Terres de Femmes

Mois : juillet 2006


  • 18 juillet 1374 | Mort de François Pétrarque

    Éphéméride culturelle à rebours



    Petrarque_
    Image, G.AdC






        Dans la nuit du 18 au 19 juillet 1374, François Pétrarque, surpris par une fièvre inattendue, meurt. À Arquà, dans les monts Euganéens, où il s’était retiré avec sa fille. Il venait de travailler toute la journée sans relâche à la remise en ordre des Rimes. Ces Poésies éparses (Rime disperse), qu’il considérait comme des pièces inabouties, des ébauches de poèmes, qui ne pouvaient figurer dans le recueil du Canzoniere.

        Ainsi de ce sonnet aux accents « maniéristes » qui met en scène, sur le mode champêtre, trois jeunes femmes surprises, dans leur débat sur l’amour, par l’indiscrétion du poète. À la « quaestio » d’amour (située dans les deux tercets) succède la pointe finale du dernier vers, rapide, unique et péremptoire. Une flèche propre à désarçonner l’intrus.





    INTORN’AD UNA FONTE


    Intorn’ad una fonte, in un pratello
    Di verdi erbette pieno e di bei fiori,
    Sedean tre angiolette, i loro amori
    Forse narrando, ed a ciascuna ’l bello

    Viso adombrava un verde ramicello
    Ch’i capei d’or cingea, al qual di fuori
    E dentro insieme i dua vaghi colori
    Avvolgeva un suave venticello.

    E dopo alquanto l’una alle due disse
    (com’io udi’): « Deh, se per avventura
    di ciascuna l’amante or qui venisse,

    Fuggiremo noi quinci per paura ? ».
    A cui le due risposer : « Chi fuggisse,
    Poco savia saria, con tal ventura ! »




    AUTOUR D’UNE FONTAINE


    Autour d’une fontaine, et dans un petit pré
    Rempli d’herbette verte et de charmantes fleurs,
    Étaient assises trois angelettes contant
    Peut-être leurs amours; de chacune ombrageait

    Le beau visage un vert rameau qui entourait
    Leur chevelure d’or, tandis que tout autour,
    Un petit vent suave entremêlait ensemble,
    Dedans comme dehors, les deux jolies couleurs.

    Au bout de quelque temps, l’une dit aux deux autres
    (Comme je l’entendis) : « Si la fortune ici
    Conduisait l’amoureux de chacune de nous,

    Croyez-vous que la peur nous ferait nous enfuir ? »
    Les deux autres alors firent cette réponse :
    « Serait peu sage qui fuirait cette fortune ! »


    Francesco Petrarca, Rime in Anthologie bilingue de la poésie italienne, Gallimard, Bibliothèque de La Pléiade, 1994, pp. 295-296. Traduction de Danielle Boillet.




    ■ Pétrarque
    sur Terres de femmes

    6 avril 1327 | Pétrarque fait la rencontre de Laure
    26 avril 1336 | Pétrarque, L’Ascension du Mont Ventoux



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Deezer) Liszt,
    Sonetto del Petrarca N° 104 (Années de pèlerinage [Italie], Livre II), interprété par Lazar Berman



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  • Labyrinthe




    LABYRINTHE Enserre_dans_tes_songes_factices__1      

    Labyrinthe

    aveuglant
    avaleur

    de projets
    de promesses
    et de rires

    rends à la lumière
    vivace
    des enfances
    d’hier

    celle que tu plies
    enserrée
    dans tes songes
    factices

    libère de ta froide
    noirceur

    l’enfant ivre d’émois
    inviolés
    de la nuit


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



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  • 15 juillet 1939 | Louise de Vilmorin à Francis Poulenc

    Éphéméride culturelle à rebours



    Des images et des aveux
    Ph., G.AdC







    Hôtel Crillon
    15 juillet (St Henri) 1939



       Mon Poupoul chéri,


       Ta lettre m’a fait un immense plaisir. Les Fiançailles pour rire, c’est à toi que je les aurais dédiées si je n’avais pas épousé mon Pálffy. Mais mon Pálffy* m’a épousée et tu n’en as pas fait autant. Un jour il faudra que je te raconte ma vie d’à-présent. Toi qui m’as toujours connue à Verrières, entourée de mes frères et de mes amoureux, peux-tu m’imaginer dans un château, en Slovaquie ? Le vaste parc se perd dans la forêt et les monts des petites Carpathes bornent mon horizon. Viens voir ça et profites-z’en pour me jeter un coup d’oeil, si le cœur t’en dit. Mais la question n’est pas là, ou, plutôt, je n’ai pas encore répondu à la question que tu m’as posée. Tu me demandes pourquoi le texte du poème « Eau de vie, au-delà » édité par Gallimard dans le volume que j’ai intitulé Fiançailles pour rire, n’est pas semblable au texte original que tu as reçu de moi longtemps avant la parution de ce volume. Eh bien, voilà : ce poème que j’avais écrit sans y mêler la moindre intention, la moindre pensée inconvenantes m’a valu de la part de Marie-Blanche des taquineries dont je suis encore éberluée. Elle m’a démontré que ce poème était l’indécence même et contenait des images et des aveux dignes de faire rougir le confesseur le plus large d’esprit. Et quand je lui ai dit qu’elle avait l’esprit mal tourné elle m’a répondu que mon inconscience n’était pas, à ses yeux, une preuve d’innocence. Elle riait, tu la vois d’ici, mais moi je te jure que je faisais une vraie figure d’omelette, et aux fines herbes encore. Bref, je n’ai pas osé le faire paraître tel qu’il était. Je l’ai modifié pour tout le monde et si je ne l’ai pas changé pour toi c’est que je l’avais écrit pour toi et que je savais que ta musique aurait le pouvoir de l’innocence sous sa forme originelle.
       Ne m’en veuille pas de cette longue explication. J’ai le style filandreux. Je voudrais te voir et t’embrasser. Je le fais en pensée aujourd’hui et c’est de tout cœur que je suis ta

    Loulette.

    * Paul Palffy d’Erdöd


    Francis Poulenc, Correspondance 1915-1963, Editions du Seuil, 1967, pp. 110-111. Correspondance établie par Hélène De Wendel.






    Eau de vie, Au-delà


    Eau-de-vie ! Au-delà !
    À l’heure du plaisir,
    Choisir n’est pas trahir,
    Je choisis celui-là.

    Je choisis celui-là
    Qui sait me faire rire,
    D’un doigt de-ci, de-là,
    Comme on fait pour écrire.

    Comme on fait pour écrire,
    Il va par-ci, par-là,
    Sans que j’ose lui dire :
    J’aime bien ce jeu-là.

    J’aime bien ce jeu-là,
    Qu’un souffle fait finir,
    Jusqu’au dernier soupir
    Je choisis ce jeu-là.

    Eau-de-vie ! Au-delà !
    À l’heure du plaisir,
    Choisir n’est pas trahir,
    Je choisis celui-là.



    Francis Poulenc, Trois poèmes de Louise de Vilmorin, mélodies pour voix et piano, FP. 91, 1937.





    ■ Louise de Vilmorin
    sur Terres de femmes

    L’île (poème extrait de L’Alphabet des aveux)
    Mon cadavre est doux comme un gant (poème extrait de Fiançailles pour rire)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Louise de Vilmorin



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Piano bleu)
    une notice biographique sur Francis Poulenc
    → (sur deezer.com)
    les Trois poèmes de Louise de Vilmorin, interprétés par Barbara Hendricks
    → (sur Fine Stagione)
    un poème extrait de Fiançailles pour rire
    → (sur le site de RTS, Radio Télévision Suisse)
    Louise de Vilmorin reçoit l’équipe de Madame TV dans son domaine de Verrières-le-Buisson. Avec le critique littéraire Maurice Huelin (archive télévisuelle, mars 1964)




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  • 14 juillet 1900 | Joseph Conrad, Lord Jim

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 14 juillet 1900, Joseph Conrad achève l’écriture du manuscrit de son roman Lord Jim.






    Conradjim
    Source







        Écrivain anglais d’origine polonaise, Joseph Conrad (Jozef Konrad Korzeniowski, 1857-1954) s’engage très jeune dans la marine. En 1894, troquant sa tenue d’officier pour le mariage et la littérature, il se lance dans l’écriture romanesque.

        Inspirée par son expérience d’aventurier et son observation des hommes de la mer, l’œuvre de Joseph Conrad, souvent considérée comme exotique, lui vaut d’être assimilée à celle de Rudyard Kipling. Conrad est pourtant aux antipodes de l’auteur du Livre de la jungle. Dénonçant les dégâts du colonialisme, Conrad s’en prend aux passions des hommes. Ainsi de lord Jim, qui, hanté par la trahison, déserte son bateau et passe sa vie à expier. Ou à trahir de nouveau. Jusqu’à périr, puni par d’autres hommes.

        Les héros de Joseph Conrad, marqués par la conscience malheureuse de leur époque, inspireront des auteurs aussi différents que Marcel Proust, William Faulkner ou Albert Camus.





    EXTRAIT de LORD JIM


        Il commençait à faire nuit. Des torches brillaient çà et là. Les gens que Jim croisait, paraissaient frappés d’épouvante, et s’effaçaient vivement pour le laisser passer. Les gémissements des femmes descendaient sur la pente. La cour était pleine de Bugis en armes avec leurs serviteurs, et d’habitants de la ville.
        « Je ne sais à quel but répondait réellement une telle assemblée. Étaient-ce préparatifs de guerre ou de vengeance, ou dispositions prises pour repousser une invasion menaçante ? Bien des jours passèrent sur le pays avant que les gens cessassent de rester sur le qui-vive, tremblant et guettant le retour des blancs aux longues barbes et aux vêtements en loques, dont les relations exactes avec leur seigneur blanc demeurèrent toujours mystérieuses à leurs yeux. Même pour ces esprits simples, le pauvre Jim reste dans l’ombre d’un nuage.
        « Seul, immense, désolé, ses deux pistolets de pierre sur les genoux, Doramin était assis dans son fauteuil, en face de la morne assemblée. Quand Jim parut, des exclamations retentirent ; toutes les têtes se tournèrent d’un seul coup; la foule s’ouvrit à droite et à gauche, et il s’avança le long d’un chemin de regards détournés. Des murmures, de chuchotements l’accompagnaient: – « C’est lui qui a tramé tout le mal… » – « Il possède un charme… » Il entendait… peut-être !
        Quand il parut dans le cercle de lumière des torches, les lamentations des femmes cessèrent subitement. Doramin ne leva pas la tête, et Jim resta un instant silencieux devant lui. Puis, regardant à sa gauche, il marcha de ce côté, à pas mesuré . La mère de Dain Waris était prosternée à la tête du cadavre, et ses cheveux gris épars couvraient son visage. Jim s’avança lentement, regarda le corps de son ami, en soulevant le linceul, puis le laissa retomber, sans un mot. Il revint doucement vers Doramin.
        – « Il est venu ! Il est venu ! » ce murmure qui courait sur les lèvres des assistants accompagnait ses pas. – « Il a tout pris sur sa tête ! » lança une voix très haute. Jim entendit ces mots et se retourna vers la foule. – « Oui, sur ma tête ! » Quelques uns des hommes reculèrent. Jim attendit un instant devant Doramin, puis dit doucement : – « Je suis venu tout prêt et sans armes », reprit-il… »


    Joseph Conrad, Lord Jim, Éditions Gallimard, 1979, pp. 355-356. Traduction de Philippe Neel.





    JOSEPH CONRAD


    Conrad




    ■ Joseph Conrad
    sur Terres de femmes

    Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Bleu Conrad (note de lecture)
    3 février 1921 | Joseph Conrad. En partance pour Ajaccio (Incipit de Bleu Conrad de Maddalena Rodriguez-Antoniotti)
    Kenneth White | Conrad sur L’Île-Grande





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  • Léo Ferré | Comme une marée de la mort

    «  Poésie d’un jour  »



         Le 14 juillet 1993 meurt à Castellina in Chianti (Toscane) Léo Ferré.







    Dans_les_draps_de_ma_vie_blesse
    Ph., G.AdC







    COMME UNE MARÉE DE LA MORT


         « C’est salé, c’est poivré, c’est doux, c’est huileux, c’est huilé, c’est noisette, c’est le bac où je baque, c’est la vie au sec, là-haut, dans la tête, et vernissée jusqu’au profond des portes entrebâillées, encoignures de passe et de rejet de blancheur toute grise et que je gobe et que tu happes et que tu gruges et que tu trais comme d’une mamelle jamais tarie. […] Alma matrix. Je suis le maître des linges noirs laissés pour compte dans les canalisations des mémoires de passe. C’est salé comme ces moutons de la rue, la morve au derche et ces « crie-donc » de paillasse en crêpe de Chine. O le crêpe de Chine sur ta chair inviolée, dans les cinq heures après-midi, à l’heure où quelque part, toujours, quelqu’un se trafique la moelle, à bout portant, comme on trafique les étoiles, je suppose, dans les univers embrassés. O le crêpe de Chine un peu frisé de ta géométrique envie de te faire enverguer comme on enverguerait des voiles dans des bordels intelligents. O cul de toi au cul de moi, ce seul mot qui me glisse son œil de misère humide dans les draps de ma vie blessée et déjà descendante comme une marée de la mort. »


    Léo Ferré, Alma Matrix, Editions La Mémoire et la mer, Collection « Les Étoiles », Monaco, 2000, Incipit.





    LÉO FERRÉ


    Leo_ferre



    ■ Léo Ferré
    sur Terres de femmes

    8 janvier 1969 | Récital de Léo Ferré à Bobino





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  • 13 juillet 1937 | Guernica au Trocadéro

    Éphéméride culturelle à rebours



    Guernica
    Pablo Picasso
    Guernica
    Huile sur toile
    349 x 776 cm
    Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid







        Le 13 juillet 1937 1, à l’occasion de l’ouverture au public du Pavillon espagnol (inauguré la veille), de l’Exposition internationale des Arts et Techniques, ouverte le 24 mai 1937, esplanade du Trocadéro à Paris, est exposée pour la première fois la toile Guernica de Picasso.

        Au lendemain du bombardement aérien, le 26 avril 1937, par quarante-trois appareils de l’aviation allemande, de la ville de Guernica (Biscaye), Picasso peint Guernica, l’œuvre la plus dramatique de sa carrière. En écho à la tragédie vécue par la petite ville basque, victime de la répression franquiste et de la coalition entre Franco et Hitler, allié du général durant la guerre civile d’Espagne. Un acte de barbarie qui signe l’entrée en scène, dans l’Histoire contemporaine, des massacres de populations civiles. Exécutée entre le 1er mai et le 6 juillet 1937, l’œuvre de Picasso résonne comme un cri partagé entre dénonciation violente de la barbarie et espoir :

        « J’ai toujours cru et crois que les artistes qui vivent et travaillent selon des valeurs spirituelles ne peuvent et ne doivent pas demeurer indifférents au conflit dans lequel les plus hautes valeurs de l’humanité et de la civilisation sont en jeu. »

        Mais ne voir dans Guernica que l’interprétation historique ne revient-il pas à cantonner cette œuvre, probablement cryptée, dans un espace temporel limité qui en appauvrit le sens ?

        N’y a-t-il pas une étrange coïncidence dans le fait que Picasso réalise cette immense toile (près de 8m de long sur 3m50 de large) dans l’atelier (le grenier d’un ancien couvent) du 7, rue des Grands-Augustins, que lui a trouvé la photographe Dora Maar. Dans le même immeuble que celui où, Balzac, le siècle précédent, rédigeait Le Chef-d’œuvre inconnu (publié en 1832) ! Dont le récit met en scène l’atelier d’un peintre (Porbus) chez qui se rencontrent un jeune artiste débutant, encore inconnu (Nicolas Poussin) et le vieux maître reconnu (Frenhofer). Tous deux fascinés par l’alchimie secrète qui lie le créateur à son œuvre, admirent et interrogent l’œuvre inaboutie qu’ils ont sous les yeux (une Marie l’Égyptienne qui se dérobe sous le pinceau de l’artiste !). Étrange mise en abyme que celle qui tisse son réseau de liens invisibles entre un peintre de la modernité et un écrivain du XIXe siècle !

        Longtemps restée en exil, en France d’abord, dans l’atelier où elle a été conçue, puis au MoMA (Musée d’Art moderne) de New York, la toile de Picasso, symbole de la résistance au franquisme, n’a fait son entrée en Espagne qu’en 1981. Elle est actuellement conservée à Madrid, au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, après avoir été provisoirement transférée dans une annexe du Prado.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Picasso peignant Guernica 2
    Dora Maar, Picasso peignant Guernica
    atelier du 7, rue des Grands-Augustins, mai 1937
    épreuve gélatino-argentique, 24 x 17,8 cm
    Paris, musée Picasso, Archives Picasso, MP 1998-200
    Source







    LA VICTOIRE DE GUERNICA


                              I

    Beau monde des masures
    De la nuit et des champs

                             II

    Visages bons au feu visages bons au fond
    Aux refus à la nuit aux injures aux coups

                             III

    Visages bons à tout
    Voici le vide qui vous fixe
    Votre mort va servir d’exemple

                             IV

    La mort coeur renversé

                              V

    Ils vous ont fait payer la pain
    Le ciel la terre l’eau le sommeil
    Et la misère
    De votre vie

                             VI

    Ils disaient désirer la bonne intelligence
    Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
    Faisaient l’aumône partageaient un sou en deux
    Ils saluaient les cadavres
    Ils s’accablaient de politesses

                             VII

    Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde

                             VIII

    Les femmes les enfants ont le même trésor
    De feuilles vertes de printemps et de lait pur
    Et de durée
    Dans leurs yeux purs

                             IX

    Les femmes les enfants ont le même trésor
    Dans les yeux
    Les hommes le défendent comme ils peuvent

                              X

    Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
    Dans les yeux
    Chacun montre son sang

                             XI

    La peur et le courage de vivre et de mourir
    La mort si difficile et si facile

                             XII

    Hommes pour qui ce trésor fut chanté
    Hommes pour qui ce trésor fut gâché

                             XIII

    Hommes réels pour qui le désespoir
    Alimente le feu dévorant de l’espoir
    Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l’avenir

                             XIV

    Parias la mort la terre et la hideur
    De nos ennemis ont la couleur
    Monotone de notre nuit
    Nous en aurons raison.



    Paul Éluard, La Victoire de Guernica, Cours naturel [1938], Œuvres complètes, I, Bibliothèque de la Pléiade, pp. 812-813.



    ______________________________
    1 Source : Catalogue Anne Baldassari (directrice du Musée Picasso) Picasso | Dora Maar, Il faisait tellement noir, Flammarion/RMN, 2006, page 167.




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur YouTube)
    un voyage en 3D dans Guernica, par Lena Gieseke




    ■ Picasso
    sur Terres de femmes

    1er avril 1936 | André Lhote, « Expositions Picasso »
    19 mars 1944 | Le Désir attrapé par la queue, Picasso
    8 avril 1973 | Mort de Pablo Picasso (+ vidéo)
    Dora Maar et Pablo Picasso | 29, rue d’Astorg





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  • 12 juillet 1904 | Naissance de Pablo Neruda

    Éphéméride culturelle à rebours

    «  Poésie d’un jour
     »



        Le 12 juillet 1904, naissance à Parral (Chili), de Neftalí Ricardo Reyes Basoalto, dit Pablo Neruda.






    Corps de femme
    Ph., G.AdC






    CUERPO DE MUJER


    Cuerpo de mujer, blancas colinas, muslos blancos,
    te pareces al mundo en tu actitud de entrega.
    Mi cuerpo de labriego salvaje te socava
    y hace saltar el hijo del fondo de la tierra.

    Fui solo como un túnel. De mí huían los pájaros,
    y en mí la noche entraba su invasión poderosa.
    Para sobrevivirme te forjé como un arma,
    como una flecha en mi arco, como una piedra en mi honda.

    Pero cae la hora de la venganza, y te amo.
    Cuerpo de piel, de musgo, de leche ávida y firme.
    Ah los vasos del pecho! Ah los ojos de ausencia!
    Ah las rosas del pubis! Ah tu voz lenta y triste!

    Cuerpo de mujer mía, persistiré en tu gracia.
    Mi sed, mi ansia sin límite, mi camino indeciso!
    Oscuros cauces donde la sed eterna sigue,
    y la fatiga sigue, y el dolor infinito.





    CORPS DE FEMME


    Corps de femme, blanches collines, cuisses blanches,
    tu ressembles au monde dans ton attitude d’abandon.
    Mon corps de laboureur sauvage te creuse
    et fait jaillir le fils du fond de la terre.

    Je fus seul comme un tunnel. Les oiseaux me fuyaient,
    et en moi la nuit pénétrait de son invasion puissante.
    Pour me survivre, je t’ai forgé comme une arme,
    comme une flèche à mon arc, comme une pierre à ma fronde.

    Mais l’heure de la vengeance tombe à pic, et je t’aime.
    Corps de peau, de mousse, de lait avide et ferme.
    Ah les vases de la poitrine ! Ah les yeux de l’absence !
    Ah les roses du pubis ! Ah ta voix lente et triste !

    Corps de femme mienne, je persisterai en ta grâce.
    Ma soif, mon désir sans bornes, mon chemin indécis !
    Lits de rivières obscurs où la soif éternelle continue,
    et la fatigue continue, et la douleur infinie.


    Neruda_signature


    Pablo Neruda, Les vingt poèmes d’amour, Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée, Gallimard, Collection Poésie, pp. 9-11.





    PABLO NERUDA


    Neruda 3





    ■ Pablo Neruda
    sur Terres de femmes

    L’insecte
    Le potier
    Le vent dans l’île
    Me gustas




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Nobelprize.org) une
    notice bio-bibliographique sur Pablo Neruda et le Discours prononcé à Stockholm (en espagnol) à l’occasion de la remise du Prix Nobel (10 décembre 1971)





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  • 12 juillet 1817 | Naissance de Henry David Thoreau

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 12 juillet 1817 naît Henry David Thoreau, à Concord, dans le Massachussetts.







    Henry_david_thoreau
    Source







    I-LAND



        Henry David Thoreau
    , le « Diogène américain », est issu d’une famille pauvre, qui entretient le culte du grand-père, un corsaire normand. Après des études à Harvard (il a obtenu une bourse grâce à la paroisse de Concord), il revient dans sa ville natale pour exercer le métier de maître d’école. À vingt-huit ans (1845), le 4 juillet, le jour même de l’Indépendance et fête nationale américaine, il s’installe dans une cabane en bois qu’il a construite de ses mains sur les terres sauvages de son ami Emerson, sur les rives du lac Walden. Ce séjour en autarcie (I-land) de deux ans et deux mois lui inspire Walden (1854) [Walden ou la vie dans les bois], devenu un classique de la littérature américaine. Cet anticonformiste contestataire est aussi l’auteur de A Week on the Concord et d’un journal, Cape Cod.
        Thoreau retourne à Concord en 1860, où il reprend la petite entreprise de crayons de son père. Partageant son temps entre écriture et vagabondages. Henry David Thoreau meurt de la tuberculose le 6 mai 1862.





    Walden
    Source





    EXTRAIT de WALDEN


       « Les soirs de chaleur je restais souvent assis dans le bateau à jouer de la flûte, et voyais la perche, que je semblais avoir charmée, se balancer autour de moi, et la lune voyager sur le fond goudronné, que jonchaient les épaves de la forêt. Jadis j’étais venu à cet étang par esprit d’aventure, de temps à autre, en des nuits sombres d’été, avec un compagnon, et allumant tout près du bord de l’eau un feu qui, nous le supposions, attirait les poissons, nous prenions des « loups » à l’aide d’un paquet de vers enfilés à une ficelle, après quoi, tard dans la nuit, et une fois tout fini, jetions en l’air les tisons embrasés, telles des fusées, qui, descendant sur l’étang, s’y éteignaient avec un grand sifflement, pour nous laisser tâtonner dans d’absolues ténèbres. À travers elles, sifflant un air, nous nous réacheminions vers les repaires des hommes.     Or, voici que j’avais établi mon foyer près de la rive.
       Parfois, après être resté dans quelque parloir de village jusqu’à ce que toute la famille se fût retirée, il m’est arrivé, ayant réintégré les bois, de passer les heures du milieu de la nuit, un peu en vue du repas du lendemain, à pêcher du haut du bateau au clair de lune, pendant que les hiboux et renards me donnaient la sérénade, et que, de temps à autre, la note croassante de quelque oiseau inconnu se faisait entendre là tout près. Ces expériences furent aussi curieuses que précieuses pour moi, – à l’ancre dans quarante pieds d’eau, et à vingt ou trente verges de la rive, environné parfois de milliers de petites perches et vairons, qui ridaient de leur queue la surface dans la lumière de la lune, et communiquant par une longue ligne de lin avec de mystérieux poissons nocturnes dont la demeure se trouvait à quarante pieds au-dessous, ou parfois remorquant de droite ou de gauche sur l’étang, alors que je dérivais dans la paisible brise de la nuit, soixante pieds d’une ligne que de distance en distance je sentais parcourue d’une légère vibration, indice d’une vie rôdant près de son extrémité, de quelque sourd, incertain et tâtonnant dessein par là, lent à se décider. On finit par amener lentement, en tirant main par-dessus main, quelque « loup » cornu qui crie et frétille à l’air des régions supérieures. C’était fort étrange, surtout par les nuits sombres, lorsque vos pensées s’en étaient allées vers de vastes thèmes cosmogoniques errer dans d’autres sphères, de sentir cette faible secousse, qui venait interrompre vos rêves et vous réenchaîner à la Nature ; il semblait qu’après cela j’eusse pu jeter ma ligne là-haut dans l’air, tout comme en bas dans cet élément à peine plus dense. Ainsi prenais-je deux poissons, comme on dit, avec un hameçon.

        Le décor de Walden est d’humbles dimensions, et, quoique fort beau, n’approche pas du grandiose… »


    Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois [1922 pour la traduction française], Gallimard, Collection L’Imaginaire, 1990, page 175. Traduit de l’anglais par L. Fabulet.



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  • Juan Ramón Jiménez | NOCTURNO

    «  Poésie d’un jour  »



    Nocturne
    Ph., G.AdC






                  &nbsp        NOCTURNO



    ¿Qué te importa de todo, *
    si podemos quemar
    cada pena ¡oh pasión ! en cada estrella,
    si podemos hacer
    del negro cielo inmenso
    nuestra inmensa alegría iluminada?







                           NOCTURNE



    Que t’importe toute chose,
    si nous pouvons brûler
    chaque peine oh passion ! en chaque étoile,
    si nous pouvons faire
    de l’immense ciel noir
    notre immense joie toute illuminée ? » **




    Juan Ramón Jiménez, Beauté (en vers) [1917-1923] [Belleza (en verso), 1917-1923], José Corti, Collection Ibériques, 2005, pp. 30-31. Traduction de Bernard Sesé.




    NOTE D’AP : * L’un de mes correspondants suggère la traduction « Que t’importe le tout ». Je la trouve en effet préférable à celle de Bernard Sesé.
    ** L’ajout de « toute » (qui n’existe pas dans le vers original et que conteste mon correspondant) semble ici lié à une question d’équilibre phonique du vers (en français). Un déséquilibre qui n’apparaît pas dans le vers original. Du moins quand on lit à haute voix. L’inversion de l’adjectif « immense » dans le vers précédent répond aussi sans doute à une prise en compte de l’intonation, de l’accent tonique ou du « point d’appui » en français. La traduction « mot à mot » en poésie est souvent problématique, car la poésie se lit surtout à l’oreille. Elle est là pour être chantée. C’est sans doute la raison pour laquelle, selon la légende, Homère était aveugle.





    JUAN RAMÓN JIMÉNEZ


    Jimenez



    ■ Juan Ramón Jiménez
    sur Terres de femmes

    LA PAZ
    SOL (+ notice bio-bibliographique)
    21 DE OCTUBRE
    29 mai 1958 | Mort de Juan Ramón Jiménez



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Prix Nobel) une
    fiche biographique de Juan Ramón Jiménez
    → (sur le site de l’éditeur José Corti)
    une fiche bio-bibliographique sur Juan Ramón Jiménez
    → (sur le site de l’éditeur José Corti)
    plusieurs pages consacrée à Juan Ramón Jiménez





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  • 11 juillet 1904 | Matisse à Saint-Tropez

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 11 juillet 1904, Henri Matisse se rend à Saint-Tropez pour y rejoindre Paul Signac, théoricien du « pointillisme ».







    Matisse, Luxe, calme et volupté 2

    Henri Matisse, Luxe, calme et volupté, 1904
    Huile sur toile, 98 x 118 cm
    Musée d’Orsay, Paris.
    Dation, 1982 ;
    dépôt du musée national d’Art moderne/
    CCI, Centre Georges-Pompidou, Paris, 1985.







    LUXE, CALME et VOLUPTÉ


        Cet été 1904, ébloui par la beauté de la lumière et les profusions généreuses de la nature, Matisse, l’homme du Nord habitué aux brumes et aux ciels incertains, entreprend de peindre la toile intitulée Luxe, calme et volupté. Inspirée par « L’Invitation au voyage » de Charles Baudelaire et marquée par le divisionnisme de Signac — une « tyrannie » dont Matisse parvient très vite à se libérer —, cette toile est une œuvre-clé dans la création du peintre. Elle est en effet la première œuvre réalisée par Matisse sur le thème de l’Âge d’or. À l’aube de l’humanité, hommes et femmes évoluent librement au sein d’une nature idéalisée.

        Exposée au Salon des Indépendants, la toile sera achetée en 1905 par Paul Signac. Puis devient propriété du musée national d’Art moderne, qui l’acquiert par dation en 1982. La toile est depuis 1985 en dépôt au Musée d’Orsay.





    L’INVITATION AU VOYAGE


         « Mon enfant, ma soeur,
         Songe à la douceur
    D’aller là-bas vivre ensemble !
         Aimer à loisir,
         Aimer et mourir
    Au pays qui te ressemble !
         Les soleils mouillés
         De ces ciels brouillés
    Pour mon esprit ont les charmes
         Si mystérieux
         De tes traîtres yeux,
    Brillant à travers leurs larmes.

    Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.
         Polis par les ans,
    Décoreraient notre chambre ;
         Les plus rares fleurs
         Mêlant leurs odeurs
    Aux vagues senteurs de l’ambre,
         Les riches plafonds,
         Les miroirs profonds,
    La splendeur orientale,
         Tout y parlerait
         À l’âme en secret
    Sa douce langue natale.

    Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté.
         Dormir ces vaisseaux
    Dont l’humeur est vagabonde ;
         C’est pour assouvir
         Ton moindre désir
    Qu’ils viennent du bout du monde.
         — Les soleils couchants
         Revêtent les champs,
    Les canaux, la ville entière,
         D’hyacinthe et d’or ;
         Le monde s’endort
    Dans une chaude lumière.

    Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
    Luxe, calme et volupté. »




    Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal [1857], Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, pp. 51-52.





    MATISSE

    Matisse
    Henri Matisse
    Autoportrait, 1918
    Collection du Musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis




    ■ Matisse
    sur Terres de femmes

    6 janvier 1963 | Inauguration du musée Matisse à Nice
    31 décembre 1869 | Naissance d’Henri Matisse


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Musée Matisse, Nice) le
    Répertoire des œuvres de Henri Matisse dans les collections publiques françaises et les fondations





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