118-119. Traduit de l’anglais par Thierry Gillybœuf.





    DEREK WALCOTT

    Derek Walcott. NB
    Source


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Nobelprize.org)
    une biographie de Derek Walcott
    → (sur poets.org)
    une bio-bibliographie de Derek Walcott (+ plusieurs poèmes, dont certains dits par Derek Walcott)
    → (sur Lyrikline.org)
    plusieurs poèmes dits par Derek Walcott



    ■ Autres traductions de Thierry Gillybœuf
    sur Terres de femmes

    Fabiano Alborghetti | Canto 13
    Eugenio De Signoribus | microelegia
    Seamus Heaney | Bog Queen
    Stanley Kunitz | The Quarrel
    Robert Lowell | Burial
    Marianne Moore | Son bouclier
    Marianne Moore | Extrait de Poésie complète, Licornes et sabliers
    Salvatore Quasimodo | Le silence ne me trompe pas
    Leonardo Sinisgalli | Nomi e cose
    Andrea Zanzotto | Così siamo





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  • Martin Ziegler | écrire la mère vide



    [ÉCRIRE LA MÈRE VIDE]



    écrire la mère vide


    refaire


    la chimère
    aux baies sauvages
    mute enfin muette
    vers les pas vierges




    Martin Ziegler, Foery, Éditions L. Mauguin, 2011, s.f.





    MARTIN ZIEGLER


    Martin-ziegler-rouge
    Source



    ■ Martin Ziegler
    sur Terres de femmes

    Notes Laura Fiori de Martin Ziegler, par Déborah Heissler
    Pan de route rompue (extrait de Notes Laura Fiori)
    Ô ter abcède de Martin Ziegler, par Déborah Heissler
    depuis seul
    moments


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Laurence Mauguin | Libre parole



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  • 19 août 1934 | Annemarie Schwarzenbach, Lettre à Claude Bourdet

    Éphéméride culturelle à rebours



    AS CB
    Photo de Claude Bourdet, 1932
    © Fonds Famille Bourdet, Paris
    Source






    Moscou, Hotel Metropole, chambre 582 ―


    le 19 août [1934]


    Mon cher Claude ― je me trouve donc a Moscou ― cette ville miraculeuse qui a toujours été un objets de ma plus profonde curiosité ― Je suis arrivé avec Klaus, pour un congrès d’écrivains1 ― qui, en effet, n’est pas la partie la plus intéressante de notre séjour ― comme nous ne comprenons pas le Russe ― Mais, voilà le premier fait émouvant : l’intérêt fervent de toute la population envers les questions littéraires.
    C’est quelque chose qui concerne tout le monde et qui intéresse tout le monde. Alors qu’en Europe il n’y a quasiment plus de gens qui lisent, et que l’écrivain, au lieu d’être à l’honneur, peut s’estimer heureux quand il trouve un éditeur qui le paie mal ― ici, un homme comme Gorki est, avec Staline, au centre de l’intérêt général, c’est un véritable héros national ― et ici c’est bien simple : tout le monde s’occupe de littérature.
    Je suis au lit ― avec un peu de fièvre, je n’ai pas de thermomètre, mais je pense que je serai remise en très peu de temps. C’est mon collègue très admiré Gustav Regler qui me soigne un peu ― Je ne sais pas si tu connais son roman : Der verlorene Sohn2. C’est un peu le mérite de Klaus de l’avoir découvert ― il etait élève jésuite ― un catholique fervent ― et il s’est transformé en un ennemi aussi fervent de l’église. Il est le meilleur et le plus intéressant des jeunes communistes qui sont réunis à Moscou en ce moment.
    Mon ami ― je regrette tellement d’entreprendre tout cela sans toi. Je voulais que tu connaisses Klaus ― je voulais surtout te revoir. Me voila de nouveau très loin de toi ―
    De tes compatriotes il y a Malraux ― très nerveux d’ailleurs, très épris de l’UdSSR ― et Jean- Richard Bloch3 qui me semble très simpathique.

    Il m’est impossible de te raconter tout ce qui nous occupe ici ― mais je vais tenir un vrai journal et il nous servira de base de discussion quand nous nous reverrons. En tout cas, aujourd’hui, au vu du Désastre européen ― personne ne peut ignorer avec dédain la République soviétique. Ce qui se passe ici est plein d’avenir.
    Au revoir, mon chéri ― ecrits-moi ici ― Klaus va quitter Moscou en peu de jours ― moi, je compte rester encore deux semaines, tu sais que je suis toujours trop curieuse pour etre satisfaite par une simple visite. Je pense continuer alors vers Baku et la mer Caspienne, ou je rencontre (je l’espère) un jeune architecte, Krefter4, de Persepolis.
    Écrits-moi ce que tu fais. Il y a tant de choses que je voudrais te demander.

                                           Tendrement à toi, mon vieux
    Annemarie



    Annemarie Schwarzenbach, Lettres à Claude Bourdet, 1931-1938, Éditions Zoe, Carouge-Genève, 2008, pp. 72-73. Édition établie, traduite et annotée par Dominique Laure Miermont.







    AMS CB






    Note d’AP : les passages en caractères italiques sont des passages écrits originellement en français par Annemarie Schwarzenbach (ils ont été restitués tels), les autres passages ayant été écrits en allemand et traduits en français par Dominique Laure Miermont.

    Notes de Dominique Laure Miermont : 1. Le Premier Congrès de l’Union des écrivains soviétiques s’était ouvert deux jours plus tôt. Il rassemblait soixante délégués des républiques soviétiques ainsi qu’une quarantaine d’écrivains étrangers. Klaus Mann faisait partie des douze membres de la délégation allemande. Invité comme participant, et non comme orateur, il avait proposé à AS de l’accompagner. Comme Klaus Mann l’explique dans Le Tournant, il s’agissait pour les organisateurs d’ouvrir la voie à un éventuel front commun pour contrer le fascisme avec la bourgeoisie de gauche. Klaus Mann pensait qu’une collaboration entre socialisme et démocratie était possible, thèse qu’il développera dans ses textes d’exil.
    2. Le fils prodigue ― roman paru en 1933 aux éditions Querido d’Amsterdam ― ce qui explique la remarque d’AS concernant Klaus Mann qui travaillait depuis juillet 1933 pour cette maison.
    3. Jean-Richard Bloch (1884-1947) : Beau-frère d’André Maurois, il fut l’un des créateurs et principaux collaborateurs de la revue Europe avec Guéhenno, P.J. Jouve, Vildrac. Écrivain influencé par Zola, il est surtout connu pour la nouvelle Et compagnie (1918) et de nombreux essais, dont une grande partie sont regroupés dans les quatre volumes des Essais pour mieux comprendre mon temps parus entre 1920 et 1936. Membre du mouvement « Clarté ».
    4. Friedrich Krefter (1898-1995) fut pendant près de quarante ans l’architecte des fouilles de Persépolis. De 1931 à 1933, il fut l’assistant du prof. Herzfeld puis celui du Dr Erich F. Schmidt. Il rencontra AS lors de sa visite de Persépolis en mars 1934 et la photographia sur le site.






    ANNEMARIE SCHWARZENBACH

    Annemarie_schwarzenbach_2
    Source



    ■ Annemarie Schwarzenbach
    sur Terres de femmes

    23 mai 1908 | Naissance d’Annemarie Schwarzenbach
    3 décembre 1933 | Annemarie Schwarzenbach, Konya
    7 février 1934 | Annemarie Schwarzenbach à Bagdad
    16 décembre 1934 | Lettre d’Annemarie Schwarzenbach à Claude Bourdet
    La Mort en Perse (note de lecture)
    Melania G. Mazzucco | Lei così amata (note de lecture)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Bibliothèque nationale suisse) une
    sélection du reportage photographique d’Annemarie Schwarzenbach en Asie (Perse-Afghanistan-Inde)
    le site de l’Association Les amis d’Annemarie Schwarzenbach (association créée à Genève en février 2007 et présidée par Dominique Laure Miermont)
    → (sur swissinfo.ch)
    une galerie photo consacrée à Annemarie Schwarzenbach
    → (sur Balagan) un
    article de Jean-Pierre Thibaudat : « Ce vendredi, où que vous soyez, lisez Annemarie Schwarzenbach »
    → (sur Les Carnets d’Eucharis)
    Annemarie Schwarzenbach, La Quête du réel (une lecture de Nathalie Riera)
    L’idée de liberté chez Annemarie Schwarzenbach, par Nicole Le Bris
    → (sur Terres de femmes) 22-23 juillet 1935/
    Oasis interdites d’Ella Maillart



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  • Aux portes de l’île | Portes de Corse




    Aux portes de l'île







    LIMINAIRES





        Lieu de transition et de passage, la porte est, dans toute architecture, symbole universel fort. Qu’elle appartienne au rustique séchoir à châtaignes de Corse ou à la maison de maître, au modeste abri de pêcheur ou à la bergerie, à la demeure maçonnique ou à l’église, la porte sépare du reste du monde pour ouvrir sur un monde autre. Inscrite sur la ligne étroite du seuil, sur le limen qui signe le point de bascule entre le dehors et le dedans, le matériel et le spirituel, la porte présente le double visage de la protection et de l’enfermement, de la séparation et de la liberté.

        Philippe Jambert pose sur les portes des maisons traditionnelles de Corse, un regard d’artiste attentif et passionné. Inlassablement, le photographe s’attache à saisir, avec le même enthousiasme et la même exigence, les beautés de la nature alliées au savoir faire des anciens. Au fil des pages de cet ouvrage, l’artiste se saisit des trésors qu’il révèle pour nous. En leur accordant son attention, c’est la nôtre qu’il attise ; en s’attardant sur les détails, il ouvre les voies oubliées de l’imaginaire. Et si la mélancolie affleure parfois, l’œil rétablit la juste distance qui préserve de la nostalgie.

         Certaines des portes de cet ouvrage ont conservé des traces de leur belle allure d’autrefois. Elles portent encore la marque de la « fierté » et de la grandeur des maîtres du lieu. D’autres, plus humbles, ont résisté de la même manière aux outrages du temps. Toutes témoignent, dans leur extrême simplicité ou dans leur noblesse, de la fragilité des hommes. De cette contradiction naît l’émotion intime que suscitent ces pages.

        Les photographies de Philippe Jambert sont accompagnées des poèmes d’Angèle Paoli. Écriture poétique et expression photographique se répondent en écho. L’objectif et la plume guident le lecteur dans une promenade intemporelle. Onirique et émouvante.



    Aux portes de l’île
    Photographies de Philippe Jambert
    Textes d’Angèle Paoli
    Galéa Éditions, juillet 2011

    un ouvrage de 127 pages
    format : 25 x 33 cm
    98 photographies centrées en pleine page
    22 pavés texte centrés en PP
    ISBN : 978-2-9539701-0-4
    Prix TTC : 38€

    Pour toute commande, écrire à l’adresse ci-après :
    terresdefemmes@orange.fr
    NB : cet ouvrage est le premier volet d’un triptyque en 3 volumes. Les deux autres volumes paraîtront en 2013/2014.





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Portes du rêve (un extrait d’Aux portes de l’île)


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  • Philippe Jambert | Angèle Paoli, Aux portes de l’île



    Aux portes de l'île

        [PORTES DU RÊVE]



                        XXI.



    Portes du rêve
    en amont du sommeil
    les feuillages vibrent
    broderies et dentelles
    encloses entre les baies

    arcatures et arceaux
    frontons brisés
    envolées de pierre

    les ombres glissent
    entre deux couleurs et deux rives
    errantes silhouettes de feuillages tremblés
    pétales corolles douces
    épanouies dans la chair du bois bai

    qu’avez-vous à confier aux battants qui résistent
    de n’être point poussés




    Angèle Paoli, Aux portes de l’île | Portes de Corse, XXI, Galéa Éditions, Bastia, 2011, page 121. Photographies de Philippe Jambert.



    Note d’AP : pour en savoir plus sur l’ouvrage cité ci-dessus, cliquer ICI. Cet ouvrage est le premier volet d’un triptyque en 3 volumes. Le deuxième volume (consacré aux fontaines de Corse) paraîtra en 2013 et le troisième (consacré aux tours génoises de l’île) en 2014.



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  • 16 août 1860 | Naissance de Jules Laforgue

    Éphéméride culturelle à rebours



    Le 16 août 1860 naît à Montevideo, en Uruguay, Jules Laforgue.




    Arrivé en France en 1866, Laforgue fait ses études à Tarbes, ville d’origine de Charles Laforgue, père de Jules. Puis à Paris, au lycée Condorcet. Sa fréquentation, au quartier Latin, des soirées des Hydropathes, lui permet de se lier avec un groupe de poètes, des chansonniers et des musiciens. Parmi eux, Paul Bourget, qui l’encourage à poursuivre ses compositions poétiques. Jules Laforgue commence à publier dans La Vie moderne. En 1881, Paul Bourget obtient pour son protégé désargenté le poste de lecteur auprès de l’impératrice d’Allemagne Augusta qu’il accompagne dans ses déplacements. Le jeune poète occupe ce poste de 1881 à 1885.

    Athée et fortement influencé dans sa culture philosophique par Schopenhauer, Jules Laforgue nourrit pour l’amour physique un sentiment d’horreur encore accentué par la fragilité de sa santé. À sa mort prématurée à l’âge de vingt-sept ans, le 20 août 1887, Laforgue laisse une œuvre originale qui se démarque des courants de son temps.

    En 1885 paraissent les Complaintes, dédiées à Paul Bourget. Viennent ensuite, en 1886, Le Sanglot de la terre et L’Imitation de Notre-Dame la Lune. En 1887 sont publiés à titre posthume les contes philosophiques des Moralités légendaires.

    Le poème « Crépuscule de dimanche d’été » a été publié pour la première fois en 1903, dans le tome II des Œuvres complètes de Laforgue, au Mercure de France.







    CRÉPUSCULE DE DIMANCHE D’ÉTÉ



    Une belle journée. Un calme crépuscule
    ………………………………………………………..
    Rentrent, sans se douter que tout est ridicule,
    Et frottant du mouchoir leurs beaux souliers poudreux.

    Ô banale rancœur de notre farce humaine !
    Aujourd’hui, jour de fête et gaieté des faubourgs,
    Demain le dur travail, pour toute la semaine.
    Puis fête, puis travail, fête… travail… toujours.

    Par l’azur tendre et fin tournoient les hirondelles
    Dont je traduis pour moi les mille petits cris.
    Et peu à peu je songe aux choses éternelles,
    Au-dessus des rumeurs qui montent de Paris.

    Oh ! tout là-bas, là-bas… par la nuit du mystère,
    Où donc es-tu, depuis tant d’astres, à présent…
    Ô fleuve chaotique, ô Nébuleuse-mère,
    Dont sortit le Soleil, notre père puissant ?

    Où sont tous les soleils qui sur ta longue route
    Bondirent, radieux, de tes flancs jamais las ?
    Ah ! ces frères du nôtre, ils sont heureux sans doute
    Et nous ont oubliés, ou ne nous savent pas.

    Comme nous sommes seuls, pourtant, sur notre terre,
    Avec notre infini, nos misères, nos dieux,
    Abandonnés de tout, sans amour et sans père,
    Seuls dans l’affolement universel des Cieux !




    Jules Laforgue, Premiers Poèmes in Les Complaintes et les premiers poèmes, éditions Gallimard (1970), Collection Poésie/Gallimard, 1979, pp. 306-307. Édition établie par Pascal Pia.






    Jules Laforgue  Les Complaintes 2





    JULES LAFORGUE


    Laforgue
    Emile Laforgue, Portrait de Jules Laforgue,
    Bibliothèque nationale de France, Paris




    ■ Jules Laforgue
    sur Terres de femmes

    Résignation
    Dimanche 13 novembre [1881] | Jules Laforgue, Dans la rue





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  • Corse_3 15 août | Jean-Pierre Rosnay, Cap Corse

    Éphéméride culturelle à rebours



    Ruines
    Ph. angèlepaoli







    CAP CORSE



    À Jean-François Marsat-Subrini




          J’ai tiré la table de bois brut sur la terrasse.
          Je l’ai libérée de sa nappe de matière plastique.
          J’écrirai mieux en contact direct avec le bois.
          Je le sens sous mon avant-bras,
          sous ma main gauche qui tient la feuille du bout des doigts,
          tandis que la main droite construit la ligne d’un bout à l’autre.
          Mes mains font confiance au bois ; je sais que je puis compter sur elles, pour qu’elles prennent la juste part du poème à naître.
          Je suis torse nu, parmi l’air, le ciel, les ruines.
          Ce ne sont pas les ruines de Pompéi ou du Parthénon.
          Les élèves de l’École du Louvre n’en entendront pas parler.
          Humbles  ruines  d’une  petite  maison  de  petits  paysans  corses,  ruinés par l’incurie de gouvernements successifs, qui n’avaient pas inclus dans leurs vastes plans cette île splendide et sauvage, jaillie au milieu des flots, comme la main d’un noyé entre deux vagues.
          Là-bas, juste en face, si je lève les yeux, je vois le couvent où, (m’a dit le maçon), il y a deux ou trois cents ans tournaient les moines.
          C’était grande fête au quinze août. Chacun se levait à cinq heures du matin, pour aller retenir sa place à l’ombre d’un arbre. Les artisans de Dieu ont déserté ce poste avancé près du ciel.
          Si du moins j’entendais le chant des cigales !
          Hier, les enfants ont, par erreur, écrasé le grillon au fond de la baignoire. C’est une grande perte et un signe fâcheux que nos enfants, qui savent presque tout de l’informatique, ne sachent plus distinguer un grillon d’un cafard ou d’un scorpion.
          Un taon tourne autour de moi. Je n’en ai cure. On se connaît bien tous les deux. Avec entêtement, il veille sur ce que j’écris.
          Nous, de la nature, les taons, les poètes, les oiseaux, les escargots, les scorpions, les peintres, les musiciens, les ânes, nous avons conscience de nos responsabilités.
          Midi moins cinq. Ce matin, à Ortali, nous sommes un peu tristes ; par mégarde, deux enfants ont tué l’ami du foyer, le gentil petit musicien, l’ami du couple et des enfants, le chanteur qui chantait gracieusement la nuit comme le jour.
          On le devine, la télévision, la radio, les journaux n’en ont pas soufflé mot. Mais moi, en vertu des pouvoirs qui ne m’ont pas été conférés, j’espère de quiconque lira ou entendra ce poème, une minute de silence.
          Le grillon est mort. Que le vent et les oiseaux déchirent le ciel et l’aillent dire à qui de droit, aux cinq coins de l’univers.




    Jean-Pierre Rosnay, Danger Falaises instables, Collection le Club des Poètes, 2002, pp. 192-193-194.



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  • Mario Luzi | Stupore d’ultramattutina luce



    Stupeur de lumière...
    Source






    [STUPORE D’ULTRAMATTUTINA LUCE]



    Stupore d’ultramattutina luce –
                            da che
                                        sonno o letargo
                                                                         suo
                             o della specie
                                                     era,
                             se era, quel risveglio ?
    niente, non si capacita il piscante.
                             Deserto
    gli frammischia il fiume
    acqua e fuoco, gioca
    col sole il suo barbaglio
    ambigua la corrente.
                                        Emerge
    lui disorientato,
                                         affonda,
                                         diguazza
    in quel baluginio
                                         per tutta l’ansa.
                                                                      C’è ―
    gli passa sulle scaglie un moto ―
    è appena percettibile ma c’è
    in quelle acque impacciate
    e in quella incandescenza
    un moto verso dove ? Dove corre
    il moto ? Il moto a se medesimo,
    ci avverte, pari al tempo. Tutto cambia,
    Tutto è fermo nella doppiezza del suo senso.




    Mario Luzi, Carovana in Viaggio terrestre e celeste di Simone Martini [1994], Tutte le poesie, volume secondo, Garzanti Editore, Gli Elefanti, 2005, pp. 1031-1032.







    Pistoia luce
    Ph. angèlepaoli






    [STUPEUR DE LUMIÈRE ULTRAMATINALE]



    Stupeur de lumière ultra-matinale ―
                    de quel
                                  sommeil ou léthargie,
                                                                         de lui
                    ou de l’espèce,
                                             était né,
                    s’il l’était, ce réveil ?
    Rien, le poisson ne comprend pas.
                        Désert
    le fleuve entremêlé pour lui
    l’eau et le feu, ambigu
    le courant joue
    son reflet dans le soleil.
                                               Lui, il émerge
    désorienté,
                        s’enfonce,
                        barbote
    dans cette lueur
                                 tout au long du méandre.
                                                                              Il y a ―
    un mouvement parcourt ses écailles ―
    perceptible à peine mais il y a
    dans ces eaux lourdes
    et cette incandescence
    un mouvement vers où ? Où court
    le mouvement ? Mouvement vers lui-même,
    nous prévient-il, comme le temps. Tout change,
    tout est immobile dans la duplicité de son sens.




    Mario Luzi, Caravane in Voyage terrestre et céleste de Simone Martini, Éditions Verdier, Collection « Terra d’altri », 1995, page 65. Traduit de l’italien et préfacé par Bernard Simeone.






    Où va le mouvement
    Ph. angèlepaoli





    MARIO LUZI

    Ritratto_di_mario_luzi
    Image, G.AdC




    ■ Mario Luzi
    sur Terres de femmes


    Cahier gothique, VII
    Diana, risveglio
    Dove l’ombra
    En mer
    Il pensiero fluttuante della felicità
    Nature
    Près de la reine de Saba (note de lecture sur Trames de Mario Luzi + extrait)
    Primitiales (note de lecture sur Prémices du désert)
    Quanta vita
    [Vita o sogno ?]





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