Terres de Femmes

Mois : juillet 2011


  • TdF n° 80 ― juillet 2011


    LOGO TDF JUILLET 2011
    Image, G.AdC




    SOMMAIRE DU MOIS DE JUILLET 2011


    Terres de femmes ― N° du mois de juin 2011
    Annie Salager | Le verre
    Sylvie Saliceti | Les pierres sauvages
    Juliette Zara | Énigme
    16 juillet 1999 | Robert Marteau, Le Temps ordinaire
    Édith Azam | Il n’y a cette perte de moi
    18 juillet 1898 | Giovanni Macchia, Zola : les photographies de l’exil
    Christian Dotremont | Quand l’avez-vous vue ?
    Marie Cécile Guichard | [Je ne tuerai point] Anthologie poétique Terres de femmes (86)
    Comme une ancienne peau tombera de Marie-Hélène Archambeaud, par Isabelle Raviolo (Chroniques de femmes)
    Stéphanie Ferrat, Abîmer de jour
    Jacques Estager | c’est re-moi
    Claudine Bertrand | Chaque seconde cède une joie nouvelle
    25 juillet 1928 | Naissance de Joyce Mansour
    26 juillet 1804 | Stendhal, Journal
    Thierry Metz | Je suis tombé
    28 juillet 1890 | Julie Beaulieu-Delbet, Souvenirs de Corse
    Pierre Dhainaut | Soudain la tête se redresse
    30 juillet 1818 | Naissance d’Emily Jane Brontë
    31 juillet 1944 | Dernière mission de Saint-Exupéry
    Terres de femmes ― N° du mois d’août 2011

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  • Stéphanie Ferrat, Abîmer de jour



    ABÎMER DE JOUR (extrait)
    Stéphanie Ferrat à Bazoches-du-Morvan
    Samedi poésies, dimanche aussi, 2 juillet 2011.
    D.R. Ph. Claude Labarre


    Stéphanie Ferrat à Bazoches


    […]


    sentir
    monter
    quelque chose
    proche de l’eau

    noyer
    avant demain
    de n’importe quelle façon




    attendre

    un peu

    rien

    tête serrée
    la glaire




    se charger
    de l’enclos
    donné
    bravement




    peser

    oiseaux
    gaieté
    viande crue

    avant la nuit




    ne pas faire
    grand chose
    qui donne à pardonner
    à mourir

    me suis tenue de m’enfuir

    blanche

    dans l’étranglement




    rien

    lumière
    remontant l’année



    […]



    Stéphanie Ferrat, Abîmer de jour, La Lettre Volée, Collection « Poiesis », Bruxelles, 2007, pp. 86-87-88-89-90-91.






    Stéphanie Ferrat, Abîmer de jour






    STÉPHANIE FERRAT


    Stéphanie Ferrat NB




    ■ Stéphanie Ferrat
    sur Terres de femmes

    [Nous aimerions savoir] (poème extrait de Roncier)
    Stéphanie Ferrat | Magali Ballet, Cette surface bordant le noir (note de lecture d’AP)
    Stéphanie Ferrat | Jean-Louis Giovannoni, « Les Moches » (note de lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Stéphanie Ferrat
    → (sur le site de l’éditeur La Lettre volée)
    une présentation de l’ouvrage Abîmer de jour de Stéphanie Ferrat





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  • Comme une ancienne peau tombera de Marie-Hélène Archambeaud,

    par Isabelle Raviolo

    Chroniques de femmes – EDITO

    Lecture d’Isabelle Raviolo

    Marie-Hélène Archambeaud , Comme une ancienne peau tombera,
    Éditions Rafael de Surtis, collection « Pour un Ciel désert »,
    81170 Cordes-sur-Ciel, 2011.



    - rousseurs am-res de l-amour -
    Ph., G.AdC






    « DE L’EAU COULE TOUT BAS »



    […], le corps est prêt
    dans son abandon, mais sans relâche elle veille,
    depuis le haut de son visage, ou le visage entier.




        Dans ce recueil, le premier de Marie-Hélène Archambeaud, une voix de fin silence nous conduit jusqu’à la source intérieure où s’avère le pouvoir de métamorphose qui est la poésie même. En ce point très secret, l’abandon rejoint la vigilance la plus subtile. Dans ces pages, de l’eau coule tout bas ; elle requiert l’attention d’une écoute plus lointaine et plus proche à la fois, une écoute qui nous rappelle à un autre âge : âge d’or où la royauté revient à l’enfant 1, à son visage entier comme à une unité où la générosité de la langue maternelle (le suédois) rejoindrait le monde en devenir, « les petits bruits d’oiseaux » (04.06) pour les rassembler en un unique chant :


    Les trains venant de loin comme un hommage à
    la vie retrouvée



    *



        Ici, la vie retrouvée des sensations, des joies de l’enfance, du pays natal (la confiture de roses, le lait chaud, les fruits d’hiver, les robes blanches…) est aussi celle d’une communion à la nature 2 et à autrui à travers le regard : Juste à nous regarder. Qui nous étions. Car un même désir habite les poèmes de Marie-Hélène Archambeaud : celui d’une plénitude (l’image si douce m’est revenue d’une femme enceinte moulée dans le sable d’une plage), celui d’une union des corps (quand il referme son bras sur moi je m’enfonce plus profond), d’une harmonie avec les éléments : Oui, seule. / Dans un rêve de soleil et de mer (01.04).

        De ce point de vue, on devine des accents rimbaldiens dans cette poésie. On pense à « Sensation » ou à « Soleil et chair » où le jeune Rimbaud exprime cette quête érotique d’union à la nature : « Je ne parlerai pas, je ne penserai rien : / Mais l’amour infini me montera dans l’âme… » (« Sensation », mars 1870). Comme lui, Marie-Hélène Archambeaud « s’abandonne » à la plénitude sensible et laisse monter en son âme la joie spacieuse. Emplie par un désir de surabondance, par des obsessions de gonflement et de débordement (20.01 ; 27.01 ; 27.11), elle est aussi travaillée par une secrète peur : la peur d’un temps qui défigure ces contours, qui brise l’unité et nous confronte à la blessure de la perte, et à l’enfermement :


    […] Mais le pigeon l’appât qui
    battait craintivement des ailes était piégé, toute
    blanche – une colombe c’en était plus de cruauté. 3



        Prise en cette tension entre l’aspiration à la plénitude et la pesanteur du monde, Marie-Hélène Archambeaud cherche son identité dans un monde fragmenté : « Je tâtonne aussi dans le noir. » (18.01), car elle sait « la forêt perdue » (01.02) Rimbaud lui-même ne parlait-il pas, dans Poésies, des « rousseurs amères de l’amour » ?


    Les fleurs encore blanches, droites et rouges mais
    l’eau croupie sentait,
    même au bout de peu de temps.
    (15.08)



        Celle qui écrit ces vers affirme une conscience nostalgique : elle est aussi loin d’une enfance du monde, avec ses mythes, qu’elle se sent loin de la sienne propre (30.06) ; elle s’en trouve comme plus lucide et plus fragile (Läcker, délicate 4), aux prises avec une secrète déchirure, elle lutte contre ses peurs. Et c’est en cette blessure si proche du soleil qu’elle va trouver sa force : celle d’écrire, de risquer une plongée intérieure dans la source de l’être :


    Je voudrais nager sous la peau de glace la rivière
    couler plus vite
    (29.08)



        Et c’est ce risque même qui sauve du « tragique », car il permet de dépasser la peur, de consentir à la grâce de la transformation ainsi que l’ultime poème de ce recueil l’exprime : « Quand libérée de cette peur comme une ancienne peau tombera. » (01.11) Il est alors possible de nager « vers d’autres nébuleuses » (voir l’exergue d’Apollinaire, extrait d’Alcools, au début du recueil), vers ce pays de tous les possibles qui est l’immense promesse d’une naissance à soi, à la maturité de son être :


    Elle ne dit jamais « je », mais elle dit ce qu’elle
    pense après l’avoir longtemps gardé.
    (28.07)



        Mais si loin que soient ces deux enfances, elles ne sont pas tout à fait perdues, puisque la mémoire en garde trace, de même que l’on peut recueillir les éléments épars du présent (29.07 ; 27.01), les lier en gerbe dans cette lumière de nostalgie :


    Vacker som en tavla, belle comme un tableau
    disait Morfar, mon grand père suédois.
    Belle à regarder, mais le visage calme et
    peut-être comme dans l’immobilité d’un regard,
    qui vient d’elle vers nous.
    (30.08)



        Il y a la distance du temps ; il en est d’autres, apparemment infranchissables, entre la poétesse et les choses (26.02 ; 01.03), ou entre la poète et ses « autres vies » (27.11), mais là encore, on peut « quelque chose » : « Et la présence était claire comme un (grand) cil. » (21.09). Les images de Marie-Hélène Archambeaud sont alors moins choisies que données par une certaine orientation de sa vigilance à l’intimité du réel : chacune se lit comme une délivrance (26.10 ; 28.07).

        Le travail de la mémoire devient ainsi libérateur : par une voix qui ne trompe pas, n’enchante pas et qui s’éloigne de toute sensiblerie, Marie-Hélène Archambeaud pénètre dans le dédale des souvenirs où la mélodie s’interrompt, où l’orchestre (ses assonances, ses allitérations) fait entendre le son de chaque instrument par éclats successifs ou associés (15.01 ; 29.07). Ici, il faut faire silence, car « de l’eau coule tout bas ». Comment ne pas penser à Marcel Proust qui, à la faveur d’une sensation, entreprend lui aussi un voyage dans la mémoire : « …et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s’élever, quelque chose qu’on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c’est, mais cela monte lentement ; j’éprouve la résistance et j’entends la rumeur des distances traversées 5. »

        Écouter les vers de Marie-Hélène Archambeaud requiert l’attention au plus discret, à cette part de lumière intime où l’incarnation se vit comme une grâce de transfiguration sans cesse renouvelée : une « fraîcheur » qui, toujours déjà là, est aussi commencement – celui d’une délivrance, d’un élargissement, l’indication d’une ouverture plus grande à soi et au monde :


    Le froid sur mes jambes, je sens qu’il vient de la
    fenêtre, comme en Suède des bruits dehors, me
    rappelle qu’à la chaleur du bol, de mon lait chaud
    succédera de loin comme depuis toujours,
    à chaque fois que j’y reviens, reconnaissante,
    une fraîcheur.
    (28.08)



        Dans l’instant de la sensation, un chemin s’ouvre : une fraîcheur vécue comme une nouvelle naissance. Comme une ancienne peau tombera annonce le titre du recueil. Car ici les poèmes disent l’expérience d’une mue : celle de la voix de la poète qui, telle un papillon, sort de sa chrysalide, pour prendre son envol.


    *


        Aussi la voix de Marie-Hélène Archambeaud est-elle empreinte de cette mélancolie qui lui donne son timbre propre. Ses poèmes nous plongent au cœur d’une expérience intérieure du temps et de l’autre (de ce je qui est un autre), avec une syntaxe syncopée, un effacement de toute référence qui nous conduit, par-delà notre compréhension habituelle de la poésie, à un langage dépossédé de ses peaux, à cette voix nue qui serait alors comme l’éternité retrouvée de Rimbaud : « la mer allée au soleil » (« L’Éternité »). « Comme une ancienne peau tombera » signe un mouvement d’offrande caché au fond des choses, un geste secret, ou l’œil à notre rencontre (21.09), l’odeur dans les cheveux ou la poitrine d’un homme (03.08). Cette espérance de la rencontre à soi-même comme à l’autre porte tout ce recueil avec une modestie de ton, une justesse, mais aussi une tendresse (sans ombre de mièvrerie). Marie-Hélène Archambeaud inscrit son regard dans la réalité sensible tout en l’ouvrant à un ciel plus vaste qu’elle-même.


    Isabelle Raviolo
    D.R. Texte Isabelle Raviolo, Paris, juin 2011



    __________________
    1. Héraclite, fragment LII.
    2. On pense alors à ces paysages suédois où la terre s’allie à l’eau, celle de la mer, mais aussi celle des lacs et des rivières.
    3. Cf. 16.10 (Gédéon) : « mais tout autour était sec. »
    4. Elle, 21 MAI 20..
    5. Marcel Proust, Du côté de chez Swann, in À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, 1992, p. 50.



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  • Cécile A. Holdban | [Je ne tuerai point]



    [JE NE TUERAI POINT]



    L'espor si haut qu'un sein de jouvencelle
    D.R. Ph. Denis Chaussende
    Source







    Je ne tuerai point.

    Encore ce pain amer !
    Ô les fleurs du tilleul, le souvenir du miel !

    Un pas fendille le bois
    du vaisseau rêvé
    l’or et l’opale du jour
    s’épuisent derrière les rideaux

    Cet âge viendra dans un saut de puce
    la peau des yeux fragile, un doux chiffon
    sur les lèvres encore le O
    d’un désir long

    le corps achevé, suri, blet
    mais l’espoir si haut qu’un sein de jouvencelle
    elle courra derrière moi la sagesse
    tel un troupeau de chèvres




    Cécile A. Holdban
    Texte inédit
    pour Terres de femmes (D.R.)



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  • Christian Dotremont | [Quand l’avez-vous vue ?]



    [QUAND L’AVEZ-VOUS VUE ?]


    I




    quand l’avez-vous vue ? ― eh ! bien ? ― son allure ? ― elle mangeait quelque chose et je n’ai jamais su si c’était de l’herbe ― ou moi. ― pourquoi ? vous habitiez l’herbe à ce temps-là ? ― non. mais après l’avoir vue, j’ai disparu. ― vous souvenez-vous d’être mort ? ― un peu, mais je ne suis pas encore venu à la terre, ― sauf ces jours-là et cette fille-là. ― et alors ? comment voulez-vous vivre ? ― en me disant que je ne sais pas mourir. ― comment était-elle ? petite comme le monde, exactement en arrière des choses, ― comme quelqu’un qui va bondir. ― elle a bondi ? ― non. la joie fut fortement cachée ― et sortait de mon côté, bien qu’elle n’était pas en moi, ― au contraire. ― elle était tigre, elle était après la vie, la mort. ― elle était rien. ― elle n’était pas tout ? ― c’est la même chose.



    Christian Dotremont, Ancienne éternité, Éditions Unes, 1998, s.f. (exemplaire H.C., page 9).




    CHRISTIAN DOTREMONT


    Christian-Dotremont Portrait
    Source




    ■ Christian Dotremont
    sur Terres de femmes


    [Et nous avons traversé toutes sortes de bonnes choses] (autre extrait d’Ancienne éternité)
    Kara




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Les Hommes sans épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Christian Dotremont





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  • 18 juillet 1898 | Giovanni Macchia, Zola : les photographies de l’exil

    Éphéméride culturelle à rebours



    ZOLA : LES PHOTOGRAPHIES DE L’EXIL




    Zola
    Source






         Le soir de ce terrible 18 juillet 1898, lorsque Zola apprit que la cour d’assises de Versailles l’avait condamné à un an de prison, il n’eut même pas le temps de rentrer chez lui embrasser pour la dernière fois son chien Pimpin qu’il adorait. Poussé par ses amis Clemenceau et Labori, muni d’une mallette contenant quelques objets et son appareil photographique, il prit incognito le train à la gare du Nord et partit pour l’Angleterre.
        « Exil » est un terme qui appartient au langage un peu soutenu et qu’on rencontre dans les manuels scolaires. C’est comme la mort. Ce sont toujours les autres qui meurent, disait Duchamp. Mais l’exil de Zola ne fut pas marqué de hauts faits et ne connut aucune grandeur. L’écrivain était l’un des si nombreux exilés modernes qui fuient leur pays pour échapper à la prison. Seul, dans un pays qu’il n’aimait pas, sans connaître un mot d’anglais, il voyagea sous un faux nom, se faisant appeler tantôt Pascal, tantôt Beauchamp, ou encore Richard. Plongé dans un silence inhumain qui succédait au tintamarre parisien, au procès, aux caricatures vulgaires, il craignait toujours d’être reconnu, suivi, arrêté. Il se mit à changer de logement, émigrant vers des zones toujours plus lointaines et inhabitées. Ses rares amis, par leurs égards excessifs envers sa personne, ne le tranquillisaient certes pas. S’il se rassurait dans les moments de calme en se disant que les agents français n’avaient pas le droit d’opérer en territoire étranger, voilà que ses amis affectueux lui conseillaient de prendre toutes les précautions possibles pour échapper aux recherches, car le danger existait et pouvait naître des lettres et des gens qui seraient arrivés de France jusqu’à lui.
        Les photographies que, cédant à son irrépressible manie, il parvint à prendre aussi en Angleterre sont avant tout un singulier document de vie. Elles respirent l’atmosphère de cet exil : le silence, la peur, la suspicion, et aucune reconnaissance pour le pays qui le recevait. Il y a plus de désespoir accumulé dans ces images que dans tout ce qu’il déclarait ouvertement dans ses lettres et dans ses notes.
        La photographie devient ici une confession indirecte. Personne mieux que Mallarmé, a écrit Cecchi, n’a exprimé la tristesse d’un éveil londonien en évoquant le fracas des boulets de charbon qu’une servante matinale déverse dans un seau de fer. Personne mieux que Zola n’a exprimé, dans ces vues timides et modestes, la mélancolie de certaines rues anonymes de Londres, semblables et différentes, si proches et si lointaines, que seuls égayent de tristes petits hôtels et l’ombre sans beauté des clochers d’église.

        Peut-être ces photographies furent-elles prises le dimanche. De Nittis avait peint les dimanches londoniens déserts. Dans ces photos aussi, les rares passants, le grincement d’une charrette, le trot lent d’un cheval éveillent en l’heure estivale des échos longs et profonds. Souvent même les chevaux sont immobiles, au repos. Le landau d’un bébé ou la voiturette d’une vieille dame paralytique ont du mal à rouler sur les dalles disjointes du trottoir. On perçoit dans toutes ces photographies une grande circonspection, comme si le photographe voulait voir sans être vu. Le grand Londres et ses merveilleux paysages industriels lointains.

        « Je vis au désert. Je ne vois absolument personne, je passe même trois ou quatre jours sans même ouvrir les lèvres, servi par des muets. » La photographie, fille de ce silence, sert à communiquer avec la petite humanité muette et sans sourires qui passe dans ces rues. Quelques rares fois, les images semblent se dissoudre dans leur compacité et dévoiler un secret. C’est la résurrection soudaine du monde qu’il a quitté, le paisible monde familier des sentiments, du travail, des douces habitudes. Derrière une fenêtre, entre les rideaux relevés, dans un intérieur à la Vuillard, on aperçoit une femme qui lit. Quatre « vierges britanniques », quatre demoiselles anglaises compassées à bicyclette, le font penser à Jeanne. Il y a en Zola un amour continu, fidèle, poignant, pour l’intimité familiale. Il pleura comme un enfant lorsqu’on lui écrivit que son chien Pimpin était mort. Et ce n’est pas un hasard si, dans cette « détresse morale absolue », dans cette « grande angoisse » de Londres, il commença d’écrire le roman de la famille, de l’éternité de la famille : Fécondité. […]



    Giovanni Macchia, Éloge de la lumière, Rencontre entre les arts, Éditions Gallimard, Le Promeneur, 1996, pp. 213-214-215. Traduit de l’italien par Soula Aghion.





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Flickr)
    Émile Zola photographe (Collection Château d’Eau, Toulouse. Tirages originaux appartenant au docteur François Emile-Zola, petit-fils de l’écrivain)



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  • Édith Azam | Il n’y a cette perte de moi



    [IL N’Y A CETTE PERTE DE MOI]



    Edith Azam - Bazoches. Ph. Claude Vercey
    Édith Azam à Bazoches-du-Morvan
    Samedi poésies, dimanche aussi, 3 juillet 2011.
    D.R. Ph. Claude Vercey








    Il n’y a cette perte de moi, il n’y a je sais plus les limites : dehors-dedans, il n’y a : la disparition. Ce sont des paroles qui arrivent et ma bouche ne peut les saisir, je dis des mots,  et c’est de la buée.  Je  dis  des  mots qui demandent ton souffle et désirent vos lèvres. Toujours le premier mot qui revient : « Toi » et cette fois le toi, il fait des nœuds partout dans mon architecture osseuse, et je suis moins débraillée du squelette : quelque chose est noué… Dans les grands voiles qui s’étirent me sourient à présent : nos Merveilleux Fantômes.




    Édith Azam, Le mot il est sorti, Éditions Al Dante, 2010, page 47. Photographies de Jacques Guyomar (Serres).





    ÉDITH AZAM


    Edith Azam
    Source




    ■ Édith Azam
    sur Terres de femmes


    [Tout s’ouvre et c’est dedans](extrait de Bestiole-moi Pupille)
    Décembre m’a ciguë (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    « Je voudrais devenir oiseau » (lecture de Décembre m’a ciguë par AP)
    [Je dis le mot : mourir] (extrait de Décembre m’a ciguë)
    [Je regarde mes mains] (extrait d’Oiseau-moi)
    Suis-moi
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    Édith Azam | Bernard Noël | Retours de langue (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    IL RESTERA MON SIGNE




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Dailymotion)
    Bruits de bouche : Édith Azam, Bouche cousue (Performance du 14 novembre 2009 pour Le nouveau festival [46:02])
    → (sur Libr-critique.com)
    videopodcast d’une lecture d’Édith Azam au Festival de Lodève 2006
    → (sur Un nécessaire malentendu, le site de Claude Chambard)
    Édith Azam : la poésie comme défibrillateur (Préface de Letika Klinik d’Édith Azam, éd. Dernier Télégramme, 2006)





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  • 16 juillet 1999 | Robert Marteau, Le Temps ordinaire

    Éphéméride culturelle à rebours



    [TU ENTENDS : C’EST PROCHE UN TUMULTE DE FAUVETTES]




    Marteau l'heure est à la musique
    Ph. angèlepaoli







    Tu entends : c’est proche un tumulte de fauvettes
    Dans l’air ébouriffé du matin où le gris
    S’agrémente du liseron et de la mauve.
    De contentement la chienne danse et aboie,
    Mêle aux feuillages sa robe d’épagneule,
    Court après rien que nous sachions, hume et s’empare
    Du chemin de traverse où les dactyles croissent
    Contre la fougère et l’ortie en une vague
    Qui aime au vent s’offrir et dédier ses ondes.
    L’heure est à la musique à cause des élytres
    Comme des ailes dont les vibrations viennent
    S’entretisser au silence où les végétaux
    Vivent virides et patients dans la simple
    Présence et dans la contemplation du vide.



    (Vendredi 16 juillet 1999.)




    Robert Marteau, Le Temps ordinaire, Éditions Champ Vallon, 2009, page 68.






    ■ Robert Marteau
    sur Terres de femmes

    5 janvier 2000 | Robert Marteau, Le Temps ordinaire



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Le Tiers Livre)
    Robert Marteau, in memoriam





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  • Juliette Zara | Énigme



    Zara J'ai regardé ton énigme 5
    Ph. angèlepaoli







    ÉNIGME


    « Les armes quand les chuchotements se taisent
    Tirent mon humanité sur une croix et les larmes
    Ont puisé une vie dans leurs veines racinaires »

    J’ai regardé ton énigme et ses bourgeons
    Ta douleur intestine et cette poussière d’or
    Devant ton rire je voudrais comprendre
    Comment la lumière pourrait disparaître
    Dans le creux de ta main close

    J’ai senti tout à coup ta douleur
    Nichée là où tu l’avais dit
    Et je suis tombée
    Dans ta mort
    Que tu gardais secrète
    Dans le creux de ta main close




    Juliette Zara in DiptYque, revue littéraire et artistique semestrielle, #2, « Lumières intérieures », hiver 2010 – 2011, page 73.






    JULIETTE ZARA

    Juliette Zara 2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    Enfantissages, le blog de Juliette Zara
    le site de la revue Diptyque de Florence Noël



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  • Sylvie-E. Saliceti | Les pierres sauvages



    Après la falaise 5
    Ph. angèlepaoli








    LES PIERRES SAUVAGES (extrait)



    I


    Près des pierres sauvages le temps, visage entre les mains,
    Fermait les yeux
    Puis son mendiant au souffle riche



    II

    Au pied de la façade romane
    Les corps impatients brûlaient
    Pierres indomptées, fauves d’onyx et de jaspe
    Debout contre la muraille à vif
    Corps lourds, immobiles, à vif
    Lenteur d’un caracal de Barbarie
    Ventre qui tremble contre ventre qui tremble
    Fossiles enchâssés sous le grain du mur
    Te souviens-tu
    De cet instant où les yeux disent aux lèvres qu’ils vont inventer et défaire ?



    III

    Aux pierres sauvages s’est scarifiée l’écorce de la roche grise, turquoise sanguine, en creux dans le fourneau de la panthère, du jaguar aux écailles rousses. Le long du chemin gît la mue du serpent, abandonnée parmi les ombres du marbre et les cailloux de sang



    IV

    Aux pierres sauvages… il y a ta peau douce enrochée sous le vent étésien, seul lieu jamais où je m’établirai, mordrai, implorant que le ciseau au moins fende nos bouches comme une seule



    V

    Façade nue, dure, tendre, mouvance du récif, veinure de la vague,
    écorche
    Écorche les griffes rugissantes du vent, cloue L’Harmattan dans la montagne jusqu’à ce qu’elle coule de la langueur des lents rubans de lave le long des pentes du Vesuvio



    VI

    Aux pierres sauvages
    L’écho
    Le silence, silence



    VII

    Dans le haut du ciel s’est creusée une vallée où s’assoiffent deux torrents libres qu’un cri de hyène secoue si d’aventure quelqu’un cherche à les séparer. Il y a les mains de l’Hurricane qui ne se rendront pas, ni à la nuit, ni à son étoile, à personne jamais, ni même au roc qui nous pétrifie dit-on quand vient l’éternité



    VIII

    Cramoisi le fronton de l’abbaye, cramé d’humanité entre la cendre et l’or, clocher foudroyé à la proue encapée sur l’écume lapis, fendant les ambres crépusculaires
    Qu’y a-t-il à Boscodon ?



    IX

    Aux pierres sauvages
    Il y a les corps farouches, toujours à bout de caresses, muscles saillants, luisants des chevaux crinière rubis, les tarpans, les bisons qui se flairent, se tournent autour



    X

    Quel est le nom de la terre où les pierres baladent leurs velours félins, se roulent dans l’herbe fraîche, se battent comme les lynx des sables ?



    XI

    L’origine coulerait-elle dans une prairie d’émeraude plutôt qu’entre-les-fleuves, vers l’Orient où le soleil et le rien se lèvent au creux des reins du Tigre et de l’Euphrate… ?



    XII

    Où est le lit de la rivière, sa gorge, sa bouche, la chair chaude enveloppant l’obsidienne blanche ? Je veux la vague d’albâtre léchant les pieds du monastère des contreforts alpins avant d’accoucher, je veux le ventre rouge de la colline, je veux la source du trouble



    XIII

    Après la falaise
    Il y a le désert
    Enfin la plaine… la plaine…


    […]




    Sylvie Saliceti, Les pierres sauvages in Phœnix, cahiers littéraires internationaux, n° 3, « Partage des voix », juillet 2011, pp. 66-67.






    SYLVIE-E. SALICETI





    ■ Sylvie-E. Saliceti
    sur Terres de femmes

    Le batelier
    [Ces fresques sur les murs] (extrait de Couteau de lumière)
    Couteau de lumière (lecture d’AP)
    Je compte les écorces de mes mots (lecture de Sabine Huynh)
    La danse de Sakuntala
    [Dans la mer et le corps](poème extrait de La Voix de l’eau)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La grenade
    Pépé l’Anguille de Sebastianu Dalzeto (café littéraire à Aix-en-Provence)
    Un chemin voilà tout (Chronique de Sylvie E. Saliceti sur Marguerite Porete)





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