Terres de Femmes

Mois : août 2005

  • Pouce !! Pause-maquis jusqu’à fin août




    Dans_les_montagnes_de_mon_le1_1
    Ph, G.AdC




    Bonghjornu,

    Je pars dans quelques heures au fin fond du maquis dans les montagnes de mon île. Pour écrire, je ne disposerai que de mon bloc-notes et de mon crayon. Sans liaison internet. Je ne pourrai donc consulter mon blog qu’à certaines étapes. Vous pouvez cependant me faire part de vos commentaires. Après mon retour dans mon village du Cap Corse (fin août), je mettrai en ligne tous les commentaires à caractère non personnel (pour ces derniers, utilisez plutôt d’ailleurs la messagerie de Terres de femmes).

    Avvèdeci è amicizia à tutti !


    Anghjula

    PS Merci à Marielle et à Ludecrit pour leurs derniers messages, toujours aussi tendres, ouverts et généreux. Chrysalide, je viens juste de prendre connaissance de ton petit mot perso (si vrai). Je t’écris dès mon retour.




  • Jean-Toussaint Desanti | L’insularité vous donne à penser


    Lunit_dun_enfermement_et_dune_ouverture
    Diptyque photographique, G.AdC







    L’INSULARITÉ VOUS DONNE À PENSER



    L’insularité […] est l’unité d’un enfermement et d’une ouverture. La mer nous enveloppe et elle est aussi le chemin. Or un chemin qui ouvre et ferme, ça pose problème. D’une part, il faut prendre pied et donc s’y trouver. Et d’autre part, il faut y prendre essor, et s’en aller. A la fois s’en aller et rester. C’est tout le problème de la philosophie qui consiste à prendre en charge l’environnement du monde dans lequel on est, avec ses voisinages, avec ses rapports qui se construisent toujours et qui donnent sens à ce voisinage, qui permettent de le penser, de lui donner un corps. Et d’autre part il faut l’élargir, essayer de comprendre le rapport à un autre monde que ce voisinage qui ne cesse jamais d’être là. Et plus vous vous en irez, plus le voisinage viendra avec vous. Vous êtes obligé, à ce moment-là, de penser ce rapport. L’insularité vous donne à penser.



    Jean-Toussaint Desanti (1914-2002), La Corse, un territoire philosophique, in Ange Casta, avec la collaboration de Florence Antomarchi, La parabole corse : rencontres avec l’identité, Editions Albiana, Ajaccio, 1995.






    _______________________________
    Ces propos, recueillis par Ange Casta, ont aussi été publiés en anglais dans la revue Méditerranéennes n° 12, Ajaccio, été 2001. Ange Casta a été le président de la Scam (Société civile des auteurs multimédia) de 2003 à 2007.



    NOTE d’AP : Jean-Toussaint Desanti fut un grand ami de mon père, Jean Paoli, qui faisait souvent référence au grand oeuvre du philosophe sur les idéalités mathématiques, référence qui me plongeait dans un grand état de perplexité. Adolescente, j’ai eu souvent l’occasion de le rencontrer à l’occasion de ses longs séjours d’été dans la marina d’Albu, à l’hôtel Morganti. Tel le philosophe Kant pour ses promenades, il se rendait journellement, à heure fixe et à petits pas, sur la longue plage de Nonza. Et me saluait rituellement du même geste, un grand mouvement giratoire de la main, avec le couvre-chef qui abritait son crâne dégarni du violent rayonnement du soleil.





    JEAN-TOUSSAINT DESANTI


    Jean-Toussaint Desanti
    Source



    ■ Jean-Toussaint Desanti
    sur Terres de femmes

    8 octobre 1914 | Naissance de Jean-Toussaint Desanti



    ■ Voir aussi ▼

    le site de l’Institut Jean-Toussaint Desanti





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  • Orgue et musique baroque dans les églises de Corse

    Agenda culturel 2005





    Chailley04_1

    Façade de l’orgue de San Ghjuvanni Battista
    de l’église de La Porta (Castagniccia, Corse),
    inauguré par Jacques Chailley – fondateur de Renaissance de l’orgue corse –
    en août 1963.



    Du 15 au 20 août 2005, à 21h00,
    concerts
    « Orgue et musique baroque dans les églises de Corse »
    organisés par l’Association ROC
    (Renaissance de l’Orgue Corse)
    et l’Association Quanelata
    et les villages partenaires de Piedrigriggiu, Canari, Curbara, Corti, Castifau, Pioggiula


    Cimbalata Accademia
    Ensemble Canticum Novum
    dirigé par
    Emmanuel Bardon

    dessus : Sandrine Rondot, Pascale Costes
    haute-contres : Jean-Paul Bonnevalle, Emmanuel Bardon
    taille : Edouard Hazebrouck
    basse-taille : Christophe Grapperon
    dessus de viole : Christine Plubeau, Viviana Gonzalez
    basse de viole : Emily Audouin
    théorbe : Carola Grinberg
    orgue et positif : Véronique Barbot


    Au programme :
    Canticum ad Beatam Virginem Mariam
    Pour la conception de la Vierge H. 509- H. 513 (1671),
    Salve Regina H 23a – H 23 (1677), Litanies de la Vierge H. 83 (1684),…

    de Marc-Antoine Charpentier
    (et airs pour orgue – canzon, toccata, … – d’Andrea Gabrieli, Claudio Merulo, Girolamo Frescobaldi, Michelangelo Rossi)


    Lundi 15 août : église de Piedigriggiu
    Mardi 16 août : église de Canari
    Mercredi 17 août : église de Curbara
    Jeudi 18 août : église de Corti
    Vendredi 19 août : église de Castifau
    Samedi 20 août : église de Pioggiula


    Créé en 1996, Canticum novum est un ensemble composé de jeunes chanteurs et instrumentistes passionnés par la musique de la Renaissance et la musique baroque. Il est en résidence artistique à l’abbaye de Fontmorigny (Cher) et, depuis octobre 2002, en résidence à Saint-Etienne et soutenu par la ville de Saint-Etienne. Durant cette année 2005, l’ensemble est en résidence à la Chapelle de la Trinité à Lyon avec deux Missa brevis de Bach en collaboration avec l’ensemble Stradivarius dirigé par Daniel Culier, des Vêpres de Noël de Claudio Monteverdi en collaboration avec Capriccio Stravagante dirigé par Skip Sempé, ainsi qu’un programme de Cantiques à la Vierge de Marc-Antoine Charpentier. Depuis 1999, Emmanuel Bardon est directeur artistique du Festival de l’abbaye de Fontmorigny. Il poursuit actuellement des recherches sur la musique romaine du XVIIe siècle et sur la musique baroque française, et tout particulièrement sur Marc-Antoine Charpentier, dont il a transcrit près de quarante oeuvres pour choeur.

    En juin 1997, Canticum novum a enregistré avec l’ensemble Arpeggiata un programme de Vêpres italiennes de l’Assomption (Vespro della Beata Vergine) [vers 1660] de Francesco Foggia (1604-1688), Bonifazio Graziani (1604-1664), Giuseppe Giamberti (1600-1664) et Giovanni Vicenti (floruit v. 1660) sous le label L’empreinte digitale [extraits musicaux]. Il prépare actuellement sous le même label un enregistrement du Requiem de Giovanni Francesco Anerio (Rome, 1567-Graz, 1630).
    >




    Vespro


    POUR INFORMATION : sur la seule île de Corse a été répertorié un ensemble exceptionnel de 102 orgues historiques, dont 52 ont d’ores et déjà été restaurés. Un documentaire de 52 min sur ce sujet a été réalisé en 2000 par Joël Jenin (L’Ile des orgues) [le réalisateur Joël Jenin est ethnologue, mais aussi chevrier en Corse et dans les Cévennes].


    Pour tous renseignements, s’adresser à :
    04 95 61 90 14
    ou
    Renaissance de l’orgue corse
    6, rue Sant’Angelo
    20200 Bastia
    Pauline Sallembien (présidente de ROC): 04 95 32 71 58
    J. Casanova: 04 95 21 92 10
    J. et L. Sansonetti: 04 95 47 01 65



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  • Louis-René des Forêts | Une voix venue d’ailleurs

    «  Poésie d’un jour »





    Cantarini_corsi__1
    Ph., G.AdC








    UNE VOIX VENUE D’AILLEURS



    Si faire entendre une voix venue d’ailleurs
    Inaccessible au temps et à l’usure
    Se révèle non moins illusoire qu’un rêve
    Il y a pourtant en elle quelque chose qui dure
    Même après que s’en est perdu le sens
    Son timbre vibre encore au loin comme un orage
    Dont on ne sait s’il se rapproche ou s’en va



    Louis-René des Forêts, Poèmes de Samuel Wood, Fata Morgana, 1988 (rééd. 2014), page 44.







    LOUIS-RENÉ DES FORÊTS


    Louis-René des Forêts
    Louis-René des Forêts
    par Henri Cartier-Bresson, 1995
    Source




    ■ Louis-René des Forêts
    sur Terres de femmes

    Tout cela qui fut
    30 décembre 2000 | Mort de Louis-René des Forêts





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  • Corse_3 Salge




    Salge_3
    Maison abandonnée de l’ancien hameau de Salge
    (commune de Canari)
    Ph©angèlepaoli




    Canari (Haute-Corse), le 13 août 2005

    SALGE

    Sentiers de chèvres émoussés
    escaliers de pierres desséchées
    buissons de ciste roussis
    calcinés
    menhir incongrûment dressé
    sous la chênaie
    aires à blé disséminées
    désaffectées
    lézards filant au fil des lauzes
    figuiers pansus enchevêtrés
    grillons crissant sous la feuillée
    vieux murs enlacés par les lianes
    poutres cheminées fenêtres
    béant nues sur le ciel
    noms égarés enfouis perdus
    silence de la source asséchée
    vies bues
    mémoires mortes
    abolies
    hameau de Salge
    déserté
    tu

    Angèle Paoli
    D. R. Texte angèlepaoli



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  • André Rochedy | Armez-vous des feuilles du rêve

    «  Poésie d’un jour »



    Lautre_rive_du_temps
    Ph, G.AdC






    « Armez-vous des feuilles du rêve, le bruit de l’eau bouge la nuit, les jardins masquent leurs pivoines. Sur le ventre de l’amoureuse, courent les mains de soufre. Le champ de neige brûle ses cris et le passant si haut, trahi par les chemins, avance en funambule, sur un fil de silence pour atteindre l’autre rive du temps. »


    André Rochedy, Chants de la traversée, L’arbre à paroles, Amay, 1999, page 21.






    NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE


    André Rochedy (mort le 9 août 2006) est né en 1942 à Saint-Agrève (Ardèche) et a été professeur de lettres à Lyon. Il a publié, notamment pour L’arbre à paroles et Cheyne-Editeur, de nombreux recueils poétiques, dont :
    Descendre au jardin, Cheyne, 1987, illustrations de Martine Mellinette;
    D’un passage d’oiseaux, L’arbre à paroles, 1990;
    Fils du Soleil, L’arbre à paroles, 1991;
    Pour le violet des roses, Cheyne, 1992;
    L’homme descend du songe, L’arbre à paroles, 1992, illustrations et mise en page d’Annie Gaukems;
    Le Chant de l’oiseleur, Cheyne, 1993, illustrations de Martine Mellinette;
    Dans la mémoire du jour, L’arbre à paroles, 1995;
    Dans la main du vent, suivi de L’ange la nuit, Voix d’encre, 1999;
    L’Enfant du songe, L’arbre à paroles, 2001;
    Ma maison, c’est la nuit, Cheyne, 2002, illustration de Martine Mellinette.

    André Rochedy a également collaboré à de nombreuses revues : Faire-part, Voix d’encre, Poésie-Rencontres, Arpa Laudes, Lieux d’être, La Sape, Rétroviseur, Paradiso, L’Arbre à paroles… André Rochedy a aussi été lauréat du prix de Poésie Jeunesse 2002 pour son recueil : Des étoiles dans mon sac à pain. Il a notamment travaillé avec les peintres Santamouris (Dans la main du vent) et Kijno (Noctuaire, 1987, et Par le violet des roses).





    Voir aussi :
    – (sur Terres de femmes) André Rochedy/
    Et quel souffle de bleuets.



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  • Corse_3 Assises au bord du fleuve




    Canari (Cap Corse), 10 août 2005




    Pashupatinath20cremation
    SOURCE




    ASSISES AU BORD DU FLEUVE

        Ce matin, le rectangle à palabres, le terrazzinu qui sépare la « maison au tilleul » de la « stalla di Pinella », est nimbé d’une fraîcheur inhabituelle. Une fraîcheur presque montagnarde et tout à fait hors de saison. Dans cet espace minuscule, adossées aux murs de la treille, D. et Angèle évoquent leur séjour au Népal. Elles revivent ensemble leur voyage à Katmandu. Ignorantes chacune de ce que l’autre a vécu, presque à la même époque. Elles parlent de la chaîne himalayenne, dérobée aux regards, absorbée dans la masse immobile et dense des nuages. De la démarche paisible et lente des buffles, des femmes accroupies autour des fontaines et des gardiens de fontaines, des hommes en prière dans les temples. Ensemble, elles passent des heures assises au bord du fleuve. Le fleuve au pied du village aux crémations : Pashupatinath. Les mêmes images, les mêmes visions défilent au rebours des phrases. Les mourants alignés sur leurs civières, attendant une mort prochaine. Le bûcher tout proche. Entretenu, alimenté, surveillé avec un soin rituel. Le fils aîné qui tourne autour du bûcher qu’il humecte de l’eau du fleuve avant de jeter un brandon enflammé sous le cadavre. Les déplorations qui cessent dès que les flammes grimpent vers le ciel. La famille qui se déplace en cercle autour du mort. L’homme qui veille au bon déroulement de la cérémonie, ramène avec sa perche un tibia égaré qui refuse de se tenir au centre du feu, houspille le corps émacié du défunt pour le forcer à ne pas s’échapper de la flamme. Il faut du temps et de la patience pour brûler un corps, il faut du temps et de la patience pour le réduire à l’état de cendres. De la patience et de la sagesse. Á côté, tout à côté des civières qui attendent leur tour, la vie continue. Les femmes vaquent à leurs lessives. Les enfants rient et plongent dans les eaux du fleuve. Qui roulent les poussières des défunts calcinés, brûlant de rejoindre les flots vénérés du Gange.

        Assises sur la rive opposée, elles regardent. Absorbées dans leur silence, elles méditent sur cette leçon de vie et de mort qui se déroule comme au ralenti. Elles découvrent avec une émotion intense ce rituel funéraire, nouveau pour elles, à mille lieues des rituels méditerranéens dont Angèle se sent l’héritière et gardienne. Sous les cieux himalayens, au bord du fleuve sacré, Angèle comprend mieux la cérémonie de la crémation, elle qui reste si viscéralement attachée à la destruction naturelle du corps, soumise au rythme biologique et baroque de la décomposition. Qui ne relègue nullement le ver hors de la chaîne. Elle pense au tombeau de famille, perdu à l’autre bout du monde. Elle a en mémoire le long fuselage des cyprès. Elle sait que se posera un jour la question de la réorganisation des tombes. Et de la réduction des corps. Il faudra faire de la place et mettre ensemble Carry et Lola, ses arrière-grands-parents, Jeanne et Pierre, ses grands-parents, et peut-être aussi les deux sœurs, Eliane et Denise.

        Denise. Elle n’a pas connu Denise. Denise est morte à Boulogne-sur-Mer, un an avant sa naissance. Le soir même des noces du frère aîné, en avril 1946, à Alger. Ce sont ses parents à elle, Angèle, qui ont veillé à faire rapatrier l’urne funéraire jusque en Corse, la terre natale. Il a d’abord fallu retrouver la tombe oubliée. Perdue là-bas en terre d’exil. Elle se demande pourquoi il revient toujours aux femmes de quitter leur sol. Jeanne, forcée de renoncer à son rocher de Minerviu. Et Philippine, la mère de Jeanne, forcée de renoncer à son hameau de Vignale, pour aller vivre à Minerviu, terre étrangère qu’elle n’a jamais aimée. Elle se dit qu’il y a au moins un point commun entre les deux communes mitoyennes de Canari et de Barrettali. Celui de cette fatalité sociale, à laquelle nulle femme n’échappe. Elle ne peut que s’émouvoir de la continuité de cet héritage-là entre ses aïeules et elle-même.

        D’une génération à l’autre, d’un espace à un autre, son esprit vagabonde. Elle se souvient de ces dimanches de novembre où parents et enfants s’étaient aventurés jusqu’à Boulogne-sur-Mer. Des dimanches de pluie battante, ininterrompue. Des dimanches de lumière noire sur la mer du Nord. Ils avaient erré dans les allées du cimetière, désertes à cette heure de la journée. Longtemps ils avaient cherché la tombe de Denise. C’est elle, Angèle, qui l’avait enfin trouvée. Elle s’était sentie défaillir en découvrant le nom de son grand-père inscrit sur la tombe, le seul patronyme corse du lieu. Ils s’étaient serrés les uns contre les autres sous le parapluie noir de son père. Sa mère sanglotait. Elle aussi. Qui tremblait de froid, de fatigue et de désarroi. Le retour vers le Nord avait été silencieux. Sa mère n’avait pas voulu leur parler de Denise. L’été suivant, elle avait fait dire une messe à l’église du village, l’église Saint-François. A la mémoire de Denise, sa jeune sœur, morte à l’âge de 24 ans. Les cendres avaient voyagé dans une urne et l’urne avait été scellée dans le tombeau de famille. Il ne restait de Denise que quelques photos. Celle de la défunte couverte de lys sur son lit de mort. Photo qui l’impressionne tant. Denise, si belle et si blanche dans sa robe de mariée. Éternellement. Ailleurs, dans un carton qu’elle ouvre de temps à autre, quelques lettres aussi, cernées de noir. Lettres de Maurice, rencontré et épousé à Casablanca, quelques mois avant le mariage de Carry, le frère aîné. D’un mariage à l’autre, en quelques mois à peine, le temps avait basculé.

        Elle entend le rire légendaire de la jeune fille, résonnant dans les venelles du carrughju ; elle imagine les frasques de la jeune caprine. Caracolant inlassablement à travers le village et défiant les commandements du père. Denise, la « girondulone » qui court les ruelles aux heures chaudes de la sieste, se gorge de raisins murs chapardés dans les vignes. Denise que son père punit de ses forfaits en l’attachant aux pieds du lit. Denise, rebelle et enjouée, que Jeanne, sa mère, chérit bien plus que ses autres filles. Il lui reste de Denise le récit de la leçon d’orthographe. Leçon qu’elle partageait avec sa meilleure amie, sous la férule de sa mère. Comment avez-vous écrit « souris » ? Moi, j’ai mis un « i » et moi un « e ». Consternation maternelle. « Vous êtes deux ignorantes l’une et l’autre ! » Consternation des deux élèves, échange de regards sous cape, coups de coudes. Denise : « C’est féminin, donc ça prend un « e » ! Isabelle : « C’est singulier, donc ça ne prend pas de « s » ! Imparable ! Mais la mère perd patience et les deux nigaudes partent d’un grand éclat de rire tout en évitant de justesse la gifle qui court de l’une à l’autre. Isabelle, à qui Angèle doit ce récit, rit encore de la leçon d’orthographe sur la souris.

        Elle aurait aimé connaître Denise, sa beauté lumineuse, sa sensualité épanouie, sa joie de vivre. Mais elle se heurte à l’injustice de la vie, à son absurde cruauté. Denise est morte loin des siens. Loin de Canari, loin de Casablanca, loin des noces d’Alger. Loin du bal donné au mess des officiers. Carry vient d’inviter sa sœur aînée à danser la dernière valse de la soirée. Leur cœur à tous deux soudain s’est serré. Ils ont échangé dans le silence de longs regards embués de larmes.

        Sous la chaîne himalayenne, Shiva et Parvati s’enlacent inlassablement. Le fleuve Bagmati roule ses eaux sacrées, gorgées de cendres. Enclose dans son urne, Denise repose parmi les siens. Veillée par la silhouette sereine des cyprès tutélaires.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



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  • Corse_3 Nadine Manzagol | Insulaires

    «  Poésie d’un jour »



    O_la_lumire_se_donne_comme_voltige
    Ph., G.AdC






    INSULAIRES



    Hier, nous avons tenu le journal du hasard
    Additionné les coups de dés
    Désespérant l’exil
    D’un tourment si léger.
    Ivres,
    Ivres de nous démettre,
    Silhouettes seulement précisées par le ciel
    Dans l’immobilité des fêtes insoumises.
    Hier
    L’horizon s’était raréfié infiniment
    L’horizon s’était raréfié
    Jusqu’à cet infime point d’éclatement
    Où la lumière se donne comme voltige
    Arabesque rasant les plus noires violences.
    A la marge des grèves
    Un sourire ambigu
    Dessine à présent le silence.
    Vois-tu, ce n’est pas une histoire simple
    Et qui eût jamais lieu
    Le lieu même nous rêva en désir
    Nous fûmes en sa réversibilité noués en torsade schisteuse
    Le roc lavé de feu dans le buisson carbonisé.
    Vigiles d’un peuple sans frontières,
    Enfants de la perte infinie
    Nous divulguons l’amour bien plus haut que l’aveu.




    Nadine Manzagol, Cryptogrammes, Editions du Manuscrit, 2005, page 37.




        Cap-Corsine, Nadine Manzagol vit aujourd’hui à Bastia. Assistante de réalisation de films tournés en Corse et à Pékin, elle a publié en 2005 le recueil poétique Cryptogrammes.





    ■ Nadine Manzagol
    sur Terres de femmes

    Utopie



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  • 7 août 1675 |
    Madame de Sévigné, « Ma bonne, votre commerce est divin »

    Éphéméride culturelle à rebours



    « MA BONNE, VOTRE COMMERCE EST DIVIN… »





    Rabutin_chantal
    Madame de Sévigné
    Image, G.AdC






    À Madame de Grignan
    À Paris, mercredi 7 août 1675



        Ma bonne, votre commerce est divin ; ce sont des conversations que nos lettres : je vous parle, et vous me répondez ; j’admire votre soin et votre exactitude ; mais, ma-très-chère, ne vous en faites pas une loi ; car si cela vous fait la moindre incommodité et le moindre mal de tête, croyez que c’est me plaire que de vous soulager ; et sans vouloir exagérer, votre intérêt, votre plaisir, votre santé, le soulagement de quelque chose qui vous peine, est au premier rang de ce qui me tient le plus au cœur […].


    Madame de Sévigné, Lettres, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, I, édition de Gérard Gailly, page 793.





    ■ Madame de Sévigné
    sur Terres de femmes

    5 février 1626 | Naissance de Madame de Sévigné
    6 février 1671 | Lettre de Madame de Sévigné à Françoise de Grignan
    20 juillet 1694 | Lettre de Madame de Sévigné à la comtesse de Guitaut
    17 avril 1696 | Mort de la marquise de Sévigné





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  • José Ángel Valente/SUR le seuil

    «  Poésie d’un jour »





    Clergue_2
    Ph, Lucien Clergue
    Source





    « EN el umbral hay una figura de mujer. Temblor del cuerpo, leve palpitaciόn del prolongado gris del chal sobre el que se derramanban sus cabellos. Le pregunté : -¿De dόnde vienes ? Sus ojos se perdieron en la tarde. Volví a decirle :- ¿Adόnde vas ? Y regresό despacio a su mirada. Entonces comprendí que, en el umbral, no era la mujer ni un antes ni un después. No era ; estaba. Estaba, solamente. »




    « SUR le seuil il y a une forme de femme. Frémissement du corps, légère palpitation du long gris étiré du châle sur lequel se répandent ses cheveux. Je lui ai demandé : – D’où viens-tu ? Ses yeux se sont perdus dans le soir. J’ai répété : – Où vas-tu ? Et doucement à son regard elle est revenue. Alors j’ai compris que, sur le seuil, la femme n’était ni un avant ni un après. Elle n’était pas ; elle était là. Elle était là, seulement. »

    José Ángel Valente, Fragments d’un livre futur, José Corti, collection «  Ibériques  », page 43.





    Voir aussi :
    – la
    fiche livre de José Corti sur Fragments d’un livre futur ;
    – (sur Terres de femmes) José Ángel Valente/
    LE cap entre dans les eaux (issu du même recueil) ;
    – (sur Terres de femmes) José Ángel Valente/
    TON image mélancolique (issu du même recueil) ;
    – (sur Terres de femmes) José Ángel Valente/
    Ode à la solitude ;
    – (sur Terres de femmes) José Ángel Valente/
    Le tremblement ;
    – (sur Esprits nomades)
    une superbe page José Ángel Valente



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