Terres de Femmes

Mois : juin 2008


  • 7 juin 1973 | Louis Guilloux, Grand Prix de Littérature de l’Académie Française

    Éphéméride culturelle à rebours



    Sangnoir1







        Le 7 juin 1973, le romancier breton Louis Guilloux (né le 15 janvier 1899 à Saint-Brieuc où il décèdera le 14 novembre 1980) se voit décerner le Grand Prix de Littérature de l’Académie Française. Déjà récompensé en 1949 par le prix Renaudot pour Le Jeu de patience, Louis Guilloux avait reçu en 1967 le Grand Prix national des Lettres pour l’ensemble de son œuvre.

        Fils d’un artisan cordonnier de Saint-Brieuc (actif militant socialiste), Louis Guilloux, lecteur passionné de Rousseau, de Vallès et de Romain Rolland, se lance très tôt dans l’écriture. Mais refuse de s’engager dans un parti politique. Son professeur de philosophie, George Palante, grand admirateur de Kant et de son ouvrage Critique de la raison pure, lui inspire le personnage de Cripure, présent dans Le Jeu de patience et dans Le Sang noir.

        Publié en 1935, Le Sang noir, vaste construction fondée sur « la technique de l’entrecroisement », est une œuvre inclassable, un kaléidoscope littéraire qui, selon Albert Camus, « mêle à des fantoches misérables des créatures d’exil et de défaite ». Une œuvre qui « se situe au-delà du désespoir et de l’espoir ».






    Rufus_en_sepia







    EXTRAIT DU SANG NOIR


        Je vais vous raconter une anecdote tragique. C’était un soir, à Paris, en…
        Il se souvint tout à coup que l’année en question était celle où il avait quitté Toinette et un instant il se cacha les yeux derrière la main.
        Puis, d’une voix haletante, il continua son récit. C’était un soir de printemps, et il flânait sur le boulevard Saint-Michel. Il pouvait être neuf heures. Il allait s’asseoir à la terrasse d’un café, quand deux coups de feu éclatèrent derrière lui. En un clin d’œil le boulevard s’était vidé. Un tout petit homme, un Chinois très mince, courait de toutes ses forces au beau milieu de la chaussée, poursuivi par les agents. De temps en temps il se retournait et tirait à travers la poche de son veston, fendait l’air et bondissait comme un chat furieux. De sa main, qui ne tirait pas, il maintenait le pan de son veston gris pâle. Ses souliers, jaune clair, battaient l’air comme des oiseaux mécaniques. Les agents le saisirent enfin, ils s’abattirent presque tous ensemble sur lui et le couchèrent au pied d’un arbre, sans un cri. Il ne devait plus avoir, hélas ! de cartouches, mais il ne lâchait pas son revolver. Deux agents lui tenaient les épaules, un autre avait appuyé son genou sur sa poitrine, un quatrième s’efforçait de lui arracher son arme et répétait d’une voix basse « Donne ton feu, donne… lâche-le. » Mais il résistait toujours. Alors sans doute lui tordirent-ils les poignets, car le malheureux ― « le courageux » ― se mit à pousser des cris de rat. Et l’arme roula par terre. Un agent fourra le revolver dans sa poche. Alors, sûrs désormais que leur victime n’était plus dangereuse, ils le relevèrent et se mirent à le frapper. Deux agents le maintenaient debout par les épaules bien qu’il fût déjà évanoui et que le sang ruisselât sur sa figure ; les autres cognaient à coups de poing et aussi à coups de pied. Un inspecteur en civil avec une grosse tête ronde et noire répéta : « Allez-y ! Allez-y ! C’est de la viande ! » Entre leurs mains le malheureux devint une loque sanglante. Sa tête ballait de droite et de gauche comme celle d’un mannequin. Peut-être était-il déjà mort…
        Cripure respira, et reprit :
        ― Ils cessèrent enfin de le frapper et le traînèrent vers le poste. Sa longue chevelure noire étalée sur son front semblait avoir trempé dans l’eau. Son pantalon avait glissé, découvrant ses jambes maigres et nerveuses. Alors… Mais alors seulement, un petit homme fluet se dégagea de la foule et s’approcha en sautillant du sinistre cortège. C’était un bon petit bourgeois de chez nous, quelque chose comme un employé de banque ou un rond-de-cuir quelconque. Il portait un complet noir à bon marché, des manchettes en celluloïd, une fausse perle à sa cravate. Mais il avait une canne et un chapeau de paille et la canne, il la brandissait déjà…
        « Je le vis enfin arriver tout près du cortège et la canne se levant toute droite en l’air s’abattit, oui, d’un coup, sur le visage en sang du moribond. Voilà », acheva Cripure. Et il y eut un long silence.


    Louis Guilloux, Le Sang noir, Éditions Gallimard, 1935 ; Gallimard, Collection folio, 1980, pp. 329-330.





    LOUIS GUILLOUX


    Louis Guilloux
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Société des Amis de Louis Guilloux)
    une bibliographie sur Louis Guilloux





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  • 6 juin 1910 | Naissance de Dorothy Carrington

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 6 juin 1910, naissance à Perrotts Brook (North Cerney, Gloucestershire), près de Cirencester, de Frederica Dorothy Violet Carrington, dite Dorothy Carrington.






    Dorothy_carrington
    Mim Hain, Collage.
    Source






    LA CORSE, UN RÊVE FABULEUX



        Dorothy Carrington découvre pour la première fois la Corse en juin 1948, lorsqu’elle débarque du « Ville d’Ajaccio », qui vient d’accoster sur le quai de l’Herminier :

    « Je n’oublierai jamais mon arrivée à Ajaccio, à l’aube. Je revois encore la Corse surgir de l’eau comme un rêve fabuleux. La ville était ravissante, sortie d’un conte. Ce fut un véritable choc. […] ».

        À l’origine de sa venue dans l’île, la rencontre à Londres de Jean Cesari dont les récits enflamment son imagination. Dès lors, elle brûle de se rendre sur le terrain pour aller à la découverte de toutes ces choses étranges qui vont la tenir en haleine tout au long de sa vie.

        Installée à Ajaccio avec son troisième mari, le peintre surréaliste Sir Francis Rose, elle arpente l’île infatigablement, recueille récits et traditions, coutumes et croyances, creuse les données de l’histoire, se passionne pour les sites mégalithiques dont l’île n’a pas encore exploré les secrets, ouvre de nouvelles voies à l’archéologie. Pendant que son époux s’adonne à la peinture, Lady Rose s’attelle à ce qui va devenir un véritable travail d’ethnologue. Confrontant lectures, témoignages, expériences vécues, Lady Rose participe à des congrès, donne des conférences et se consacre à la rédaction de ses ouvrages. En 1971, son livre Granite Island, a Portrait of Corsica (Corse, île de granit, pour l’édition française chez Arthaud, 1980) est récompensé par le prix W.H. Heinemann Award. En 1993, elle reçoit le prix de la Napoleonic Society of America pour son ouvrage Napoléon et ses parents.

        Dorothy Carrington a reçu le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 1986. Celui de Membre de l’Empire Britannique lui a été décerné par Son Altesse Elizabeth II en 1995. Nommée docteur honoris causa de l’Université de Corte en 1991, la Région Corse lui a attribué le prix spécial du jury pour l’ensemble de son œuvre sur l’île.

        Lady Rose s’est éteinte le vendredi 25 janvier 2002 à Ajaccio, dans son domicile du Cours Napoléon. Conformément à ses désirs, elle a été inhumée dans le cimetière marin des îles Sanguinaires. Face à la mer.





    DOROTHY CARRINGTON : SÉLECTION BIBLIOGRAPHIQUE


    Trésors oubliés des églises de Corse (en collaboration avec Geneviève Moracchini), Paris, Hachette, 1959.
    This Corsica : a Complete Guide, Londres, Hammond & Hammond, 1962.
    Granite Island, a Portrait of Corsica, Londres, Longman Group Limited, 1971 (nombreuses rééditions chez Penguin books). Édition française : Corse, île de granit, Paris, Arthaud, 1980 (rééd. 1987, 1999 et 2003 sous le titre La Corse). Traduction française de Madeleine Cheyrouze.
    La Corse, des Lumières à la révolution, Ajaccio, Maison de la Culture, 1979.
    Sources de l’histoire de la Corse au Public Record Office de Londres, avec 38 lettres inédites de Pascal Paoli, Ajaccio, La Marge, 1985.
    Napoleon and his parents on the threshold of history, Londres, Viking, 1988.
    Napoléon et ses parents au seuil de l’histoire, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola/La Marge, 1993.
    The Dream-Hunters of Corsica, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1995. Édition française : Mazzeri, finzioni, signadori : aspects magico-religieux de la culture corse, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 1998, rééd. 2004. Adaptation de l’anglais par l’auteur et traduction de Roland Muraccioli.
    La Constitution de Pascal Paoli, 1755, Ajaccio, La Marge, 1996.
    Portrait de Charles Bonaparte d’après ses écrits de jeunesse et ses mémoires, Ajaccio, Éditions Alain Piazzola, 2001.





    ■ Dorothy Carrington
    sur Terres de femmes

    Vendredi saint à Sartène. Le Catenacciu. Extrait de Dorothy Carrington, La Corse, Arthaud, 1980


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Annales historiques de la Révolution française)
    Dorothy Carrington (Frederica Lady Rose) 6 juin 1910‑25 janvier 2002, par Émile Ducoudray




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  • Christine Bonduelle | ambivalences


    «  Poésie d’un jour  »



    CONVERSATION




    Ambivalences
    Ph., G.AdC





    Solidaires
    les voix
    à s’attendre

    chercheuses
    de chaque côté
    du mur

    remueuses
    de pierres
    à tâton
    perceuses
    de jour
    en trouées

    éparses
    étirant l’œil
    à l’intérieur.






    VOIX ÉMUE


    aigu

    nœud aux cordes
    tire un voile

    grave.




    Christine Bonduelle, « Conversations », Bouche entre deux, Obsidiane, collection « Le legs prosodique », 2003, pp. 9 et 11.






    Ce frais silence
    regard d’eau
    tenue secrète
    en sous-bois
    ronceux
    toucheur d’âme
    qui vive
    lointaine
    est-ce toi
    ou rien
    n’y a-t-il
    rien que cris
    sans voix ?




    Christine Bonduelle, « Agapê », Bouche entre deux, id., page 28.






        Ce recueil poétique est le premier recueil de Christine Bonduelle (née le 5 juin 1959) publié chez Obsidiane (un premier recueil à diffusion restreinte, Aigu en Parallèle, ayant paru en janvier 1997 aux éditions de la Librairie-Galerie Racine). Seuls quelques poèmes avaient déjà paru dans Le Petit Digital illustré et la revue de poésie Le Mâche Laurier. « Dans la tradition du dix-septième siècle, les deux premières parties de Bouche entre deux se présentent comme un manuel moderne sur la conversation. Conversations dresse l’inventaire de ses nombreuses facettes, tandis qu’Agapê retrace une expérience de dialogue quasi silencieux. Le souci de se former à l’art de la conversation va de pair ici avec une extrême concision. […] Imprégnés d’une forte tension entre rigueur formelle et hardiesse de ton, ces textes courts s’entrechoquent et dégagent une grande énergie poétique. » (Quatrième de couverture du recueil).

        Outre une publication dans la revue Pleine Marge (n° 47, juin 2008), un nouvel ouvrage de Christine Bonduelle, Ménage, a été publié en juin 2010 par les éditions Obsidiane. Christine Bonduelle est par ailleurs responsable de la rubrique Poésie de Secousse, la revue de littérature en ligne des éditions Obsidiane, dont le sixième numéro a paru en mars 2012.





    CHRISTINE BONDUELLE


    Bonduelle
    Source



    ■ Christine Bonduelle
    sur Terres de femmes

    Soif (autre poème extrait de Bouche entre deux)
    Ménage (note de lecture d’AP)
    Impossible ça ne marchera pas (poème extrait de Ménage)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Christine Bonduelle | [sans titre]



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la revue Secousse [Quatrième])
    huit poèmes de Christine Bonduelle
    → (dans la sonothèque de la revue Secousse)
    huit poèmes de Christine Bonduelle lus par l’auteure





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  • 3 juin 1910 | Naissance de Wilfred Thesiger

    Topique : Le désert
    Topique : Voyage et récits de voyage

    Éphéméride culturelle à rebours




        Le 3 juin 1910 naît dans une hutte de terre de la légation britannique à Addis-Abeba (Abyssinie, aujourd’hui Éthiopie), Wilfred Thesiger.




    Wilfred_thesiger
    Wilfred Thesiger en 1948
    Pitt Rivers Museum, Oxford.
    © 2005, University of Oxford
    Source




        Fils d’un ambassadeur britannique à Addis-Abeba, Wilfred Thesiger, explorateur et écrivain, a entrepris de 1946 à 1948 deux traversées du Rub ‘al Khali. Situé en grande partie sur les territoires d’Arabie Saoudite, le Désert des Déserts passait alors pour l’une des terres les plus inhospitalières au monde.

        Wilfred Thesiger est mort à Croydon (Surrey) le 24 août 2003.




    LE DÉSERT DES DÉSERTS

        « J’étais heureux dans la compagnie de ces hommes qui avaient choisi de m’accompagner. J’avais de l’affection pour eux en tant que personnes et j’aimais leur manière de vivre. Mais bien que je fusse très sensible à l’agrément de nos relations, je ne me leurrais pas au point de croire que je puisse jamais être l’un des leurs. Ils étaient Bédouins, je ne l’étais pas ; ils étaient musulmans, j’étais chrétien. Pourtant, devenu leur compagnon, un lien inviolable nous unissait, aussi sacré que celui d’un hôte à son invité, plus puissant que les obligations de loyauté tribales et familiales. Parce que j’étais leur compagnon de voyage, ils étaient prêts à me défendre envers et contre tous, y compris contre leurs frères, et ils n’en attendaient pas moins de ma part.
        Mais je savais que le plus dur, pour moi, serait de vivre en harmonie avec eux, sans me laisser dominer par mon intolérance, sans me retirer à l’intérieur de moi-même, ni devenir trop critique à l’égard des mœurs et des critères très différents des miens. Je savais, par expérience, que les conditions dans lesquelles nous vivions finiraient par m’user lentement, moralement sinon physiquement, et qu’il m’arriverait d’être agacé par le comportement de mes compagnons. Mais, je savais, avec non moins de certitude, que, si cela se produisait, ce serait à moi, et non à eux, qu’en incomberait la faute.
        Au cours de la nuit, un renard glapit quelque part sur les pentes au-dessus de nous. À l’aube, al Auf détacha les chameaux qu’il avait rassemblés pour la nuit, et les laissa partir à la recherche de nourriture. Nous ne devions pas manger avant le coucher du soleil, mais bin Kabina fit réchauffer le café qui restait de la veille. Nous marchions depuis une heure environ, lorsque nous tombâmes sur une zone de végétation qu’avait fait renaître une récente averse. Il nous fallait choisir entre poursuivre notre chemin ou laisser paître nos chameaux : al Auf décida que nous devions nous arrêter et, tandis que nous déchargions outres et sacoches, il nous demanda de faire des provisions de tribule pour la route. Après quoi, il creusa un trou dans le sable pour découvrir jusqu’à quelle profondeur la pluie avait pénétré ― en l’occurrence, jusqu’à quatre-vingt-dix centimètres. Il procédait ainsi partout où il avait plu et, lorsqu’il n’y avait pas encore sur les lieux de plantes que nos chameaux puissent brouter, nous le laissions poursuivre seul ses recherches et continuions à avancer. Je ne voyais pas l’utilisation pratique qu’il pouvait faire de ces renseignements sur les possibilités de végétation en plein cœur du Désert des Déserts, et pourtant, je sentais que c’était précisément ce genre de savoir qui faisait de lui un guide exceptionnel. Après avoir observé al Auf pendant quelques instants, je m’étendis sur le sable et suivis du regard un aigle qui décrivait des cercles au-dessus de ma tête. Il faisait très chaud. Je relevai la température à l’ombre de mon corps et constatai qu’elle était de 29°. Il était difficile d’imaginer que, ce matin même, à l’aube, il ne faisait que 6°. Le soleil avait chauffé le sable au point qu’il brûlait le pourtour de mes pieds, là où la peau est particulièrement tendre.
        Vers midi, nous longeâmes de hautes dunes de sable pâle, puis d’autres, de couleur dorée ; dans la soirée, nous perdîmes une bonne heure à contourner une grande montagne de sable rouge d’environ deux cents mètres de haut. Au-delà, s’étendait une longue plaine salée qui faisait comme un couloir à travers les Sables : nous nous y engageâmes. À un moment, je me retournai et la grande dune rouge m’apparut comme une porte qui, lentement, silencieusement, se refermait derrière nous. En regardant le passage se rétrécit entre cette dune et celle qui s’élevait de l’autre côté du couloir, je m’imaginais qu’une fois qu’il serait clos, jamais, quoi qu’il arrivât, nous ne pourrions revenir en arrière. Bientôt, je ne vis plus qu’un grand mur de sable qui barrait l’horizon.

    Wilfred Thesiger, Le Désert des Déserts, Plon, Collection Terre humaine, 1978 ; Collection Terre humaine/Poche, 1991, pp. 170-171-172. Traduction de Michèle Bouchet-Forner.




    Compagnons_de_voyage
    Les compagnons de voyage de Wilfred Thesiger
    dans le Désert des Déserts, 1946
    Pitt Rivers Museum, Oxford.
    © 2005, University of Oxford
    Source





    Voir aussi :
    – (sur le site du Pitt Rivers Museum) une sélection de quelque cent photos dans une
    galerie Web entièrement consacrée à Wilfred Thesiger.



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  • 2 juin 1740 | Naissance du marquis de Sade

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 2 juin 1740 naît à Paris, dans l’hôtel de Condé, Louis Aldonze Donatien, marquis de Sade. Lors de la déclaration de naissance, les domestiques transforment ses prénoms en Donatien Alphonse François.







    De_sade
    Man Ray (1890-1976)
    Portrait imaginaire de D.A.F. de Sade, 1938

    Huile sur toile et panneau de bois, 55 cm x 45 cm
    The Menil Collection, Houston (Texas, États-Unis).







    EXTRAIT d’ALINE ET VALCOUR


        « Je n’ai qu’un ennemi à craindre, poursuivit Zamé, c’est l’Européen inconstant, vagabond, renonçant à ses jouissances pour aller troubler celles des autres, supposant ailleurs des richesses plus précieuses que les siennes, désirant sans cesse un gouvernement meilleur, parce qu’on ne sait pas lui rendre le sien doux ; turbulent, féroce, inquiet, né pour le malheur du reste de la terre, catéchisant l’Asiatique, enchaînant l’Africain, exterminant le citoyen du nouveau Monde, et cherchant encore dans le milieu des mers de malheureuses îles à subjuguer ; oui, voilà le seul ennemi que je craigne, le seul contre lequel je me battrai, s’il vient ; le seul, ou qui nous détruira, ou qui n’abordera jamais dans cette île ; il ne le peut que d’un côté ; je vous l’ai dit, ce côté est fortifié de la plus sûre manière : vous y verrez les batteries que j’ai fait établir ; l’accomplissement de cet objet fut le dernier soin de mon voyage et le dernier emploi de l’or que m’avait donné mon père. Je fis construire trois vaisseaux de guerre à Cadix, je les fis remplir de canons, de mortiers, de bombes, de fusils, de balles, de poudre, de toutes vos effrayantes munitions d’Europe, et fis déposer tout cela dans le magasin du port qu’avait construire mon prédécesseur ; les canons furent mis dans les embrasures ; cent jeunes gens s’exercent deux fois le mois aux différentes manœuvres nécessaires à cette artillerie ; mes concitoyens savent que ces précautions ne sont prises que contre l’ennemi qui voudrait nous envahir. Ils ne s’en inquiètent pas, ils ne cherchent même point à approfondir les effets de ces munitions infernales dont je leur ai toujours caché les expériences ; les jeunes gens s’exercent sans tirer, si la chose était sérieuse, ils savent ce qui en résulterait, cela suffit. Avec les peuples doux qui m’entourent, je n’aurais pas eu besoin de ces précautions ; vos barbares compatriotes m’y forcent, je ne les emploierai jamais qu’à regret.
        Tel fut l’attirail formidable avec lequel, au bout de vingt ans, je rentrai dans ma patrie […]

        L’état naturel de l’homme est la vie sauvage; né comme l’ours et le tigre dans le sein des bois, ce ne fut qu’en raffinant ses besoins qu’il crut être utile de se réunir pour trouver plus de moyens à les satisfaire. En le prenant de là pour le civiliser, songez à son état primitif, à cet état de liberté pour lequel l’a formé la nature, et n’ajoutez que ce qui peut perfectionner cet état heureux dans lequel il se trouvait alors ; donnez-lui des facilités, mais ne lui forgez point de chaînes ; rendez l’accomplissement de ses désirs plus aisé, mais ne les asservissez pas ; contenez-le pour son propre bonheur, mais ne l’écrasez point par un fatras de lois absurdes ; que tout votre travail tende à doubler ses plaisirs en lui ménageant l’art d’en jouir longtemps et avec sûreté ; donnez-lui une religion douce, comme le Dieu qu’elle a pour objet ; dégagez-la surtout de tout ce qui ne tient qu’à la foi ; faites-la consister dans les œuvres et non dans la croyance. Que votre peuple n’imagine pas qu’il faille croire aveuglément tels et tels hommes, qui dans le fond n’en savent pas plus que lui, mais qu’il soit convaincu que ce qu’il faut, que ce qui plaît à l’Éternel, est de conserver toujours son âme aussi pure que lorsqu’elle émana de ses mains ; alors il volera lui-même adorer le Dieu bon qui n’exige de lui que les vertus nécessaires au bonheur de l’individu qui les pratique ; voilà comme ce peuple chérira votre administration, voilà comme il s’y assujettira lui-même et voilà comme vous aurez , dans lui, des amis fidèles, qui périraient plutôt que de vous abandonner, ou que de ne pas travailler avec vous à tout ce qui peut conserver la patrie.


    Sade, Aline et Valcour [1795], in Œuvres, volume I, Bibliothèque de la Pléiade, Éditions Gallimard, 1990, pp. 642-643-644. Édition établie par Michel Delon. Préface de Jean Deprun.




    Le_seul_portrait_authentique_de_sad



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  • François Cheng | Rose d’indigo

    «  Poésie d’un jour  »



    Rose_d_indigo
    Ph., G.AdC







    ROSE D’INDIGO



    Rose d’indigo
                      rose innommée
                      toujours changeante
    Tu ne mourras point

    Rose d’indigo
                      ou d’émeraude
    Entre brume et lune
                      n’es-tu de nuit ?

    Rose d’un seul rêve
                      au chant ouvert
                      au parfum clos
    Tu ne mourras point

    Tu n’es que mémoire
                      tu n’es qu’oubli
    Entre argile et brume
                      n’es-tu d’ici ?




    François Cheng, Qui dira notre nuit [Arfuyen, 2003 ; éd. revue et augmentée, 2010, page 17], À l’orient de tout, Gallimard, Collection Poésie, 2005, page 225.



    FRANÇOIS CHENG


    Cheng
    Source




    ■ François Cheng
    sur Terres de femmes


    L’appel de la mer
    [Consens à la brisure] (extrait d’Enfin le royaume)
    Longtemps à longer cette eau sans âge
    [Oui, nous suivrons le sentier]
    [Suivre le poisson, suivre l’oiseau]
    Tango toscan




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’Académie française)
    une bio-bibliographie de François Cheng





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  • TdF n° 43 ― juin 2008



    Logo_tdf_juin_2008
    Image, G.AdC




    SOMMAIRE DU MOIS DE JUIN 2008



    Terres de femmes ― N° du mois de mai 2008
    François Cheng/Rose d’indigo
    2 juin 1740/Naissance du Marquis de Sade
    3 juin 1910/Naissance de Wilfred Thesiger
    Christine Bonduelle/ambivalences
    6 juin 1910/Naissance de Dorothy Carrington
    7 juin 1973/Louis Guilloux, Grand Prix de Littérature de l’Académie Française
    Julien Bosc/Et toi, qui es-tu ?
    8 juin 1903/Naissance de Marguerite Yourcenar
    10 juin/Junichirô Tanizaki, La Clef
    Esther Tellermann/Voix à rayures
    11 juin 1899/Naissance de Yanusari Kawabata
    12 juin 1925/Première exposition Miró à Paris
    13 juin 1888/Naissance de Fernando Pessoa
    Jackie Plaetevoet/Poèmes inédits
    Francesco Scarabicchi/Sarai di me l’unica luce ancora
    15 juin 1767/Italo Calvino, Le Baron perché
    Pierre Michon, Vie de Joseph Roulin (article d’Angèle Paoli)
    Henry Miller/O Lake of Light
    Mina Loy/Pétunia blanc
    18 juin 1933/Lettre d’Anaïs Nin à Antonin Artaud
    Dylan Thomas/Le vœu et le feu de la prière me brûlent
    20 juin 1912/Isadora Duncan conviée par Paul Poiret à la fête de Bacchus
    Florence Pazzottu/À contre-pente
    Esther Tellermann/Sûrement je vous tiendrai
    Ludovic Janvier/On quittera toujours la mer
    Françoise Clédat/(où le chant sans l’organe)
    24 juin 2005/Mort de Max Rouquette
    Aïcha Arnaout/Dans les eaux du glacier originel
    Danielle Fournier/toi
    Maryse Hache/pas l’inertie
    Lutz Bassmann/Haïkus de prison
    Anne Slacik et Marie-Laure Gobat à Tavel
    Patti Smith/Wilderness
    Terres de femmes ― N° du mois de juillet 2008



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