Terres de Femmes

Mois : juin 2010


  • Valerio Magrelli | Aequator lentis




    Delire
    Ph., G.AdC








    AEQUATOR LENTIS [extraits]



    C’è silenzio tra una pagina e l’altra.
    La lunga distesa della terra fino al bosco
    dove l’ombra raccolta
    si sottrae al giorno,
    dove le notti spuntano
    separate e preziose
    come frutta sui rami.
    In questo delirio
    luminoso e geografico
    io non so ancora
    se essere il paese che attraverso
    o il viaggio che vi compio.


    Entre une page et la suivante il y a le silence.
    La longue étendue de terre jusqu’à la forêt
    où l’ombre rassemblée
    se dérobe au jour,
    où les nuits poussent
    séparées et précieuses
    comme des fruits sur les branches.
    Dans ce délire géographique,
    j’ignore encore, moi,
    si je suis le pays que je traverse
    ou le voyage que j’y accomplis.








    Ma propre -clipse
    Ph., G.AdC





    Io sono ciò che manca
    dal mondo in cui vivo,
    colui che tra tutti
    non incontrerò mai.
    Ruotando su me stesso ora coincido
    con ciò che mi è sottratto.
    Io sono la mia eclissi
    la contumacia e la malinconia
    l’oggetto geometrico
    di cui sempre dovrò fare a meno.


    Je suis ce qui est absent
    du moment où je vis,
    celui qu’entre tous
    je ne rencontrerai jamais.
    Roulant sur moi-même, je coïncide maintenant
    avec ce qui m’est dérobé.
    Je suis ma propre éclipse,
    la contumace et la mélancolie,
    l’objet géométrique
    dont je devrai à jamais me passer.




    Valerio Magrelli, Aequator lentis, in Ora serrata retinae, Cheyne éditeur, Collection D’une voix l’autre, domaine étranger, 2010, pp. 98, 99, 100, 101. Édition bilingue. Traduit de l’italien et préfacé par Jean-Yves Masson.




    VALERIO MAGRELLI


    Valerio Magrelli





    ■ Valerio Magrelli
    sur Terres de femmes

    [ne rien avoir à écrire] (extrait de Nature e venature)
    Rima palpebralis




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de Cheyne éditeur)
    la page consacrée à Valerio Magrelli
    → (sur le site de Jean-Michel Maulpoix)
    une page consacrée à Valerio Magrelli
    → (sur Poetry International Rotterdam)
    une page bio-bibliographique et de nombreux poèmes
    → (sur Italian Poetry)
    trente poésies de Valerio Magrelli
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Valerio Magrelli dits par l’auteur, dont certains issus du recueil Ora serrata retinae
    → (sur Circolo Culturale Albatross)
    un dossier sur Valerio Magrelli
    → (sur Mosaici, St. Andrews Journal of Italian Poetry)
    un entretien de Valerio Magrelli avec Federico Bindi
    → (sur YouTube)
    une vidéo sur une rencontre entre Margherita Guidacci et Valerio Magrelli (10 mars 1989)



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  • Virginia Woolf | Sombrer dans le bleu

    Virginia Woolf, Le temps passe [Times passes, 1926],
    Le Bruit du temps, 2010. Édition bilingue.
    Traduction de l’anglais par Charles Mauron.
    Postface de James M. Haule.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Je n'arrive pas à ce que je veux. J'en suis au passage le plus difficile, le plus abstrait.
    Ph., G.AdC






    SOMBRER DANS LE BLEU



        Dans une lettre du 30 avril 1926, Virginia Woolf écrit : « Hier j’ai fini la première partie de La Promenade au phare et j’ai commencé la seconde aujourd’hui. Je n’arrive pas à ce que je veux. J’en suis au passage le plus difficile, le plus abstrait. Je dois exprimer une maison vide ; pas de personnages humains, le passage du temps, tout cela sans yeux, sans traits, et rien à quoi se raccrocher ; eh bien je m’y précipite et tout aussitôt je noircis deux pages. » *

         Ce « passage le plus difficile, le plus abstrait », cette partie médiane du roman dans lequel Virginia Woolf vient de s’engouffrer, un an après la publication de Mrs. Dalloway, c’est Le temps passe. Achevé en mai 1926 et considéré par l’auteur de La Promenade au phare comme une nouvelle à part entière, le récit en neuf chapitres du Temps passe a été traduit pour la première fois en français par Charles Mauron, et publié dans le Cahier X daté « Hiver 1926 » de la revue Commerce (revue littéraire fondée en 1924 par la Princesse di Bassiano).

         Livre sur le vide, vacuité de l’espace et vacuité du temps, uniquement occupé du mouvement envahissant de la vague, Le temps passe s’ouvre sur les pages visionnaires du retour au chaos initial. Une chape d’obscurité tombe en cataracte sur le monde, l’envahit, le pénètre, s’insinue, s’infiltre par les moindres interstices, engloutit formes et objets, se focalise au cœur des choses. De cosmique, l’univers se miniaturise. Le tourbillon cataclysmique plonge, par resserrement de focale, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, de l’extérieur vers l’intérieur, balayant tout sur son passage. Et effaçant, au gré de la progression des ombres, jusqu’à la distinction des sexes. De ce chaos d’avant la genèse surgissent des corps fantomatiques et asexués. Leur apparition au cœur de « la ténèbre » peuple soudainement la « maison vide », désertée depuis nombre d’années et réveillée d’un profond sommeil par leur sarabande effrontée.

         Que s’est-il passé en amont du chaos ? Une vie a existé. Une famille et tout son entourage ont occupé jadis la vaste demeure au bord de la mer, l’ont investie de rires et de saisons. Mrs. Ramsay, Mr. Andrew, Miss Prue, la cuisinière Mildred ou Marian ― personnages de La Promenade au phare ― font une brève apparition dans la mémoire de Mrs. McNab, puis retombent, informes, anéantis dans la mort d’où ils ont été tirés au gré des caprices du souvenir.

        Visionnaire, Virginia Woolf fait revivre le néant, l’anime de « souffles épars » et « espions ». La vaste demeure, en proie aux pleurs et aux gémissements, devient le théâtre d’ombres errantes qui s’unissent pour faire entendre leurs lamentations. Un instant dépoussiérés par le passage des ombres, les objets révèlent, dans leurs craquelures et leur jaunissement, le passage du temps. Puis retombent, fanés et désœuvrés, dans leur inanité première. Pendant ce temps, le fracas des vagues bat son plein. Il rythme cet univers dantesque, soumis à la confusion des eaux du ciel et des eaux de la mer. L’élan épique se propage, gagne la nuit dans une forme personnifiée, proche de la prosopopée.

        « Les vagues qui se brisent semblaient être le geste même de la nuit : elle secoue la tête et désespérément en laisse tomber la ténèbre, et médite, et gémit, comme pour pleurer le destin qui a noyé la terre… »

         Il faut cependant attendre le chapitre IV pour voir surgir, au plein battant de cette tourmente, le personnage inattendu et vacillant de Mrs. McNab. L’antique domestique de la demeure, abandonnée elle aussi à la vieillerie de sa carcasse. « Silhouette oscillante » armée de balais et de frénésie nettoyeuse, « édentée, embonnetée », la vieille Mrs. McNab est la métaphore incarnée de la tempête et des vagues qui assaillent la maison, en même temps que de la décrépitude généralisée des objets qui l’habitent.

        « Tandis qu’elle allait roulant (car elle donnait de la bande comme un navire en mer) et lorgnant (car ses yeux ne tombaient sur rien directement, mais par un regard de côté qui conjurait le mépris et la colère du monde ― elle manquait d’esprit, elle le savait), cependant qu’elle s’accrochait à la rampe et se halait le long de l’escalier, cependant qu’elle roulait de pièce en pièce, elle chantait… »

         Suit un portrait indirect de Mrs. McNab, une présentation déformée par le point de vue décentré qui s’attache à sa personne. Pour accéder au personnage paradoxal de la domestique, il faut en passer par le prisme du mystique et du visionnaire, ces esprits éclairés avec lesquels Mrs. McNab n’a rien en commun. La vérité sur le mystère de la nature et les sentiments qu’ils inspirent aux « esprits hauts », sont hors de sa portée. Et Mrs. McNab, bien que « piétinée dans la boue pendant des générations » peut continuer sans trop d’angoisse existentielle à chanter ses chansons stupides tout en s’activant à ses tâches inutiles. Pendant ce temps, avec la pénétration des souffles de l’été, la maison et ses objets sortent provisoirement de leur silence, puis retombent dans l’abandon où ils étaient tenus.






    Pourquoi nous envelopper dans la beauté de la mer
    Ph., G.AdC





         « Réflexion sur la fuite du temps et son effet sur la signification des choses », Le temps passe est « une plongée directe, à corps perdu, dans dix années de désagrégation. » De cette interrogation obsédante naissent les pages sublimes qui composent cette nouvelle, puissamment arrimée aux questionnements sur la nature et sur les rapports symbiotiques que l’homme entretient avec elle :

        « Pourquoi nous envelopper dans la beauté de la mer, pourquoi nous consoler de la lamentation des vagues qui se brisent, si en vérité nous ne filons ce vêtement que de terreur, si nous ne tissons cet habit que pour le néant ? »

         Peut-être faut-il accepter de « sombrer dans la nuit, sombrer dans le bleu, et se résigner, et oublier… » Comment ne pas trembler en lisant cette phrase, qui préfigure en filigrane la décision ultime de Virginia Woolf  ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    _________________________________
    * Virginia Woolf, Journal d’un écrivain, Christian Bourgois Éditeur, 10|18, 2000, page 148.





    VIRGINIA WOOLF



    Woolf
    Image, G.AdC



    ■ Virginia Woolf
    sur Terres de femmes

    25 janvier 1882 | Naissance de Virginia Woolf
    21 décembre 1917 | Lettre de Lytton Strachey à Virginia Woolf
    14 décembre 1922 | Première rencontre Virginia Woolf-Vita Sackville-West
    18 février 1927 | Lettre de Virginia Woolf à Vita Sackville-West
    5 mai 1927 | Virginia Woolf, La Promenade au phare
    11 septembre 1940 | Virginia Woolf, Journal d’un écrivain
    28 mars 1941 | Mort de Virginia Woolf
    21 septembre 1993 | Orlando de Virginia Woolf, au Théâtre de L’Odéon
    Flush (note de lecture d’AP)
    Virginia, lectures croisées (AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → la voix de Virginia Woolf
    => ICI (document BBC Four du 29 avril 1937). Document d’archives également accessible sur YouTube
    → (sur YouTube)
    Patti Smith lisant des extraits de The Waves de Virginia Woolf, accompagnée au piano par sa fille Jesse (soirée du 28 mars 2008 à la Fondation Cartier, jour-anniversaire de la mort de Virginia Woolf)



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  • Manège

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (33)





    Apprends à choisir, parmi tes départs, le plus sournois, fausser leurs démarches, corrompre la main des bâtisseurs
    Ph., G.AdC





    MANÈGE





        La toile d’araignée des mots saisit les choses : barques amarrées, lueurs dociles, roseaux, reflets, crues, ormes, lierres, rubans, coulées, ténèbres, ponts de lune sous les hautes fenêtres…


    Pas de surface, pas d’arrière-plan ni d’ombre, de porte par où entrer, de poignée à saisir, de paume où se lover, appauvris du temps qui nous dépouille tous car nous vivons, ni aimants, ni gravés dans l’argile, tout étant tel qu’il fut : philtres, archipels, sextants, trous noirs, limailles, nerfs, cendres d’empire, dagues des seigneurs, atours des dames…


    N’interroge plus ces signes qui t’interrogent, l’enfant qui guette ta mort parce qu’il croit qu’elle lui montrera l’arrière-cour, l’autre face, parce que tu cherches dans ce qu’il fut l’instant vierge qui t’avouera comment fixer la Chienne en face…


    Disperse tes escouades, brise tes remous, enroule tes alambics et tes fusées, fuis ces alliages, ces départs, ces désirs de crues et de feux, d’impénétrables cales…


    Contraires s’enlaçant, s’accouplant : pas d’avant ni d’après, plus d’Histoire ni de durée, tout coïncidant, se conjuguant à l’heure d’interroger ce domaine qui à ce jour n’a plus de nom…


    Passe sans être déchiffré. Ne leur livre que l’autre face, limes et failles, sommes de qui tu fus, réfutations… Contrains-les à marcher sur ce fil chaque fois plus mince, crevant jusqu’au silence où tu te caches si bien, et le dénudes…


    Ce paysage de nuit ne suffit pas, nous le savons, puisqu’il te faudra t’en saisir pour lui ôter ses faux attraits, ses leurres, révélations… La terre et l’homme ne sont plus sacrés, et tu n’as rien à leur offrir : ni jeu de figures, ni matière libérée, ni lumière, ni losange, ni profanation. Pas même l’attente…


    Puis tout s’effacera : la maison aux bougainvillées, la nage, les bracelets, les glaces, les coquillages, les poulpes, les galions, les ogres, les rocs, les frôlements, les seuils, les absences…


    Une seule fois l’inconnu, l’inguérissable et le chant, une seule fois le TOUT dans la balance contre l’hérédité et les poisons, une seule fois des routes à venir les lents rodages…


    C’est l’heure : déchire tes pourpoints, couve tes salamandres, tes vaines orties, sache pressentir pourquoi il n’y a pas assez de mots et, qui sait, trop de choses, apprends à choisir, parmi tes départs, le plus sournois, fausser leurs démarches, corrompre la main des bâtisseurs, les couvrir de dunes et de failles…


    Ton règne sera bref. Mais il n’en est pas de même du désert que l’on imagine.




    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier

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  • Béatrice Douvre | Nuit brisée



    Douvre, Auch
    Ph., G.AdC







    NUIT BRISÉE



    Nuit brisée, d’âmes grises, de corps doubles, endoloris de songes, au point du jour.

    Le vent ancien dans le feuillage, vert pâli de la sève, le cœur enflé au fond des eaux, comme un nageur dans l’ombre.

    Et la pierre pétrie de la main pauvre, et des doigts jaunes des voyages, du tabac blond des Indes pires.

    Tes yeux de laine et de limons épandent des bruits d’eaux prénatales. S’ils s’ouvrent au monde, une lueur bleue météore les blesse.

    Tu saignes de cécité, de pleurs rivaux, je guide ton errance sertie de sable rouge.

    Nuages, et ton corps est un début de désert gris de peau, mué d’ossements de bêtes ancestrales.

    Une éclipse d’oiseaux devient le vert présage de tes verdures futures ; et les cieux sont couverts aux confins étoilés…

    Dieu poudroie.

    Je suis bénie d’arroche et de tombeaux, afin que naissent en toi, blessé, l’imperfection, et l’agonie, le cri gemmé de la nature ; afin que s’éprenne l’eau de ton visage…

    ébauche d’une bouche au béant de la source.



    Béatrice Douvre, Poèmes, L’Arrière-Pays, Auch, 1998, page 38.



    BÉATRICE DOUVRE


    Douvre portrait 2
    Source




    ■ Béatrice Douvre
    sur Terres de femmes


    l’Outrepassante
    Poèmes en prose [Journal de Belfort]
    Le vin, le soir




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur La Pierre et le Sel)
    Béatrice Douvre, l’invisible est un miracle, par Pierre Kobel
    → (sur Terres de femmes)
    Muriel Stuckel | Dans la césure de tes poèmes



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  • Philippe Beck | Suie


    Or de la lumière
    Ph. angèlepaoli





    25. SUIE



    Femme aux cheveux d’or
    est unique.
    Elle passe. Elle est un bateau d’or
    ou de paille.
    Soleil la brûle.
    Il brûle des ailes basses.
    Mari est dans la vallée des tristes.
    Femme sans pareille.
    Des hommes cherchent
    partout.

    Fille part avec trois robes.
    Robe d’or comme soleil,
    robe d’argent (robe de lune),
    robe de brillants ou d’étoiles.
    Ciel de robe basse.
    Plus un manteau de l’ensemble des peaux.
    Le plus beau.
    Loin du blé d’en haut, supposé
    par l’ensemble des peuplés.
    Sous la cendre du ciel.
    Cendre est l’idée.
    Inconsolé reste à la vallée.
    Elle va dans la forêt.
    Et dort dans un arbre.
    Soleil monte.
    C’est l’or de la lumière
    qui montre nature.
    Fille est comme bête bizarre.
    Elle est trouvée.
    On l’appelle Belle
    ou Peau de Lumière.
    Elle s’habille de l’ensemble des bêtes.
    Mais ramasse les cendres du feu.
    Elle fait le gros dans la peine.
    L’éclat rentre au contour.
    Elle s’habille de suie.
    Il y a une huile d’oubli ?
    Huile intérieure ?
    Coin est Maison Serrée
    ou M. Négative.
    Le Dur de quelqu’un.
    L’angle d’elle.
    Fille à l’éclat d’un soleil rentré.
    S. noir.
    Bal rhabille la vie
    sous un soleil de nuit.
    Ensemble de peaux
    est unique.
    L’Un qui apparaît.
    Elle crée une montée à admirer.
    Un Mont Blanc dans quelqu’un.


    D’après « Toutes-Fourrures »




    Philippe Beck, Chants populaires, Flammarion, Collection Poésie, 2007, pp. 81-82.




    Philippe Beck

    Philippe Beck lisant un de ses Chants populaires
    lors d’une lecture croisée aux côtés de Liliane Giraudon et de Sandra Moussempès
    Librairie de l’Atelier (75020 Paris) le 17 juin 2010.
    Ph. angèlepaoli





    ■ Philippe Beck
    sur Terres de femmes

    Boustrophes, « Variation XIII »
    Chambre à roman fusible [XXXIV. « Fermeture-phénomène »]
    Dans de la nature, 87
    De la Loire [Vague de pierre 36]
    Lyre d’& XIV (extrait de Lyre Dure)
    Les murs capitonnés (extrait de Poésies didactiques)
    Les variations poétiques de Philippe Beck ou le tempo universel du monde (chronique de Sylvie Besson)
    Poésies premières (lecture de Tristan Hordé)
    Pages vertes (extrait de Rude merveilleux, in Poésies premières)
    Pré-journal II (extrait de Un journal)
    Rêve (poème extrait de Chants populaires)
    [Tout a lieu] (poème extrait de Aux recensions)
    22 octobre 2005 | Philippe Beck, Un journal
    28 janvier 2006 | Philippe Beck, Un journal


    ■ Voir | écouter aussi ▼

    (sur remue.net) un dossier consacré à Philippe Beck
    → (sur le site du Centre Atlantique de Philosophie)
    une page consacrée à Philippe Beck
    → (sur Rebuts de presse, le blog de Didier Jacob)
    Je décerne mon prix de poésie (billet du 30 novembre 2009)
    → (sur YouTube)
    Philippe Beck lisant des extraits des Chants populaires et des poèmes contenus dans Un Journal



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  • Camille Loivier, Il est nuit

    par Georges Guillain

    Camille Loivier, Il est nuit, Tarabuste Éditeur, 2009


    Lecture de Georges Guillain

    QUE PEUT LA LITTERATURE
    Ph., G.AdC






    QUE PEUT LA LITTÉRATURE ?



    Que peut la littérature, en particulier la poésie, face aux drames les plus douloureux de la vie, par exemple la perte déchirante d’un être aimé ? De quel poids sont les mots dans la détresse ? Est-il toujours un chant humain pour occuper l’espace vacant de la mort ?

    Le livre de Camille Loivier, Il est nuit, est dédié à un frère. Adressé à son frère. Un frère-nuit. Depuis que ce dernier a décidé de disparaître, à l’âge de 29 ans, un jour de mars, au commencement du printemps pour entrer définitivement dans l’impersonnel de la mort. En neuf chants d’inégale longueur essentiellement composés de tercets en vers libres parfois séparés, cassés, par des coupes violentes, la sœur tourne autour de la brutalité de l’événement, du vide laissé en elle par cette perte inadmissible. Nulle intention chez elle cependant de gonfler la voix. De faire résonner pour nous les grandes orgues du chagrin. Ses chants sont en fait un « déchant », simple ligne mélodique venant faire ici contrepoint à la sourde basse d’une expérience indicible.

    Plusieurs années séparent la révolte notée dans le premier chant au spectacle des couronnes rituelles déposées sur la tombe, de ce dernier geste apaisé dans lequel, face aux feuilles jaunies d’un olivier en fleurs qu’elle détache d’une sorte de « caresse inavouée », se lit sinon l’acceptation du moins une sorte de réconciliation tendre avec l’ordre des choses. Entre les deux, aucun appel aux grandes philosophies consolatrices. Aucune imprécation non plus adressée aux figures censées régenter notre existence : Dieux ou Destin. Le livre de Camille Loivier apparaît au contraire comme un travail très délicat, modeste. Un art de jardinier. Le souvenir de son frère ou plutôt les souvenirs qu’elle garde de lui, ses joies, sa peine, son impuissance aussi à ressentir à la hauteur de ce qu’elle voudrait, bref, tout ce cruel matériau de l’amour en deuil, elle s’applique à le protéger faisant de chaque ensemble de vers un rameau tendre qu’elle vient lier aux autres, subtilement, réalisant par chaque chant ce qu’on appellait autrefois un « plessis », c’est-à-dire comme un enclos protecteur de jeunes bois tressés.

    Ce qu’abrite, qu’entretient alors son geste d’écriture, ce ne sont pas simplement des moments isolés arrachés à l’oubli, des paroles retranscrites, des lumières, des ombres, une gamme de sentiments mêlés où se retrouvent tendresse érotique et culpabilité, partage et incompréhension… C’est la tension d’un esprit, l’itinéraire d’une sensibilité anxieuse cherchant à s’accorder comme elle peut à cette présence mystérieuse et quasiment physique en elle, de la mort. Une mort invasive, charnelle, incorporée.

    Ce chant de mort devient progressivement ainsi chant de vie. Soutenu discrètement qu’il est des ombres portées de tant d’autres vies difficiles, celles de Camille Claudel, de Sylvia Plath, de Marina Tsvétaïeva, de Charlotte Salomon… par sa connaissance aussi des poètes d’Asie, il dit dans sa modulation la mobilité de l’être, le temps qu’il faut pour qu’un vide se mette vraiment à exister et qu’une autre vie tout autour se reforme. Il dit les rapports indociles du corps et de l’esprit, le mystère de l’idée venue s’emparer de vous pour vous détruire et l’inverse génie qui veille inexplicablement à la survie… Découverte approfondie de la vie par la mort : « Quelque chose d’un mouvement/ qui englobe enfin soi avec l’autre/ une seconde peau qui colle à nous// un sentiment matinal de fusion/ une aspiration enfin sûre, enfin déterminée/ qui vous enlève// la fin de la solitude… »



    Georges Guillain
    D.R. Texte Georges Guillain
    pour Terres de femmes







    PREMIER CHANT



    tes chiens
    tes chats ne t’ont pas retenu

    la puce de bois
    ne te pique pas
    ta langue ne touche pas le plat

    tu marches, marches
    marches
    marches, marches

    ton nom s’éloigne, ton nom s’approche
    dans un hoquet, on me laisse une journée, une nuit
    comme si de rien n’était

    les fleurs puent
    s’il vous plaît
    ôtez les

    ce petit crachoir de terre
    plaf, plaf
    ma main aussi

    qu’on ne s’inquiète pas pour les fleurs
    elles se nourriront bientôt
    qu’on ne s’inquiète pas pour les fleurs



    Camille Loivier, Il est nuit, Tarabuste Éditeur, 2009, Incipit, pp. 11-12.






    Il est nuit .Tarabuste





    CAMILLE LOIVIER




    ■ Camille Loivier
    sur Terres de femmes

    Ombre d’un seul nuage (poème extrait du recueil Enclose)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Camille Loivier



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  • Pascal Boulanger | Art jésuite


    San Carlino alle quattro fontane  F. Borromini  Architecte. Photo - ROMA en  FEV 2006
    Ph., G.AdC






    ART JÉSUITE

    À Nathalie Riera




    Avant l’heure
                               cheveux blancs
                               muses en lambeaux

    Celui qui tombe son pas n’est pas sûr

    Une flèche bondit de l’arc et s’enfuit
    elle change de ciels & de maisons
    puisque le destin ne précède pas l’histoire
    & qu’un nid d’oiseaux
    peut très bien se nicher dans la mer

    Un homme masqué
    passe la fenêtre
    tous ses chemins sont en vie
    il est touché quand il touche
                                                 les femmes voluptueuses
    & les anges
                                                 qui planent sur l’église baroque

    Le pas franchi
    un ciel se dérobe sous un autre
    l’œil éclate dans la blancheur des pierres

    Des dieux railleurs aux muscles ronds
    se tordent en élans fiévreux

    Sur l’étoffe d’un marbre
    une bouche dessine un jardin



    Pascal Boulanger
    Texte inédit (D.R.)




    ■ Voir aussi ▼

    (dans Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera) un entretien avec Pascal Boulanger

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  • Aïcha Arnaout | Être et désêtre


    Arnaout 4
    Ph. angèlepaoli





    ÊTRE ET DÉSÊTRE


    D’après l’ombre et tes multiples mues
    tu es destiné à l’émersion et l’extinction
    pour toujours

    parmi de fins miroirs
    tes images laminaires se déboîtent
    se pourchassent
    se dévorent

    mystérieux itinéraire
    à perte de souffle
    être et désêtre à tout instant
    sans relâche.

                  Elle dépistait ses images possibles
    dans les vertiges de l’univers
    sur les lèvres des plaies galactiques
    parmi leurres et lueurs

    l’incertitude nourricière ne faisait que commencer

    elle frôlait sa mutation spirale
    dans la lave matrice
    hantait les nulles parts
    pour regagner son espace
    immolait l’errance de ses ombres
    sur l’autel de l’isthme primordial
    et ne trouvait que poussière et cendres

    la voilà de retour au siège de l’éphémère
    vibrante de son immense vertige
    elle s’installe
    rejeton
    dans son exil d’être.

    Du désordre flottant au chaos originel
    de la confusion des sens à l’intuition primale
    de l’imperméabilité des ombres à l’état translucide

    devenir
    savoir comment vraiment mourir
    comment se loger

    tous les jours
    en paix
    dans son cercueil

    détaché des chaînes luxuriantes
    déplumé des accessoires chimériques
    déraciné de son propre nom

    se loger entier
    là où cessent
    le bruissement du cœur
    le bourdonnement des pensées

    devenir
    affleurer à tout instant

    son vif néant
    affranchir de leurs exils
    ses fantômes et ses ombres
    se faufiler
    flou d’images sans confins
    liquidité des formes de l’avant gestation

    devenir
    constamment s’enfanter
    plus familier à soi-même.

    Les mues de l’ombre
    que je suis
    ne sont que les traces
    de mes exils d’être.

    Tu défibres ton corps hétéroclite
    jusqu’aux confins de sèves
    jusqu’à la grappe aînée
    de tes cellules d’embryon

    une vie durant
    tu n’as été qu’un accident de parcours
    parmi des momies frénétiques
    des cadavres ambulants
    des dieux criquets escortés de bouffons

    étrangère pour toujours
    personne n’a parlé de ta moelle fossile
    des triticites de tes champs intérieurs
    la déchirure était ton remède

    le néant ton retour
    le périple du sevrage était lent
    hésitante

    tu palpes ta gestation insolite
    dans le vif argent des miroirs trompeurs

    tu grignotes ta solitude mielleuse
    l’attente blanche au bord de l’iris d’origine
    l’enstase des doigts dans le plasma des mots
    la félicité de l’errance
    la déflexion d’une imperméable lueur
    qui te propulse
    vers l’ambre primordial.

    Être et désêtre
    et nul paradoxe
                 des cendres de chacun renaît l’autre

    les passions conduisent à la vacuité
    la vacuité accueille l’émerveillement
    l’émerveillement seuil de l’extinction
    de l’extinction émane la grande passion
    et nulle frontière

    être et désêtre
    osmose fertile
    sans stigmates
    ni cicatrices.


    Aïcha Arnaout, Être et désêtre, Extraits, in Côté femmes, d’un poème l’autre, Espace-Libre, Alger-Paris, 2010, pp. 13-14-15-16. Poèmes réunis par Zineb Laouedj et Cécile Oumhani.




    NOTE D’AP : ce poème a été dit par Aïcha Arnaout le samedi 19 juin 2010 à la librairie La Terrasse de Gutenberg (75012 Paris), à l’occasion de la publication de l’anthologie Côté femmes, d’un poème l’autre, à laquelle j’ai moi-même participé.





    AÏCHA ARNAOUT

    Arnaout
    Ph. D.R.


    ■ Aïcha Arnaout
    sur Terres de femmes


    Dans les eaux du glacier originel
    La traversée du Blanc
    Aïcha Arnaout, Alain Gorius | La fontaine

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  • Magda Cârneci | Culte postmoderne

    Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme »

    « « «  Anthologie poétique Terres de femmes (74)




    Le doryphore supposé de Igor Mitoraj
    Ph., G.AdC






    CULT POSTMODERN


    Nu vor fi ceşcuţe fine de China aburind ceai de opiu
          nici petale de şofran pe un altar indian de piatră bătrînă.
    Broaşte ţestoase de Galapagos nu vor fi transformate în supă
         nici maimuţe pitice dresate să cînte cînd li se despică fin căpşorul.
    Nu vor alunga norii de ploaie radioactivă spre Sahara
         şi nici o uriaşă sferă de foc nu va fi plantată în Groenlanda.


    Nu ne vor înfige electrozi amari pe limbă încă de la şcoala primară
         nici nu ne vor înmulţi pe alese în mici borcănaşe de sticlă.
    Nu ne vor cabla pe unii cu alţii la computerul universal
         la miliardele sale de monitoare
    Pe care să se vadă naşterea unei noi religii
         simultan pe întreaga planetă.
    Nu, nu, ei nu ne vor decît Binele.


    Iar noi, omizi moi în labirinturi aseptice
         căutînd disperat o ieşire din marele experiment cripto-celest
         sub lumina orbitoare a milioane de sori, milioane de biţi,
    Tot nu ne vom transforma în translucide fiinţe
         hotărîte să se înalţe, să zboare
         spre cosmosuri mai clemente.
    Ci, ca demni urmaşi ai gîndacului de Colorado,
         postistoric, liric şi predivin,
         vom lua cu asalt pereţii laboratorului
                                                             îndreptîndu-ne victorioşi, ordonat, spre bucătărie.







    Le Doryphore d'Igor Mitoraj à Aix-en-Provence
    Ph., G.AdC






    CULTE POSTMODERNE


    Il n’y aura pas de petites tasses de Chine embuées par le thé d’opium
         ni de pétales de safran sur un autel indien en pierre ancienne
    Les tortues des Galápagos ne seront pas distillées dans la soupe
         ni les petits singes dressés à chanter lorsque l’on fend délicatement leur crâne
    Nous ne chasserons pas les nuages de pluie radioactive vers le Sahara
         et aucune sphère immense de feu ne sera plantée en Groenland


    On ne nous enfoncera pas d’électrodes amères dans la langue à l’école
         on ne nous multipliera pas au choix dans de petits pots de verre
    On ne nous câblera pas les uns aux autres pour nous relier à l’ordinateur universel
         avec ses milliards d’écrans
    où l’on verra la naissance simultanée d’une nouvelle religion
         dans le monde entier
    On ne cherchera que notre Bien.


    Et nous, jeunes chenilles dans des labyrinthes aseptiques
         cherchant désespérés une issue pour échapper à la grande expérience céleste
         sous la lumière aveuglante de millions de soleils, de millions de bits,
    Nous ne nous transformerons toujours pas en êtres lucides, translucides
         décidés de s’élever, de voler
         vers des cosmos moins douloureux.
    Mais, dignes successeurs du Doryphore,
         lyrique, post-historique et pré-divin,
         nous prendrons d’assaut les murs du laboratoire
                                                             nous dirigeant victorieux et ordonnés vers la cuisine.


    Traduit du roumain par Linda Maria Baros


    Magda Cârneci
    Texte inédit pour Terres de femmes (D.R.)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    une page consacrée à Magda Cârneci
    → (sur le site de la Maison des écrivains)
    la fiche consacrée à Magda Cârneci
    → (sur le site des éditions de Corlevour et de la revue Nunc) une fiche bio-bibliographique sur Magda Cârneci et deux autres liens


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  • Alfredo Catalani | Ebben? Ne andrò lontana



        L’air « Ebbene?…N’andro lontana » de l’opéra La Wally d’Alfredo Catalani (1892), morceau de bravoure du film Diva (1980 ; à l’affiche le 11 mars 1981) de Jean-Jacques Beineix (dans lequel cet air était interprété par la soprano Wilhelmenia Wiggins Fernandez) contribua pour beaucoup au succès du film mais également à ce que lui soient attribués en 1982 le César de la Meilleure musique de film et le César du Meilleur premier film.






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        « Le succès de Diva est venu de ce que Beineix, le premier, a voulu moraliser l’héritage publicitaire en proposant une nouvelle ligne de partage entre l’invendable (l’âme, la création) et le prévendu (les objets, les clichés). »

    Serge Daney, Libération, 21 novembre 1988.




    « Ebben? Ne andrò lontana,
    Come va l’eco della pia campana…
    Là, fra la neve bianca !
    Là, fra le nubi d’or !
    Laddove la speranza, la speranza,
    È rimpianto, è rimpianto, è dolor !
    O della madre mia casa gioconda,
    La Wally ne andrà da te, da te lontana assai,
    E forse a te, e forse a te non farà mai più ritorno,
    Ne più la rivedrai !
    Mai più… mai più …
    Ne andrò sola e lontana
    Come l’eco della pia campana,
    Là, tra la neve bianca !
    N’andrò, n’andrò sola e lontana…
    E fra le nubi d’or !  »


    « Eh bien, je m’en irai loin,
    Aussi loin que l’écho de la pieuse cloche…
    Là, à travers la neige blanche !
    Là, à travers les nuages d’or !
    Là où l’espoir
    Est regret, est regret, est douleur !
    O de de toi ma mère, maison joyeuse,
    La Wally s’éloignera, très loin de toi,
    Et peut-être, peut-être ne reviendra-t-elle jamais plus vers toi ,
    Tu ne la reverras plus !
    Jamais plus… jamais plus.
    Je m’en irai seule et loin…
    Aussi loin que l’écho de la pieuse cloche,
    Là, à travers la neige blanche !
    Je m’en irai, je m’en irai seule et loin…
    Et à travers les nuages d’or ! »

    La première représentation de La Wally de Catalani a eu lieu le 20 janvier 1892 au Théâtre de la Scala de Milan.





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    ■ Voir/écouter aussi ▼

    → le livret de
    La Wally (Luigi Illica)
    → la fiche sur
    La Wally de Forum Opéra
    → (sur deezer.com)
    l’air de La Wally interprété par Maria Callas ;
    l’air de La Wally interprété par Wilhelmenia Wiggins Fernandez



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