Terres de Femmes

Mois : novembre 2009


  • Terres de femmes ― Sommaire du mois de novembre 2009





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    SOMMAIRE DU MOIS DE NOVEMBRE 2009


    Terres de femmes ― Sommaire du mois d’octobre 2009
    1er novembre 1917/Julien Gracq, Le Roi Cophetua
    Alda Merini/Mare
    Midis – Le billet de Nestor (4)
    Marie-Hélène Lafon, L’Annonce (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Le chant de la noria (Angèle Paoli)
    Guillevic, Carnac traduit en corse par Francescu-Micheli Durazzo
    Cordesse, Notes d’esprit
    Béatrice Bonhomme-Villani/Un lacis de sang et d’ombre Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (3)
    Nelly Roffé/Argia Printemps des poètes 2010 –« Couleur femme » (4)
    7 novembre 1910/Mort de Léon Tolstoï
    Marta Grundwald/je te montrerai comment je traverse la rue Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (5)
    a mezzanotte (Angèle Paoli)
    Circulades – Le billet de Nestor (5)
    Speluncatu (Angèle Paoli)
    11 novembre 1516/La Saint-Martin de Leonardo
    Marielle Anselmo/Les îles Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (7)
    André Breton, Lettres à Aube (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Valérie Brantôme/Il sognatore Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (8)
    Sylvie Durbec, Marseille, Éclats & quartiers
    Arnaud Beaujeu, La lumière et les mots
    Sylvie Fabre G./L’au-dehors Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (9)
    Route grande – Le billet de Nestor (6)
    Élisabeth Chabuel/Intime violence
    17 novembre 1906/Naissance de Mario Soldati
    Umberto Saba/Oiseau en cage
    Marie-Ange Sebasti/Ils étaient partis Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (10)
    18 novembre 1975/Lettre de Jean-Jacques Pauvert à Jean Carrière
    Isabelle Raviolo/Ô mère Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (11)
    Maria Maïlat/Recommencement Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (12)
    20 novembre 1989/Mort de Leonardo Sciascia
    Florence Noël/autant revivre en mon jardin Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (13)
    Jean-Pierre Ferrini, Le Pays de Pavese (note de lecture d’Angèle Paoli)
    Samira Negrouche/Il se peut Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (14)
    Marcel Migozzi/Comment savoir si ton visage te ressemble ?
    Timeo Danaos et dona ferentes – Le billet de Nestor (7)
    Fang (Angèle Paoli)
    23 novembre 1920/Naissance de Paul Celan
    Ophélie Jaësan/Une branche de bois vert Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (15)
    Myriam Montoya/J’irai encore Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (16)
    25 novembre 1959/Mort de Gérard Philipe
    Gabriela Mistral/Désolation
    Joëlle Gardes/Hôpital Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme » (17)
    Wahiba Khiari, Nos Silences (note de lecture d’Angèle Paoli)
    29 novembre 1948/Lettre d’André Breton à Aube
    Cerbères – Le billet de Nestor (8)
    Terres de femmes ― Sommaire du mois de décembre 2009



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  • Cerbères

    Le billet de Nestor

    Le billet hebdomadaire de Nestor (8)






    CERB-RES
    Ph., G.AdC






    CERBÈRES



        *** Trêves, souffles maquillés dans l’habitude des villes – vous rêvant des nuits, là-bas, entre acier et roues…
        Ire, vent salubre sur les détours, j’avance vers l’horizon recomposé, dans l’intimité sans soumission du jour qui se perd, j’avance, poignard à la hanche vers la grande odeur salée, j’avance vers la défaite devinée, j’avance en me jouant des visages furtifs ou inépuisables, j’avance sans compter, sans oublier, j’avance pour qu’après, bien après, vous renforciez le pacte…


        *** Tu t’enfermais dans des villes barbouillées de collines. L’heure était aux promesses. On te prêtait une intensité fluviale, des mains furtives, que sais-je encore…
        Tu rayonnais, jusque dans l’argile, de danses écarquillées. Au-dessus des marais, l’aube semblait durable.
        Tu souriais, tu laissais faire. On ne t’avait rien proscrit, les reflets étaient encore hauts, tu ne tenais qu’à travers leurs jeux, t’ouvrant aux seuls dangers, de crue en crue, trop près des chutes…
        Puis tu es reparti. Certains reconnaîtront leur sang, puis s’oublieront dans le quêteur prêt à tout rompre, sur l’autre orgueil des routes.
        On parlera de ton secret. Les femmes se l’arracheront, avec ta chasteté, l’immense.
        Retrouvons-nous après le partage, habillés de nos seuls vœux, avant que le monde ne t’éveille, hésitant, entre les ors et les pages…

        *** Les fêtes ont cessé de remuer. Les portes ne donnent que sur l’ombre apprise, riveraine, engloutie, là où il attend, entend, de tous métiers l’exclu, tantôt le brisement, tantôt la succession d’îles ou le déclin des fables.
        N’appelez pas clarté ce soleil en sursis, au-dessus du lent recueillement de ses cascades. Que d’autres mains désormais l’égrènent, la paume ouverte, loin de toute contamination.
        Ces montées, ces rencontres, le bourgeonnement aux carrefours, ces proliférations chaudes dans son sillage… Qui lui parla de faute, d’intouchables merveilles ? Menteurs, il n’en sut rien, ou alors ― tant il nous ressemble ― celui qui s’égrène partout, et en plein jour, l’a rendu aux grandes pauvretés de ce feu…
        Il s’en souvient à peine, fort de son incommensurable enfance, de ces mouvements d’avant le renouvellement des mers.
        Par les voies inséparables, toujours loin des parois, ses jeux attisés
            Sur ce front, à l’orée du monde, où d’une brûlure fascinée il divise
                  Son silence.


    André Rougier
    D.R. Texte André Rougier


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  • 29 novembre 1948 | Lettre d’André Breton à Aube

    Éphéméride culturelle à rebours



    Victor Brauner, Andre Breton, 1934
    Victor Brauner,
    Portrait d’André Breton, 1934
    Huile sur toile
    Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
    Don de Aube Breton-Elléouët et Oona Elléouët (2003)
    Source






    Paris, 29 novembre 1948



         Comment va ma petite Aube chérie ? Toujours heureuse ? Mon petit loup à qui je n’ai pas écrit depuis tellement longtemps. Mais j’ai relu bien souvent tes lettres, qui étaient tout à fait comme je les espérais, donnant beaucoup de détails sur ta vie et ainsi je pouvais te suivre de très près quoique de si loin. Ça me rappelle aussi que je devais t’envoyer des livres français : je ne vais plus tarder maintenant. Je suis si content que tu aimes lire. Si seulement je savais un peu mieux quel genre d’ouvrages t’intéresse le plus : veux-tu me le dire ? Je pense que tu vas bientôt être en vacances : est-ce que tu t’ennuies beaucoup du tout petit Merlin* ? Jacqueline viendra-t-elle te chercher à Roxbury ? N’oublie pas, mon petit chéri, de me dire comment a été pour toi ce début d’année scolaire : crois-tu que tu as appris beaucoup de choses ? En quoi as-tu brillé particulièrement ? Est-ce que là-bas il t’arrive de parler un peu français ou pas du tout ? Comment as-tu été notée dans l’ensemble ?
         Ici la vie continue à se dérouler comme tu la connais. Il y a toujours beaucoup de monde autour de moi. Élisa est bien contente parce que sa grande amie Julia doit arriver prochainement à Paris et qu’en janvier, sa sœur Cora (la sœur d’Élisa) sera là aussi avec ses enfants. Il y a toujours des réunions le lundi au café de la place Blanche, auxquelles celui qui se réjouit le plus d’assister est Uli, pour qui le seul mot de « café » est magique. Lui n’a pas changé non plus, un peu plus agressif qu’autrefois tout au plus, mais charmant tout de même. Je vais tous les samedis matin à la foire aux Puces avec Péret, qui n’a toujours pas trouvé d’appartement mais se plaît mieux à Paris qu’au Mexique.
         Écris-moi encore, mon petit enfant, et bien vite. (Ton grand-père est si triste que tu l’aies tout à fait oublié.)
         Élisa t’envoie ses pensées les plus souriantes et les plus tendres. Je t’embrasse, ma petite Aube, comme si tu me revenais pour toujours.


    ANDRÉ     



    Enveloppe : à Miss Aube Breton, The Hickory School, Putney,
    Vermont, U.S.A.



    André Breton, Lettres à Aube, 1938-1966, Éditions Gallimard, 2009, page 36. Présentées et éditées par Jean-Michel Goutier.



    * Hare, Merlin Meredith [1948, New York]. Fils de Jacqueline Lamba et David Hare.





    ANDRÉ BRETON

    Breton
    Image, G.AdC


    Voir aussi :

    – (sur Terres de femmes)
    André Breton, Lettres à Aube (note de lecture) ;
    – (sur Terres de femmes)
    16 janvier 1922/André Breton, « L’Esprit nouveau » ;
    – (sur Terres de femmes)
    7 octobre 1926/André Breton, Nadja ;
    – (sur Terres de femmes)
    28 septembre 1966/Mort d’André Breton ;
    – (sur le site de L’Express)
    des extraits des Lettres à Aube ;
    le remarquable site Arcane 17 de Fabrice Pascaud ;
    le site André Breton.


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  • Wahiba Khiari, Nos Silences

    Wahiba Khiari, Nos Silences
    Editions Elyzad, Tunis, 2009.



    Dans l-alternance des voix
    Source






    LES MISÉRABLES


         « Mon écriture contre son drame, mes jours contre ses nuits. Je lui cède les mots pour libérer sa vie. Je lui donne la parole pour rompre mes silences. »

         C’est de cet échange silencieux entre deux femmes – vie contre drame ; mots contre silences – que naît et se tisse le texte à deux voix de Wahiba Khiari, Nos Silences. Silences de la narratrice, silences de la sœur disparue, et derrière ces silences, tous les autres, ceux des jeunes filles dont la vie a basculé, un jour, dans l’horreur. Deux histoires se côtoient, s’accompagnent, qui se font écho dans l’alternance des voix.

         Deux voix, deux formes d’écriture et le choix de l’italique pour laisser à l’autre la place de ses mots, de sa souffrance, de sa presque mort. De son cri. La parole de l’une, l’aveu de sa vie appelle l’autre en contrepoint. À la vie de la narratrice, qui a choisi de fuir l’Algérie pour pouvoir vivre et aimer, s’oppose la vie de celle qui a tout perdu en un instant. Enlevée une nuit sous les regards effarés des siens, la sœur disparue ne cesse de hanter la mémoire de la narratrice. Mais sous sa voix surgit la voix d’autres femmes ayant subi le même sort. Enlevées, séquestrées, violées, mises enceintes par leurs tortionnaires, c’est cela qui attend chacune d’elles. C’est cette horreur-là, insoutenable, terrifiante, monstrueuse, que la narratrice a décidé un jour de fuir. Mais la fuite n’efface ni la douleur ni le sentiment d’échec lié à l’impuissance. Et la douleur a été inoculée dans la chair de celle qui a déserté son pays déchiré par l’horreur.

         Écrire, alors. Laisser les mots rendre leur tranchant aux déflagrations qui secouent les vies de l’Algérie des années 1990. Car « écrire c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit ». Cet exergue emprunté à Marguerite Duras rend compte du travail de Wahiba Khiari dont les éclats de vie qui composent Nos Silences retracent les tortures auxquelles les femmes ont été soumises dans ces années d’obscurantisme et de violences. Les voix en écho se prolongent, s’inversent, se relaient. Voix-refuge dont les vies s’entremêlent, fils de trame et fils de chaîne, habilement menés au bout du chemin. Voix émaillées de silences, pareilles à ces toiles ancestrales que la mère silencieuse tisse, cachée derrière sa seddaya. Silences nécessaires pour embaumer les angoisses et conjurer le malheur.

         Mais la composition douloureuse de Nos Silences se heurte à l’impossibilité de dire l’horreur de la réalité, à l’impossibilité d’accéder au pardon, à l’impossibilité de rendre la mémoire à l’oubli. Reste la révolte qui se dit dans un cri : « Les Misérables ! »


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Nos Silences  Wahiba Khiari







    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Editions Elyzad)
    la fiche auteur consacrée à Wahiba Khiari





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  • Joëlle Gardes | Hôpital



    Une parenth-se s-est ouverte dans la vie ordinaire
    Ph., G.AdC






    HÔPITAL



    Il flotte une odeur de désinfectant de tristesse et d’espoir meurtri
    des voix s’élèvent dans les couloirs sans briser le silence
    un tunnel de lumière blafarde aspire celui qui est couché sur le lit aux montants métalliques

    Une parenthèse s’est ouverte dans la vie ordinaire dont on ne sait quand elle se refermera
    si elle se refermera

    L’esprit flotte au-dessus du corps
    la goutte qui tombe dans les veines scande un temps de passivité et d’attente
    un temps inhumain

    Et puis il y a la nuit
    la pensée s’affole tourne et retourne sur une même note d’angoisse
    des lumières tremblent au loin derrière la vitre sale
    des phares traversent un espace auquel on n’a pas droit auquel on s’interdit superstitieusement de penser qu’on aura droit à nouveau
    parce qu’on est nu
    qu’on a déposé les armes du maquillage et du vêtement de ville
    parce qu’on se confond avec un numéro de chambre ou le nom d’une maladie

    Et puis il y a la nuit fangeuse à traverser et l’on atteint épuisé la rive
    bruits de chariots
    odeur de café insipide
    ersatz de vie

    Ni les êtres qui lui sont le plus chers
    ni les projets auxquels il croyait tenir ne rattachent le malade au monde
    Il dérive au rythme lent du liquide qui s’écoule dans les tuyaux
    Demain ne sera plus jamais un autre jour mais le même encore moins lumineux et plus vacillant

    Et soudain elle pense au bain matinal l’été quand les tourterelles roucoulent dans les pins et que les mouettes tournent en piaillant au-dessus du bateau de pêche qui rentre au port
    elle pense à la chaleur des galets aux cris des enfants qui s’éclaboussent
    au goût de sel sur la peau
    et demain lui paraît lointain mais autre et elle sent le fil qui la rattache au monde.



    Joëlle Gardes
    D.R. Texte inédit
    Joëlle Gardes/Terres de femmes






    JOËLLE GARDES

    Jolle_gardes_2
    Source



    ■ Joëlle Gardes
    sur Terres de femmes

    « Les arcanes subtils d’une relation triangulaire » (La Mort dans nos poumons) [note de lecture d’AP + bibliographie]
    Dans le silence des mots, poésie (note de lecture d’AP)
    Et si la profondeur n’était que… (extrait de Dans le silence des mots)
    Jardin sous le givre (note de lecture d’AP + extrait)
    L’Eau tremblante des saisons (lecture de Françoise Donadieu)
    Louise Colet Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur (note de lecture d’AP)
    [Matinée de printemps précoce](extrait de L’Eau tremblante des saisons)
    Méditations de lieux (note de lecture d’AP)
    Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture d’AP + extrait]
    [Tota mulier in utero] (extrait d’Histoires de Femmes)
    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l’exil, biographie)
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse/20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Joëlle Gardes
    → (sur Terres de femmes)
    7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges (note de lecture sur Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman)



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  • Gabriela Mistral | Désolation

    «  Poésie d’un jour  »



    Gabriela_mistral
    Image, G.AdC






    DESOLACIÓN


    La bruma espesa, eterna, para que olvide dónde
    me ha arrojado la mar en su ola de salmuera.
    La tierra a la que vine no tiene primavera:
    tiene su noche larga que cual madre me esconde.

    El viento hace a mi casa su ronda de sollozos
    y de alarido, y quiebra, como un cristal, mi grito.
    Y en la llanura blanca, de horizonte infinito,
    miro morir inmensos ocasos dolorosos.

    ¿A quién podrá llamar la que hasta aquí ha venido
    si más lejos que ella sólo fueron los muertos?
    ¡Tan sólo ellos contemplan un mar callado y yerto
    crecer entre sus brazos y los brazos queridos!

    Los barcos cuyas velas blanquean en el puerto
    vienen de tierras donde no están los que no son míos;
    sus hombres de ojos claros no conocen mis ríos
    y traen frutos pálidos, sin la luz de mis huertos.

    Y la interrogación que sube a mi garganta
    al mirarlos pasar, me desciende, vencida:
    hablan extrañas lenguas y no la conmovida
    lengua que en tierras de oro mi pobre madre canta.

    Miro bajar la nieve como el polvo en la huesa;
    miro crecer la niebla como el agonizante,
    y por no enloquecer no cuento los instantes,
    porque la noche larga ahora tan solo empieza.

    Miro el llano extasiado y recojo su duelo,
    que vine para ver los paisajes mortales.
    La nieve es el semblante que asoma a mis cristales:
    ¡siempre será su albura bajando de los cielos!

    Siempre ella, silenciosa, como la gran, mirada
    de Dios sobre mí; siempre su azahar sobre mi casa;
    siempre, como el destino que ni mengua ni pasa,
    descenderá a cubrirme, terrible y extasiada.


    Gabriela Mistral, Desolación, Nascimento, Santiago de Chile, 1923.





    DÉSOLATION


    La brume épaisse, éternelle, pour me faire oublier où
    m’a rejetée la mer dans son flot saumâtre.
    La terre où j’ai abordé n’a pas de printemps :
    sa nuit sans fin me couvre comme une mère.

    Autour de mon logis, le vent fait sa ronde de sanglots
    et de hurlements et, tel un fil de cristal, brise mon cri.
    Sur la plaine blanche, à l’horizon sans fin,
    je regarde mourir d’immenses couchants douloureux.

    Qui pourra appeler celle qui est venue jusqu’ici,
    puisque seuls les morts sont allés plus loin ?
    Ils regardent une mer muette et glacée
    s’allonger entre leurs bras et les bras chéris.

    Les bateaux dont les voiles blanchissent le port
    viennent de terres où ne sont pas les miens ;
    leurs hommes aux yeux clairs ne connaissent pas mes fleuves,
    et n’apportent que des fruits pâles, qui n’ont pas la lumière de mes vergers.

    La question qui monte à ma gorge
    lorsque je les vois passer, retombe, accablée :
    ils parlent des langues étrangères, non l’émouvante
    langue que, sur des terres dorées, chante ma pauvre mère.

    Je regarde tomber la neige comme poussière dans la tombe ;
    je regarde s’épaissir le brouillard comme l’agonisant,
    pour ne pas tomber dans la folie, je ne compte pas les instants ;
    la longue nuit ne fait que commencer.

    Je contemple la plaine figée et en recueille le deuil,
    car je suis venue voir les paysages de mort.
    La neige est le visage qui regarde à travers mes vitres,
    sa blancheur descend sans trêve des cieux.

    Toujours elle, silencieuse, ainsi que le vaste
    regard de Dieu sur moi, toujours ses jasmins sur mon toit ;
    toujours, tel le destin égal, présent,
    elle viendra me couvrir, terrible, extasiée.


    Gabriela Mistral, Poèmes choisis, Éditions Stock, 1946, pp. 80-81-82. Préface de Paul Valéry. Traduction de Mathilde Pomès.





    ■ Gabriela Mistral
    sur Terres de femmes


    La cendre
    Cordillera
    L’étrangère
    15 novembre 1945/Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature
    → (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes)
    un autre poème de Gabriela Mistral (Ausencia)


    Pour lire et/ou écouter d’autres poèmes (en espagnol) de Gabriela Mistral, cliquer
    ICI



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  • 25 novembre 1959 | Mort de Gérard Philipe

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 25 novembre 1959 mourait à Paris Gérard Philipe, des suites d’un cancer du foie. Il avait trente-sept ans.






    Gérard Philipe
    Image, G.AdC






    « COMBIEN DE TEMPS ? » DEMANDE ANNE


         « Combien de temps ? » demande Anne. « De quinze jours à six mois. »

         Au réveil, Anne, d’accord avec les médecins, décide de taire la vérité au malade, lui dit : « C’était bien un abcès amibien. L’opération a parfaitement réussi. » Gérard sourit.
         Le 19 novembre, il est de retour rue de Tournon. Il va consacrer sa convalescence, qu’il pense longue, mais qu’il aborde plein de sérénité, à poursuivre les lectures commencées à la clinique : Antigone, les tragiques grecs, Euripide.
         ― Ce don extraordinaire que Gérard avait de se mettre à la place de ses amis, raconte le docteur Pierre Vellay, j’en eus le témoignage encore le dimanche 22 novembre. J’étais venu passer l’après-midi auprès de lui. Il lisait le Théâtre d’Euripide et me tendit Médée, ouvert à une page où il avait noté : « Pierre ».
         ― Cela pourra te servir pour ta documentation, dit-il en me lisant le passage suivant :
         « C’est donc en vain, ô mes enfants, que je vous ai élevés, en vain aussi que j’ai peiné, que j’ai été déchirée par les souffrances, que j’ai supporté les terribles douleurs de l’enfantement… Je préfèrerais lutter trois fois sous un bouclier que d’accoucher une seule. »
         Le 24 novembre, comme il est impatient de se trouver sur pied et veut partir en montagne achever sa convalescence, une réunion des médecins a lieu à son chevet. On fait de grands projets de vacances. En quittant Anne, un des professeurs lui dit : « Gérard est perdu, mais sa vitalité est telle que je ne lui ai peut-être pas menti en lui disant tout à l’heure que, dans un mois, il partirait pour les sports d’hiver avec vous. »
         ― J’arrivai le soir, pour dîner, raconte le docteur Pierre Vellay. Gérard était seul avec Anne. La journée avait été bonne. Il m’accueillit avec joie. Son visage était calme, ses yeux pétillants. Il m’annonça qu’il avait établi pour moi un plan de travail et d’organisation de vie meilleurs ! Puis il me fit part de ses propres projets, me demandant ce que j’en pensais. Enfin, avec un grand sérieux, il décréta qu’il nous fallait organiser nos loisirs. C’est ainsi qu’avec une précision de scénario nous fîmes le plan de nos vacances d’hiver qui correspondaient à sa convalescence. Sous son charme irrésistible, je dus promettre que, dès le lendemain, j’allais me mettre en quête d’un chalet à la montagne, où nous vivrons loin de tout. L’heure passait et pourtant je sentais qu’il n’avait pas envie que je parte et je dus faire un effort pour m’arracher. Arrivé à la porte, il me rappela : « Pierre, tu penses à tout ce que nous avons dit, c’est sérieux ! ». Son rire et son « bonsoir ! » m’accompagnèrent jusque dans l’antichambre.
         Gérard lit Euripide avant de s’endormir, passe une nuit calme. Le lendemain matin, Anne va conduire les enfants en classe et le laisse endormi, comme à l’accoutumée.
         Quand elle revient, il est mort. Le visage est calme, pas une contraction de la main.
         On l’enterre le samedi 28 novembre 1959, au cimetière de Ramatuelle. La veille du dixième anniversaire de son mariage.

         « Nous ne le reverrons jamais, écrivait au lendemain de sa mort son ami, son compagnon Jean Vilar. Et je suis de ceux à qui nulle photographie, nul disque, nul film ne rendra la présence du comédien qu’il fut. Elle était trop faite de songes et de musiques intérieures… »


    Gérard Philipe, Souvenirs et témoignages recueillis par Anne Philipe et présentés par Claude Roy, Éditions Gallimard, 1978, rééd. 1989, pp. 411-412-413.






    ■ Voir/écouter aussi ▼

    → (sur Dailymotion)
    une brève rétrospective de la carrière de Gérard Philipe, présentée par Léon Zitrone
    → (sur le site de l’INA)
    une vidéo des Actualités françaises du 2 décembre 1959
    → (sur le site de la Télévision suisse romande)
    un hommage à Gérard Philipe (25 novembre 1969)[Durée:66’47 »]



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  • Myriam Montoya | J’irai encore



    tronçons de vie enterrés visages et paysages perdus
    Ph., G.AdC






    SÉ QUE AUN IRÉ



    Sé que aun
    iré a parajes recónditos
    que antes fueron míos
    y por obvias razones
    dejé de habitar

    Con mínimas palabras balbucir
    los estragos del desarraigo
    me hace crecer alas
    y menguar el olvido

    Trunca es mi errancia
    tramos de vida enterrados
    rostros y paisajes perdidos

    Soy sobreviviente
    a veces tortuga milenaria
    otras ave rapaz

    Trucos y astucias
    he aprendido
    en embarcaderos y muelles

    He cruzado fronteras
    y sembrado amor
    en los apuros





    J’IRAI ENCORE


    J’irai encore
    dans des endroits cachés
    qui m’ont appartenu
    et que pour des raisons claires
    j’ai abandonnés

    Balbutier avec peu de mots
    les ravages du déracinement
    me fait pousser des ailes
    et diminue l’oubli

    Tronquée mon errance
    tronçons de vie enterrés
    visages et paysages perdus

    Je suis survivante
    parfois tortue millénaire
    parfois oiseau de proie

    Trucages et astuces
    j’ai appris
    sur des embarcadères et des quais

    J’ai croisé des frontières
    et semé de l’amour
    dans les mauvais pas


    Version française de l’auteure


    Myriam Montoya
    D.R. Texte inédit
    Myriam Montoya/Terres de femmes






    MYRIAM MONTOYA

    Myriam Montoya
    D.R. Stéphane Chaumet
    Source



    ■ Myriam Montoya
    sur Terres de femmes

    Bachue (+ notice bio-bibliographique)
    Je reviens au jardin de l’enfance
    Sara
    → (dans la Galerie Visages de femmes) un
    Portrait de Myriam Montoya (+ un autre extrait du recueil Flor de rechazo/Fleur de refus)


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Festival Internacional de Poesía de Medellín) une
    note bio-bibliographique sur Myriam Montoya

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  • Ophélie Jaësan | Une branche de bois vert

    « « «  Anthologie poétique Terres de femmes (15)
    Printemps des poètes 2010 – « Couleur femme »



    Précipice 2
    Ph., G.AdC






    UNE BRANCHE DE BOIS VERT



    Une branche de bois vert, flexible, rebelle
    aux coups de martinet de la pluie,
    de la grêle,

    ploie sans rompre

    en rejetant sa propre sève : flux
    dispersé aux quatre vents.

    Un crachat d’étincelles, un feu
    d’artifices funèbre.

    Quand la branche ploie et rompt
    chute ma tête

    de plusieurs dizaines de mètres.

    À genoux, fouillant la terre de mes dix doigts,
    je tente de me remodeler un crâne,
    un visage –

    une touffe d’herbes brunes pour cheveux,
    des petits cailloux ronds et blancs à la place
    de mes dents (un espoir sans canines)
    et puisqu’il nous faut une langue pour parler –
    une langue.



                                           *



    Voit-on rouler ma tête
    de plus en plus vite sur l’asphalte brûlant,
    de plus en plus vite au milieu des hangars,
    dans la poussière, le sable,

    me voit-on

    courir

    après ma tête qui roule
    jusqu’au bord du précipice

    et m’y jeter

    comme une bête traquée,
    un enfant trop confiant ?



    Ophélie Jaësan
    D.R. Texte (extrait de l’ensemble inédit Là où l’infini trouve son lieu)
    Ophélie Jaësan /Terres de femmes







    OPHÉLIE JAËSAN

    Portrait de Ophelie Jaesan
    Image, G.AdC


    Voir aussi :

    le site d’Ophélie Jaësan ;
    – (sur Terres de femmes)
    Ophélie Jaësan, Iceberg memories (note de lecture) ;
    – (sur Terres de femmes)
    Ophélie Jaësan, Le Pouvoir des écorces (note de lecture) ;
    – (sur Poezibao)
    un extrait du recueil La Mer remblayée par le fracas des hommes (Prix de Poésie de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet 2006).

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    (Printemps des poètes 2010 « Couleur femme »)

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  • 23 novembre 1920 | Naissance de Paul Celan

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 23 novembre 1920 naît à Czernowitz, en Bucovine, Paul Pessach Antschel, connu sous le nom de Paul Celan.







    Paul_celan

    Source






    Après la déportation de ses parents, en juin 1942, au camp de Michailovka, en Ukraine, Paul Antschel est enrôlé dans un camp de travail forcé en Valachie. De retour à Czernowitz en 1944, Paul Antschel prend la fuite pour Bucarest. Paul Antschel y travaille comme lecteur et traducteur d’auteurs russes. Les premières publications de ses poèmes, sous le nom francisé de Paul Celan, datent de 1947. En décembre de la même année, Paul Celan rencontre à Vienne, où il séjourne pendant six mois, Ingeborg Bachmann. En 1948, à Paris, Celan s’inscrit à la Sorbonne pour y passer sa licence d’allemand et publie, dans la revue Plan, 17 poèmes. Il poursuit ses travaux de traduction avec des œuvres de Jean Cocteau et de Guillaume Apollinaire. Il traduit également les recueils de poèmes d’Yvan Goll (1891-1950).

    En 1952, Celan donne sa première lecture publique de poèmes, à Niendorf, en Allemagne. Le 23 décembre 1952, il épouse Gisèle de Lestrange, peintre et graveur. Le premier recueil de Paul Celan, Pavot et mémoire (Mohn und Gedächtnis), paraît la même année. Commencent alors, dès octobre 1953, les premières campagnes de diffamation de Claire Goll, qui accuse Paul Celan d’avoir plagié les poèmes de son mari, le poète Yvan Goll. Le 22 octobre 1960, Paul Celan reçoit le prix Büchner à Darmstadt, en Allemagne, malgré les tentatives de Claire Goll pour empêcher cet événement.

    De 1955 à 1970, six recueils sont publiés :

    De seuil en seuil (Von Schwelle zu Schwelle, 1955),

    Grille de parole (Sprachgitter,1959),

    La Rose de personne (Die Niemandsrose, 1963),

    Renverse du souffle (Atemwende, 1967),

    Soleil-filaments (Fadensonnen,1968),

    Péage noir (Schwarzmaut, 1969).

    Le 19/20 avril 1970, Paul Celan se donne la mort à Paris en se jetant dans la Seine. Son dernier poème, Rebleute, est daté du 13 avril.






    SCHIBBOLETH (1)



    Mitsamt meinen Steinen,
    den großgeweinten
    hinter den Gittern,

    schleiften sie mich
    in die Mitte des Marktes,
    dorthin,
    wo die Fahne sich aufrollt, der ich
    keinerlei Eid schwor.

    Flöte,
    Doppelflöte der Nacht:
    denke der dunklen
    Zwillingsröte
    in Wien und Madrid.

    Setz deine Fahne auf Halbmast,
    Erinnrung.
    Auf Halbmast
    für heute und immer.

    Herz:
    gib dich auch hier zu erkennen,
    hier, in der Mitte des Marktes.
    Ruf’s, das Schibboleth, hinaus
    in die Fremde der Heimat:
    Februar (2). No pasarán.

    Einhorn (3):
    du weißt um die Steine,
    du weißt um die Wasser,
    komm,
    ich führ dich hinweg
    zu den Stimmen
    von Estremadura (4).






    SCHIBBOLETH



    Avec toutes mes pierres,
    grandies dans les pleurs
    derrière les grilles,

    ils m’ont traîné
    jusqu’au milieu du marché,
    jusqu’au lieu
    où se déroule le drapeau auquel je n’ai
    prêté aucune espèce de serment.

    Flûte,
    double-flûte de la nuit :
    songe à la sombre
    aurore jumelle
    à Vienne et Madrid.

    Mets à mi-hampe ton drapeau,
    souvenir
    à mi-hampe
    pour aujourd’hui et à jamais.

    Cœur :
    là aussi fais-toi connaître,
    là au milieu du marché.
    Crie-le, le schibboleth, à toute force
    dans l’étrangeté du pays:
    février. No pasarán.

    Licorne :
    tu sais bien ce qu’il en est des pierres,
    tu sais bien ce qu’il en est des eaux,
    viens,
    je t’emmène loin
    chez les voix
    de l’Estrémadure.



    Paul Celan, De seuil en seuil in Choix de poèmes réunis par l’auteur (édition bilingue), Gallimard, Collection Poésie, 1998, pp. 112-113-114-115. Notes, p. 339. Traduction et présentation de Jean-Pierre Lefebvre.




    ______________________________________________________
    1. Schibboleth : le titre de ce poème renvoie au mot de passe hébreu (Juges, XII, 6) qui permettait aux gens de Galaad de reconnaître ceux d’Éphraïm en fuite et de les exterminer… Par une tragique extension, le terme désigne aujourd’hui les mots de reconnaissance permettant l’entrée dans un groupe.
    2. Allusion principalement aux événements de février 1934.
    3. Licorne : animal fabuleux, symbole de force et de virginité. Son corps de cheval est surmonté d’une corne unique, blanche ou noire. Mais Einhorn est aussi le patronyme d’un ami de jeunesse de Paul Celan, Erich Einhorn (1920-1974), dont il partageait la sympathie pour les mouvements révolutionnaires des années 1930 (notamment ceux des ouvriers de Vienne et des républicains espagnols).
    4. Estrémadure : province espagnole frontalière du Portugal, au sud-ouest de Madrid. De violents combats s’y sont déroulés pendant la guerre civile.





    PAUL CELAN CHOIX DE POEMES






    PAUL CELAN



    ■ Paul Celan
    sur Terres de femmes

    Lob der Ferne
    La main pleine d’heures
    Lointains
    Stimmen
    TANT D’ASTRES
    Tübingen, Jänner
    13 février | Paul Celan, Tout en un
    5 décembre 1960 | Lettre de Nelly Sachs à Paul Celan
    Jeudi 11 décembre 1969 | Lettre de Paul Celan à Ilana Shmueli
    Correspondance Nelly Sachs | Paul Celan



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Lyrikline)
    Paul Celan disant lui-même dix de ses propres poèmes



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